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L'AuUnr fl l'iiiltur M rtMmnl le ilrolt ii Iradntlioa cl dg r«?roJueliira i rétniistr.
Douze, bv Google
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PRÉFACE
Passer de la Régence à Fleury et à Louis XV,
c'est, ce semble, passer de la pleine lumière aux
arrière-cabinets de Versailles, cachés dans l'é-
paisseur des murs, sans air ni jour que ceux des
petites cours qui sont des puits. — Grand change-
ment. Tout était en saillie. Tout gravitait autour
d'un fait très-public, leSystème. Tout entrait dans
le drame, et paraissait au premier plan, le mal sur-
tout. Ce temps ne voilait rien.
Il en est autrement de Fleury et de Louis XV.
Les gouvernements successifs ont cru devoir
cacher cette histoire de prêtre et de roi. C'est un
mystère d'État. Deux personnes en ce siècle ont
seules eu la faveur d'en ouvrir les archives diplo-
matiques, l'historien de la Régence Lémontey, et
:.bv Google
celui de la Chute des jésuites. Les quaranle années
qui s'étendent de l'une à l'autre époque n'élaient
guère connues jusqu'à nous que dans les événe-
ments qu'on peut dire extérieurs, militaires, litté-
raires, les anecdotes de Paris. Pour le centre réel
de l'action, du gouvernement, l'inlérieur de Ver-
sailles, qui le savait? personne. Porte close. On
n'y entrait pas. C'était trop haut pour les simples
mortels. Affaire de Cabinet ! Grand mot qui fer-
mait tout. Ce n'était pas figure. Le Cabinet n'est
pas le salon des ministres et de la table verte, mais
le petit Irou noir où le Roi écrivait, souvent contre
son ministère, à sa famille, à ses parents, amis.
Espagnols, Autrichiens.
L'extrait de d'Ârgenson donné en 1825 ne nous
révélait guère que la politique extérieure de cet
homme excellent dans son court ministère. En
1857, heureusement, son trèsTdigne neveu, hon-
nête et courageux, averti que l'on préparait une
édition de son grand oncle, et craignant la prudence
timide que l'on pourrait y mettre, cassa les vitres,
et publia lui-même, nous donna le vrai Louis XV
(édition Janet, in-12). Puis vint l'édition in-8*,
très-ample et fort utile à consulter.
Là en pleine lumière éclate le secret de ce r^e :
la conspiration de famille. On voit parfaitement
que le Roi ne fut point aussi flottant qu'on l'avait
:.bv Google
cru, mais sous l'empire d'une idée fixe. Si les mi-
nistres ou les maîtresses influèrent, ce fut en sui-
vant cette idée, servant uniquement Pintérêt de
famille.'
Le témoignage de d^Argenson est d'autant plus
gravequ*il a un culte ardent et sincère delà royauté.
]1 s^obstine à aimer le Roi, à espérer en lui,
à croire qu'un jour ou l'autre il vaudra quel-
que chose. La vérité, malgré Im, lui échappe,
s'arrache de sa bouche. 11 la dit à regret, à son
corps défendant. Même après sa disgrâce, il est le
même. Sa foi robuste n'en est pas ébranlée. Il garde
encore longtemps son eredo monarchique : l'espoir
du salut par le Roi. D'autant plus il est accablé
quand manifestement tout est perdu (1756) et la
France livrée à l'Autriche. Alors il succombe et il
meurt.
Des lueurs sii^ulières éclataient par ce livre,
mais courtes, brèves, des lumières incomplètes.
Enfin un secours est venu qui nous aide à lire d'Ar-
genson, qui donne Versailles jour par jour. C'est
l'immense et consciencieux Journal de M. de
Luynes, qui, de chez la Reine, voit tout, note tout à
sa date, en termes ménagés, mais clairs leplus sou-
vent, La Reine, quoique si dévote, les amis de la
Reine, entrèrent très-peu dans le mouvement de
Versailles, rieslèrent à part du Dauphin, de Mes-
D,a,l,zc.bvG06gIC
dames. M. de Luynes est un témoin honnèle,
triste, respectueux, dont certes le respect n'est
nullement de l'approbation.
Sa chronologie simple, mais infînimelit détail-
lée, saos le savoir, sans le vouloir, confirme les
faits graves donnés par d'Ârgenson et autres. Il
explique Barbier, la Hausset, etc. Il prouve que
Soulavie fut souvent très-bien infoi'mé.
Le secours admirable que je trouve dans M. de
Luynes, c'est qu'autour d'un grand fait qui me
vi^t de quelque autre, il me donne une infi-
nité de faits accessoires qui l'amènent, l'expli-
quent, qui se lient avec lui par la force des
choses. Le grand fait passe; mais la trace en
continue longtemps; mille détails le rappellent
encore. Encadré dans la multitude de ses
précédents, de ses conséquents, — prévu avant,
suivi après, — ce fait offre un ensemble de
laits qui se supposent, se tiennent, se prou-
vent les uns les autres. Voilà un fait solide,
alors, et il n'est pas facile d'y toucher et de
l'ébranler. Il repose dans la certitude, — une cer-
titude telle que nulle science d'observation ou de
calcul ne donne de preuve plus forte.
Pour les temps antérieurs à ce journal, très-la-
borieusement j'ai moi-même construit mon fit
chronologique, l'ai suivi en toute rigueur. Aux
temps tragiques surtout de M™ de Prie, un seul
Douze. bvGoogle
fait hors de date eût rendu toul obscur. Là et
partout (ainsi que je l'ai dit ailleurs], je suis
le serf du temps. Je m'inlerdis ces tableaux géné-
raux oii l'on rappi-oche pour l'effet littéraire des
laits d'époques différentes. Qu'ils soient brillants,
ces tableaux, il n'importe. Leur éclat obscurcit,
faisant perdre de vue la vraie lumière profonde de
l'histoire, lacausalité.
Par ce respect du temps, il s'est trouvé que
mêmeoij ce volume ne s'appuie pas de documents
nouveaux, il n'en donne pas moins une histoire
absolument neuve. Ceux qui croyaient savoir l'his-
toire de Louis XV, seront un peu surpris. Ils n'y
reverront rien qui réponde h leurs souvenirs. Pour
les rassurer, j'ai cité beaucoup, et dans le texte
même (non pas au bas des pages). Par là, dans les
moments critiques qui les inquiéteraient, ils sen-
tiront la base ferme que l'histoire leur met sous
les pieds.
J'ai poussé ce scrupule (pour le procès de Da-
miens) jusqu'à citer de ligne en ligne. Les nuances
infinies du règne de Mesdames, les variations que
subit dix ans la Pompadour du plus haut au plus
bas, avant son règne de la guerre de Sept ans ,
tout cela est daté, précisé par les textes.
Saint-Simon m'a servi encore dans ce volume.
Quoique la fm de ses Mémoires reste cachée tou-
:.bv Google —
jours aux secrètes archives des affaires étrangères,
il donne, dans ce que nous avons, des faits capi-
taux sur Fleury : — sa profonde ignorance (avouée
de son araiWalpole), — sa niaise confiance aux
Anglais, — sa connivence honteuse à la vie pi-
toyable du petit Roi, et le soin qu'il eut d'éloi-
gner de lui les honnêtes gens qu'avaient choisis
Louis XIV et le Régent. Sur tous ces points, il
autorise, confirme Soulavie, et aussi sur le point
très-grave qui contient tout : Flmry fut le man-
nequin d'ïssy, de Saint Sulpice, des Rohan, des
Tencin. Ils ne le lâchèrent pas, le firent rester,
même idiot, nous tinrent liés sous ce cadavre.
D'Aj^enson et autres nous prouvent qu'il ne
rétablit pas la France. Il la livra aux Fermiers
Tout le monde se jouait de lui, même l'Espa-
gne, ce qu'établit Monlgon (qu'on ne lit pas
assez). .
M. d'Haussonville a fourni la preuve de ses
deux trahisons, de ses faiblesses pour l'Autriche,
à qui il dénonçait nos ministres et nos généraux,
à qui il immola l'armée infortunée, gelée dans le
retour de Prague.
Noailles que j'ai ailleura admiré, défendu, ici
me tromperait par son adresse à embrouiller
les choses, sans d'Argenson qui donne naïvement
le dessous des caries, l'asservissement de Noailles
Douze. bvGoogle
aux dévots, à Mesdames et à rintéi-êi de famille
(1746).
Voltaire me sert fort par ses lettres, peu par,
son Louis XV, sa triste Histoire du Parlement,
It est dans ces ouvrîmes injuste et léger, très-flat-
teur, spécialement pour Richelieu.
L'homme de Richdieu, &)ulavie, est trop dé-
crié. Bavard et mauvais écrivain, ne sachant pas
trop bien les affaires générales, il sait très-bien
Versailles. Il avait sous la main et Richelieu
vivant, et les papiers de Richelieu, les papiers
Maurepas, le journal de M. de Luynes. Avec tant
de secours, il pouvait marcher droit. Pour la
cour, il est bon le plus souvent, et on le trouve
exact en ce qu'on peut vérifier.
Duclos, fort inutile pour les temps antérieurs,
est tout à coup en 1756 très-important, très-
grave. Dans sa position singulière, à part des
philosophes, familier chez la Pompadoiir, et
surtout ami de Bernis, il a vu de très-près à
ce moment. Il y donne deux faits capitaux : 1' La
Pompadour a seulement influé jusqu'en 1756;
mais alors elle règne (par la grâce de Mari&-
Thérèse) ; 2° l'ordre de Rosbach partit de Vienne,
de notre ambassadeur Choiseul, le valet de l'Au-
triche.
La Hausset est fort curieuse, mais elle fait un
Roi bonasse, et une douceâtre Pompadour. Elle
Douze, bv Google
ignore que sa maîtresse a rempli les prisons
d'Étal. Elle ignore (chose plus étonnante) que
par trois fois (1747, 1752, 1755), la Pompa-
dour fut très-près de tomber. — Elle sait des
choses importantes : le petit Parc-aux-cerfs
intérieur près de la chapelle, l'inceste simulé
par les seigneurs pour plaire au Roi, sa vive
jalousie à l'égard de ses filles, sa haine pour
Bernis quand il le sut amant de sa GUe l'In-
fante, etc., etc.
Elle réduit ce qu'on avait dit sur la haute
faveur de Quesnay et de son école auprès du
Roi. II avait plu sans doute par la doctrine
économiste qui fait le Roi co-propriétaire en tout
bien du royaume. Mais il resta toujours isolé,
à distance. Même en voiture , et l'emmenant
comme médecin, la Pompadour ne daignait lui
parler.
L'excellent journal de Marais, qui nous a ré-
vélé la honteuse enfance du Roi, Je fangeux
Versailles de ce temps, malheureusement nous
quitte de bonne heure. — Et il s'en faut que
Barbier le remplace. Très- prolixe pour le Parle-
ment et riche pour l'histoire de Paris, Barbier
ignore profondément la Cour, le lieu étroit où
tout se décidait. En 1758, à peine, il commence
à savoir les faits de 1732 (l'avènement de la
Mailly). Il ne sait pas un mot du règne de
D,a,l,zc.bvG00gIe
M"" de Vintimille, un des grands moments de
l'histoire.
Même son Parlement, il le sait assez mal.
Il n'en marque pas bien la dualité intérieure
(jansénistes el politiques), les tendances opjmsées
qui ôtaient toute force à ce corps, guerroyant à
la fois contre la Bulle et l'Encyclopédie. Utile
cependant, très-utile, ce journal ne me quitte
pas ; il me donne (en r^ard de de Lnynes el de
d'Argenson) la chronologie de Paris.
Le témoin capital du siècle est certainement
d'Ai^enson. Il n'est pas sans talent (voir le si-
nistre bal de décembre 51), et il a un grand
cœur, un violent amour du peuple et de la
France. Je comprends qu'aujourd'hui tous les
petits esprits tombent sur lui, relèvent soigneu-
sement ses contradictions.
Oui, oui, c'était un simple. Cela n'empêche
pas qu'il ne fût un voyant, ne devinât cent
choses qui depuis se sont faites. On dirait
qu'il est membre de l'Assemblée constituante.
Il voit toute la France nouvelle, l'Italie libre, la
naissance des États-Unis.
Sans accuser, il est terrible. Il ressort partout
de son livre que Versailles ne cesse pas un seul
jour de trahir la France.
Du reste inTWcemmeM, en grande sécurité de
conscience. Quand Louis XV reçut l'^jralignure
Douze, bv Google
de Damiens, il dit : « Eh ! poui'quoi me tuer? Je
ne fais de mal à personne. »
II aurait pu être encore pire, avec l'éducation
qu'il eut, avec les petits corrupteurs auxquels
rabandonna Fleury. Il aurait pu être un Néron.
Au fonds, ce fut un gentilhomme, timide, hautain
et sec, dissolu, aimant la famille, maïs du plus
bas amour, amour de chat; très-hostile à son fils,
beaucoup trop tendre pour ses iilles. Si on qua-
lifie cet amour moins sévèrement que les con-
temporains, il l'estera toujours incontestable que
Mesdames eurent sur lui une énorme influence.
L'une sauva les biens du Clerçé ; il n'y eut de
ruiné que la France. L'autre fut la cause di-
recte des guerres prindpales de ce règne. •
Croyant solidement que le royaume était un
simple patrimoine, ni le Roi, ni ses filles n'eu-
rent le moindre scrupule. Pour l'une, on tue
200,000 hommes, pour lui donner le Milanais
(1741-1748). On ne réussit pas. Alors, pour elle
encoi'e, pour lui donner les Pays-Bas, commence
la grande Guerre de sept Ans, qui coûte un mil-
lion d'hommes (si l'on compte tous ceux qui
moururent de misère).
M. de Luynes, dans son détail immense des
choses publiques, officielles, à son insu, appuie
merveilleusement d'Ai-genson. Il nous donne le
temps et le lieu, les petits voyages, le changement
Douze. bvGoogle
lies appartements. Avec Itti et Blondel, et ]e sa-
vant M. Soulié, le conservateur de Versailles,
je vois tout, je suis tout, de jour, de nuit. Un
plan ingénieux, par de petites cartes qu'on lève à
volonté, donne ta superposition des étages, des
entresols même coupés dans la hauteur des
pièces, rinfmie subdivision du vaste labyrinthe
(Bibl. du loiwre, vol. 10-4°). Rien de plus in-
structif. Tel cabinet, tel escalier, expliquent les
grands événements.
En ce palais impur, le seul lieu un peu propre
où puisse s'arrêter le r^ard, c'est l'appartement
de la Reine. Elle était née charmante de cœur et
de douceur modeste. Faible, bigote , parfois into-
lérante , quand elle y est poussée par ses jésuites
polonais , d'elle-même elle n'est pas intrigante.
Sa petite société resta à part de la cabale du Dau-
phin, de Mesdames. Je n'aime guère son président
Hénault, mais beaucoup ses de Luynes, rares
"Courtisans, qui, loin de demander, dépensaient
leur fortune à nourrir leur maîtresse, infirme,
abandonnée. Cet honnête intérieur m'a reposé
les yeux. M. de Luynes, par le portrait sévère
qu'il a fait du Dauphin, par des traits innom-
brables relatifs aux ûlles du Roi , fait sentir for-
tement combien la reine est loin de ses enfants,
de madame Henriette et de madame Adélaïde, les
deux Chefs du Comdl, pour dire comme d' Ai^en-
Diailizc^bv Google
son. Au volume suivant, en mars 1767, on verra
]a lille et la mère se disputer directement l'édu-
cation de Louis XVI.
J'ai profité souvent des Nouvelles ecclésiasti-
ques, — fort peu des livres de Hollande , Histoire
de la cour de Perse, Vie privée, et autres sot-
tises, d^ écrivains faméliques, ignorants et mal in-
formés, qui écrivaient pour les libraires les mys-
tères de la Cour dont ils ne savaient pas un mot.
Dans le labeur ingrat, mais nécessaire, de
bien tenir, sans le lâcher, le fil central qni mène
tout, je ne m'écarte guère ni vers les affaires
protestantes, ni vers nos colonies. Je dois les
ajourner. Mais je ne puis pas ajourner un spec-
tacle admirable et de lumière immense, qui
m'a consolé, soutenu, dans mon sombre Ver-
sailles où j'étais enfermé : — l'essor de la pensée
au dix-huilième siècle.
Plus l'autorité tombe et descend dans la honte,
plus le libre esprit monte, allume le fanal im-
mortel qui nous guide encore.
C'est de la Régence à Rosbach, dans ces
trente-trois années, que ce siècle a été fort, ori-
ginal et lui-même. La décadence en tout com-
mence enl760\
> Ce volume s'airêle i l'entrée de la guerro de Sept ans. — Hehélius,
HoUutdi, Ttmnoit plus tard, ainsi que Candide, cette ftdiease édipie
:.bv Google
Aux neuf années de paix entre les guerres
(1748-1757), la France étonna le monde d*une
fécondité inouïe. Jamais tant de grands livres ne
parurent en même temps. On vit surgir coup sur
coup, comme aux époques antiques des soulève-
ments de la terre, des masses énormes et colos-
sales , des Alpes et des Pyrénées.
L'Esprit des lois, splendide exposition de tant
de faits curieux, de tant de vues ii^nieuses, fut
un coup de théâtre immense (1748).
Et à l'instant (1749), suivit, comme une autre
montagne, la grande Histoire naturelle de Bufibn,
sa Théorie de la terre, qui le mènera en trente
ans aux Époques de la nature.
Bientôt (1755) apparaît, incomplète encore,
cette histoire qui fit toute histoire , qui nous en-
gendra tous (et critiques et narrateurs), le vaste
Essai sur les mœurs des nations (complet, 1757).
Cependant, année par année, par Teffort tita-
nique de Diderot, d'Alemberl, Voltaire, tant d'au-
tres qui si généreusement y jetèrent leurs tra-
vaux, s'entassait l'Encyclopédie, livre puissant,
de Vollaire. — La réaclion pleureuse de Diderot (le Pare de famille)
at de la HooTelle Hélolse (1759), ne ma regardent pas encore. —
L'art est eocor« entier. Cet art tU Ut Régence subsiito. Il va ^lir,
et peu i peu faire place au pauvre art louii XVI. — Le stjle aussi
s'altàre *ere 1760. Un grand maître l'a dit : ■ Dans Voltaire, la
forme est l'htdnt de la peniée, — transparent, — rien de plus. Avec
Ronsseau, l'art parait trop, et l'on voit commencer le règne de la forme,
par conséquent sa décadence, »
:.bv Google _
quoi qu'on ait dît, qui fut bien plus qu'un li^Te,
— la conspiration victoiieuse de l'esprit humain.
Victorieuse. — Je le dis en deux sens.
On pourra voir dans ce yolume l'hommage
étrange que l'Autriche elle-même, pour enlraîner
la France, fut obligée de rendre à l'opinion domi-
nante, on verra la cabale autrichienne se dire phi-
losophe, — Kaunilz, Choiseul, coiu-lisans de Fer-
ney, — et la grosse Marie-Thérèse, quatre heures
par jour à son prie-dieu, autant ie soir aux pièces
de Voltaire, qu'elle fait jouer lâchement par ses
filles les archiduchesses.
On y verra aussi comment un encyclopédiste,
l'ami et l'allié de Diderot et de d'Alembert, pour-
suivi à la fois par les rois et par les dévots, leur
livra en un an cent combats, sept batailles, fît
face à leur sept cent mille hommes. — C'est la
plus grande lutte pour la disproportion des forces
qu'on ait vue depuis Salamine. — La même
année, 1757, on proscrivit ensemble Frédéric,
l'Encyclopédie ; on mit au ban du monde et la
philosophie et le roi des penseurs. — La Pensée
vainquit à Rosbach.
Trois empires et cent millions d'hommes ne
purent rien sur quatre millions. — Le fer, le
feu, la mort, mollirent contre l'Idée.
L'Idée forte et paisible. — Le soir de ces
grands jours, ayant couché par terre vingt, trente
Douze. bvGoogle
mille Croates ou Cosaques, Frédéric, immuable,
écrivait à Voltaire, ou faisait ua chapitre de ses
admirables Mémoires.
Napoléon semble avoir peu goûté que les idéo-
logues aient eu un si grand capitaine. Il est fort
dur pour lui. II tient trop peu de compte des
circonstances spéciales, vraiment imiques, d'une
telle crise.
La France, en général, n'a pas rendu encore
tout ce qu'elle doit à l'homme qui l'a le plus ai-
mée, qui vécut d'elle, ne parla que sa langue,
à ce Français, si grand par Vaction et par la
Le dix-huitième siècle avait posé sa foi, son
credo, son symbole, (par Voltaire, Vauvenai-^
gués, etc.) : Le hit de Vhomme est l'action. U
restait de montrer et de prouver cela, comme fit
Frédéric, par toute activité, dans la paix, dans
la guerre, administration, lois, combats, avec ce
calme souverain, qui, par dessus le trouble des
affaires, des dangers, planait dans la culture des
arts.
L'action! On verra combien ce simple mot
fut fort pour rallier le siècle avant la décadence
de 1760. — Il est très-faux qu'on ait erré, flotté.
Non, l'Europe a marché très-droit.
Leibnitz posa la force vive, premier élément
d'action. — Vico dit que l'homme est créateur,
Douze, bv Google
père et fils de son action (1726). — Montesquieu,
aux Lettres Persanes, que le principe inactif ei
stérile du Moyen âge allait mourir (1720). — Vol-
taire proclame en ses Lettres anglaises : « L'ac-
tion est le but de l'homme. » (1754). — « L'ac-
tion libre (1758) — et sous la même r^le mo-
rale. » (1751).
Diderot enfin entreprend d'évoquei' l'action, la
force vive, en tous les êtres, fait jaillir de chacun
le Dieu qui est en lui. Il s'écrie : « Élargissez
Dieul » Mot fécond qui lança, avec nous, l'Alle-
magne, et les sciences de la nature.
Celles de l'homme Tétaient par VEssai sur les
mœurs, et la grande enquête historique sur Fac-
tion universelle de Thomme, sur sa concordance
morale.
Montesquieu et Voltaire avaient pressenti l'O-
rient, regardé vers la Perse. Au moment où l'E*-
sai parut, un héros de vingt ans, Anquetil, sans
moyensm ressources, va au fond de l'Asie (1754)
chercher les livres de la Perse, la tradition sainte
de la morale antique, l'accord du genre humain
(du présent au passé), — la fin de l'a4!tion, du
travail créateur à l'im^e de Dieu, qui nous fait
dieux aussi.
HyÈres, 1" mai 1866. .. , ,
:.bv Google
HISTOIRE
DE FRANCE
AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE.
CHAPITRE PREMIER.
Fleury et M. le Duc. 1724.
Un simple pfécepteuravait transféré le royaume.
Fleuï7 avait d'un mot (que le Roi ne dit même
pas, approuva seulement), créé M. le Duc. Et
cela sans conseil. Nulle délibération. Les minis-
tres ignorèrent qu'on faisait le premier ministre.
Un seul témoin, le gnome, le nain familier, la
Vrillière, celui que le Régent nommait « le bilbo-
quet. » Le petit homme avait le serment dans sa
poche, de sorte que M. le Duc put le prêter à
l'instant même.
Ce nain était im personnage, de terrible im-
:.bv Google
(UM) _- 2 —
portance. En lui el sa lignée fut pour soisaDte
aouées l'arbitraire monarchique, la Terreur pa-
pale el royale. Ministre des lettres de cachet et
des prisons d'État, il les remplit de jansénistes.
Par son petit parent, l'espiègle Haurepas (le
chansonnier farceur), il avait la marine, les ga-
lères et les bagnes des forçats protestants.
La Bulle, étendant son royaume, avait énormé-
ment gonflé cet avorton. Il voulait pour son iils
une fille naturelle du roi d'Angleterre! Et pour
cela d'abord il allait le faire duc. Le R^eol n'o-
sait refuser. Il était dangereux par un côté obscur,
le pied qu'il avait pris dans les profondeurs de
Versailles, aux secrète cabinets où la royale idole
vivait avec trois camarades. Là de bonne heure il
eut son Maurepas, bouffonant, folâtrant, malgré
les rebufTades , écouté cependant et souffert
comme un Triboulet.
Auguste lieu. Deux fois s'y décide le sort de la
France (août 1722, juin 1726), au profit de
Fleury. L'autorité est là, le pouvoir part de là.
Celui qui y est maître, sans souci du Régent, de
son vivant, pactise avec M. le Duc. Fleury n'en
fait mystère (Saint-Stmwt). Son parti a déjà par
Ehibois la royauté religieuse. A la mort du Régenl>
il prend la royauté.
M. le Duc n'eut qu'un pouvoir borné. Il croyait
former le Conseil. Mais le Gonseilj en trois per-
U.,r,l,z<,.f,G00gIf
— 5 — tlI8«
sonnes, n'en fut qu'une réellem^it, Fleury. Avec
le pelit Roi, Fleury fort aisément subordonnait
M. le Duc, qui, seul de son cô\é, n'avait qu'à
obéir.
Désappointé, il demanda du moins qu'il y eût
un quatrième membre, qu'on appelât un homme
bien connu de Fleury, et point dési^réable, le
vieux Villars. Ce qui ne servit guère. Ce fastueux
bonhomme, très-faible au f(tnd, ne fut qu'un
comparse bavard.
Fleury fît deux parts du travail. D'abord tout
seul avec le Roi, une bonne demi-heure, il don-
nait les grâces et les places, tout ce qui fait aimer
(Villars). Pour le Duc restaient les affaires, tout
ce qui fait haïr. S'il s'agissait d'impôts, le sensible
Fleury s'en allait tout doucement.
Le Régent laissait tout dans un état terrible,
désespéré. Celui qui succédait était perdu d'a-
vance. M. le Duc, avec ses acolytes, sd M"" de
Prie et Duverney, ne pouvait (quoi qu'il fît) que
se précipiter, « et passer comme un feu de paille »
{Argenson),en Laissant à Fleury le terrain nettoyé.
Mais quel était Fleury? et par quel ensorcelle-
ment un homme de soixante-dix ans tenait-il à ce
point un enfant de quatorze? quels étaient donc
les charmes du vieux prêtre? son talisman mysté-
rieuïî
« Heureux les doux ! cai' ils posséderont la
Douze, bv Google
imi) _ 4 _
Terre. » Saint Matthieu prédisait Fleuiy. 11 était
doux. Et tout lui fut donné. 11 était patieat, sou-
riant. Au fond très-pen de chose, un î^éable
rien.
C'était un fort bel homme, fort grand, d'un peu
moins de six pieds, d'une mine douceâtre. 11 était
du Midi, mais sans vivacité, au contraire lent et
paresseux, et surtout (conune sont volontiers ces
hommes longs) souple, pliant. Né à Lodève (1653),
61s d'un receveur des tailles, il était pourtant gen-
tilhomme. Ayant des frères, il dut alléger sa fa-
mille, fut fait d'Église. Â quoi il n'avait pas
grande vocation. Il fît chez les jésuites d'assez
bonnes études, en surface et légères, resta un ai-
mable ignorant.
Les rois ont un faible secret pour les hommes de
décoration. Le favori de Louis XIII, on l'a vu, était
un géant. Louis XIV, à qui Bossuet donna Fieury,
pour sa belle figure le fit aumônier de la reine,
plus tard un de ses aumôniers. Quand il maria
sa fille au duc d'Orléans, pour soutenir dignement
le poêle, on prit Fieury. Il n'était cependant que
diacre. Fort peu pressé de se faire prêtre, il ne
s'y décida qu'à trente-neuf ans. C'était le temps
où Tarchevêque Harlay, la nuit, courait les filles
dans les rues de Paris. Fieury, sans faire autant
de bruit, entre Paris, Versailles, menait la vie
douce et l^ère. Pucelles, le fameux janséniste.
Douze, bv Google
— 5 — [!«*)
homme violent, mais Irès-véridique, a toujours
affirmé qu'alors jeunes tous deux ils avaient
même maîtresse par économie.
Le Roi aimait les détails de police. U fut in-
struit sans doute, et un matin Fleury eut la fa-
veur inattendue du plus sec évêché de France,
Fréjus, à deux cents lieues, un désert, un ma-
rais, d'oiî il ne put se débourber. Quiuie ans
durant, il resta là inconsolable et l'avouant. II
signait : « Évêque de Fréjus, par rindignatitm
divine. »
Lorsque le prince Eugène, apportant dans sa
poche le démembrement de la France, fit avec le
duc de Savoie son invasion provençale, Fleury alla
à eux, leur plut et figura parmi leurs courtisans.
Cela le coulait à Versailles. Désespéré, en 17i4,
il tourna, brusquement, se donna aux jésuites.
Mais ils ne l'acceptèrent qu'en exigeant un gage,
une très-pesante garantie. C'est que de leur main
il prendrait un confesseur, un guide, un témoin
de sa vie, qui aurait l'œil à tons ses actes. On le
savait très-mou. On lui donna un magisler terri-
ble, certain Follet, de Saint-Sulpice, qui sous sa
verge avait (dans la plus sale rue de Pai-is) le sé-
minaire Saint-Nicolas. C'était un cuistre, un mou-
chard et un saint, fort sincère, zélé jusqu'au
crime. Quand on viola Port-Royal, qu'on brisa
les cercueils, la police frémit elle-même, mais
Douze, bv Google
(17241 — 6 —
n'osa reculer, se voyant regardée par une aiilre
police, ce sauvage et cruel Pollet.
Sous celle influence violaile, Fleury, en une
année, du plus bas au plus haut est relancé,
mis au pinacle, précepteur de l'enfant qui est
tout l'espoir de la France. Et cela malgré le
vieux Roi, qui résista. Ce ne fut qu'au dernier
moment, dans le funèbre CodidUe, que. gagné de
gangrène et la mort dans les dents, il se laissa
arracher par Tellier cette dernière ob^ssance.
IjC Régent n'osa rien changer. Il conserva Fleury.
Mais à côté de ce bellâtre qui ne servait à rien, il
mit un tout autre homme et des plus estimés de
France, nommé aussi Fleury, l'illustre auteur de
VHistoire ecclésiastique. Solitaire dans Versailles,
ce pieux savant avait été souS'j}récepteur du Dnc
de Bourgogne. Et le lecteur du même prince,
l'abbé Vittomcnl (l'honneur et la probité même)
se trouvait être instittUeur du petit Roi, lui ap-
prenait à lire.
L'éducation était fort difficile. Le Roi, qui s'é-
tait vu si cher, si précieux, objet d'amour pour
tous, n'écoulait plus que sa pelite bande, fort
gâlée, d'enfants dangereux. Stylé par eux, il sa-
vait dire ; « Je veux. » On lui arait appris que
ses gouverneurs, précepteurs, n'étaient que ses
valets. Dans une telle situation, Fleury aurait dû
conserver ceux qui avaient un peu de prise, le
Douze, bv Google
— 7 — [in*)
vénérable confesseur el le sage iostiluleiir Vitte-
ment, que l'enfant écoulait assez. Loin de là, quand
l'affaire d'août 1722 l'établit lout-puissanl , il
écarta justement ces deux hommes. Il rendit aux
jésuites leurprivilége de confesser le Roi. Le P. Li-
aières fut confesseur, moins d'effet qae de nom
pourtant. Fleury vraiment demeura seul.
Et seul il dut rester par l'excès de la complaU
sance. N'enseignant rien, il ne venait à la leçon
qu'en apportant un jeu de cartes. UAlexandre
de Quinle-Gurce était sur table, mais si peu re-
gardé que le sinét resta six mois à la même page
{Arg.}.
Le Roi, sans autre forme, quand il voulait,
mettait son Fleury à la porte (Marais). Fleury
avalait tout. A ce prix il restait, même était désiré
à tels moments officiels où l'occasion comman-
dnit, où l'enfant Roi avait à dire un mot.
Il fallut le trouver, ce mot, à la mort du Ré-
gent. Mais toute chose était prête. Fleury, Pollet
et les jésuites, voyant chez le jeune Orléans que
le futur ministre serait Noailles, un demi-jansé-
niste, traitèrent avec M. le Duc.
Des deux côtés, on se tint mal parole. Fleury
gardait les grâces, le meilleur du pouvoir, tra-
vaillait seul d'abord avec le Roi, tenant ainsi
M. le Duc en crainte^ el sous uneépée suspendue.
M. le Duc, de son côté, loin de presser à Rome
Douze, bv Google
(1724) — 8 —
le chapeau de Fleury, l'enlravait secrèlement. Il
s'était engagé contre les jansénisles. Il y était
Irès'froid, et même à Rome négociait la paix de
l'Église.
Contre les protestants, le clergé avait conipïlé
un Code général de toutes les ordonnances du
dernier règne. M. le Duc devait le promulguer.
il l'imprima, le publia (mai 1724), mais non
dans la forme ordinaire des actes du pouvoir/ '
«t sans rapport préliminaire. De plus, secrète-
ment, il en neutralisa l'article essentiel, article
meurtrier qu'on avait ajouté, et qui appliqué à
la lettre eût pu frapper de mort (comme relaps) '
tous les protestants.
Chantilly n'était guère dévot. Les sœurs de
M. le Duc, galantes et fort légères, dans leurs
fêtes à la Rabelais, riaient volontiers du clergé.
Voltaire rimait pour elles. Il leur lit Bélébat
(ûuré de Gourdimancké). Il eut de M""^ de Prie
une pension, et plus tard Duverney fil sa for-
tune en Ini donnant part dans les Vivres. Fort
unis avec l'Ânglelerre, M™ de Prie et Duverney
voulaient {en renvoyant l'infante, brisant le ma-
riage espagnol) faire épouser au Roi une fille de
Geoi^es, chef des pi-otestanls de l'Europe.
Duverney, le vainqueur de IjBw, le cliiffreur
obstiné, le maître de Barème, le rude chirurgien
de l'opération du Visa, n'était pas un homme
U.,r,l,z<,.f,G00gIf
— 9 — (IHfl
ordinaire. Avec ses trois frères, les Paris, il rem-
plit, tout lin siècle de son Dctivilé. Montagnard,
Sialdat, iournisseur, il eul toute sa vie l'air d'nu
grand paysan, sauvage et militaire. La Pompa-
dour l'appelait : « Mon grand nigaud. » Au fond
il aimait les affaires pour les aflaires bien plus
que pour l'argenl. 11 mania des milliards et laissa
une fortune médiocre. Nul souci des honneurs.
Il ne prit d'autres titres que celui de secrétaire
des commandements de M. le Duc.
Enfant il avait vu la rouge figure de Louvois,
idéal de Terreur, et il en avait gardé la tradition
"violente. Les quatre frères (aubergistes des pas-
sages des Alpes) partent du grand service qu'ila
rendent à Louvois lorsqu'en un tour de main
ils passent notre armée par-dessus les Alpes.
Leur probité vaillante les fait commanditer par
l'habile Samuel Bernard', qui les met en avant
■ L'histoire Je crs giands financiers, plus curieuse que celle des
mis, est malheureuseniunt bien difficile. — Leur patriarche, iJamuel
Bernard, a par&itement réussi à dérobvr sa vie et les sources de fa
fortune éaonne. Homme agréable, trÈs-discret , fils d'un peintre de
cour, et nouveau converti en 16S5 (V. Haag. France protest.), il vit
H'ès-rroidement que la Révocation était une affaire. Geui qui fuyaient
ne savaient coranient vendre, mais ils trouvèrent Bernard, iiitcruié-
diaire des puissants acquérours; du peu qu'il leur donna, ils fu-
rent ravis , racdamèrent le Sauveur. Bernard se mit alors k sau-
ver les armées, atec ses prête-noms, les Paris. Le plus miraculeui; ,
c'est qu'il sauva sa caisse. Du naufrage de 1710, il émergea plus riche.
Dès lors, dans un repos princier, n'agissant que sous main et par son
bouillant lluvemey, avec Crozat et autres, il mina le Système, ût le
Visa pour n'être pas visé. — Il savait parfaitement la puissance de l'a-'
:.bv Google
(1724) -. 10 —
dans tes scabreuses affaires des Vivres. Chaque
printemps l'armée à rtUourdi, mai pourvue, en-
trait en campagne. Chaque année elle était sau-
vée, nourrie, grâce aux Paris, par un coup
révolutionnaire , miracle d'ai^ent , d'énergie.
L'homme d'exécution était ce Paris Duvemey,
toujours sur la frontière, et souvent entre les
armées , déguisé pour mieux voir. Il payait
comptant, sec et fort, donc était adoré des mar-
chands, et suivi. Il trouvait tout ce qu'il voulait.
Une fois, pour l'armée de Villars, il fit sortir de
terre 40,000 chevaux à la fois. Le dernier coup
du Rhin, qui fit la paix du monde, appartient à
Villars, mais aussi au grand fournisseur qui le
transporta, le nourrit.
De cette vie d'aventures, de miracles et de coups
de foudre, Duvemey garda une tête fort chaude,
et n'en guérit jamais. Sa joie aurait été de pous-
ser toujours des armées. Et presque octogénaire
il s'y remit encore dans la guerre de Sept-Ans.
pinian. Chez lou amie, H*** de Fontaine-Hurtel, it accuailkit et protégeait
les brillants et hardis penseurs. Ce fut le salon de Voltaire, de même
que ses SMf-s où parents (les Supin, d'Ëpinay, Francoeur, ele,,) furent
la société de Diderot. Rousseau, etc. — On connaît les Paris un peu
pins que Bernard. Leur bisloire, celle de Paris DuTcrney, a été es-
quissée par Luchct, Rochas et autres. EQe tb nous être donnée, d'aprt«
des actes di: famille, par le savant et consciencicui professeur de Gre-
noble. H, Mac*. Quant ù leur origine d'aubergistes desAlpes_ et auï ser-
vices qu'ils rendirent en faisant passer l'armée, S^inl^Simon date mal,
mais, je crois, ne se trompe nullement sur le fonds des f;iits.
:.bvGoo'gIe
— 11 — (17M)
En allendanl il menait les affaires militairement,
fit la guerre contre Law, contre ses théories, ses
rêves. Hais à peine vainqueur de l'utopie, il de-
vient utopiste, disons même, révolutionnaire.
Ce qui est curieux et vraiment de la France,
c'est que ce grand souffle orî^eux qui fut en Du-
verney, de projets, de réformes, de brusques
changements, change aussi M"" de Prie. Elle est
gagnée, grisée. Elle le soutient et le suit avec cette
fureur qu'elle a jusque-là mise aux intérêts de
Bourse. Elle se précipite aux périlleux essais de
politique hardie oii va sombrer demain cette for-
tune à peine élevée.
J'ai dit ses origines et sa terrible avidité. Elle
procédait de la famine. Le contraste d'une grande
misère et d'un oi^ueil royal, d'une haute édu-
cation (sur laquelle spéculait sa mère) l'avaient
aigrie, envenimée. Au retour de Turin où elle
avait langui avec M. de Prie, un famélique am-
bassadeur, elle fut produite ici par une habile
agioteuse, W" de Verrue', qui y trouva son
' La femme agioteuse ne date [las de la Régeuce, Âiant la Tencia,
la Cliaumont, dèj&'Bf'" do Verrue, agiote souï Louis XIY. Au fond, c'é-
tait un homme, et fort émancipé, ajiant su, vu, enduré tout. Née de
LuTnes, au àérài Versailles, mariée dans le dévot Picinotit, elle vil
IjieD le dessous des caiiea. Son mari trouvait fort niauTais qu'elle ne
TOiilùl pas être maîtresEB du duc de Savoie. Elle obéit, fut reine (et
captive du Ijran jaloux). Enfin, ennuyée, eicédée, elle s'enfuit, rentra
■a bien-aimé Paris , non pas dans l'ennui des de Lujnes, mais dans
une vie Inrge d'nrfaire!:, de spécubtions, de plaisirs. KIte devint un
Douze, bv Google
un*) _ 12 _
compte. Elle avait l'altrait diabolique que Satan
donne à ses élus. Elle était enjouée, et tout à coup
tragique ; d'allure timide et serpentine, puis brus-
quement hardie. Volontiers les cheveux au vent,
et quelque chose d'égaré. M""" de Verrue (comme
elle, à moitié italienne), connaisseuse en beauté,
y vit une sibylle de Salvalor.
D'un coup de sa baguette, cette fée delà Bourse
la mit juste au centre de l'or, pour en pi*endre
tant qu'elle voudrait. Elle n'en fut pas plus heu-
reuse. On ,1e sent bien au portrait de Vanloo, oiî
elle noiis regarde de face, d'un si terrible sérieux.
Elle a alors sa plénitude. Ce n'est plus la fine
Italienne, mais la forte beauté, romaine. Est-ce
Agrippine ou Messaline? L'une et l'autre peut-
être , avec lin vide immense que i'or n'a pas
ismpli. Qui comblera l'abîme? les vices mâles.
rentre. Son hôtel cluît im iiiuïcti. La première, elle osa admirer, iche-
ter les Hubens, lee Rembrandt (que méprisait tant le grand Roi). Elle
sentit Titemant la de Prie, un cbantiant César BorgiA, effréné, intré-
pide, mais sani le froid, le faui des rrais scélérats italiens. R ne allait
pai moins pour mordre sur H. le Duc, qui était bien usé, qui aimait
peu les femmes, qui s'ennuyait déjà arec H*" de Resle. Alors, c'était
la baisse. Hais la de Prie parati, et la bausae est lancée (juillet 1730),
le TMlige, la furie, ta trombe. Dis que M. le Duc possède ce magiqup
diamant, la Fortune ellennSme Tienl s'tngoutfrer dans Chantilly. — Lieu
dangereux, charmé, et propre à faire des fous. Les Coudés étipent tous
bizarres. Et N" de Prie fut Condé. D'abord comme eux, avide. Puis _
féroce (pour eux contre Orléans). Enfin, mortellement libertine. Le
tout i la romaine. Point bourgeoise (ï la Pompadour). foint vulgaire
(h la Du BaiTj).
:.bvGoOgIf
— 15 — {iT»4)
fureur et vengeance? les grands bouleveitie-
ments? ou Vénus furieuse, l'extermination du
plaisir?
Elle passa, sinistre météore, ne fondant rien,
ne laissant guère, jetant par la fenêtre au besoin
du combat tout cet or amassé (d'Arg.), n'ayant
pas moins~manqué, raté sa royauté. Pour elle la
fortune est moqueuse. Elle l'a fait attendre loi^-
temps, puis' goi^ée tout à 'coup, mise au pou-
voir. « Allez ] marchez ! » dit-elle. Et tout est
impossible. Tout est obstacle et précipice. Plus
l'obstacle se dresse, plus Duverney et la de Prie se
lancent contm, comme ces chevaux furieux qui
se jelent sur les épées. Du premier coup, réforme
universelle. Us déclarent hardiment la guerre à
tout le monde.
L'idée fixe de Duverpey avait été la Compta-
bilité, la lumière dans les chiffres. L'ordre et
l'esaclilude qui avaient fait la fortune des Paris,
il s'obstinait à l'introduire dans la fortune de
l'Etat. « Colhert le voulut, dit Barème, ne put,
ne trouvant pas alors de gens capables. » Duverney
le tenta (1721). En 1724, il osa davantage. Au.
grand eiïroi de la Mallôte, il livra son grimoire au
jour, commença l'œuvre colossale de réunir et
publier les ordonnances de finances (Fermes, Ga-
belles, Monnaies, Domaines, Chaires, Rentes, Co-
lonies) en 20 vol. in-folio. L'antre de Cacus en
■D,a,l,zc.bvG00gIC
[nw) _ 14 _
fi-émil, et les écuries d'Augias se Iroubient Ror-
riblemenl. Les hauts banquiers, protecteurs des
Paris, le grand vieux Samuel Bernard, leur père
et créateur, durent s'indigner. « Et toi aussi,
mon fils I »
D'autre part, que pensa la cour, lorsque ce
Duverney fit un état des Grâces et pensions — et
ce dans l'ordre alphabétique, de sorte qu'à cha-
que nom on trouva et on sut. Lumière désagréa-
ble. Jusque-là un chaos prolecteur couvrait tout
cela, si bien que tel touchait plusieurs fois avec
un seul titre.
Duverney durement ferme aux seigneurs la
source aisée des dons du Roi , les forêts de
l'État. Bien plus aisément que l'aident, le Roi
donnait des bois (sans trop savoir ce qu'il don-
nait). Plus de permission de couper les futaies
(25 mars i725).
La noblesse de cour cria. Mais quelle stupeur
quand Duverney supprima la noblesse de ville,
l'oligarchie municipale qu'avait créée Louis XIV.
Il soumit à l'impôt quatre mille petits rois de
clochers. Ils avaient acheté presque pour rien
une mine d'or. R^lée par eux en famille, à
huis clos, dans une obscurité profonde, la for-
tune des villes était la leur. État doux et com-
mode, et vraiment respectable par une durée de
quarante ans. La foudre tombe. Duverney les
Douze. bvGoogle
— 15 — {1734J
rembourse en renies, et rend au peuple son droit
d'élection.
Révolution immense, et qui eût changé les
mœurs même, recréé une nation. Hélas I c'était
bien tard. Celle-ci n'était guère en é(at d'en user.
On ne savait plus même ce que c'était qu'élec-
tion. Li ville, si paisible, se trouvait dérangée.
Ennuyeux mouvement. Heureusement, le sage
Fleury dix ans après rétablit le repos, les mu-
QÏcipalités héréditaires, le gâchis et l'obscurité.
Ils purent tout à leur aise tripoter le présent,
engager l'avenir, lellemeot qu'en 89 la seule
ville de Lyon devait trois cents millions.
Nous dirons tout à l'heure les autres impru-
dences de Duverney, l'essai d'égalité d'impôt, le
bureau des blés et farines (imité par Tuigot),
l'oi^anisation des milices (copiée aussi plus lard).
Il se trouva avoir irrité toute classe. Il périssait et
il devait périr paiement par le mal, par le bien.
Les brutalités tyranniques qu'on avait supportées
des autres (de mauvaises mesures sur les mon-
naies, sur l'inlérèt), de lui parurent insuppor-
tables.
Une étrange défense d'étendre la ville de Paris,
une ordonnance draconienne sur le petit vol
domestique parurent (avec raison) ridicules et
barbares, et blessèrent le bon sens public.
Un procès maladroit fut plus funeste encore à
Douze, bv Google
(ivii) _ 16 —
lai, à M"* de Prie. Le ministre Leblanc, favori
du Régent, avait beaucoup gâché el pris dans
V Extraordinaire de la guerre; plus, laissé l'Élal
engagé pour quarante millions. Cette caisse de
l'Extraordinaire, un caphamaum, un chaos, fut
éclaircie par Uuverney. Il y eut plaisir, il est
vi-ai. Leblanc était son ennemi, surtout délesté
par M"" de Prie, qui poursuivait en lui un amant
de sa mère, coupable (selon elle) d'avoir tué un
de ses amants (Richelieu, Mém. IV).
Ainsi, embrouillant toute chose, la folle, dans
le procès de vol, en mêlait maladroitement un
criminel. Leblanc, par ordre du Régent, eût fait
faire certains meurtres. Fable absurde, incroya-
ble! Que ce prince si débonnaire pour ses enne-
mis même, eût commandé des crimes I comment
le croire? On haussait les épaules.
Elle espérait brusquer, emporter tout par une
Commission. Mais Leblanc en appela au Parle-
ment qui évoqua l'affaire. Les Orléans, bien loin
d'être abattus, au contraire en furent relevés. On
applaudit le bon jeune Orléans qui allait au Pai--
lement soutenir les accusés. On siffla outrageu-
sement les gens de M"* de Prie, qu'elle envoyait
si%er, trois ducs et pairs. Le Parlement, quel-
quefois si sévère, ici tout à coup indulgent,
emporté par l'opinion, par l'élan de Paris, ne
voulut voir en cette aflaire qu'erreur, légèreté,
Douze. bvGoogle
— 17 — (imi
irrégularité. 11 ordouna restilulion, consacra la
réforme de Duverney, ce qui sauva à l'Étal une
somme de quarante millions. Mais Leblanc et
consorts furent sauvés et blanchis plus qu'ils ne
méritaient. Duvemey fut honni, maudit \toar sa
sévérité. On fil un triomphe aux voleurs.
:.bv Google
CHAPITRE II.
OiuLe de H. le Duc. 1725-1736.
La France est d'autant plus brisée, décou-
*ragée alors, qu'elle n'est nullement innocente de
sa ruine. Ce n'est pas seulement Law ou le Ré-
gent qu'elle accuse, c'est sa propre crédulité, !a
foi légère qu'elle eut aux utopies. Elle en garde
longtemps le d^oûl des idées, la teiTeur des in-
novations et celle même des réformes utiles. Elle
gît si malade qu'elle repousse et craint les remè-
des. Mais plus elle se défîe des idées, plus elle a
tendance à tomber au fétichisme personnel, plus
elle semble devenir (en plein dix-huitième siècle)
idolâtrique et grossièrement messianique. Elle es-
père au miracle, n'espérant plus dans la raison.
Le mal épidémique des convulsionnaires qu'on
:.bv Google
— ifl — (nswTao)
verra tout à l'heure demandant guérison à leur
diacre Paris, c'est un cas spécial du mal univer-
sel. Le Sauveur, Guérisseur, le miracle vivant,
pour la masse c'est l'enfant royal, l'orphelin resté
seul de sa famille éteinte. Gela attendrit tous les
cœurs. Ce peuple famélique, lorsque le pain est à
huit sols la livre, lorsqu'il passe des nuits à la
porte des boulangers, il est sensible encore ce sin-
gulier peuple de France, et au nom du Roi il sou-
rit. La France pour l'enfant avait tous les amours,
mère, amante et nourrice. Ce rêve lui restait, cette
poésie, dans sa misère profonde, — l'enfant aux
cheveux d'or, le Roi.
Dieu ! si on le perdaitl... Quelles frayeurs dans
SCS maladies I Les ^lises s'emplissent de femmes
en pleurs, brûlant de petits ciei^es. Les plus
pauvres font dire des messes. Dans ce froid et
terne intérieur (de rentiers ruinés?) que Chardin
peint souvent, chez la femme si sobre qui nourrit
l'enfant de ses jeûnes, c'est l'espoir, le rayon...
Pas un de ces enfants à qui la mère ne dise en le
couchant le soir : « Prie pour que le Roi vive I »
En 1722, lorsque convalescent il fut montré au
balcon des Tuileries, en 1725 quand il parut au
Sacre, oint de la Sainte-Ampoule et sous la cou-
ronne de Charlemagne, l'effet fut grand et vrai-
ment populaire. Exalté au jubé au milieu des fan-
fares, il parut le petit Joas, comme échappé des
Douze, bv Google
(1725-1726) _ 20 —
morls, et l'on pleura abondamment. Plus en-
core, quand il fit son miracle royal, touchant les
écrouelles, passant et repassant dans la loogua
file agenouillée.
Il était devenu très-beau, plus fin, plus élégant
que Louis XIV au même âge, moins alourdi d'Au-
triche. Pas une femme qui n'en fût amoureuse,
et ne le dît franchement. En Angleterre, pays des
beaux enfants, cela fut senti comme en France.
Son portait envoyé troubla fort les tendres An-
glaises.
On est saisi en voyant à la fois cet attendrisse-
ment universel, auquel l'Europe participait elle-
même, — et d'autre part le terrible abandon où
restait cet enfant, objet d'un espoir infini.
Fleury, comme on a vu, avait éloigné tout le
monde. Le départ de l'autre Fleury et de l'hon-
nête Viltement avait fortement averti. On comprit
qu'il fallait ne pas trop se mêler du Roi. Ses gar-
diens naturels s'annulèrent, —r- le gouverneur
Charost qui ne gouvernait rien (homme d'es-
prit et ami des jésuites), — le discret Saumery,
sous-gouverneur, — Mortemart, premier gen-
tilhomme, un brave homme, mais très-obéré,
qui attendait tout de Fleury.
Cela fît une maison close. M. le Duc était in-
quiet, sachant peu (dans son aile Nord, écartée,
de Versailles) ce qui dans l'aile Sud pouvait se
dolizccbvGoOglf
— 21 — (1728-1720)
tramer cootre lui. 11 lâta Mortemart, lui donna
cent mille livres (Villars) et ne le gagna pas. Du-
verney, plus adroitement, alla aux valets inté-
rieurs (Rich. IV, 138). Ce mot signifie Bache-
lier, fils du valet de garde-robe, le vrai g<5nie
du lieu, qui pour trente ans devient valet de
chambre. Né de bas, d^autant moins suspect,
et restant toujours là, comme un chat qui cli-
gne et voit tout, cet homme fin, discret, se
trouva par moments en mesure de toucher aux
grandes choses. Fleury eut le royaume et lui
le Roi. Du métier assez sale qu'il était obligé
de faire, il n'abusa pas trop. Ici, selon toute
apparence, ce fut lui qui sauva le Roi. Il avait
intérêt à ce qu'il vécût, cet enfant, sur la lâte
duquel il avait fondé sa fortune ; mais, de
plus, il l'avait vu naître, l'aimait d'instinct et
d'habitude, s'inquiétait de la situation.
Fleury laissant aller les choses, et voulant
attendre l'infante (attendre au moins six ans 1)
ne voyait pas que d'ici là il irait se perdant,
mourrait, ou sefait idiot. Souvent il pâlissait.
Il était maussade et muet. « Il avait un sort
sur la langue. » Et, signe pire d'un cerveau
affaibli, souvent il parlait par saccades, comme
une mécanique, une montre. Cela étonnait, fai-
sait peur. {Argemon, Ilï, 203, éd. J.)
Il avait une vie étouffée et malsaine entre
Douze, bv Google
(1135-1126) _ 22 ■«
trois camarades qui représentaient trois intri-
gues.
Sous lui précisément dans l'appartement Mon-
lespan demeurait madattie de Toulouse avec son
honnêle mari. Mûre, dévote et sucrée, fraîche
encore, belle et grasse, cette dame eut le pri-
vilège de rassurer le Roi, fort timide, de l'at-
tirer même. Dévote, mais bien plus mère en-
core, par son fils Épernon (fils du premier
amour), elle voulait conquérir le Roi. Ce fils,
aimable et tendre (c'était elle-même à quinze
ans), montait chez te Roi à toute heure par le
petit degré secret que possédait l'appartement.
Sans monter, toujours près du Roi, tissait,
lilait un auti% enfant, le petit Gesvres, neveu
du beau cardinal de Rohan, si connu pour sa
peau admirable et ses bains de lait , Rohan
alors le chef du parti de la Bulle. Gesvres toute
sa vie fit des ouvrages de femme, de la tapis-
serie et des nœuds de rubans {Arg.}. Parent du
célèbre impuissant dont le procès a fait tant
rire, c'était une vraie petite fille. Mais justement
par là, par sa passive obéissance, il avait une
prise très-douce, dont pouvait user le parti. Il
avait été mis d'abord chez M. le Duc (avant
M" de Prie). Il passa chez le Roi, et put lui
remplacer parfaitement sa biche blanche.
C'était l'uBage dans ces éducations , pour
Doiizccb, Google
-t- 2S — (1725-1726)
pendre liardi l'enfant royal, mâle et ferme au
commanderaenl, de lui donner de tels jouets,
petits souffre-douleurs. Maïs le Roi cessait d'ê-
tre enfant. A ce moment d'essor, établir près
de lui celle créature si féminine, c'était le re-
tenir dans la vie molle, assise, disons mieux,
lui couper les ailes. Pour ne rien mettre au
pis, cet enfant de là Bulle, avec ses habitudes
monastiques, innocemment pouvait féminiser le
Roi (qui se mit en effet à filer, à tisser), en
faire une petite Bile ou un timide enfant de
chœur.
L'homme, en cet intérieur, !e maître du l(^is
chez le Roi et son maître, était son jeune gen-
tilhomme de la chambre, la Trémouille, plus âgé
que lui de deux ans, qui depuis onze ne t'avait
pas quitté. Charmant (dit d'Argenson), hardi,
mais effréné, il ne cacha rien, fit parade de tout .
ce que les autres cachent (Marais, nov. 1727). Il
fit des opéras, s'épuisa, mourut jeune. Alors,
en 1724, à seize ans, il menait le Roi, en avait
fait son petit lavori {Marais, juin 1724).
Maurepas, plus âgé, tout robin qu'il était, et
méprisé' de ces jeunes seigneurs, paradait et
' Voltaire le dit d'un trait fort plaisant, torl cjnique, dans une lettre
de 1725 (septembre). Hais je ne doute pas qu'en 17S4, Uaurepas (mi-
nistre ï quinze ans et qui alors en a ringt) ne se soit di^jï iotroduil
dans cetle petite sociélé comme amuseur et corrupteur. — Pour lout
le reste, nous aïon» l'autorité très-grave de WaraU, celle de Barbier.
Douze, bv Google
(i7S5-nM) _ 24 _
folâtrail là, avec ses chaDSonnelles, en réalité
professait. C'est lui certainement, le robîn, qui
avait enseigné ce que le Roi disait sans cesse :
« Si veut le Roi, si veut la Loi. )> L'autre doc-
trine de Maurepas, qu'il enseigna toute sa vie,
fut l'horreur, le mépris des femmes. Cela n'allait
que trop à la petite bande. Le Roi dit plusieurs
fois qu'il ne voulait pas se itiarier. La Trémouiile
affichait même répugnance. Il se porta hardiment
adversaire et rival d'une femme, M"' de Charo-
lais, sœur de M. le Duc, et il lui fit manquer
le Roi. Elle ne lui pardonna jamais (Rich.,
V, 50-54).
Purger Versailles, c'était chose honorable, «n
vrai devoir. Et cela avait l'avantage de démas-
quer la lâcheté de Fleury, ainsi que le Régent,
dans une semblable circonstance, en 1722, dé-
masqua la sottise de Viileroy. Mais l'aiîaire était
périlleuse pour un demi-régent, qui allait et
blesser le Roi, et commencer la guei're à mort
avec Fleury.
Duvemey, madame de Prie, étaient gens durs,
hardis, qui ne reculèrent pas. On éveilla Paris
en quelque sorte, ou prépara l'opinion par des
Viltars en parlait lout au long avec sa vigueur militaire. Mais il a été
mnlilé ({Sich., V, 50), Pour le palU page Calviére, même mutilation
(V. MM. de fioufiiurt. Portraits, II, i 17); il s'arrête avant août 1722.
ne doDDe ni l'une ni l'autre des deux époques scandaleuses .
:.bv Google
— 25 — (iTiB-nW!
exemples rudes in anima mli. L'éditeur de Vol-
taire l'a remarqué {Beuehot, \, 172). Si l'on eût
voulu frapper haut, prendre des seigneurs, des
évêques, on le pouvait. La maison Des Chauf-
feurs, une académie de débauches , était trop
fréquentée pour n'être pas connue. Mais on prit
au plus bas. Un ânier fut brûlé en Grève {Ma-
rais, mars 1724), et'si vite brûlé que la commu-
tulion de peine ne vint que quand il fui en cen-
dres.
En mni, la police (alors dans la main d'un
parent de M"* de Prie) fit contre la justice ce
tour hardi, piquant, de prendre un homme qui
était sous la protection du chancelier. Homme
grave, ex-jésuite, professeur, l'abbé Desfontaines,
un rédacteur du Journal des Savants qui dépen-
dait de la chancellerie. On le pince, on l'enlève,
on le met à Bicêlre. Paris en rit beaucoup. Les
plaignants étaient ramoneurs
Entre l'ânier brûlé et Des Ghauffours qui
l'est plus tard, Desfontaines était en péril. Dans
sa peur, il n'hésita pas d'implorer un homme
aimé de M"" de Prie, Voltaire, qui à vingt ans
s'était si hardiment porté contre de tels dé-
lits Tavocat. de la femme, de l'amour et de
la nature (1715). Voltaire avait bon cœur,
Desfontaines venait justement de lui voler la
Henriade, de l'imprimer à son profit. II ne s'en
Douze, bv Google
{1735-1758) — 26 —
souvint pas. Il cgurut à Versailles*, et s'adressa
à Maurepas. Ce ministre frivole, créature équivo-
que qui fort impudemment professait la haine
des femmes, lui-même assez suspect, ne deman-
dait pas mieux que d'étouffer l'affaire. Il eût donné
sans peine une lettre de cachet, qui, en exilant
l'homme, l'aurait éloigné de la Grève. Pendant
les pourparlers, juin vient, et le grand coup est
frappé à Versailles.
Gesvres, jaloux de la Trémouille, avait préci-
pité les choses, dénoncé les petits mystères. On
frappa, mais bien doucement, en rendant seule-
ment les polissons à leurs familles, exigeant qu'on
les mariât (comme le Régent avait fait des petits
Villeroy). I<e Roi n'objecta rien pour le tant aimé
La Trémouille. Il rit de le voir humilié, marié,
la Trémouille au contraire trouva le châtiment
si dur que, huit années durant (et quoi que
pût dire son beau-père) il tourna le dos à sa
femme.
Cet événement fut le salut du Roi. M. le Duc
l'emmène, change ses habitudes , le tient au
grand air, au soleil. Bref, il le fait chasseur. I!
lui donne quarante ans de vie.
L'affaire, devait, ce semble, perdre Fleury en
dévoilant sa connivence. Il n'en fut pas aiiîsi.
< Tout cet» est coiutaté par le remercimenl de Desfnntaines, et araué
des «DDemis de VoHaire, du safant cl trËs-boslile I^icolardol.
Douze. bvGoogle
— 27 —- {1725-1736)
On le comprend fort bien par les mots durs que
dit Marais sur le rôle inf(5rieur et fort triste du
Roi. Ce fut précisément par là que le mattre
de ces secrets, Fleury resta fort, immuable,
ainsi que Bachelier, qui non moins immuable-
ment resta aussi jusqu'à sa mort.
Un vieux valet de chambre du duc de Bourgo-
gne, Bidaut, allant voir un jour l'abbé Viltement
dans sa retraite, lui parlait de Fleury. Mais il
se lut d'abord. Pi'essé enfm, il dit tranquille-
ment : « Sa toute-puissance durera autant que
sa vie. Il a lié le Roi par des liens si forts que
le Roi ne les peut jamais rompre. Je vous
expliquerai cela, si le cardinal meurt avant
moi'. »
Le Roi reviendrait-il de celte belle éducation?
Ferait-il grâce aux femmes? aurait-il quelque
amour naturel et humain ? Dans les fêtes de
Chantilly, des dames Irès-charmanies se vouaient
à cette œuvre. Mais leurs grâces, leur scintilla-
tion réblouissaient, lui déplaisaient. Il avait
Tair lui-même d'une fdie bégueule, qui n'y eût
vu que des rivales.
Que faire donc? sans doute, ce qu'on a fait
< Saint-Simon, ctiap. dxix. ^ D'Argenson qui a pu savoir la pro-
phétie de Yittement par d'autrci voies, l'exprime ainsi : i II eiitia cer-
tûi lien, certain nœud iHdÎEsoluble entre le roi et le cardiaiJ, doolil
rÉBulle que S. M. ne pourrait jamais le renvoyer, quelque envie qu'elle
•a eût, * (O'Arg., éd. lannel, il, 192.)
Douze, bv Google
[1726-1728) _ 28 —
pour la Trémouille, bon gré mal gré le marier.
L'infante était l'obstacle. Cependant une maladie
courte et grave qu'il eut (février 1725), tran-
cha tout. M. le Duc, effrayé et désespéré, jura de
renvoyer l'infante, et de le marier sur-le-champ.
Fteury bouda, mais seul. Vitlarset tout le monde
étaient de cet avis.
En brisant l'œuvre des jésuites, le mariage
espagnol, on les ménageait cependant. On prit
une reine de leur choix. Rohan, évêque de Stras-
boui^, avait sous la main en Alsace la famille
du roi sans royaume, Stanislas, retiré chez nous.
On fit valoir sa fille, fille dévote d'un père si
dévot que, par plaisir, dit-on, il faisait ses dé-
votions en robe, en bonnet de jésuite. Cela n'at-
tira pas, ce semble, les célestes bénédictions.
Sur la route, la pauvre princesse reçut un dé-
luge de pluies comme on n'en vit jamais. Mi-
sère, malédiction, famine. Rien de plus triste.
Un funèbie convoi.
Tout retombait sur Duvemey. C'était lui qui
faisait pleuvoir en touchant aux biens du clergé.
D'après les idées de Vauban, il voulait lever une
dîme sur tous, clei^é, peuple, toblesse (faible
dîme, du cinquantième). Refus universel. Les
Parlements, les États de province répondent par
un non furieux. Le paysan reçoit les collecteurs
à coups de fourche. On eût voulu que Duverney,
D,a,l,zc.bvG00gIe
— 29 — (l(25.nM)
au début de l'impôt nouveau, avant d'en rien
tirer, abandonnât tout autre impôt.
Les grains sont chers. Quoique l'on donne le
pain ici à moindre prix, on fait queue, on crie,
on se bat et il y a des hommes tués. Le bureau
très-utile créé par Duvemey pour juger des l'é-
coltes, du mouvement des grains fait crier ; A
l'accapareur!
Son beau projet sur la Milice, ses lois (du-
res, il est vrai) pour faire travailler les Men-
diants, tout exaspère. Maie ce qui le noie et le
tue, lui et M"^ de Prie, c'est l'ordonnance des
pensions, toutes celles du grand Roi suppri-
mées, celles du Régent réduites, etc. Dès lors
ils sont perdus, osant à peine encore se mon-
trer à Vei^aiUes, y rencontrant pai'tout des re-
gards furieux.
Pour eux nul appui de la reine, qui elle-même
a fait à Versailles un parfait fiasco. Quelque
conle ridicule qu'on nous fasse de la nuit des
noces, les valets intérieurs voyaient et révé-
laient ce mariî^e sans mariage. La jeune femme
de vingt-deux ans, douce et laide et le sachant
bien, tremblante, quoique fort amoureuse, a peur
de cet enfant si sec, si froid, qui dort près
d'elle sans daigner savoir qu'elle est là.
Bien loin de le ranger, le marii^e n'avait
servi qu'à l'émanciper cyniquement. Aux levers,
^cbvGooglc
(1M»-IM6i _ 50 —
aux couchers, les amis étaient revenus. Gesvres
la petite femme, Betz qui gagnait faveur {Riche-
lieu, V, 120). Délaissée, veuve était la reine,
sans crédit, à ce point qu'elle ne put seule-
ment faire avoir le cordon bleu au vieux Nan-
gis, son chevalier d'honneur. Le Roi même sur
elle eut des mots ironiques. On parlait d'une
belle, n dit :■ « Est-elle plus belle que la reine? »
M"" de Prie était furieuse. Pour elle, Je mau-
vais magicien qui faisait avorter le mariage, c'é-
tait Fleury. Un grand coup fut tenté (décem-
bre). H. le Duc, un jour avec la reine, retint
le Roi. Fleury attendit plusieurs heures, écri-
vit, partit pour Issy. Mais cette fois encore
(comme à douze ans) le Roi se désespère, va
pleurer dans sa gard&-robe.
Si lâches étaient les amis de Fleury, la petite
bande des Haurepas, que pas un ne hasarda d'aller
parler pour lui. Morlemart, qui pour ses affaires
avait grand besoin de Fleury, seul osa dire au
Roi : « Sire, vous êtes le maître. J'irai, si vous
voulffiî, dire à M. le Duc qu'il vous rende votre
précepteur. »
M. le Duc atterré obéit. Aman ramena Mar-
dochée. Celui-ci doucement put achever sa perte,
le désarmant d'abord, lui ôtant les deux dogues
qui le gardaient, Duvemey, la de Prie.
Elle se tenait à Paris, immobile, résigiiée.
Douze. bvGoogle
— M — (1125-17361
philosophe (elle t'écrivait à Richelieu). Sa rage
cependant, ce semble, éclala par un coup.
Les polissons titrés de la cour n'avaient à Ver-
sailles qu'une chapelle pour ainsi dire. La vénéra-
ble métropole de leurs mystères était à Paris,
dans l'hôtel d'un sieur Des Chauffours (Barbier).
C'était un homme aimable, de très-bonne fa-
mille, qui, ruiné, refaisait sa fortune, en prêtant
sa maison à l'Église non - conformiste. Maison
d^à ancienne. Outre le conseiller Delpech, maî-
tre de Sodome à Bordeaux, deux évoques (Saint-
Âignan, la Fare) y figuraient, et le peintre Nat-
tier, avec des grands seiguem-s, deux cents adeptes
au moins. Le lieutenant de police était alors
Hérault, créé par Iff" de Prie. Elle était à Paris,
il devait marcher droit. Et, sur le pavé de Paris,
il y avait un homme qui disait et précisait tout,
qui perçait le ciel de ses cris, un certain la-
quais Arbaleste. Pour rendre l'affaire éclatante,
lui donner tout son lustre, il eût fallu la confier
au Parlement. Malheureusement M"" de Prie était
trop brouillée avec lui. Elle ne put que s'en re-
mettre à la fidélité d'Hérault, qui, avec quelques
juges à lui, instrumenta dans le secret de la
Bastille. S'il était fidèle et hardi, avec ce procès
élastique, pouvant nommer ou plus ou moins,
il avait dans ses mains Versailles, pouvait porter
bien haut la terreur et le ridicule (.janvier 1726).
Douze, bv Google
(1725-nffljj — 52 —
De quel côlé seraient les rieursV A Versailles
Maurepas avait une fabrique de farces, de chan-
sons, de satires ou calottes. La chance ici allait
terriblement tourner. Le rire allait monter jus-
qu'aux grands calotins. On avait ri de Desfon-
taines, du pauvre jésnite à Bicêlre. Hais la pièce
nouvelle eût ét^ plus salée. Les fausses Colombines
et le grand vieux Gassandre n'en seraient jamais
revenus.
M"" de Prie avait sous la main l'homme de
la chose, Voltaire, qui lui faisait des comédies,
et pouvait lui faire des satires, homme entre tous
hardi. Il étîHt fort brouillé avec les mignons et tes
prêtres. Contre les premiers, dès vii^ ans, il
lança des vers immortels (CourcUimade). Contre
les prêtres récemment (en 1725), il avait fait à
Chantilly le Curé de Courdimanche, où lui-même
joua le vicaire. Sous l'abri des Condés, que n'eût-
il pas osé, sur le texte si riche du procès Des
Chauffoure ?
11 n'y avait pas à perdi'e une minute pour
écraser Voltaire- €n chevalier, Rohan-Ghabot,
homme de peu, qui jusque-là était à M"" de Prie,
et voulait regagner le parti opposé, se chai^ea de
l'exécution. Le 1" février 1726, il accoste le poète
au théâtre, et lui cherche querelle. Voltaire le
cloue d'un mot. Deux jours encore avec persé-
vérance, autre querelle au foyer, et il lève la
Douze. bvGoogle
— 33 — ',nsô-i7S(>)
caane; M"* Lecouvieur, qui était là, s'cvaiiouil.
Ënliii le 4, Vollaire dînant chez M. de Sully, il
est demandé à la porte, où il trouve Rohan uvec
quatre coquins qui lui donnent des coups de
bâton, tt court à l'Opéra où était M™ de Prie,
court à Versailles se plaindre, à qui? à Mau-
repas, grand maître des chansons, qui ne peut
rien pour lui que faire chansonner son afiaire.
Voltaire rage et cherche Rohan. En vain pen-
dant deux mois entiers (février-mars). Il ne trouve
partout que des mauvais plaisants, d'aveugles sots
qui disent : « Tant mieux ! le moqueur est moqué ! »
Le 6 avril un Ëiit atroce, horriblement comi-
que, fit oublier Voltaire, retourna la risée vio-
lemment contre Versailles. Au salon de la Bulle,
où récemment Tencin et sa Tencine avaient ma-
nipulé le chapeau de Fleury, un coup de pistolet
s'entend. Reste ub cadavre, et tout est inondé
de sang. La dame avait l'usage de garder les
dépôts que des amants crédules lui confiaient.
Elle le fit avec succès pour Bolingbroke, mais
non pour la Fresnaye, désespéré, ruiné, qui se
tua chez elle. En se tuant, il laissa de terribles
explications sur cette tripoteuse, sur sa maison,
un mauvais Heu. Ce qu'elle alléguait, en effet,
c'est que l'argent gardé était très-bien gagné, le
prix de la prostitution.
Que faire de ce cadavre? Au lieu d'avertir la
^.bvGooglc
(l7î5-n2G] — 34 —
police, de faire lever le corps par l'aulorilé na-
turelle, la dame avertit ses amis, le premier
président, le procureur du Grand Conseil, et
ces magistrats complaisants fourrent le corps à
Saint-Roch avec force chaux vive, pour détruire,
pouvoir dire que c'était une apoplexie. Le Grand
Conseil le dit, croit trancher tout. Mais le vrai
tribunal à qui appartenait l'affaire, le Châtelet,
ne se paye pas de cela. Le 10 avril, il empoigne
la dame. Délivrée à l'inslant par Versailles (Fleu-
ry-Maurepas) qui la tirent de ces mains sévères,
la sauvent, la mettent à la Bastille.
Cependant ce coup-là fut- terrible pour eux.
Ils rentrèrent sous la terre , s'aplatirent , se
firent tout petits. Fleury parle de se retirer
(Rwh., y, 122). Le 20 avril, M"" de Prie écrit
{Rieh., V, 128) : « Tout est rentré dans l'ordre.
Je suis plus en repos. »
Si Hérault, la Police, lui restaient, elle avait
des chances. Par le procès de Des Chauffours,
elle eût terrorisé Versailles, mignons, évêques, etc.
Mais Hérault la trahit. 11 reçut le mot d'ordre
d'en haut, agit contre elle, il lui prit son Vol-
taire. Admirable prison de grâce et de vei^eance,
la Bastille à la fois reçut et la Tencin que l'on
voulait sauver, et Voltaire qu'on voulait frapper.
Au bout de quelques jours , on te mit hoi^ de
France (mai 1726).
Douze. bvGoogle
— 55 — (nS6-i7a6
La de Prie eofonçait. Malade, horriblement
maigrie, elle-même avait donné une maîtresse à
M. le Duc. Fleury en profitait. Il disait douce-
ment à celui-ci « qu'on pouvait s'ananger si
W de Prie et Duvemey allaient à la campagne. »
Mot grave. M. le Duc y sentait un mot du Roi
même, haineux, craintif aussi, n'osant la regar-
der (RtcA.,V. 149).
On écarta cette tête de Méduse, le rude Dii-
verney et leur dangereux satirique. Dès lors, tout
est aisé ; on peutétouffer Des GhaufTûurs.
Hérault, avec deux ou trois juges, croque l'af-
faire à la Bastille. Nul mot des hauts coupables,
sauf un Tavannes, simplement exilé. Des deux
jolis évéques de Laon et de lîeauvais, l'un fait
retraite au séminaire, l'autre en famille avec les
novices des jésuites. Pour les deux cents cou-
pables, un seul, Des Cbauffours, doit payer. Le
Ghâtelet, siu- ce procès qu'il n'a pas fait, va le
juger. Il y est conduit (25 mai], le 26 au matin
sur la sellette pour ouïr son arrêt. — Étonnante
précipitation, exécuté le soirl On paya son si-
lence. Avant de le brûler, on eut l'humanité de
l'étrangler d'abord.
On dira que l'ânier en mars, quftDesfonfaines
en mai, les favoris en juin, et Des Ghauffoups
enfin (mai 1726) sont des faits sans rapport?...
Hais alors pourquoi cette précipitation pour es-
Douze, bv Google
(naa-iTM) — 36 —
camoter Des Chauffeurs, l'étrangler sans qu'il ait
le temps, le moyen de parler?
Tout est fini. Versailles est rassuré. Plus de mé-
nagement pour la de Prie, pour Duverney. Les
créatures de celui-ci, ses ministres, font sans lui
les plus graves opérations de finances. 11 l'apprend,
il écrit à W^ de Prie qu'il faut revenir ou périr.
Chose assez curieuse, Fleury hii-mème par des
amis engage la dame à revenir. Vrai moyen de la
perdre, de vaincre l'hésitation du Roi. Son horreur
(ou sa peur) de M"' de Prie, s'il se retrouvait de-
vant elle, devaient abréger tout et le décider à agir.
Elle arrive comme un ouragan, d'autre part Du-
verney revient et parle en maître. Le Roi est
interdit. Fleury n'en tirant rien, tombe aux pieds
de M. le Duc, le conjure de rester en chassant
M"' de Prie {Rich., V, Ul). Impossible. Elle
pèse, et malgré tous reste à Versailles. Le Roi
alors, timidement, en caressant M. le Duc, se
sauve à Rambouillet (chez d'Épemon et la ma-
man Toulouse), mais décochant derrière le trait
mortel, uu mot qui met le Duc à Chantilly
(11 Juin 1726).
Le 12 juin, au matin, les vainqueurs travail-
lent ensemble, Fleury et Maurepas {Bich., IV,
155), le cardinal d'accord avec les camarades,
la garde-robe avec la sacristie, les nouveaux
rois, la Cour, l'Église.
Douze, bv Google
— 57 — (nas-nse
Ajoutons y ]a Banque. Fleury en était assuré.
Le redoutable coi^s des vieux mallôtiers du grand
Roi, et la recrae nouvelle des agioteurs du Ré-
gent, voyaient avec indignation un des leurs, un
financier même, Duverney éclairer les comptes,
trahir les mystères de finances. Ils traitent avec
Fleury. Plus de Régie; partout les Fermiers gé-
néraux. Fleury leur laisse Varriêré. Petit mot!
grande chose ! Ils empochent cinquante-six mil-
lions.
Pour brusquer ce traité, il était nécessaire
que personne n'éclairât Fleury, que Duverney
ne pût lui écrire une ligne, que le vieil igno-
rant sans s'en douter fondât les hautes dynasties
financières qui ont mangé la France un demi-
siècle. Duverney est mis au cachot. On le tient
dix-huit mois scellé dans la Bastille. Cent com-
mis sont chaînés d'éplucher son Visa. Et l'on
ne trouve rien. Un absurde procès contre lui et
Barème ne produit encore rien. On voit, non
sans surprise, que sa fortune est peu de chose.
Cependant M"" de Prie, M. le Duc, étaient per-
sécutés avec ces petits soins de haine dont les
prêtres ont seuls le secret, A ce Condé, à ce chas-
seur, l'homme de la forêt, on interdît la chasse.
Il tombe dans un tel désespoir qu'il a la plati-
tude de demander giùce à Fleury par Gesvres,
un des amis du Roi qui l'ont chassé. Son néant
Douze, bv Google
(«25-1798) _ S8 —
apparut. Son âme était partie avec M*" de Prie.
Celle-ci dut vivre à Gourbépine, dans l'ennui
d'un désert normand. Elle avait étalé d'abord un
admirable stoïcisme. Au fond, elle se mangeait
le cœur, et ne pouvait pas le cacher.
Jamais lion ni t^re en sa cage ne s'agita
tellement. Elle enrageait et faisait des chan-
sons. Elle espérait mourir, et, dans les derniers
temps, elle avait essayé de se tuer par un furieux
libertinage. En vain. Elle n'y avait perdu que sa
santé, sa fraîcheur, sa beauté. In euctremis elle
gartlait encore dans son désert un amant, une
atnie. Celle-ci , très-maligne , très-corrompue ,
vraie châtie, était M"" Du Defiand, et, parmi
les caresses, les deux amies se griffaient tout le
jour. L'amant, jeune homme de mérite, s'obsti-
nait à l'aimer, toute méchante qu'elle fût. Elle
avait séché sans retour, et sa dernière punition
était que par l'amour elle ne pût reprendre à la
vie'. L'orgueil la dévorait. Elle ne voulait plus
rien que mourir à la Romaine, à la Pétrone.
Trois jours avant, elle jouait encore la comédie,
appril et débita trois cents vers. Elle donna au
jeune homme un diamant (pas trop cher, pour
ne montrer nul attendrissement, nulle faiblesse
de cœur). Elle lui dit : « Va-t'en à Rouen pour
affaire. Ne me vois pas mourir. » Lui parti, pour
farce dernière, elle fit venir son curé, bouffonna
Douze. bvGoogle
— 3^ — (i7a-n»}
ta confession, puis but un poison violent. Elle
eut pourtant, dit-on, beaucoup de peine à mou-
rir, Bouffiit cruellement, se tordit.
Un faux ami, le duc de Bouillon (beau-père
de la Trémouiile qu'elle avait chassé de Ver-
sailles), vint juste à point. Heureuse oocasion
de faire sa cour à Fleury, au clei^é. Il décrivit
comment était morte la réprouvée, dans quelle
torture d'enfer, avec des cris qu'on entendait
au loin. Histoire invariable qu'on avait déjà
faite pour la du^ease de Bori.
Quelque sévérité que dœve l'histoire à ce ty-
ran femelle, c'est un devoir pourtant d'avouer
la vigueur qu'elle mit à soutenir Duverney, ses
tentatives hardies. Ce rude gouvernement, tout
violent et cynique qu'il fût, eut des instincts de
vie que l'on put regretter dans la torpeur mor*
telle de l'asphyxie qui suit, sous la pesante
robe qui couvrait nos vampires, jésuites et fer-
miers généraux.
La de Prie valait mieux. Dans aes vices
odieux, elle imposait pourtant. Impure et fu-
rieuse, chose bizarre, on l'aima jusqu'au bout.
Un des meilleurs hommes de France, Ai^enson,
jeune alors, avoue qu'il en fut fasciné. Celait
un serviteur zélé des Orléans, donc opposé à la
de Prie. Esprit libre, utopiste, membre del'En-
tre-sd, le club de l'abbé de Saint-Pierre, rêveur
:.bv Google . —
.1195-172(11 _ 40 —
non moins que lut, amoureux de la France,
des libertés de l'avenir, il était en tout sens
loin de cette femme. Il se tenait fort en arrière,
craignait son propre cœur, se défiait de la tra-
gique fée. Un malin, celle-ci, lui donnant au-
dience, l'admet à l'italienne au lieu mystérieux
de sa toilette intime, comme un amant ou un
ami. Elle penchait alors vers sa chute, elle était
nu plus fort de sa lutte désespérée. Maigrie
déjà, pâlie d'un feu morbide, elle était belle
encore, belle de son audace, de sa crise, de la
mort prochaine. D'Ai^enson fut touché. Un autre
eût profité. Il tomba à genoux... Et la philoso-
phie fit hommage à Satan. Le siècle, trouble
mcore, en cet ange du mal saluait cependant
comme un génie d'orage, la volcanique écmne
otl souvent la Nature prélude à ses enfante-
ments.
Argenson veut en rire, ne peut. Il veut être
léger, ne peut'. Ou voit pai' ses aveux à quel
point un baiser (et sans autre faveur) le lia,
le retint. Il ne la quitta pas dans sa métamor-
* Ce combat de deui suntiments est curieux i obserrer dana les .
deui édilîona de 1858 et 1860. La scène est sabhutique. obscène. El ce-
pendanl comment la su)ipriiner? Le vénérable M, d'Argenson, si Ternie,
si honnête, dans l'édiliun qu'il a faite des Jli'uioires de «on grand-oncle,
n'a pas eu celte raine pudeur qui Tau^ise Initte ÎUéc de i'i'poque. Éilt-
lion Jannet. I, 205.
:.bv Google
— 41 — inawiw
phose (où elle devenait un cadavre), il en gardi^
pilié; il la conseille. En vuin. Et maudite de
tous, pour lui elle est encore : « La pauvre
M'"' de Prie. «
:.bvGoogIf
CHAPITRE
Esprit gaenief et prOTocation da clergé. —
Espagne, -1726-1727.
Le clei^é avait reconquis au dix-huitième siècle
ce qu'il eut par deux fois au dix-septième, la
royauté du prêtre.
Un cardinal régnait, et avec moins d'obstacles
que Richelieu ou Mazarin. Le plus facile des
maîtres, un enfant. Point de Fronde. Un peuple
las, courbé, aspirant au repos.
IjC paresseux Fleury et les fins du clergé ne
voulaient qu'engourdir, mettre à tout la sourdine,
éteindre le jour et le bruit. Mais la grande masse
cléricale en France et en Europe, un grand
monde imbécile, en se voyant si fort, méprisait
l'art trop lent des doux étouffements, voulait
le fer, le feu, contre leurs ennemis.
Douze. bvGoogle
— 45 — {iiâô-iMli
Derrière ce vain drapeau, la Bulle, qu'on met-
tait en avant, ils avaient deux idées fort sérieuses
qui les travaillaient : 1* ils avaient vu par Law
et Duvemey que, sous forme de vente ou d'im-
pôt (n'importe comment), on en viendrait aux
biens d'alise; â* ils voyaient le respect pwdu,
la société attentive aux scandales ecclésiastiques.
En Italie, oîi l'on en rit, la facilité générale
permet et couvre tout. En Espagne, respect pro-
fond. L'Espagne restait l'idéal. En ce grand
royaume dépeuplé, dans ses villes isolées (cha-
cune entourée d'un désert], on pouvait fort com-
modément imposer, contenir les langues et les
esprits, brûler ici trois juifs, quatre maures,
deux sorcières. Le peuple, édifié de ces lugubres
scènes, gardait la crainte du Seigneur.
Toute autre était la France, et ce n'était pas
sans danger que les ambitieux (un Tencîn, un
Tressan, qui visaient le chapeau) poussaient aux
moyens de Terreur. On a vu que Tressau, l'au-
mônier du Régent, avait écrit, dressé le grand
Code de la Dragonnade, le recueil des deux cents
ou trois cents ordonnances contre lea Protes-
tants. M. le Doc subit ce Code (14 mai 1724),
à l'étfturdi, sans voir deux terribles articles qu'on
y avait glissés (\. Lémontey, Rulhière, Males-
herbes).
Tout nouveau converti, sur un mot du curé,
. D,a,l,zc.bvG0OgIe
(nawTïi) _ 44 _
est déclaTé rda/ps; donc il peut être mis à
nufft, ses biens vendus, ses enfants ruinés. Qui
peut dire la peur des familles, de la mère, de
l'épouse, el leur craintive dépendance, le père
étant sous le couteau I Article atroce. Mais la
suite est immonde. Le curé entre seul dans les
maisons (non plus accompagné, comme l'ordon-
nait Louis XIV); il les visite sans témoins, et
prend les personnes une à une. négociant en
maître, et faisant son marché avec une femme
tremblante qui croit voir son mari perdu !
Des deux articles, l'un (si meurtrier) épou-
vaiila. M. le Duc défendit d'y avoir ^rd. L'autre,
honteux, subsista six années (1750). Nombre de
familles s'enfuirent, contèrent partout ces muelles
horreurs, parfaitement étouffées ici. Tout le Nord
s'indigna, et d'autant plus qu'alors, au bout op-
posé de l'Europe, la voie du sang criait en Po-
logne contre le clergé.
La mort de dix pCTSonnes exécutées à Thoni
fit un éclat immense et de conséquence infinie.
Dix têtes I qu'est-ce cela près des Saint-Barthé-
lémy, on des tueries du duc d'Albe, ou des
égorçements de la guerre de Trente-Ans? Eh
bien, un fait terrible el inouï eut lieu. Ces dix
têtes jamais ne purent être enterrées. Elles res-
tèrent cent ans sur la terre, et elles ont changé
le monde. D'elles vint l'affreux malentendu qui
DiailizccbyGoOgle
— 45 ■— (nw-iisj)
tua la Pologne et (malheur exéci'able) exhaussa la
Russie' !
Les Polonais avaient sous leur proteclion une
ville marchande, celle de Thom. Ville, certes,
non méprisable ; c'est la ville du Ëimeux traité
qui fit les libertés du Nord, c'est la ville de Go-
pernik. Les gens de Thorn, quand ils s'affran-
chirent des moines militaires, et se réfugièrent
sous les lances de la Polt^e, obtinrent du
noble peuple un privilège très-grand : de vendre
sans payer de droit dans toute l'étendue du
royaume. Ce peuple, généreux, d'admirable hos-
pitalité, recevant tous les exilés, était le seul qui
eût écrit la tolérance dans ses lois (Pacta con-
venta). Tout son sénat alors (moins un membre)
était protestant. Les choses terriblement changè-
rent, lorsqu'au dix-septième siècle les Suédois
< Jamais erreur ou crime Juiliciaire nu ou une telle |jiinitioa.
La France, hélas! roua Calas et le chevalier de la Barre, en plein
dii-huitiètnc siècle. Qui n'u pccbé? Quelle naûoa n'a eu ï déplorer
quelque odieui arrêt de ses juges ? Par un sort singulier, seule lu Po-
Idgne fut punie. — L'eicelleote Histoire de Pologne, par Ladislas Hic-
kiewtcz {1865), eipose très-bien cette affaire. J'avais de plus sous les
yeui une l'elation polonaise que M. Jean Hickiewia a bien voulu me
traduire (fl^ctb historiques. Pose», 1845;Sprawa Toruuska). Enfin la
rcbtion prussienoe, Irès-claire et très-impartiale de Jablonski, TItom
affligée, 1TS6. Ces docuaients catholiques et protestants concordent
pour tout l'essentiel. Le précieux petit livre, Thorn affligée, existe
ici dans la Bibliothèque polonaise de Paiis (lie Saint-Louis). Vénérable
bibliothèque , oii tant de choses perdues en Pologae se retrouvent en-
:.bv Google
inm-xm) — 46 —
prolestantï) envahirent Irois fois la Pd(^e. Bles-
sée en son orgueil, elle fut presque entière ca-
cathotique. Très -difficilement les jésuites s'y
étaient introduits, mais ils y réussirent. Ils ten-
tèi'ent les familles par les humanités, l'éducalion
française, et peu à peu ils eui-ent les enfants
des seigneurs. Les belles Polonaises se prirent
fort au roman dévot. Hardies, chimériques et
charmantes, comme elles sont, elles emportèrent
tout. La galante Pologne mit la femme sur son
drapeau. La Vierge volait aux batailles en tête de
sa cavalerie. Cependant les villes marchandes,
allemandes de fonds, Thorn, Dantzig, etc., n'eu-
rent rien de ces folies, restèrent fort protestantes,
et fort suspectes d'aimer l'étranger protestant.
Les jésuites parurent faire une œuvre polonaise
en s'y introduisant, — rien d'abord qu'un petit
jésuite pour aider tel curé, puis deux, puis une
école, un collège, pour élever déjeunes nobles.
Ceuï-ci, fiers jeunes gens, escrimeurs, querel-
leurs, se moquant des marchands de Thorn, pa-
radaient répée au côté. Minorité minime, ils
trouvaient beau de faire procession avec leur
Vierge, de tenir le pavé contre un grand peuple
luthérien. Tout ce que firent les jeunes protfô-
tants, ce fut d'enfoncer leur chapeau. On les leur
jette à terre (juillet 1724). Les Jésuites ont ce
qu'ils voulaient. Le magistrat ayant arrêté un pro-
Douze. b^Goog le
— 47 — (ii»-i7i7i
vocateiir, ils osent en taire autant, comme s'ils
eussent été magistrats. Plus, la bande guerrière
(les écoliers armés tombe sur les gens qui regar-
daient. Des hommes forts se trouvaient dans le
peuple, un charpentier, un maçon, un boucher.
Ils forcent le collège, enfoncent et cassent tout,
tables et bancs, deux autels. La Vierge que-
relleuse qui a fait la bataille, est traînée, punie,
mise au feu.
Mais cette Viei^e, c'est le drapeau de Pologne I
Outrage national!... Les jésuites à cela ajoutent
un argument terrible : que si Louis XIV a bom-
bardé, écrasé Gênes pour avoir outragé Sa Ma-
jesté humaine, à plus forte raison la Majesté
divine outnigée doit écraser Thom. Elle exige
là mort des coupables, des magistrats même.
G^a fit impression. Cependant le haut tri-
bunal trouvait que la mort, c'était trop. On
dit à plusieurs membres qu'ils n'avaient rien
à craindre, qu'on ne pouvait pas faire la chose
qu'autant que les jésuites jureraient, ce que
des religieux ne peuvent en affaire criminelle.
Invité à jurer, le jésuite recteur s'excusa, par
ce mut du droit canonique : « L'Ëgtise n'a soif
de sang. » Maïs il fît signe à un frère de son
ordre, qui n'était pas profès encore, de se
mettre à genoux et de jurer pour lui. Auti'e
on paya six coquins, non bourgeoia
:.bv Google —
lllM 1727) _ i8 —
de ta viUe, qui jurèrent loul ce qu'on voulut.
Le Roi ^wuvait faire grâce. Mais ce Roi toujours
gris (c'était Auguste rAllemand) n'osa faire grâce
aux Allemands, grâce d'une insulte faite au dra-
peau polonais. Il en sauva un seul, et but un
coup de plus. Donc les jésuites purent agir à
leur aise. La mort leur parut peu. Ils tinrent
longtemps la proie entre leurs griffes, les lan-
cinant jusque sur l'échafaud d'instances et de
chicanes pour les faire mourir catholiques (dé-
cembre 1724).
Avant l'exécution, la Prasse était intervenue,
avait menacé même, fait approcher des troupes.
Imprudence qui hâta les choses. On rit de cette
petite Prusse, de son roi, le grand grenadier.
On rit de la petite Suède, épuisée, alors un
néant. Cependant la grosse Angleterre pnt aussi
la parole, et le Hanovre, et le Danemark, et la
Hollande, et la France même (du duc de Bour-
bon). Tout cela grave, immense, mais lent, sans
action. Que fût-il advenu si les protestants de
Dantzig et de toutes les villes avaient aussi versé
le sang? Rien de tel n'arriva, et la chose resta .
tout entière. Pour le malheur de la Pologne, les
jésuites eurent le dernier mot.
La parfaite ignorance de ce parti téméraire le
lançait dans les aventures. Trois mois après l'af-
faire de Thom, il tnenace, il provoque l'Angleterie
:.bvGoogIe
— 49 — [n26-l7«)
el la France, renouvelle à Madrid le plan d'Albé-
roni, — mais plus fou, croyant celle fois se ser-
vir de son ennemi, s'armer de l'épée de l'Autri-
che {ami 1725)1 Cela décida l'union de tout le
monde protestant [aUiance de Hanovre, septem-
bre).
J'ai dit le bizarre intérieur de la cour de Ma-
drid, le Roi, un demi-fou, et les furies de la
Famèse. Nul plus honteux spectacle. C'est à la
médecine beaucoup plus qu'à l'histoire qu'il ap-
partient de l'expliquer. Le Roi, de faible esprit,
qui eût dû être ménagé, était sous la main de
deux femmes criardes , insolentes , grossières
(comme les basses classes d'Italie), — i'assafeta
(femme de chambre) qui régnait, menait tout, —
et la reine, non moins ignorante, violente, em-
portée, sans scrupules. Pom' aller à leurs fins,
iaire obéir le Roi, elles tendaient horriblement
la corde par les excès de vin, les épices, et le reste.
Elles usèrent sans mesure de cela. Et la reine
eut trois r^ues. Après celui de femme, de
grossesses, de fécondité, elle le tint par les
hontes secrètes (dont plaisantait Albéroni); et,
en dernier lieu, quand il fut tombé à l'état ani-
mal, ne changeant plus de Hnge, velu, avec des
griffes, d'autant plus aisément elle eut un règne
de geôlier.
Et tout cela devant les confesseurs. La reine
:.bv Google
(H«-17Î7) _ 50 —
en avait un qui faisait ses af&iires et écrivait pour
elle, digne d'elle (on en a des lettres. V. Mont-
gon), un sot, frère coupe-choux, qui écrivait
comme un portier. Celui du Roi, tout autre, es-
pagnol, le P. Bermudez, dur et profond jésuite
qui ne désirait rien que l'extermination des jan-
sénistes, brûlait de le voir à Versailles. Autant
ta reine poussait vers l'Italie, autant le Roi ai-
mait , regrettait , désirait la France , pour la
France elle-même, non pour la roputé.
Le Retiro, l'Escurial, S. Udefonse, étaient les
vrais châteaux des soi^es. Du plus haut au plus
bas, tous rêvaient et politiquaient. Les confes-
seurs aux entre-sols, les grands, les majordomes,
les valets dans les antichambres, sans cesse re-
faisaient la croisade et renouvelaient l'Armada. Les
cuisiniers marmitonnaient l'Europe. Lieu admira-
ble aux intrigants, aux charlatans dévots. Un
aventurier , Riperda , Hispano - Hollandais , qui
pour les affaires de commerce avait stylé Albé-
roni, vient un matin, est touché de la Grâce et se
fait catholique. Même farce de l'abbé Monlgon qui
vient exprès de France pour admirer de près la
sainteté du Roi, et, s'il le faut, se faire moine
avec lui.
On savait que Philippe voulait alors passer en
France (janvier 1724). Voyant le Régeot mort,
l'enfant très-chancelant, il faisait ses paquets. La
L ,l,z<..t,C00gIf
— 51 — .,n»-ilS7)
reine avait baissé. Bermudez l'emportait. On lai-
sait foire au Roi une chose extraordinaire, quitter
le trône sur l'espoir d'en avoir un autre. Il croyait
rassurer l'Europe par un semblant d'abdicaUon,
gouverner par son fils. Il avait ramassé une
bonne somme pour le voyage et se tenait le
pied dans l'étrier. Tout manqua. Le jeune roi
d'Espagne mourut. Son père fut condamné à re-
prendre le trône.
Dans leur courte retraite, le roi, la reine avaient
fort écouté le hâbleur Riperda, nouvel Albéroni,
qui mena la reine d'Espagne comme l'ancien Al-
béroni menait alors à Rome la reine d'Angleterre,
femme du Prétendant. Leur plan était le même,
toujours le vieux roman jésuite, ramener le
Stuart, catholiciser l'Angleterre, et par elle le
reste du monde. Coup manqué tant de fois.
Mais tout parut possible, dans l'aveugle fureur
où les jeta le renvoi de l'infante (avril 1725). Se
venger de la France, frapper l'Anglais, changer
la face de l'Europe I tout fut aisé. Gomment?
Riperda s'en chargeait. « 11 soldait l'Empereur,
vieil ennemi, mais nécessiteux ; il lançait sur
la France son invincible prince Eugène, pen-
dant que la flotte espagnole, aidée des vaisseaux
russes, menaçait l'Angleterre. Geoi^s, serré de
près, effrayé, ne pouvait guère manquer de rendre
Gibraltar. Faiblesse impopulaire, qui irritait suti
Douze, bv Google
(nîO-l7-J7) — 52 _
peuple, et lui coûtait le trône. Le Prétendant
rentrait sans coup férir*.
« Un mariage unissait à jamais les deux gi-ands
princes catholiques, l'Espagnol, l'Autrichien. Ce-
lui-ci n'ayant qu'une fîlle pour héritière, il la
donnait à Don Carlos, pour dot Vem^fe «FAu-
triche et même (on peut gager) VEmîfire. »
L'Empereur fut bien étonné delà proposition.
Mais comme Riperda arrivait les mains pleines,
et prêt à jeter les ducats, on fit bonne conte-
nance. On lui donna espoir. Caché trois mois
dans Vienne, il achetait les ministres un à un.
Et l'Empereur aussi recevait. Seulement il trou-
vait le traité un peu dur, « Tout était pour l'Es-
pagne. » Riperda insistait en faisant espérer qu'on
suivrait le grand plan d'Eugène : le démembre-
ment de la France (Coxe, ch. xxxvn), qui don-
nait à l'Autriche la Rourgogne et tout l'Est, ce
qu'avait eu Charles le Téméraire.
A Vienne, comme à Rome, à Madrid, la femme
dominait. L'Empereur Charles VI dépendait de sa
' Gomme pour augmenter à |>laisir les diffîcultég, ils arborent le
drjpeau jésuite. Le Prétendant nvait eu le bon sens, pour tranquilliser
les Anglais, d'aioir un conseil protestant. De Madrid et de Vienne, on
le gronda. Sa femme, ardente Polonaise, que dirigeait Albéronî, fit
comme la Famèse; elle le prit par l'alcAie et le lit, se mit dans un
couvent, jusqu'ï ce qu'il quiilât ses prolestants, montrant bien que ïat-
Ëire serait touto religieuse, la conversion forcée de l'Angleterre. Par
li il se brisait lui-même. Il blessait sans retour tous les protestants
jaedtites (lordMaltOn).
:.bv Google
— 55 — (i7M-na7i
belle épouse. Elle avait horreur de l'Espagne, et
encore plus sa jeune fille qui voulait un iils de
Lorraine. Il venait de faire celle-ci son liéritière
par un acte fort irr^lier (Pragmatique) pour
lequel il mendiait l'appui de chaque puissance.
Il avait besoin de l'Europe pour celle succession
illégale, donc était fort loin de la guerre (Vil-
lare, 329) et n'écoutait l'Espagne que pour lui
tirer ses ducats.
Mais il fautdes ducats. Riperda n'en a plus. La
comédie finit. Il tombe honteusement. « La reine
ouvre les yeux sans doute? » Point. Elle extra-
vague encore plus. « L'Espagne à elle seule suffît
contre l'Europe. Si seulement la France n'agit
pas, nous l'emporterons. » Heureusement M. le
Duc n'est plus, Fleury est maître. De Madrid
on envoie l'équivoque abbé Montgon. La reine
(sans ^rd aux volontés du Roi) veut qu'à tout
prix Montgon gagne Fleury, se conûe à Fleiuy,
lui livre tout, s'il faut, pour obtenir de lui trois
mois d'inaction, le temps d'emporter Gibraltar.
Car, Gibraltar pris, Georges tombe et le Stuart
succède (dans sa folle imagination!).
Ce qui est merveilleux, c'est que ce roman ri-
dicule, présenté à un homme aussi froid que
Fleury, ne fut point du tout rejeté '. Il n'eût osé.
* Personne n'a eu In patience de lire les cinq volumes de Montgon. Il
esl trfs-inslniclif pour qui sait le comprendre. Il montre : 1* l'oppo-
Diailizc^bv Google
(tTSo-tiaîi — r>4 —
Ses maîtres, les chefs tilU-amonlains, lenaient
rrop fortement à la chimère du Prétenttanl. II
accorda ce que voulait la reine. Le ministre
eût dit Non, mais le prêtre dit Oui. Toat
en doutant que l'affaire fût aisée, il accorda du
temps. Â r^ret. Il dit à Nontgon : « Seulement,
je vous prie, dites au confesseur de la reine
l'embarras où je suis. Nos préparatifs peuvent
bien sauver un peu les apparences. Mais tout ce
jeu ne peut durer longtemps. »
Les vieux militaires espagnols déclaraient le
si^e impossible ai l'on n'avait la mer, que l'An-
gleterre tenait par trois énormes flottes. L'Au-
triche le blâmait, et loin d'aider l'Espagne, elle
travaillait contre elle en Italie. Les agents jaco-
bites qui de Rome allèrent en Ecosse pour tâter
le terrain, trouvèrent tout impossible. L'évidence
élait telle que le pauvre Roi même demandait à
la rsine pourquoi elle exigeait cette vaine effu-
sion de sang. II en avait horreur, horreur des
âtion du roi et de la reine. Le rat l'enToie pour qu'il réveille ses par-
tisans, rallie H. le. Duc, etc. La rebe t'envoie pour obtenir i tout prii
de Pleury la temps de prendre Gibraltar; pour cela il faut que l'abbé
achète la confiance de Fleurj, mémo en lui rapportant tout ce que dit
M. le Duc. le pauvre Honlgon n'eût Jamais osé une telle trahison qui
ne lui proQtait en rien sans l'ordre de la reine d'Espagne î qui elle pro-
fitait visiblement. — 2° Hontgon révâle ce (ait curieui que Fleury
n''o*ait refiiser à la reine d'Espagne, au grand parti jésuite, le tempB
de prendre Gibraltar, et mèoie de soulever l'Ecosse, de lancer le Pré-
tendant. Il louvoyait, trompait alors Walpole. 11 était prÊlre, et pas en*
core Anglais.
Douze. bvGoogle
— 55 — (nse-iiîT]
intrigantii qui, pour remplacer Riperda, la ser-
vaient dans sa furie folle. Il refusait tout travail
avec eus. Alors elle le persécuta. Elle lui sup-
prima la consolation religieuse, en lui chassant
son confesseur. Elle lui supprima ce qui était sa
vie, le rapport conjugal. Torture bizarre. Par les
poisons d'amour, elle le mettait hors de lui,
refusait. L'effet en fut teirilide et imprévu. Il de-
vint Irès-lucide, accablant de raison. Il dit oe
que dira l'histoire, qu'elle était l'assassin du Rui,
dn peuple. Et il la châtia rudement. Épouvantée
de lui v(»r le bon sens revenu, elle pleura,
pria. La nature, l'habitude lui rendirent Tascot-
dant. Mais il la connaissait et il la méprisait.
Lorsque très-lâchement elle faisait semblant d'ai-
mer le fils du pranier lit : « Oh I la fausse, la
fausse Italienne ! » dit-il avec un rire amer.
L'échec de Gibraltar, l'abandon de l'Emp^^ur
(51 mai] ne la corrigeaient pas. Par la moH du
roi Georges, elle espérait encore que tout pour-
rait changer, s'obstinait à rester armée, usant
l'Espagne jusqu'aux os. Le Roi s'en mourait de
remords et voulait abdiquer, ce qui eût renversé
la reine avec ses Italiens, rendu l'Espagne aux
Espagnols. Rien de plus sage. Mais la reine y
pourvut. Elle changea Ifê clefs et les serrures,
le tint sous les verrous. Dans" quel état réel
éuit-il? qui l'a su jamais? Enfermé et gardé, il
Douze, bv Google
(i7!8-H31) _ 56 —
protestait pourtant de la seule façon qu'il pou-
• vait, ne faisant plus sa barbe, n'entendant plus
ta messe. La reine en était inquiète. Elle fit la
dévote et la bonne Espagnole, jusqu'à prendre
la robe franciscaine, la robe des Mendiants. Gela
dura huit mois au moins, en 1728.
Un jour enfin, sachant que Louis XV était re-
levé de maladie et notre reine enceinte, il se fit
scrupule de son deuil, lorsque la France était
en joie, et comme bon Français, comme parent
désintéressé, il se leva, se fit la barbe, se montra
gai et doux. La reine désirait ardemment qu'un
nouvel enfant prouvât leur union et le fît croire
libre. Elle y réussit en effet (17 mars 1729), elle
conçut, et comme elle avait fait im vœu à saint
Antoine si cela arrivait, elle nomma sa progéni-
ture Antoinette.
Tout s'était aiTangé par les intérêts domesti-
ques qui seuls toucbaienl les rois.
L'Empereur, bon père de famille et docile à
sa femme, ajourna ses plans de commerce qui
irritaient l'Anglais, et il eut ce qu'il voulait
pour sa fille, la garantie qu'elle serait son héri-
tière au mépris des droits électifs de tant de peu-
ples et des lois de l'Empire (31 mai 1727).
Georges il n'est pas moins mené, fort douce-
ment, par sa Caroline, fine, patiente, qui pour
favorile a pris la maîtresse de Georges. Pour bien
Douze. bvGoogle
— 57 — tn!6-17TI)
consolider la maison de Hanovre, elle lui fnit
garder le ministère Walpole, qui répond de la
France, et de la mécanique qui fait voter le
Parlement (juin 1727).
Pour la reine d'Espagne d'avance elle est
domptée par la famille. Walpole la corrompt
par Carlos, l'enfant futur roi d'Italie. Ne pou-
vant conquérir, convertir l'Angleterre, elle subit
l'amitié hérétique qui la conduit à ce but désiré
(9 novembre 1729).
Toute cette basse politique de famille et de
femme, de nourrices et de nourrissons, d'arran-
gements domestiques , intérieui"s , était au fond
fort claire, nécessaire et fatale. Œuvre de pure
nature, non de diplomatie. Par une dérision
singulière de la fortune, le plus oisif de tous,
Fleury, panU le centre de l'action européenne,
l'arbitre et l'auteur de la paix.
Walpole y fît beaucoup. Il avait intérêt à ren-
3re Fleury important. Son frère, le Jeune Ho-
race Walpole, lorsque Fleury se retire à Issy, va
le voir, reste son ami. Georges II arrivant, les
Walpole usent de Fleury, le font parler pour eux,
disent au nouveau roi : « Par Fleury nous tenons
la France. »
L'Empereur, ne cédant qu'à son intérêt do-
mestique, parut condescendre à Fleury, à son
envoyé Richelieu, au pape, à la médiation de
Rome et de Fleuiy.
Douze, bv Google
(1796-1727) — 58 —
Nous aTons vu que ce faux politique, un
prêtre au fonct, louvoya au moment où la prê-
traille jacobite croyait entamer l'Angleterre. 11
donna le délai que l'Espagne voulait pour la vaine
entreprise qui hasardait la paix du monde. Elle
se fit pourtant, se refit, cette paix. Fleury en
eut la gloire, triompha d'une affaire que tous
avaient voulue et qui s'arrangeait d'elle-même.
L'histoire trop ïàsément accepte ce triomphe.
Il faut en croire plutôt son bon ami Horace Wal-
pole, selon lequel il fut ignorant, incapable aux
affaires de l'Europe. Pour celles de la France,
Don-seulement il les ignorait, mais ne voulait
pas les apprendre, éloignant avec soin tous ceux
qui avaient eu part aux af&ires. Torcy, Noailles
lui auraient dit les choses, SainIrSimon les per-
sonnes. Les gens des deux Visa, Fagon, Rouillé^
Barème, lui eussent éclairé le monde de finance
auquel il se fia si sottement. Du personnel di-
plomatique il écarta les gens habiles et fins de
la Régence, mit des sots à la place, des prélats
imbéciles qui ne savaient rien que la Bulle.
Villars dit et répète qu'on se moquait de nous.
a D'oiî vient, dit Louis XY à la mort de Fleury>
qu'il n'y a plus d'hommes eu France? » En tous
les rangs marquants Fleury avait fait le désert.
:.bv Google
CHAPITRE IV.
« Les villages fondent partout et viennent h
rien... On abandonne les campagnes pour se reti-
rer dans les vilks. » {Ârgensony sept. 1732;
I, 145, édit. 1859).
Mot d'un mécontent, d'un frondeur, dtra-t-on.
Villars, un de nos gouvernants, et membre du
Conseil, dit justement la même chose (p. 359,
édit. 1859).
Que veut dire ici Sismondi en affirmant sans
preuves : que le travail reprit, que, par la mor-
talité même, le travailleur plus rare fut mieux
payé, etc.? Pure hypothèse. Pas un fait à l'appui
dans les écrits contemporains.
Pour les campagnes , c'est absolument faux.
:.bv Google
{\-m-nw) _ 60 —
Pour les villeSj peu exact encore. Les ouvriei-s de
luxe, qui sont toujours un petit nombre, travaillè-
rent pour les enrichis, décorèrent dans un goût
charmant les splendides hôtels des Fermiers gé-
néraux. Hors de là, nul appel à la production.
Les cinq cent mille familles qui à Paris ont subi
le Visa, l'autre demï-million qui en province eut
même ruine , tous ces gens ruinés ont-ils pu
réparer si vile pour encourager l'industrie ?
Et le gouvernement agit bien moins encore. La
France sous Fleury offre ce spectacle curieux d'un
grand État inerte, qui, loin d'édifier, n'achève
rien, ne répare plus, ne met plus une pierre à la
muraille ruinée, pas une planche aux vaisseaux
de guerre ; nul souvenir des ports, arsenaux, ci-
tadelles. Nul travail. Un vaste silence.
Une chose peut tromper , c'est que les villes ,
énormément grossies sous le Système, loin de di-
minuer, continuent d'engouffrer la i'oule. Et pour-
quoi s'^ réfugie-t-on? Le village est inhabitable. La
ville, un abime inconnu, est (vue de loin) une lo-
terie^ là peut-être on aura des chances, tout au
moins ia misère plus libre; l'atome inaperçu se
perdra dans la mer humaine.
Fleury, fort judicieusement, avait mis les finan-
ces aux mains d'un ignorant dévot. Son contrôleur
Desforts (qui même ne savait pas compter, comme
le montra sa loterie de 1729), fit un traité de
Douze. bvGoogle
— 61 — (1787-1729)
dupe avec les Receveurs et Fermiers généraux.
11 ne savait pas que (par l'ordre qu'établit Duver-
ney) la Ferme valait deux fois plus; il fut ravi
d'une légère augmentation. contentait Fleury
par des économies de deux, de trois -cents livres,
et il lâcha la France aux Fermiers généraux pour
y fourrager par millions. Ce que Louis XIV, en
guerre contre l'Europe , était obligé de souffrir,
on le vit en pleine paix pendant le dix-huitième
siècle. La Ferme continua d'avoir sur le pays une
armée de commis, d'huissiers, de recors et d'ar-
chers.
Avec leur bail fort coiul, de cinq années, un
ministre un peu ferme eût pu fort aisément les
tenir d^ndants. Avec la Cour des Aides qui
jugeait en dernier ressort, il pouvait faire pour-
suivre et punir les abus, faire constamment sentir
aux Fermiers la main de l'Ëtat. Mais rien de tout
cela. CedousD gouvernement laissa aller les choses.
Chaque perception fut une guerre, la guerre au
Set, la guerre au Vin, etc. Les acheteurs du Sel
sont comptés et forcés, marques à sept livres
chacun (sans les salaisons , douze en tout). Qui
n'achète, à l'amende I Qui ne paye, aux galères I
Des provinces soumises à la Ferme la conta-
gion fiscale gagnait les provinces voisines (Boisg.
Détail). Des pauvres insolvables la pauvreté ga-
giuiit \e& gens aisés qui payaient à leur place et
Douze, bv Google
(m7-ns9) _ 62 _
devenaient pauvres à leur tour. Celle cruelle soli-
darilé fit ftiir les champs, courir aux villes. Paris
devint un monstre. On disait (au hasard) qu'il
contenait 800, 1,200, 1,500 mille âmes ! Tristes
âmes vivant pauvrement, plutôt mourant de faim.
Paris , serré ^lar la défense insensée qu'on fit
de bâtir au dehors, vomissait le trop-'plein dans
un camp mis^ble, un Paris de toile et de plan-
ches, de pisé et de boue qui couvrait la banlieue.
La ville, cependant, étranglée, croissait en hau-
teur. A cinq, six, sept et huit étages, montaient
les combles et les mansardes, mal fermés au
vent, à la pluie. Celle-ci , distillant le long des
murs verdâtres , de plomb en plomb , par les
carrés fétides , faisait des noirs étages infé>
rieurs de véritables puits. Qui dira l'horreur
des soupentes où l'on couchait les apprentis?
La boutique, antre humide où tout suintait,
présentait au comptoir , fixée et sédentaire , la
femme pâle des tableaux de Chardin, dans sa
robe de toile, le dos contre ce mur mouillé.
Faible , très-faible nourriture. Deux dioses ont
serré sa ceinture , l'octroi croissaut et la rente
réduite. Petits marchands, petits bourgeois, à
force de sobriété, ils avaient un peu épai^né.
Et c'est su* cette épai^ne que les Ordonnances
ont frappé. C'est de Fleury qu'ils ont le coup de
grâce. En réduisant certains impôts qui ne
Douze. bvGoogle
_ 6S — (1121-1729)
rapportaient guère, il achève, il assomme le ren-
tier (c'est-à-dire Paris).
La misère morale n'est pas moindre. Le grand
Roi éblouit. Le Régent amusa, leurra de vain
espoir. Ici ni espoir ni pensée. Un gouvernement
platj triste, enmiyeux, oii le jour vide et long dit
Rien, — et le jour suivant Rien, — aussi mono-
tone que la pluie dans la maussade petite cour.
Qu'en cet ennui, ce vide et celte mort, une étin-
celle ait lui, — qu'en cet entr'acte misérable où
tout est snspendu, oîi la pensée du siècle n'appa-
raît pas encore, — il y ait eu un mouvement, ce
fut à coup sûr un bienfait. Il serait dur, injuste,
de le méconnaître et le mépriser.
Il faut noter d'abord d'après les dates une
chose trop peu remarquée. La fièvre de supersti-
tion qui gâta bientôt tout cela n'en est pas le
point de départ. Ce fut un mouvement de jus-
tice , de raison indignée , de conscience , une
réaction de liberté, qui donna le premier élan.
La persécution commença (1727), l'indignation
suivit. Au fanatisme faux elle en opposa un sin-
cère (1728), qui s'exaltant devint délire, folie
(1729), et plus tard folie dépravée.
Ce pauvre peuple ne bougeait pas du tout.
Personne n'avait envie de guerre. Mais les ultra-
montains avaient intérêt à la faire, à exploiter
leur rare avantage (un cardinal roi). Du plus
Douze, bv Google
ii7ai-n28| _ 64 _
haut au p]us bas, ils avaient le gouvernement,
les moyens de la tyrannie. Elle s'organisa par
trois hommes sans foi et sans opinion. — Hé-
rault, le lieutenant de police, leur fit un livre
universel qui comprit la population, nota cha-
cun, et le mit à su classe, ou bon, ou neutre,
ou appelant. Les neutres mêmes étaient suspects.
— Les appelants, livrés à la Justice, la trouvèrent
âpre, active, dans Chauvelin, nouveau Garde des
sceaux, homme de grande porlée, mais Irès-fauz,
au fond parlementaire , qui conquit sa grandeur en
écrasant le parlement. — Désignés par Hérault,
atteints par Chauvelin, les victimes tombaient an
geôlier, au fils de la Vrillière, S. Florentin, mi-
nistre des prisons. Ils y tombaient souvent pour
l'oubli éternel. Deux fois on y entre en ce siè-
cle, et deux fois on y trouve des prisonniers
tellement oubliés, qu'on ne peut savoir même
pourquoi ils furent mis là dedans.
Voilà la mécanique. Quels sont ceux qui vont
en jouer ? Sauf Bissy (un bigot étroit, dur et sin-
cère), tous avaient droit de figurei* en Grève. —
Le centre était Tencin, et le fameux salon où
maritalement il figurait près de sa sœur; lupa-
nar de l'agiotage, que tous avaient sali, que la
Fresnaye inonda de son sang. — Lafiteau, le
fripon, que Dubois, pour punir ses vols, dé-
porta, fit évêque dans un méchant coin de Pro-
D,a,l,zc.bvG00gIe
— 6i) — ^1127-1720)
veiice. — Les mœurs ni Iramou laines écialaienl
dans Rohan, cardinal femme, fier de la peau des
rousses qu'il tenait de sa mère Soubise, impu-
demment coquet, étalant sa beauté dans ses bains
italiens. Encore plus celte école marquait en
deux mâles effrénés, les évêques de Laon et de
Soissons, deux échappés de Des Ghauffours.
Avec de tels Pères de l'Église, la Terreur s'es-
saya, d'abord dans un coin de la France. Ten-
cin, arcbevêque d'Embrun, fait chez lui un Con-
cile, « ordonné par le Roi, » et par précaution le
Roi « défend aux Pères de sortir de la ville sans
sa permission. » Les évêques une fois enfermés
là, on leur livre un des leurs, un évêqne de quatre-
vingts ans, le vénérable Soanen. Sans l'écouter,
on le condanme, on l'aile en Auvei^ne, aux
froides montagnes, oiî il meurt. Gela s'appela
le Brigandage d'Embnm (1727).
Le second meurtre est celui de Noailles, vieil
archevêque de Paris. 11 avait réclamé contre Em-
brun avec douze évêques. On l'obsède, et il se
rétracle. Puis, il revient à lui, il rétracle sa ré-
Iractation. Enfin dans ce vertige du flux et du
reflux, ballotté, batlu, imbécile, il adopte la Bulle
et meurt. Le siège de Paris passe aux mains d'un
des plus forts mangeurs de France.
Toute autre est la voie janséniste, très-digne
de rt'spect. Moderne à son insu, en invoquant la
Kl. t>
Douze, bv Google
(im-nsB) _ 66 —
Grâce, le vieux dogme de saint Augustin, elle est
pourtant l'essai des libertés nouvelles, l'appeï à
laconsdmce.
La dureté et le petit esprit qu'ils montrèrent
trop souvent ne peuvent faire oublier cela.
Plusieurs furent de vrais saints. L'un d'eus ,
l'évêque Vialart , fut opposé aux Dragonnades.
Leur diacre, le bienheureux Paris, un pauvre
homme, était doux, humain, de charité sans
bornes, laborieux, vivant de son travail. Notez
qu'avant sa vie mystique, il avait accompli tous les
devoirs de l'honnête homme, fils soumis et obéis-
sant, frère admirableyjui ne se retira qu'après avoir
marié, établi son cadet, etc. Jeûnant trop (pour
donner aux pauvres), il devint plus qu'à demi
fou. Il avait pour sa thébaïde une loge de plan-
ches dans une cour humide du quartier Saint-
Marceau, oii jeune encore il mourut de misère
(1" mai 1727).
Dès l'été, des malades vinrent se traîner sur
son tombeau. Tels guérirent par leur foi, l'excès
de leur émotion, mais guérirent de la vie, mou-
rurent. Un simple monument, table de marbre
noir, à un pied de terre, fut dressé avec autori-
sation de Noaiiles parle frère, M. Paris, conseiller
au Parlement. On se glissait sous cette table,
jKiur prendre de plus près la vertu de la terre,
ou on en avalait un peu. Les malades (femmes ou
Douze. bvGoogle
— 6ï — iim-1129)
demoiselles pour la plupart), de plus en plus
émues, exallées, et trop faibles pour y garder leur
lêle, y eurent des crises de nerfs, des accès hys-
tériques, se crurent guéries au moment même.
Mais tout cela n'arriva au délire que plus lard ,
lorsqu'on leur prit leurs prêtres , lorsque ces
pauvres créatures furent effarées et folles de la
cruelle persécution.
On ne peut lire sans intérêt le livre étrange de
Carré de Montgeron : Vérité des miracles du
bienheureux Paris. Il est fort instructif. L'his-
torien et le médecin y trouvent le précieux ta-
bleau, exact et véridique, des misères et des
maux d'alors. Pour les guérisons, les miracles,
ce sont les mieux prouvés qui furent jamais.
Sincérité parfaite, nombreux témoins, oculaires
et honnêtes, sérieux examen des savants, rien
n'y manque. Maître dans tant de choses, le dix-
huitième siècle est le maître en miracles. Il ob-
serve, analyse, de manière à nous faire conclure
que ces faits très-c&'tains sont, non au-dessus de
la nature, mais de nature jusque-là peu connue
[qu'on dirait aujourd'hui magnétique ou som-
nambulique).
Ces guérisons, la plupart, sont fort simples. La
créature qui vit dans l'ombre des petites rues, de-
mi-percluse, enflée, fiévreuse, ses amies l'entraî-
nentau voyage lointain de Saint-Médard, près le
Douze. bvGoogle
inai-iTM) _ es _
Jardin du Roi. Supiême eiforl. \ an'iveta-l-elle?
Impossible. El cela se fait. Que dis-je?Ëi]e en fait la
neuvaine. L'effort même, l'air et le soleil, lui ravi-
vent lacirculalion. Ajoutez-y la vive émotion de voir
ce lieu, la sainte tombe, les gens déjà guéris, et la
joie de ce peuple, cette compassion mutuelle, et
ces larmes de fraternité'!... Elle est guérie, ne
sent plus rien. Pour longtemps? Non, peut-être.
Mais ce touchant spectacle sera le bonheur de ses
jours. Le soleil qu'elle vit sur celle foule, et sur
ce marbre noir, il la suivra partout. Son soleil,
elle Ta maintenant, son église. Qu'on lui ferme
l'église, que ses prêtres enlevés lui manquent,
en ce besoin, elle serait son prêtre elle-même.
Contre l'autorité, elle aurait la voii intérieure.
La voix, dirons-nous de la Grâce ? ou la voix de
la Liberté?
Peu apLcs ces miracles commence un vrai mi-
racle (23 février 1728), la mystérieuse publica-
tion des NouveUes ecdésiastùpies , journal insai-
sissable qu'on poursuit en vain soixante ans.
Miracle de courage, de discrétion, de probité.
' Scène atlendriesantc, et nullement ridicule, dans les belles gra-
vures dn livre deMontgeron. Le portrait de Paris, qu'on voit en tèle,
est admirable de vérité. Ignoble vérité, mais douloureuse, qui inspiru
le dégoût, et bioD plus la pititj. Les légeDdes de guérisons sont tm-
intéressantes. Toutes ces créatures iimocentes et crédules, niuludes la
plupart à force du vertus, touclient infiniment. Pauvre, paui'e peuple
do Frauce !
:.bv Google
— 69 — (1731-1729)
Sous l'œil de la Police, ce journal s'écrit et s'im-
prime, se distribue dans loul Parts, et jusqu'à la
Révolution (1790). Pas un traître en soixante ans.
Rien de plus honorable, rein ne prouve mieux que
c'était le parti des honnêtes gens. ,0n dit qu'un
vieux prêtre intrépide, Jacques Fontaine de Ro-
che, osa le commencer. Où l'imprimai t-il ? On
ne sait. Dana un bateau? On le suppose. Un sys-
tème très-ingénieux de distribution fut trouvé, et
il a été le modèle de maintes sociétés secrètes.
Celle-ci était si Hardie, si sûre d'elle, que dans la
voiture même du lieutenant de Police elle faisait
jeter le journal poursuivi.
La connivence générale de Paris (Barbier, 54)
aidait beaucoup sans doute. C'est l'instinct na-
turel ; sans bien savoir la question, on se sentait
pour les persécutés. Cela gagna. L'esprit d'oppo-
sition s'étendit par le Jansénisme, et par la
Franc-Maçonnerie , qui d'Angleterre se répandit
bientôt '. Ces ruisseaux devinrent fleuves, et, le
torrent philosophique s'y joignant, ce fut une
mer. Rien moins que la Révolution. Les Nmi-
veUes ecdésiasliques cessent en 90. En 91 ouvre
'J'en trouve la première mention en 1735 (Léraontey, II, 390).
Voir aussi : Les loupers de Daphné et les dortoirs de Lacédémone.
(Brochure écrile en 1753.) Les dames y obsèdent leurs maris el leurs
amants pour qu'ils leur révèlent les mystËres de la Franc-Maçonnerie.
— Le journal de M. de lujnes parle un peu plus lard des Freemas-
sons. 1757.
D,=,i,z..f, Google
(n27-Ha9) _ 70 —
le Club des Jacobins. Ceux-ci dans leur biblio-
thèque n'avaient nul ornement que la pancarte
où l'ingénieux mécanisme de la distribution du
journal janséniste était représenté.
Le jansénisme seul était un grand parti, une
armée qui comptait des nuances très-différentes.
Bien loin des exaltés de Saint-Médard étaient nos
honnêtes universitaires, les recteurs, Vittementle
désintéressé ; Coffin qui créa l'instruction gra-
tuite ; Rollin dont le nom seul est un complet
él<^e. Ajoutons-y les maîtres et professeurs de
l'auslère maison de Sainte-Barbe', une solide fa-
brique d'hommes, qui, contre la maison équivo-
que de Lonis le Grand et ses ragoûts douteux,
donnait le pain des forts. De là sortaient des ca-
ractères, de sérieux esprits, pour le barreau et la
jurisprudence, jansénistes, mais fort largement,
comme Marais, notre bon chroniqueur. De là aussi
ces docteurs de Sorbonne qui, et contre la persé-
cution et contre le courant du siècle, fermement
s'efforçaient de garder le gallicanisme. Cinquante
^u%nt le courage de protester pour Soanen, l'hon-
* Un espiit dee plus fermes du temps et des plus lumineui,
H.Jules Quicberat, dont les cours ont fondé la vraie critiquedes arts du
ilojen ïge, n'a pas craint de deecendre i l'bistoire d'un collège. Rare
exemple aujourd'hui. 11 a Eait un chef-il'iMiire. Ce livre, spécial en ap-
parence, est d'iolérèt tris-général; c'est l'histoire des méthodes, sou-
vent l'histoire de* mœurs, celle de l'honnête résistance qui, par l'eaisei-
^ement , maintint chez nous la dignité modeste , la pureté des
caractères.
D,a,l,zc.bvG00gIe
— 71 — (llM-il»)
neuf d'être enlevés, de penpier les plus dures
prisons, l'élouffement brûlant du château dlf, la
froide horreur de Saint-Michel on Grève, glacé de
ses vents étemels.
Ces duretés exaltèrent, lancèrent le fanatisme.
Eu fermant son théâtre, lepetitcinietière (1752),
lui ôtant le grand jour, on te jeta dans l'ombre
infiniment plus dangereuse. Ces créatures ma-
lades, qui en public avaient des attaques hysté-
riques et des convulsions, dans les sera^ts abris
qu'on les obligea de chercher, suivirent la pente
naturelle d'une religion de la douleur où l'inno-
cent expie pour le coupable. Phis Versailles se
souilla, plus ces martyrs aveugles cherchèrent
des pénitences. Aux iacestes persévérants et so-
lennels de Louis XV répondirent les cruciriemeuls
des pauvres filles jansénistes. Par de cruels sup-
plices , acceptés , implorés , elles appelaient la
Grâce, détournaient le courroux de Dieu.
Les chrétiens ignorants qui ne connaissent pas
l'histoire des temps chrétiens, et pas davantage
leur dogme, ont dit que ces fureurs, la faim et
la soif des souffrances, étaient perversion, dévia-
tion du vrai christianisme. A tort. Qu'ils lisent
donc les l^endes. Tous les saints leur diront que
la douleur, que l'amour de la mort ^ en est l'es-
prit et la vraie voie.
Si des fourbes, des intrigants , plus tard se
;!,a,l,zc.bv Google
(1737-1729) — 72 —
mêlent aux jansénistes, on n'en doit pas moins
dire qu'en masse ils furent de vrais chrétiens.
El malheureusement ils en avaient l'intolérance.
Sous le Régent (1721), d'Aguesseau, faible jansé-
niste, gronde les intendants qui ne répriment pas
les protestants. Un très-honnête évêque, un jan-
séoiste au&tère, Golbert, qui quarante ans durant
résista aux ultramonlains, n'en est pas moins
hostile aux réformés, ennemi acharné et violent
du a lolérantisme » (Corbière, 548).
Comment ces jansénistes ne sont-ils pas tou-
chés du surprenant spectacle que donnent alors
nos protestants?
Le formalisme de Genève , ayant tué l'es-
prit de prophétie et l'élan des Gévennes, dans
un parfait esprit de paciSque obéissance, An-
toine Court restaura nos églises. La loi féroce
qui pendait les pasteurs n'arrêta rien. Un sémi-
naire fut formé à Lausanne pour fournir des vic-
times aux dragons et aux juges. Étrange école de
la mort, qui, défendant l'exaltation, dans un mo-
deste prosaïsme, sans se lasser, envoyait des mar-
tyrs et alimentait l'échafaud. En lisant ces lé-
gendes trop vraies', on est saisi d'élonnement et
* Il Taut In tire chm HM. Coqoeral, Peyrat, Hoag {France protest.),
Head [Bulletin, etc.). Pour la circûnstance si grave, m propre i user
l'tme, de l'iiiuende levée jour par jour, je l'ai lrouTt'>e ilan^ l'eicellenle
histoire de H. Cort)i&re, Église de Montpellier.
:.bv Google
— 75 — (i-m-iîaii)
de douleur. Il y a là cent romans admirables dans
la vie du pasteur errant (Court, Roussel, D^a-
bas , Rabaud , etc.) Le jeune homme s'en va
de Lausanne, laissant sa jeune épouse (ohl les
filles héroïques qui épousent ainsi le veuvage],
pour vivre désormais sous le ciel, de roc en roc,
toujours fuyant, caché. Ni feu, ni toit, la vie de
la bête sauvage I Le plus fort, c'est qu'ils gardent
un grand esprit de paix, empêchant les révoltes
et sauvant qui les assassine I
Avec cela, quelque touché qu'on soit, on est
tenté pourtant de faire avec respect une de-
mande.
Des longues servitudes des Juifs, leurs livres
ont suigi, des chants parfois sublimes. Gomment
n'est-il sorti rien de tel de nos martyrs du Lan-
guedoc ?
Dure questionl Et en la faisant, je me la repro-
chais. Elle me restait presque à la gorge. L'his-
toire inexorable est ma maîtresse pourtant, ei elle
veut ici que je parle.
Ce qui a ou séché ou faussé les esprits, là et
ailleurs, c'est l'imitation de la Bible, la lourde
servitude d'un livre appris par cœur, et si loin de
nos mœurs. Deuxièmement, l'effort contradic-
toire de l'école anti-prophétique, étouffant aux
Cévennes l'esprit de la contrée, dnl stériliser nos
martyrs. Un problème insoluble leur*fut posé par
Douze, bv Google
{il-n-iTiS) _ 74 —
eséwles officielles, d'obéir n'obéissant pas, de
reculer en avançant, d'employer la moiliéde leur
force à contenir l'autre. Bizarre effort où la con-
ception, l'engendrement ne se fera jamais.
Ils ont droit de répondre qu'en cela ils furent
vrais chrétiens. Au chrétien résolu qui va jus-
qu'au bout *de son d(^me (méthodiste , piétiste^
janséniste, n'importe), quel est le fonds du fonds ?
c'est l'incessant suicide, la mort du moi, de sa
nature, et non-seulement de ses vices, mais de
ses puissances même, l'estinction du propre
genim.
Suicide aidé parfaitement par le genre de per-
sécution employé sons Fieury. Les exécutions
exaltaient ; chaque ministre mis à mort faisait
Faire une complainte. Mais les honteuses vexations
de la famille, les secrètes misères de la femme
obsédée (1724-4730), abattaient, énervaient l'es-
prit. Le système d'amendes incessantes qui fut
établi en 4728, fut dans les contrées pauvres,
chez le paysan si serré , une tentation conti-
nuelle de faiblesse. « La paroisse oii une assem-
blée avait eu lieu, dut payer cinq cents livres. »
Somme trop faible, dit Fieury, qui l'a^ava. La
famille, de plus, qui n'envoie pas son enlant au
curé , doit payer tant d'amende. Amende qui
n'est plus, comme autrefois, levée par an, mais
levée chiupte Tmns. Rien de plus propre à user
Douze. bvGoOgIf
— 75 — i\m llM;
l'âme, à tenir inquiet et chagrin le travailleur
nécessiteux. Toujours, toujours payer, ne penser
qu'à cela ! Misérable existence, dure, sèche et
contractée, calculée à merveille pour l'amaigris-
sement de l'esprit.
Si nos protestants demeurèrent une élite en
beaucoup de sens, ils le durent à leurs échappées
hardies dans le désert, à l'austère poésie des bap-
têmes et des mariages accomplis sous le ciel, et
contre lesquels les évêques en vinrent, comme on
verra, à, appeler l'épée, le gouvernement mili-
taire (1758).
Cruel combat. Mais la jeune étincelle qui de-
vait recréer le monde ne pouvait sortir de cela.
Des protestants, des jansénistes, maigre tant de
vertus, d'efforts, de ces derniers chrétiens , ne
pouvait nous venir notre émancipation à l'égard
du christianisme. Il y fallait l'esprit décidément
contraire, que le temps souveiain amenait invin-
ciblement.
:.bv Google
CHAPITRE V.
Vidlaire. ~ H'" Lecouvreur. -
Voltaire dit qu'il resta près de deux ans en
Angleterre (de mat en mai, ou à peu près, 1726-
1728). Déjà célèbre ici, il se trouva là-bas
absolument |>erdu. H n'y eut que déceptions.
I) y apportait 20,000 livres en un billet qui
ne fut pas payé. La protection de Bolingbroke,
sur laquelle il comptait, ne pouvait que lui
nuire, dans la lutte impuissante que l'illustre
étourdi soutenait par la presse contre l'adroit
Walpole, heureux et triomphant ministre qui ré-
pondit à tout par des succès. Voltaire fut trop
heureux d'accepter un abri que lui offrit gé-
néreusement un marchand, M. Falkener, dans la
fort triste solitude de la campagne de Londres.
Douze. bvGoogle
— 77 — fnsM-nrfli
I! espérait sortir de celle position ennuyeuse par
l'cclal de sa Henriade, qu'il édita avec luxe el
dépeuse. Mais pourquoi les Anglais auraient-ils
accueilli un poëme où le héros finit par se faire
catholique ? On sait d'ailleurs combien ce pays,
en réalité, est fermé aux littératures étrangères.
U Henriade inaperçue ne valut à l'auteur que
quelques guinées de la reine '.
Grand contraste avec l'accueil que trouva Mon-
lesquieu en 1729. Amené par lord Gheslerfield
dans son propre yacht, caressé des Walpole,
comblé par la savante reine, conduit par les
lords aux deux Chambres, il vit tout })ar leurs
yeux, jugea, admira tout sur leur parole, revint
demi-Ai^lais, n'ayant vi&ii aperçu du fond réel
des mœurs, el formulant de confiance le très-faux
idéal de ce gouvernement qu'il donna dans PEsprit
des lois.
Grand bonheur pour Voltaire de n'être ainsi
gâté, mais négligé plutôt. Il garda son bon sens.
■ H. NicoUrdot établit cela pariaitement contre l'epinioD c
Ménage et finances de VoUaire, p. 5b. Cet ennemi acharné de Voltaire,
qui accueille contre lui tous lee libelles du lempis, a pourtant éclairci
fort bien certaiiia points de détail. Chose curieuse : ï la fin de ce gros
livre si hostile, ii donne saos s'en apercevoir ce qui justifie te mieux
Voltaire, ce qui explique et fait excuser ses bizarreries : la situation mo-
bile, précaire, où il vécut, la misérable incertitudK où il était du len-
demain, entre la Bastille et l'exil, les innombrables pseudonymes qu'il
élait obligé de prendre, les terreurs de ses libraires, la lâcheté des cri-
tiques qui tous se mettaient contre lui. fiicolaràol, p. 335-547.
:.bv Google
((728-1150 - 78 —
Il vit peu, mais vil bien. Il vil d'abord les hauls
côlés de rAngleterre, qui sonl bien moins anglais
qu^hummm ; il vit Newton, Shakespeare, Il était
depuis quelques mois en Angleterre lorsque New-
ton mourut et qu'on fil, avec de prodigieux bon-
neui-s , son triomphant œnvoi à Westminster
Rien de plus grand, rien qui glorifiât davantage la
sagesse anglaise. Il ta sentait partout dans la di-
gnité libre des mœurs, des babiludes, la tolérance
limitée (mais plus grande que partout ailleurs), la
raisonnable estime du travail, de ractivité. L'hôte
de Voltaire, Falkener, simple marchand de Lon-
dres, fut ambassadeur en Turquie.
Il sentait tout cela, et n'en était pas aveuglé.
Quelques pages datées de 1727 montrent combien
ses impressions étaient nettes et pour le bien et
le mal. Il entrevit fort bien les contradictions dis-
cordantes qui frappenten ce grand peuple. Que
doit-il aux déistes anglais ? Au fond, moins qu'on
ne dit. Il relève bien plus de nos libres penseurs
du dix-septième siècle, de la tradition des Gas-
sendistes, Bernier, Molière, Hesnault, Boulainvii-
liers, etc.
Il resta tout FVançais, et ne pouvait vivre qu'en
France. Il devait rentrer à tout prix. On ne sait qui
il employa. Il fallait réussir auprès du petit Maure-
pas, alors ministre île Paris, un athée valet des jé-
suites, qui souvent fit semblant de protéger Vol-
L ,l,z<..t,C00gIf
— 79 — (1728-1730)
taire, l'aimant peu, l'enviant, le sentant supérieur
dans son propre genre Maurepas (la satire, l'épi-
gramme). Il le laissa rentrer en France, non à
Paris. Du moins la première lois que nous aperce-
vons Voltaire, c'est chez un perruquier de Saint-
Germain en Laye, où très-probablement il reste un
an, caché ou à peu près. Pendant tout ce temps,
rien de lui. Pas une œuvre. A peine une lettre. Ce
grand silence indique à quelles dures conditions
il élail rentré. La Henriade même, revenant d'An-
gleterre, ne fut que tolérée. Et quarante ans du-
rant elle ne fut vendue qu'en gardant son titre de
Londres.
Dans quelle situation est alors la littérature?
dans un funeste entr'acte qui ne dure guère
moins de douze ans '. Elle est alors plus que
stérile; elle semble détournée de son but. Elle
évite et semble oublier U^rande, la profonde
' Ce temps de réaction, de décenr-e. esl caractérisé par le sacrifice
et la luort de la pauvre A'issé. Fidèle esclaTe de son indigne maître,
jiuqu'â 83 mort en 1723, fidèle encore à la non ninns indigne Férîol
(sœur de la Tencîn). elle a faibli en 1724 de pure recnnnaiasance et
pour récompenser celui qui Tnima toute sa vie. Hais sa noble nature lui
liiit craindre de l'épouser ; elle ne se croit pas assez pure, elle craindrait
de le faire baisser, dan ce retour aux bonnes mœurs. Les grandes
dames la troublent, aggravent sea scrupules. Elle languit, elle meurt de
ce cMnbat. Elle refuse jusqu'au bout le bonbeur. Et elle fait deux in-
fortunés. A.h ! quelle fia pathétii(ue, et qu'on en veut à ces prudes qui
l'ont tuée! Rien, rien de plus louchant que la terreur du chevalier, en
la «ojanl ver» sa fin, la cour bumble, tremblanle qu'il fait ï tout ce uni
l'entoure, mémo aux animaux domestiques, i lavache qui donne du lait
à h malade. Cela arrache les larmes.
Douze, bv Google
UTiH-W^ii) — 8(1 —
(juetiliuu où est la destinée du siècle, la quei>tioii
religieuse, posée dans les Lettres persanes avec
tanl de force et d'éclat. Lui-même, le héros, le
prophète Montesquieu a peur de lui-même. 11 re-
devient m. le président de Montesquieu. 11 rentre
dans la société, au monde des honnête geus. 11
rélracle ses Lettres pour être de l'Académie, les
offre à Flcury corrigées (1728).
Celui-ci n'en voulait pas plus. Uue littérature
amortie et faussée vaut mieux que le silence pour
un pareil gouvernement. Fleury trouvait fort bon
que le café Procope, sous l'aveugle La Motte, traî-
nât le débat éternel entre les Anciens et les Moder-
nes. Il trouvait même bon que la petite réunion de
l'Entresol, tenue par l'abbé Alary, jasât un peu des
affaires de l'Europe, des rêves de l'abbé de Saint-
Pierre. Utopies sociales qui s'écartent toujoui'sdu
grand nœud social, de l'intime question où se re-
lient les autres. Fleury s'en amusait, recevait vo-
lontiers le rapport qu'Alary lui en faisait chaque
semaine (D'Ai^enson). Tolérance admirable. Mais
toute pepsée vraiment hbre avait été frappée, dé-
couragée. Le grand critique Fréret, ayant touché
l'histoire de France, avait tâté de la Bastille. U
se le tint pour dit, s'écarta au plus loin, dans la
chronol(^ie chinoise, etc. En 1728, l'essor du
jansénisme aigrit cruellement la Police. Contre
la librairie, l'imprimerie, elle s'arma d'une atroce
Douze. bvGoogle
— 8t — (I7as.!73l))
orduniiaitce. Pour une page non autorisée, .con-
fiscation, carcan, galères !
Vollaii'e, à Saint-Germain, se trouva solitaire
plus que dans la campagne anglaise, ne pou-
vant publier, muet. Cette année 1728 de grand
silence (unique dans sa vie) iui profita beau-
coup. Ce qui jusque-là le tenait inférieur, lé-
ger, faible, c'était la vie du monde, le besoin
des petits succès, là il rentra en lui, et il fît
pour lui-même (sans espoir d'imprimer) une
chose tout à fait libre et forte, sa critique des
Pensées de Pascal. Une note de lui nous dît
qu'elle est de cette année. Il n'a fait rien de plus
vif, rien qui aille plus droit au but. U ne s'a-
muse pas, comme il fît trop ailleurs, à jouer
tout autour de la grande question, à critiquer
les accessoires. Sans jaser, ricaner, — sérieuse-
ment, d'une pince d'acier et d'une invincible
tenaille, — il serre à la racine l'arbre qui nous
lient dans son ombre.
Quand on voit avec quelle faiblesse la plupart
des critiques se sont approchés de Pascal ', quel
' J'en excepte un, H. HaTel, s|)ëcialcineat dans sa durnière édition,
iidmîrabtetranùl.fortetdëâmtif {Commentaire, tilc.,ii6è). Wt.tjoa-
sio et depaugère araitint resliliié le teite (1K45-1S44). H, Sainte-
Beuve avait marqué d'ime maio fine et sûre la place de Pascal dane
Port-Royal et dans le siècle. Ces illustres critiques regardent pourtant
du deiiors. Et Bavet a vu du dedans. Comment wU? H tieot de non au-
teur; il a à coeur ces qi'estiocs. il s'inquiète sérieuseraeitt de ces bniti»
:.bv Google
tms-iTSii) — «- -
limide respect, on sait gré à Vollaîrc de sou terme
bon sens, si simple, et si lucide. Sa familiarité
hardie (noble ici, point cynique) est d'un homme,
d'au esprit vraiment libre, qui ne s'étonne jMjint
devant l'insolente éloquence, ne respecte que la
raison. Il est ferme et point dur. Son petit livre
(grand de sens et d'effet) se résume en trois mots,
simples réponses à Pascal :
« L'homme est une énigme. » Non. On le com-
[wend très-bien dans l'ensemble dont il fait partie.
Mais quand il serait une énigme, ce n'est pas en
tout cas par l'inexplicable qu'on t'expliquera. —
Il est déplacé f dégradé. Non. Il est à sa place
dans la nature. — Il naît injuste. Non. Et il n'est
pas justifié ^v l'arbitraire injuste, par la faveur,
la Grâce.
« Esiril hmrem'i » Question plus diflicile. Là
sans doute Pascal avait chance d'embarrasser Vol-
taire, de faire tremblei' sa plume. Cette année était
sombre. Sa ^>auvreté et son mutisme Tattrislaient
fort. De la cbambrelte du perruquier de Sainl-
^roblùiiics lie lï vie liuuiaine. (Ju'it coiuiueDte ou discute, on imot bieu
qu'il le t'ail pour lui-mâme plus que pour le pidtlic. Rien qu'en lisant ce
conunentaii'e, sans l'avoir tu, on le peindrait, avec sa jeune austérité,
cette 3pro et virginale candeur, uetle exigence ardenle de lumière et
de justice. Il et\ intéressant de voir un esprit qui procède surtout de
antiquité et du siècle de Louis XIV, hors de la mêlée d'aujourdlmi,
par l'elTet seul du progrès intérieur, et de »a force solitaire, marcher
•iaas réuiaiidpatioii.
bv Google
~ 8S — (iï3»-n3«)
Germain il dit à Thieriot : « Ma misère m'aigrit.
et me rend farouche. » Une lettre très-mâle, de
son anglais Falkener', contribua à le raffermir, à
lui faire croire que l'on peut être heureux, el que
même la plupart le sont. S'élevant au-dessus de
sa situation, il dit fortement à Pascal qui entre en
désespoir de la misère de l'homme : « Vous wu*,
trompez, l'homme est heureux. »
Mais si le bonheur pour chaque être est de
suivre sa destination, quelle est vraiment celle de
l'homme? Que répondra Voltaire? On croirait
volontiers, d'après ses vanteries d'épicuréisme,
qu'il va répondre : le piUmir. Non. Notre bul,
« c'est Vaetion. »
« L'homme est né pour l'action, comme le feu
tend en haut, la pierre en bas. N'être point
occupé, ou ne pas exister, c'est même chose. »
(T.XXXVIl, p.57, n'aS).
Mol grave, et d'autant plus que la vie entière
de l'auteur en est la traduction. Jamais pareille
activité. Et ce travail immense, il sut le soutenir
' «En IJBaiituutte réfleiiui, je reçois uiiu leltru d'uu ikmes amis qui
demeore ditu un pays fort éloigné. ■ Je suis ici comme tous m'avez
luué, Di plus gai. ni plus Iriste, ni plus riche, ni plus paurre, joui»-
sanl d'une santù parfaite, aiunt tout te qui rend In vie agréable; sans
ntutir, sans avarice, sans ambition et sans eniie. El tant qui: l'ela du-
rera, je m'appellerai hardiment un homme très-bciireui. » Plua lird,
Vollaii'C iijoutc en note : • Sii leltn: est •!<' I7'JS. - É<\. Bcudml,
t. XXWll, p. l(i.
bvGoogIf
.niB-n:oi — 84 —
par une subriélc plus qu'ascclique, duLiuaiil ou
lout très-peu aux plaisirs qu'il vanta le plus.
a Agissons. >> Mais comment? lorsque l'aclivitc
de tous côtés rencontre un mur?
Cet esprit clairvoyant distinguait aisément que
dans une telle société le despotisme avait lui-
même un despote et un maître, la richesse, que le
fjDuvoir faisait sa cour à un pouvoir plus haut,
l'argent. — En revanche, dans la sei-vilude uni-
verselle, le pauvre est deux fois serf. Sur sa tèic
s'appuie ta société de tout son poids, l'écrase et
Tavilil, et fait qu'il s'avilit lui-même. La littéra-
ture indigente offrait un aspect déplorable. Si
CoUetet au siècle précédent « cherchait son pain
lie cuisine en cuisine » (Boileau), il n'avait pas la
mise et la tenue coûteuses que dut plus tard avoir
l'homme de lettres, vivant dans les salons. Au
dix-huitième, Aliainval, un auteur estimé dont
on joue et rejoue les pièces, reçu partout, est ce-
pendant si pauvre, que, n'ayant aucun gîte, il
couche dans les chaises à porteurs. Cet excès de
misère et le parasitisme qui en était la suite natu-
relle, faisaient que l'on traitait les auteurs fort lé-
gèrement. La Tencin, sans façon, à ses habitués
pour étrennes donnait des culottes.
Voltaire avait perdu ses pensions. Des 4,250 li-
vres de rente qu'il eut à la mort de son père, les
léiluclions successives (et celle récemment de
Douze. bvGoogle
— 85 — [n2fi-nso
Fleory) diiront emporlei- beaucoup, oulrc les ban-
(jucroulcs qu'il essuya. S;i Hem'îade l'Ac\\c\a. Kl
quand pourrail-il vendre un livre? il l'ignorail.
Les libraires effrayés auraient-ils acheté? En at-
tendant, il préparait, écrivait ses Lettres anglaises.
11 expliquait Newton. C'est par là justemeni
(chose imprévue, bizarre) que sa situation chan-
gea.
Û venait le soir à Paris, consultait les Newto-
niens. Ils n'étaient guère que trois qui osassent
lutter contre Descartes et sa physique (une reli-
gion nationale), contre la lourde autorité de l'Aca-
démie des sciences, il y avait un enfant de génie,
le tout petit Clairaut. Un officier de Saint-Malo,
Iranchanlj dur, excentrique, Mauperluis, reçu ré-
cemment à la Société royale de Londres (4728),
et qui bientôt ici (1731) fut le chef du café Pro-
cope. Un homme enfin fort agréable, esprit uni-
versel, brillant, un peu léger, La Condamine. Un
jour qne celui-ci soupait avec Voltaire, il riait de
l'ignorance du sot Contrôleur général Desforts
qui, pour éteindre les billets de l'Hôtel-de-Ville,
venait d'ouvrir une loterie où, par un calcul
simple, on pouvait gagner à coup sûr. \oltaire
avait de ces billets; il fut frappé, profita du cal-
cul, et y gagna 500,000 francs. Le Contrôleur fut
furieux, plaida, mais il était en baisse, bientôt
remplacé. Il perdit, el Voltaire, dès ce jour fut
Douze, bv Google
(1798-1730) — 86 —
riche, émancipé, libre du moins, s'il ne pouvait
éia-ire en France, de vivre en Hollande el par-
tout. Heureux coup de fortune qu'il dut réellement
à sa foi, à l'amour des sciences. Newton, on peut
le dire, 6t la liberté de Voltaire.
On ne voit pas qu'il ait joui beaucoup de celte
fortune. Sa vie si occupée et absolument céré-
brale le rendait fort peu sensuel. Il n'était point
avide. Quand le Régent lui donne pension, il
partage avec Thieriot. Et même en Angleterre, où
il est si gêné, il songe à cet ami, lui fait toucher
ceci, cela. Souvent très^énéreux, et parfois très-
serré, il fut pour ses adirés quelque peu mania-
que, comme ceux qui ont commencé par être
)>auvres el s'en souviennent.
Il put revenir à Paris, mais s'établit encore
dans un quartiei quelque peu écarté, rue de Van-
girard, assez près cependant de la Comédie fran-
çaise. Il voulait y rentrer, mais par une vieille
pièce, par la reprise d'Œdipe. Il avait pour jouer
Jocaste une actrice admirable, son amie. H"' Le-
couvrenr. Rare personne, admirée, adorée, cl
bien plus, estimée. Dans Houime et Junie, Pau-
line ou Gomélie, c'était plus qu'une actrice;
c'était l'héroïne elle-même. Un spectateur disait
en sortant : « Vai vu une reine entre des comé-
diens. » Elle eut un vrai génie, libre du chant
monotone qu'enseignait Racine à la Ghampmeslé,
Douze. bvGoogle
— 87 — (l728-ns(l;
libre de l'emphase ampoulée qui plaisait à Vol-
laii'C. La première sur la scène elle pai'la de cœur,
d'élan vrai el d'accent tragique. Quand elle débulii
ici (à vingt-sept ans), tous furent ravis, troublés.
Ues jeunes gens devinrent fous d'amour.
Il lui advint (en 1724, ayant trente ans déjà)
une extraordinaire aventure que n'ont guère les
actrices, celle d'être la Minerve ou le Mentor
d'un Télémaque, d'avoir à former un héros. Du
Nord lui tombe ici certain bâtard de Saxe, Mau-
rice, (ils du roi de Po1(^ne Auguste. Il avait déjà
fait la guerre. Il avait eu la chance d'avoir vu face
à face le vaillant, le terrible, qu'on n'osait regar-
der, le suédois Charles XII, d'avoir dans son œil
bleu pris cet éclair de guerre qui lui resta tou-
jours, lui fut une auréole, trompa sur son génie
réel. Ce rude enfant ressemblait peu à nos mar-
quis d'ici. Suédois de mère. Polonais d'habitude,
il était spontané bien moins qu'il ne semblait; il
fui surtout reître Allemand*. Il était né au pays
des romans, dans ces bouleversements où Charles
et Pierre, deux ours, roulaient sceptres et cou-
< rfoinbre de dociimenls récetnment publiés nous font connattre Mat>-
rice dans Icdeniier détail. H. SainMlenéTailliDdiereii a tiré tmeibrl
helle biographie, savanle, curieuse, inlci'CKsante (Revue des Deux
Mottdes, 1S64). Seulement il me semble un peu trop TaTomLle i ce
liéros de «econd ordre ijue la fortuno a tant favorisé, exagéré, surraii.
Ses Rêveries, tout à la fois pédanlesques, exc«)triques. sont un liv)'t>
moins que médiwn-.
:.bv Google
(nî'-nM) _ as —
Formes, oii loiU «^larl itossîUlc « Pourquoi pas
lui? pourquoi pas moi? » Dans les trois cents bâ-
tards du roi Auguste, celui-ci, effréné, visait tout,
les trônes et les femmes, vaillant, brutal, avide.
La vieille duchesse de Courlande, les Anne, Éli-
zabelli, les sanglantes catins deBussie, tout lui
efit été bon. Mais pour ces grands mariages impé-
riaux, )c rustre et le soldat avait un peu besoin
de poli extéiieur, de prendre les grâces de la
France. La pauvre Lecouvreur servit à cela.
Elle fut à la fois précepteur et mère et maîtresse.
Si elle gagna peu pour le fond, au moins pour le
dehors elle polit la nature grossière, tâchant de
lui donner un peu de sa noblesse et des formes
i-oyalesqui en elle étaient naturelles.
Il crut un moment réussir, épouser celle de
Courlande. Point d'argent pour partir. M"* Le-
couvreur vendit ce qu'elle avait, argenterie, dia-
mants, lui en donna le prix. Un moment il se
enil 'maître de la Courlande. Son père s'y op-
posa, autant que la Russie. De )à mille aven-
tures, mille dangers. Il échappe. Mais le voilà
fameux, le Roland, le Renaud, le héros de»
chimères, un nouveau Charles XII, avant d'avoir
rien fait. Madrid pensait à lui pour sa folle Ar-
mada, pour mettre le Stuart dans I^ndrcs. La
cour de Stanislas (et la reine de France?) pensait
à lui pour la Pologne, pour y renouveler Cliar-
D,a,l,zc.bvGÔOgIe
— 81t — (1798-17:^0;
les XII et Giislavc, en chasser l'Allemand. Miiii-
rice en voulait à son {lère, qui lui ill manquer sa
forlune, qui le blAmait d'aller en galopin s'offrir
aux reines pour être refusé.
Les gens d'ici qui le laïujaieiit et voulaient s'en
servir, avaient pris trois moyens. On le vantait aux
darnes comme égal de son père en force infatiga-
ble. On occupait de lui le peuple de Paris par
un certain bateau, qu'il avait inventé, disait-
on, qui allait, venait sur la rivière, et que
les badauds regardaient. Quoique fort peu
lettré, on en fit un auteur. On préparait ses
RêveiHes (pour l'autre année 1731). Il semble
s'y offrir pour détrôner son père, disant « qu'il
prendrait la Pologne en deux campagnes au
plus, sans qu'il en coûte un sou. »
Il sera roi ou czar ! Quelle joie, mais quelle
inquiétude pour M"" Lecouvreur. Il est à elle,
son œuvre, c'est elle qui en lit un Français.
Mais hélas ! elle n'est qu'une comédienne. Et
(chose pire) elle a trente-neuf ans, la beauté,
il est vrai, douloureuse et tvagiqui! du portrait
si connu, et les célestes yeux pleins de sublimes
larmes qui toujours en feront verser'. A foi-ce
* Elle devait kiImt temblemeot lee cœurs, les transformer, changer
les bêtes en hommes, (lour avoir fait faire un tel portrait au faible et
iiiàliatTe Coviirl. C'est la belle gravure où il la représente dans li> ràlr<
lie Comélie. en pleurs et l'urne Jaiir les mains, lin artiste inspira, s'il
:.bv Google
(1728-1730 —so-
dé tendresse, ayant trop l'ait la mère, elle est
bien moins l'amante. Maurice est disputé entre
les grandes dames, très-haineuses pour la Le-
couvreur. Elles n'auraient osé la siffler, mais,
du haut de leur i-ang, dans leur loge, à leur
aise, elles pouvaient l'insulter du visage, lui
lancer te mauvais regard.
Le droit du comédien, c'est d'endurer l'ou-
trage. Notre actrice ne s'en souvint plus. Un
jour qu'elle jouait Phèdre, elle voit sa rivale,
M"" de Bouillon. Au lieu de se troubler, son
en tul, notre premier sculpteui, Préaull, m'a affinné qu'il ne savait pas
nn mot de l'hisloire dn M"* Leconvreur quand il vit cette gravure. II l'n
fut très-troublè , épri», s'en empara iTidcnient. C'est plus qu'une
leuvre d'art. C'etit comme un rSve de douleur, une de ces reuconlreE
qu'on regrette avec une personne uniqne qui ne reviendra plus, dont
on est séparé par la malignité du temps. — On sent dans cdle^n une
chose fort rare, qu'en elle beauté vienl de bonté. — Cette bonté esl ado-
rable dan^ la lettre qu'elle écrit i madame Fériol, mère ded'Argental,
qui craignait eitrèmemait que son fils, éperdument épris, n'épousât,
t't qui voulait plutôt le perdre, l'envoya mourir aux colonies. M"* Lecou-
vraur lui parle avec un tendre respect, une effusion cbaifliante {qu'elle
ne méritait nullement). La pauvre comédienne, trop humblement, fait
bienbonmarcbcd'elle. Elle fera absoJumenC (ouf pour calmer cet amour
d'un «nfanl, l'empéchcr d'aller jusqu'au mariage. FJle aimait trop Mau-
rice, et d'Argental ne fut gu^ qu'un ami . mais assidu, trës-teedre.
De l'avoir approcbée, il resta l'homme bon, aimable, charmant, celui que
Voltaire appelle f son ange, • Elle le 6t son légataire universel, afin
qne le peu qu'elle avait pissftt Ji bos deui filles plutôt qu'ï des parents.
D'Argental , en très-galant homme, exécuta eiactement sa volonté, et
cnlma les parents en leur donnant du sien une somme de vingt milk'
lïancs, Vof. la bonne notice que Lémontey (Œuvres, III, 351) a bile
d'aprëe lescmitemporains, Aïssé, Annillon. Allaintal et les précieux pa-
piers de d'Argental,
:.bv Google
— 91 — (IIM-ITM,
cœur gonflé gramlil. Elle s'avance, el d'un geste
intrépide, file lui lance les lerribles yei's :
... Je ne suis point do ces Temnies hardies
Qui portant dans le crime une tranquille paix
Ont au se faire un fnmt qui ne rougit jamais.
Le public se retourne, regarde dans la loge,
voit la dame, approuve, applaudit.
Le nom de Bouillon est sinistre. Il rappelle
cette Mazarine, si suspecte de poison, qui, par
l'assurance, l'audace, se tira fièrement de l'af-
faire de la Chambre ardente en 1682. lia Bouillon
de 1750 (née Lorraine) n'est pas moins suspecte.
Le judicieux Lémontey trouve l'accusation vrai-
semblable. En effet, qu'après cet outrage public,
une princesse, apparentée à tous les rois, n'ait
jMS cherché à se venger, c'est ce qui n'a nulle
îtpparence.
Peu après, un galant abbé ofîre à M'" Le-
cûuvreur des pastilles, dit-on, empoisonnées. Puis
(juillet 1729) un peintre en miniature, qui par
son art entrait chez les femmes de cour, l'avertit
que les gens de la duchesse de Bouillon ont
voulu le gagner pour qu'il lui donnât du poison.
Geofiroi, l'apothicaire célèbre, l'analysej n'ose
dire qu'il n'est pas du poison, dit que la dose
n'est pas forte. Le peintre inspirait confiance.
Que gagnait-il à donner cet avis? rien que de
Douze, bv Google
I17!8-n3«) __ 92 _
se créer une ennemie morlelle, très-puissante,
ayant derrière elle tous les puissants, toute la
Cour. La police fera-elle enquête ? essayera-l-elle
d'arrêter les coupables? Non, c'est le peintre
qu'elle an-êle, qu'elle met durement à Saint-La-
zare. Mais il résiste, ne se rétracte pas.
M"' Lecouvreur se plaint et réclame pour lui.
En vain. Elle se sent perdue. Elle sent qu'on
ira jusqu'au bout. Chacun croyait aussi qu'elle
avait peu à vivre. Piron, qui lui avait donné un
rôle dans une pièce nouvelle qu'il allait faire
jouer, le retire prudemment la voyant en dan-
ger.
. On ne voit pas Maurice à ce dernier moment
chez M"' Lecouvreur. Où élait-il? Celle maison,
déjà solitaire (l'ancienne maison de Racine, rue
des Marais), elle n'est plus hantée que de deux
hommes, deux amis, Voltaire, d'Âi^ental. Avec
eux elle fait ses derniers arrangemeuts. Elle ma-
rie sa fille à la hâle. Elle sait parfaitement qu'elle
<sl dans un monde sans loi, n'a nulle protection à
attendre.
Contre une femme de théâtre, on ose tout alors;
et la protection de la Cour, on ne la sent que
par l'outrage. Les gentilshommes de la Chambre,
à leur phiisir, cassent ou châtient l'actnce. Pour
rien, jetée an For-l'Évêque ; parfois même en
correclion. Sous Fleury, le doux, le décent, un
Douze. bvGoogle
— 05 — ',ITJ8-I750)
l'iiil abominable avait eu lieu tout récemment.
Deux jeunes sœurs (nobles, Espagnoles), les Ca-
inargo, toutes petites, débutent dans la danse.
L'aînée, un enfant de génie, du premier |)as
transfigura son art. En plein triomphe, ces pe-
tites mei-veilles disparaissent, sont cachées deux
ans ! La Police ne veut s'informer. Elle n'osera
aller sous l'ombre noire de Saint-Gervais, aux
sales petites rues, à l'hôtel de Sodôme, où les
tient un mignon du Boi. Las d'elles, il les lâ-
che, et l'on lit.
Ce feit en dit assez. Si M"" Lecouvreur n'eût
péri, elle eût eu quelque outrage pire. Elle ha-
sarda encore de jouer, pour Voltaire, sa Jocaste,
la mère amoureuse. Elle joua le 15 mars, et le 17
fut prise d'effroyables douleurs, de dîan'hée mor-
telle où passa tout son sang. Le 20, elle expira.
Mais auparavant elle refusa fort nettement les
secours ecclésiastiques. Écoulons d'Argental, le
témoin oculaire : « Le jour de sa mort, un vicaire
de Saint-Sulpice pénétra dans sa chambre : « Je
« sais ce qui vous amène, monsieur l'abbé. Vous
« pouvez être tranquille ; je n'ai pas oublié vos
« pauvres dans mon leslament. » Puis dirigeant le
bras vers le buste du maréchal de Saxe : « Voilà
« mon univers, mon espoir et mes dieux '. »
' 11 mhM |Ki3s'iii(tigner,si cette klbrluiiée, luut à iafois aminlc et
mère, put délirer ainsi, dire csUe parole excessive. Bien des femmes,
:.bv Google
;twg.n3«) — a4 -
Elle ne demandait nallemenl k sépulture
chrétienne ni les prières des prêtres, mais sim-
plement la terre que Dieu accoi'de à tous. L'ad-
miration publique, l'amitié et l'estime lui au-
raient fait un monument. Comédienne du Roi
el membre du théâtre qu'il couvrait de son nom,
pouvait-elle être abandonnée à la proscription du
clei^é? Fleury fit dire par Maurepas, ministre de
Paris, que cela regardait le curé, Farohevêque.
« Et s'ils refusent? » — « Point de bruit. »
Le curé est Languet, fameux par SaintrSulpioe,
frère du Lnnguet de Marie Âlacoque. Et Farchevê-
que est Vintimiile, qui tout à l'heure officiera
pour le faux mariage qui donne sa nièce à
Louis XV.
Les amiS; en présence de la pauvre dépouille,
sont fort embarrassés. Mais il fant bien prendre
un parti. Un parent loue deux portefaix, — et
cette reine de l'art, la noble Gomélie, — disons
mieux, la femme adorée, désintéressée, géné-
reuse, tendre, de si grand cœur I — on la roule,
on en fait un paquet, qu'emportera un fiacre, la
malpropre voiture qui, dans ce mois de mars,
toute Dière. en dinietit autant si elles osûeul. Durement raTalêu <su Uul
de choses (V. le mol insultant de?élenhonu^. Sainie-Batve,Caus.]),
elles'étaittouleaaiiereliiTiie par l'amour d'un liijros. Cornaient s'étonner
qu'elle s'en rûtfait une religion? Religion uns douta uou catholique. Le
clergcnclui devait liun. Maisl'Ktat ^mi^mtni, l'arù elle public.
bv Google
— j)ô -- {nsB-nsoi
cahote les amours paiisagers, Tivressu et les re-
lours de bal.
Les chiens, les protestants, étaient enterrés aux
chantiers. Dans un quartier désert alors, au coin
des rues de Bourgogne et Grenelle, un chantier se
trouvait. 11 était fermé à celte heure. Mais com-
ment revenir et où aller? L'unique expédient lût
d'écarter la borne du coin, et de mettre dessous
le corps. Sale et infâme sépulture, que rien ne
signalait, qui, jusqu'à la Révolution, resta là, re-
cevant l'ignorant affront du passant'.
Par la petite histoire que j'ai contée plus haut,
on a vu avec quelle insouciante gaieté Paris pre-
nait toute aventure des femmes de théâtre. Hais
M"" Lecouvreur était quelque chose de plus. Elle
était du monde même et de la société, une amie
des plus estimées , spécialement reçue , adoptée
de la marquise de Lambert (esprit, raison, vertu).
l<econp fut très-sensible, et la douleur imiverselle.
Beaucoup, rentrant en eux, virent ce que jus-
■ Jetée k la burne, Sk l'insulta , clin n'eut de réparation que peu
avant h Révolution. On mit au coin de rue uiie pluque de marbre noir,
<|ue les propriétaires ont ej plus tard la hardiesse de retirer et de
s'approprier. Elle sera remise au jour de la Justice, 1c jour où l'on po-
sera la grande question trop ajournée : Comment le clergé est-il inaiire,
Hialgt^ la loi, de tout ce qu'avait la Commune, de la police des enter-
rements (aujourd'hui encore partout , sauf les grandes villes) , des sé-
pultures et cimetières de camp.tgue, du droit de cloche essentiellement
communal au uiojen-3ge, etc.? — iVous l'elombons à 1» iiioit Si>us h
umn de veux qui nous maudirent toute la vie.
^cbvGooglc
I72K-n:0) _ 9fi —
que-làils iic rcinai'qimienl pus, que, comme elle,
ils étaient de ccrlaine paroisse, de cette libre
église, qui n'était i>as bâtie.
Quelques vers de Voltaire qui coururent raa-
uuscrits, faible cri de douleur, appel à la pîlié,
n'osaient dire lu piqûre anière, l'indignation se-
cfcle et d'aulaiil [ilus profonde. Chacun sentit que
dans la mort, cet aflmnchissement naturel, — là
même on était seif encore.
:.bv Google
CHAPITRE VI.
Louis XIV aurait frémi lui-ntêiue, s'il eût
vu ce que fiit sous Louis XV le pouvoir du
d^é.
Il est l'Etat et le gouvernement. 11 impose
comme loi du royaume la Bulle qui lui soumet le
Roi (avril 1730).
Ce Roi, qui a vingt ans, qui est époux et père,
et qui vient d'avoir un dauphin, non-seulement il
le tient ea tutelle, mais le met sous sa clef (sep-
tembre 1730). Rien de tel ne se vit depuis les
rois tondus, Louis le Débonnaire.
Notez que je dis le clei^é plus que Fleury. Le
vieil homme de soixante-quinze ans, hésitant et
-timide, et qui u'avail monté que par la lâcheté,
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(«Sft.l7M) — 98 —
n'entra dans Jes mesures violentes, que con-
traint et forcé. Son vieux valet de chambre
Barjac disait naïvement (parlant des papistes en-
ragés) : « Si nous né les lâchions, ils nous dévo-
reraient nous-mêmes. » Grondé et menacé par les
chefs, par Rohan, dont il était le plat flatteur,
Fleury craint encore plus la basse influence
d'Issy, de Couturier, son directeur d'alors, chez
qui nous te voyons aller à chaque instant con-
sulter, prendre le mot d'ordre.
Le 5 avril, au milieu des fanfares, d'un grand
appareil militaire, on amène le Roi au Parlement
pour faire de force enregistrer la Bulle. Et cela au
moment où les Romains avaient eu l'insolence de
canoniser Grégoire VU, celui qui marcha sur les
rois et mit l'Empereur en chemise.
Mesure outrageuse à la France, provocation
directe au Parlement, gardien du droit royal. On
comptait bien l'exaspérer, lui faire reprendre
étourdimenl son vieux rôle révolutionnaire, le
jeter dans la rue pour Caire devant le peuple les
grandes processions de la Fronde qui effraye-
raient le Roi, Fleury, et, de la peiu', leur
ferait du courage pour supprimer le Parle-
ment.
Le Roi, sec et altier, muet, fil par 'son chance-
lier l'aveu du bon roi Dagobert : « qu'il n'enten-
dait lien faire qu'acte de piété, que la Bulle
Doiizccb, Google
— 39 — (Ifto-ITM;
ayant force et autorité d'elle-même, le Roi ne ia
hii dormait pas. » Le Parlement frémit de cette
abdication du Roi au nom duquel it rendait la
justice. Un magistral de quatre-vingt-six ans,
devant la jeune idole, s'agenouilla, voulut parler.
On le fil taire. De deux cents voix, on n'en eul
que quarante, et le chancelier proclama ces qua-
rante pour majorité.
Peu après, en septembre, le Roi plus bas en-
core, tombe. C'est la personne royale qui mainte-
nant est avilie.
Ce Roi, jolie figure de fille (insensible, glacée),
était moins scandaleux alors. Cinq ans durant il
fiit un mari régulier, froidement régulier, sans
pitié de la reine. Toujours, toujours enceinte. Au
30 août 1730, après deux grossesses en vingt
mois, elle gisait. Et le Roi était seul. De là plu-
sieurs intrigues. La vieille M"' la Duchesse eût
voulu faire sauter Fleiiry, et remonter son fils
M. le Duc en foumissant sa bni au Roi.
Mais Fleury s'en doutait. 11 soupçonnait moins
l'autre intrigue. Son ministre de confiance ,
Ghaiivelin, homme à projets hardis, eût voulu
nous tirer du néant, feire du Richelieu contre
l'Autriche et l'Angleterre. En dessous il créait
un parti de la guerre que Villars en dessus prê-
chait ouvertement. Ce sournois Cbanvelin (Gri-
senoire, comme on r^^pelait) ima^iua d'esca-
Doiizccb, Google
(Jiso-iîsn — iOO —
moler le Roi par t'iaOuence des petits camarades,
que l'on nommait les Marmousets. Comme neveu
de l'ami de Fleury, du cardinal Rohan, le petit
Gesvres, peu suspect, restait là à tisser ses jolis
ouvrages de femme oii le Roi s'amusait (Villars),
et très-volontiers il tissa le filet pour prendre
Fleury. Un mémoire fin, adroit, respectueux (ter-
rible contre lui) est dans les mains de Gesvres,
qui le cache pour donner envie. Le Roi l'entrevoit,
le lui prend. Il voit, non sans terrem", « que
Fleui-y, par son imprudence, mène les choses à la
guerre civile. » Il en est si frappé qu'il copie le mé-
moire. Seulement au coucher il l'oublie dans ses
poches, oiî Rachelier le trouve. Il le porte à Fleury.
Deux choses étaient dans cette affaire, l'une
fort l^itime, que le Roi vouiftt s'éclairer, —
l'autre obscure, assez triste, que le Roi à vingt
ans, subît de nouveau l'influeuee d'amis déjà
notés et punis ))our leurs mœurs. Fleury le
prit par là. Le Roi fut altéré. Après avoir menti,
nié, Fleury le menaçant, lâchement il livra
Gesvres, il trahit Ëpernon, signa leur exil pour
deux ans. Sa peine, à lui, fut qu'il perdit tes
clefs de son appartement. Fleury lui change ses
serrures et fait faire d'autres clefs qu'il donne à
ses petits espions. L'espion ordinaire Bachelier
est solennellement récompensé. Tout en restant
valet de chambre, gardien du Roi, il devint un
Douze, bv Google
— loi — M73«-n311
seigneur, intendant île Marly, de Trianou, etc.
Le Roi ne souffla mot, vécut aussi bien avec
lui.
Villars fut étonné (1731) de voir tombé si bas,
si ennuyé, si faible, ce jeune homme de vingt et
un ans. Flenry, à soixante-quinze, par contraste,
sort des habitudes modestes qu'il eut toujours. On
se presse chez lui, chez son valet Baijac qui dis-
tribue les places, qui fait des fermiers généraux.
La cour entière, le soir, s'étoufTe au coucher de
Fleury. Le voilà roi, ce semble. Notre drapeau,
du blanc, passe au noir. La soutane devient le
drapeau de la France.
Et qu'en dit l'Europe? Elle en rit. Notre amie
l'Angleterre ne nous consulte plus. Elle nous
laisse là seuls, s'arrange avecTAutriche.
« Faible gouvernement, mais modéré et doux? »
Erreur. Sous lui s'aggrave la ten-eur protestante ;
te clei^é veut que sous le mol rdaps on atteigne,
on ei^lobe un peuple tout entier, désormais pas-
sible de mort; et toujours dans Tangoisse, voyant
sa mort, sa vie, dans les mains des curés (1730,
Lemontey, II, 152). Ce doux gouvernement a
détruit la Sorbonne (en enlevant quarante-huit
docteurs), a détruit Sainte-Barbe, a étouffé la
pressequi, depuis les rigueurs de 1728, nesoufDe
plus. Du plus haut au plus bas, on li^t tout,
rien ne peut percer. On a parfaitement étoupé
Douze, bv Google
jusqu'aux feules par où pourrait venir un son,
une lueur. Sécurité parfaite.
Mais juste en ce moment, du plus loin, du
plus bas, part un cmel couj) de siffla!
La France a des momenl^s bien dangereux oiî
le rire lui écbappe. On l'a vu en Révolution. La
mère de Dieu fit crouler Robespierre. Et soixante
ans avant, la Gadière blesse à mort la puissance
Auxmiraclesdes jansénistes, les jésuites avaient
répondu : « Ce ne sont pas de vrais miracles. On
n'en fait qu'avec la doctrine. On en fera... Espé-
rez, attendez. »
Il s'en fit. De Toulon, d'Aix, de ta bruyante
Provence, aux rieurs de Paris une nouvelle ar-
rive. C'est un miracle... des jésuites (août 1751,
Rarbier.n, 179, 192).
Miracle I un vieux jésuite, disciplinant son éco-
lière, M"* Cadière de Toulon, la transfigure. Elle
est stigmatisée à l'instar de Notre-Seigneur. Le
sai^ dégoutte, et surtout de son front. On croit,
ou fait semblant. Nul n'ose examiner.
Miracle ! la grâce est féconde. L'ange de Dieu,
Girard, a beau être vieux, laid, lin matin la sainte
a conçu, et non-seulement elle, mais d'autres
sont enceintett, de toute classe, marchandes, ou-
vrières, dames. La grâce ne tient compte de la
qualité.
Douze. bvGoogle
_ 40ri — (173(M7niS
Girard est-il un ange? Les jànsénistâs jurent
que c'jesl un diaUe, que ses galanU succès, sur-
naturdls, sont ceux d'un noir sorcier. C'est en-
core Gauflridi, que Ton vit en 1610, et que brûla
le Parlement. Serrés de près, les jésuites répon-
dent que^ si le Diable est là, il est dans la Ga-
dière qui a ensorcelé Girard.
Les deux partis jurent pour et contre. La Pro-
vence se divise avec fureur, tout l'emportement
du Midi. Le concert le plus dissonant, un en-
ragé charivari de farces, de chansons, éclate. Et
Paris fait écho avec un rire immense. Dans cette
affaire burlesque, un terrible sérieux était au
fond, une question vraiment politique. Le roi
d'alors étant le prêtre, son avilissement est l'au-
rore de la liberté. Ne vous étonnez pas de voir en
ce procès à Aix, à Marseille et pai'tout , ces as-
semblées de tout le peuple par cent mille et cent
mille que vous ne reverrez qu'au triomphe de
Mirabea u
On avait ri d'abord, mais bientôt on fréniîl
(septembre 1751), en apprenant cpie les jésuites
couvraient le crime par le crime, qu'à Aix même
et au Parlement, les gens du Roi proposaient
« d'étrangler... «Girard sans doute?... Point du
lout... sa victime!
Voilà ce qui souleva le peuple, et fit ces grands
rassemblements. La pitié, le bon cœur, t'Iiuma-
Diailizc^bv Google
(nai-nsi) — lit4 —
nité s'aruièrenl. Les pierres, au défaiitd'liommes,
se seraient soulevées!
On se demande comment, sous ce sage Fteury
qui craignait tant le bruil, les choses purent al-
ler jusque-là, comment dès les commencements
on ne sut étouffer l'acre. C'est là le miracle réel,
que sous ce gouvernement de ténèbres la lumière
ait jailli, monté d'en bas. en perçant tout obsta-
cle. Cela tient justement à ce que les jésuites,
étant si forts, crurent à chaque degré du procès,
pouvoir en rester maîtres. Mais l'affaire échap-
pait, montait toujours plus haut. Elle se développa
lumineuse et terrible, comme à la lumière élec-
trique, montrant dans ses laideurs, dans ses par-
ties honteuses, l'autorité Tenante, si fîère, et
qu'on vil par le dos.
Révélation très-forte, laidement instructive, ne
portant pas sur un fait singulier, mais vulgaire et
banale. Que Girard abusât d'une pauvre inno-
cente, d'une petite fille malade, dans ses crises
léthargiques', cela n'apprenait rien. Ce qui en dit
beaucoup sur les liicilités libertines du jargon
* Elle ëtait fort intêressinte. un enrint maladif, ipie le lice eftt
dA éprgner. Dans mon livre da la Sorcière j'ai suivi pas à pis la
Procédure du P. Girard et de la Caiière (Aii. in-folio, 1755). Le!!
jésuites ne peuvent ta récuser, puisqu'elle fut imprimé soi» un gau-
verneraent i eux et sous leurs yeui. L'in-lS (en 5 volumus), imprima à
\i in£me époque, ajoute (le*; pifwvs curinii'ipî. l^s rteiu T'iciieili sont
(KCM«aire$ et se romplétenl.
:.bv Google
— lits — (nso-nr.fi
myslique, c'est qu'un jésuite vieux, laid, en six
mois eût gagné si aisément ses pénitentes. Toutes
enceintes. On connut la direction.
On connut les couvents. Girard les savait bien
discrets, puisqu'il voulait y cacher ses enceintes
(comme on a vu plus haut Picard, directeur de
Louviers). Le couvent d'Ollioules, où il mit la Ca-
dière, montre à nù ce qu'ailleurs on eût vu tout
de même : une abbesse fort libre ; des dames
riches, utiles à la maison, fort gâtées, servies par
des moines ; ces moines effrénés jusqu'à souiller
les enfants qu'on élève ; la masse enfln, pauvre
troupeau de femmes, dans un mortel ennui et
des amitiés folles, douloureuse ombre de l'amour.
La justice ecclésiastique apparut dans son jour.
L'évêque de Toulon, grand seigneur bienveillant
qui un moment défendit la Cadière, eut peur,
quand les jésuites lui reprochèrent certaine chose
infâme. Et, dans sa lâcheté, il se mit avec eux.
Le juge de l'évêque, faussant tout droit, en-
traîna, subjugua rhomme même du Roi, le lieu-
tenant civil, qu'implorait la victime. Us écoutè-
rent, comme témoins jusqu'à des femmes en-
ceintes de Girard. Leur greflier alla eiïrayer les
religieuses d'Ollioules, disant que si elles ne par-
laient comme on voulait, la torture les ferait
parler.
Effmnlei'ie trop forte. Une plainte est portée
Douze, bv Google
« pour subonialion de témoins. » fjes jésuites
pouvaient avoir un arrêt du Conseil qui évoquerait
tout à Versailles, ils craigoirenl Paris, le grand
Jour, espérèrent abréger avec deus commissaires
de leur Parlranenl d'Aîx. Le faible d'Aguesseau,
chancelier, fit ce qu'ils voulaieul. Ces commis-
saires qui d'Aix, vinrent h Toulon, allèrent tout
droit loger chez les jésuites avec Girard. De
soixante témoins qu'appelait la victime, ils n'en
daignèrent entendre que trente. El cependant les
simples réponses de la fille étaient si accablantes,
si terribles de vérité, que ses geôlières, les bar-
bares Girardiiws, la forcèrent de boire un breu-
vage qui, pendant trois jours, la rendant idiote,
la fit parler couti-e elle-même. Deux hommes
mti'épides manifestèrent le crime. L'affaire alla
'au Parlement.
Toute la belle société à Aix était pour tes jé-
suites. Les grandes dames se confessaient à eux.
Girard, fort à son aise, établit qu'il n'avait fait
que suivre les pratiques de la haute mysticité.
Que le confesseur s'enfermât avec sa pénitente et
la disciplinât, c'était son droit et son deyoir.
L'ignorance seule des laïques pouvait disputer
Jà-dessus. Ce qu'on pouvait trouver d'indécent
ou d'impur, était recommandé, comme effort
d'humilité obéissante, brisement de l'oi^eil et
de la volonté. Sans l'ecourir aux anciens livres,
Douze. bvGoogle.
il pouvait fiUester le grand livre à la mode, livre
de cour, dédié à la reine de France, écrit par un
évoque et approuvé partout, la Vie de Marie
Alacoquê (in-4% 1729). L'obéissance e&l à chaque
ligne pn^érée à toute vertu. Jésus y dit lui-
même : « Préfère la volonté de tes. supétieurs à
la mienne » (Languet, p. 46, édit. de 1799). Et
ailleurs : « Obéis-leîtr fdutôt qu'à moi. » (iaor
guet, 120). — C'est-à-dire : Obéis au prêtre
contre Dieu.
Hais quand il serait vrai, disaient les grandes
dames de Provence, que ce bon P. Girard lui eût
fait tant d'honneur que d'avtHr avec elle certaines
privautés, elle était bien osée, de manquer à son
Père, à l'ordre des jésuites. C'était un monstre
à étouffer.
Le Parquet y conclut : « A ce qu'elle fût pendue
et étranglée à Toulon sur la place du couvent Ae&
Dominicains. » Plus, une poursuite criminelle con-
tre ses frères qui l'ont soutenue. Plus, l'avocat,
nommé d'office, qui l'a défendue par devoir, pour
obéir au Parlement, il sera poursuivi aussi !
Seulement, pour l'étrai^er, il eût fallu une
bataille. Tout le peuple courut à sa prison, criant :
« N'ayez pas peur, mademoiselle ! Nous sommes
là, ne craignes rien. »
Sur cela un recul, violent, dans le Parlement.
Les jansénistes y sont encouragés, et plusieurs
Douze, bv Google
magislrals déclarent Girard digne de moH, ~
bien plus, digne du feu. Ëxagéralion inaladroite
qui le servit plutôt. Les jansénistes, en le faisant
sorcier, en voulant voir partout le Diable dans
l'aflaire, se rendirent ridicules. Les tofôrante fai-
blirent, inunolèrent la justice, plutôt que de brûler
un homme. Au jugement (octobre 1731), douze
prononcent ta mort de Girard, douze ^absolution.
Le président fait treize. Il est absout.
On faillit mettre en pièces et Girard et le pré-
sident.
L'hypocrite ju^ment disait « que la Cadière se-
rait rendue à sa mère. » Et en même temps, on
la traitait en calomniatrice. Elle payait les dé-
pens du procès, et ses mémoires étaient brûlés
par la main du bourreau.
Bmdue? il était impossible de la ramener à
Toulon, où elle aurait eu un triomphe, où on
brûlait Girard en efBgie. Nulle trace de la pauvre
fille ne peut être trouvée depuis. Quand on songe
que les jésuites firent persécuter, exiler ceux qui
se déclaraient pour elle, on ne peut pas douter que
leur infortunée victime, qui malgré elle les avait
l'ait connaître, n'ait été enfermée dans quelque dur
couvent à eus, et scellée sous la pierre, dans un
mortuaire in pace.
Elle n'en rendit pas moins, par son procès,
im immense service. On comprit dès lors à
Douze. bvGoogle
— 109 — (iîM-nsi)
merveille pourquoi le clergé s'agitait, avait tel-
lement impatience de se débarrasser des jus-
tices laïques. Dansée Parlement d'Aix, si favora-
ble aux prêtres, qui dès François V lit le mas-
sacre des Vaudois, qui, dans l'affaire récenle,
blanchit Girard et flétrit la Gadière, dans ce Par-
lement même ta lumière avait éclaté. La Justice,
en ses formes, ses enquêtes, interrogatoires, est
essentiellement indiscrète. Le monde de la Grâce,
de la nuit, du silence, a horreur de cela. Tout
contact avec la Justice lui semble une p&'sé-
cution.
Grande était sons Louis XIV l'indulgence dont
jouissait le prêtre. On voulait seulement qu'il
fût un peu décent. I^e monde trouvait bon qu'il
eût une amitié Intime, comme un demi-mariage.
Quand l'archevêque Harlay, décrié pour ses cou-
turières, prit une amie sorlable, une veuve, une
duchesse, il ramena l'opinion. Le cardinal Bonzi
à Toulouse adorait (et payait) M"" de Ganges. La
perdant, il mourut, et on le plaignit fort. Au
plus haut du clei^é, le grand Bossuet lui-même
eut, sans trop de mystère une amie, de trente
ans plus jeune, qu'il protégeait (de crédit et d'ar-
gent) {Floquet).
Le dix-huitième siècle n était |)as plus sévère.
Nos philosophes, largement indulgents, dis|K!U-
saient le clergé de soutenir cette gageure d'un
miracle impossible. Aux feiblesses du prêtre, ils
af^liquaicnt leur ntot, leur commode fonnule :
Retour à la nature. L'affaire de la Gadière, à ce
tolérantisme opposa la réalité ; VAntirnattire bar-
bare, reioentricité libertine, le sauvage égoîsme,
le rot impitoyable et tout à coup féroce pour étouf-
fer, enfouir, ensevelir.
Betour à hitu^re? à l'amoarf Point du tout.
Sous l'oi^acil ntoo&trueux d*uu miracle de pureté,
on entrevit un monde ei de fangeux mystères et
de aimes muets. On devint curieux de ces jardins
murés, si bien clos, des couvents. On devina
fort bien qu'ils gardaicmt quelque chose. Us pa-
raissaient funèbres. De nos jours, ceux de Naples,
ceux de Vienne, ^cAogae, tout récemment ont dit
pourquoi.
Que fùt-il arrivé si de vrais magistrats, com-
prenant leurs devoirs, avaient avec la Loi pénétré
ces clôtures, sondé ta terre sacrée, lui eussent ar-
raché ses secrets, évoqué ce grand peuple des en-
fants morts avant de vivre, ces petits os blanchis
que nous retitiuvous maintenant? Jusque-là le
clei^é était ai haut, que le juge devant ces mu-
railles, passait discrètement et sans lever \es
yeux. Mais enfin la Justice, l'Humanité, grandis-
saient en ce monde. Fleury ne pouvait toujours
vivre. Et après lui peut-être, un des hardis jan-
sénistes du Parlement eût pu monter- cette àiorme
Douze. bvGoogle
— m — (1730-1731)
apostume, cette guppuralion souteii'aine des bas-
foods ecclésiastiques.
Fiévreux de cet abcès, le clei^é s'agitait, le
clergé se hâtait, se précipitait sans mesure. Seu-
lement, ce grand coup d'octobre 1751, l'aiïaire
de la Cadière, le montrait trop, constatait qu'en
mantconire les Parlements, la justice laïque, très-
manifestement il voulait supprimer les censeurs
de ses mœurs, el s'assurer les douces libertés
d'Italie, sécurité, impunité*.
Maintenant si le Roi défend aux Parlements
de s'occuper en rien des affaires ecclésiastiques,
on comprend Tinté-êt que le clei^é y a. On rit. Les
cbansoDS courent. Dans la rue, tout jésuite qui
< Ces liberU» éclatent dan» les enquêtes que fil Taustère et pieux
êrêque SdpioR Ricci {V. nés Mémoires, éd. de H. Potter). Hais elles
existaient même on Franco dans les hautes el nobles abbajes. Le véné-
rable M. Lasteyrie avait vu aTec étonnemeDl celte de l'abbaje de Pan-
Ihëniont k Paris (Uisleyrie, Confeaion]- C'était bien pis au loin, sur-
tout dansleHidi, tout se passait publicpiement. Le noble chapitre des
chanoÛKs de fignans, qui avait l'honneur d'être représenté aux Ëtat^
de Provence, ne tenait pas moins riËremenl à la possession pubfique des
religieuses du pays. Ils étaient seize chnnoineB. La prévale, en une seule
année, reçut des nonnes seize déctaralious de grossesse [Rùloire ma-
nuseritede Besse, parH. ReBouXjComniomquée par N.TIiouron). Celte
publicité avait cela de bon que le crime monastique, l' infanticide, dut
Htf moioR commun. Les religieuses, soumises ï ce qu'elles cunndt-
raient comme une cbarge de leur «Stat, au prix d'uue petite honte-
étaient humaines et bonnes mères. Elles sauvaient du moins leurs en-
hnls. Cdles de Kgnans les mettaient en nourrice chez les pajians, qui
les adoptaient, s'en servaient, les élevaient avec les leurs. Ainsi nombre
d'agriculteurs sonlconnusaujourd'hui même pour enbnlsdcla noblesse
ecclésiastique de Provence.
:.bv Google
nôo-nsi) — H2 —
passe, est suivi de ce cri : '< Girard ! voilà Gi-
rard 1 » Si l'on ne crie, on clianle les airs an-
ciens et populaires de la sainle béquille du bon
Père Bamabas, ce capucin fameux, prêcheur zélé
des filles, qui, surpris, leui' laissa ce gage. Taba-
tières, babils, meubles, tout est à la Cadière,
tout est à la Béquille. Et nul obstacle à ce toiTenl.
Les fureurs du clei^é montent au comble. Ayant
reçu le coup dans les reins, affaibli, il est plus
violent, et s'affaiblit encore. En 1752, lorsque
(e Parlement appelé chez le Roi, condamné au si-
lence, n'obtient qu'un mot dur : « Taisez-vous! w
— lorsque le vieux Pucelles, à genoux, pose aux
pieds du Roi l'aiTèt de résistance, — lorsque enfin
ce papier remis au singe Maurepas est par lui
mis en pièces, — la scène est odieuse, m*ais bien
plus ridicule encore.
En vain, au 18 août, le clergé se décerne par
la bouche du Roi l'objet de tous ses vœux, Van-
nulation du droit d^appd qu'avait le Parlement
en abus ecclésiastiques. Rien ne sert, ni exils,
ni prisons, ni enlèvements. Ceux qu'on enlève
sentent qu'ils ont avec eux tout le peuple. Et
c'est Versailles qui cède. En décembre, il recule.
Il abandonne (sous forme de sursis) ce que le
1 8 août il a accordé au clei^é. Celui-ci est vaincu.
Il reste pour loujoui's soumis aux justices laï-
ques.
Douze. bvGoogle
— lis — (1730-1:31)
Il manqua pour toujours ce qui fut son grand
but secret, son tribunal à lui, dont le plan exis-
tait déjà tout préparé. Les papiers Maurepas en
ont eu la copie \
Ce point là est acquis el pour l'éternité : le
clei^é perd l'espoir de retourner au moyen fige,
de se refaire son propre juge. L'œil de la Justice
est sur lui.
Pour la royauté, il la garde, à la honte du Roi,
de la France.
Ridicules au-dedans, ridicules au dehors, nous
sommes l'amusement de l'Europe (yiUars).
Quelque faible, caduc, que puisse être ce gou-
vernement, il va et il ira de même. La mécanique
est montée de fa^n que, sans une secousse vio-
lente*qui la détraque brusquement, il n'y a nul
espoir d'arrêter. La guerre seule aurait chance
de rompre ce déplorable engrenement.
Ghauvelin dit franchement à son jeune ami
d'Argenson la secrète pensée du moment : « Il a
fallu tenter la guerre... Nous devenions trop mé-
' Voir Mémoires Uaiirepas, H, 200. — t La cour à%\\se,
dit Grimaudet, c'est la porle de derrière , la fausse porte, la poterne
de U justice, moyen d'impunilé pour loua leii sacripanlf >. — Dnm Ro-
ger, Anjou, 420. - BonnemÈrc, Pni/wns, 11, 1S2.
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{n33-(753l
CHAPITRE VIII.
Zaïre et Cluries XII. — La guerre. — 1133-1755.
La dcTise- légère qu'un chevalier jadis portait
sur son écu à travers les batailles : « GhanPd'oi-
seau 1 » c'est celle que la France, parmi tant de
misères, gardait le long de son histoire. A ce pre-
mier réveil de i755, quand l'Europe la croyait
morose, épuisée et glacée, elle se lève guerrière et
rieuse, avec la chansonnette du pacha français
Bonneval, et autres petits airs, que nos pères ont
chantés jusqu'à la Marseillaise. C'était bien peu de
chose. Mais, de rhythme et d'élan, ces airs n'en
furent pas moins aux soupers, aux combats, de
vraies marseillaises inspirées.
La France d'aujourd'hui, qui pose et se croit
grave, ne comprend même plus comment c'était
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— 1 1 5 — (1753-17531
chanté. Elle serait tentée de n'y voir que l'ivresse.
Mais les voix avinées n'ont pas ces mélodies. Les
buveurs d'eau, les sobres, les maigres s'en gri-
saient. Deux choses en font l'accent qui ne sont
pas vulgaires. C'est chant d'oiseau moqueur, risée
des vieilleries. De plus, chant de l'oubli, celui de
l'alouette qui plane insouciante, se rit de la vie, de
la mort.
Aux colonies lointaines, nos Frances étrangères,
plus émues que nous-mêmes, dans ces chansons
rieuses ressentaient la patrie. Nos coureurs de
bois qui passaient presque nus sous le ciel l'hiver
du Canada, les dansaient avec l'Iroquois. Nos gens
de Saint-Malo, fiers officiers, corsaires, quand
soufflait la tempête, lui sifflaient ces rfefrains. Nos
soldats, tout à coup si brillants dans la guerre
qu'ils n'avaient jamais vue, quand quinze cents
Français attaquaient vingt mille Russes, pour
eau-de-vie avaient ces petits chants moqueurs qui
font rentrer la mort dans les rangs ennemis.
Vollaire, sans perdre temps, nous fit le Char-
les XII, vrai livre de combat. Mais le livre vi-
vant, c'était ce français-turc, Bonneval, qui, di-
sait-on, transformait l'empire Ottoman '. Il était
< Le piiDcede Ligne, dam sa dianmnte notice sur BaiuieTal(éditioii
Birbier, 1817), va jiuqu'l dire que c'âlait uD bomme de génie, le
n'en dirai» pai tanl; mais, pfnr Tesprit, Taudaco, la braioure, le
COU]) d'onl rapide en milte cba>es, c'est te Français peut-èlre le phn
:t:b,_GoOg[e
(iTM-nsS! — 110 —
l'entretien, lal^endedu temps. Plusieurs allaient
le joindre joyeusement, voulaient se faire Turcs.
On connaîl son histoire bizarre, tragique, origi-
nale. Dès douze ans, sur mer, à la Hogue, à tous
les combats de Tourville. Puis soldat de Vendôme.
Magnifique en bataille et la stupeur de l'ennemi.
U ravit jusqu'au froid Eugène, saisit d'admiration
les Turcs à Pelerwaradin. Pour son malheur il
ignorait que le vrai roi moderne est le commis.
Une lettre insultante des commis de Versailles
l'exaspère. 11 déclare la guerre au Roi et passe à
l'Empereur. Mais c'est bien pis à Vienne. U y
trouve les commis d'Eugène, lourde canaille alle-
mande, insolente, hypocrite. Cette grosse Vienne,
bigote et barbare, ne supporte pas un rieur que
Français qui fui jamais. Presque tontes les biographies onl indignement
déGguré sa vie. Daoi la seule bonne, celle du prince de Ligne, ontroure
aiec ses jolies lettres, celles de sa femme (une Binon), qui sont adora-
bles. Quand il revint à Puis sous le Régent, on le marin. Mais le len-
demain il apprit que Belgrade était eu péril, cernas, qu'il j aurait
bataille. 11 partit, et il n'est jamais revenu. On ne lui pardonne pas
quand on lit les lettres de la petite femme , innocente visiblement,
Irès-Terlueuse, qui pendant douze ans le rappelle, le supplie, avoue
humblement, naïvement, qu'elle se meurt de ce veuvage. Il ne pou-
vait guère retenir. 11 ebt étoufTé sous Fleurj. Mais peu à peu sa pas-
Eioii pour la France alla augmentant, Faccabla, Quand U était seul, ii
s'biibillail à la française. Et un jour qu'un ami l'avait invité, une vir-
tuose italienne ajant malheureusement chanté im air français, cet
homme d'acier éclata et fondit en larmes. — Je ne connais pas de
livre plus joli que cette notice. On imprime tant de romans fades, et od
ne réimprime pas des choses vi'aies, bien plus romanesques, 'comme la
Vie de BmTieviU, le Procès de la Cadiére, etc.
:.bv Google
— tl7 — ("SS-n33
jamais on ne vil au cabaret ni à la messe. Plus,
Français obstiné, qui dans cette miiison d'Eugène
si haineuse pour nous, à chaque instant tire l'épée
pour la France. Cela le perd. On le poursuit à
mort, jusqu'au milieu des Turcs où il cherche un
asiie. Croira-t-on bien ici que notre ambassadeur
de France, loin de protéger un Français, eût voulu
que les Turcs livrassent leur hôte aux Allemands?
On sent bien là la main du prêtre, de Fleury,
bon Autrichien, et bas valet de l'Empereur. Cela
se passe en 1729. On peut prévoir déjà ce que
fera bientôt le vieux tartufe.
Le mal de Bonneval, c'est d'être trop Français.
Le voilà à Constantinople qui remue le monde
pour nous. Réveiller les Turcs, la Suède, rembar-
rer la Russie, anéantir l'Autriche, c'est-à-dire
faire revivre les peuples qu'elle étouffe (Hoi:-
grie, etc.), c'était l'idée de Bonneval. C'était celle
des Bellisie ici. Beaucoup de bous esprits, Chau-
velin, d'Argenson, prenaient fort à cela. Bonneval
n'était point un rêveur, mais très-positif. Il com-
mençait par le commencement, créait à la Tur-
quie ce qu'elle avait trop négligé, une redoutable
artillerie. Il savait le fort et le faible des armées
de l'Autriche, la caducité idiote de cette maison
qui s'éteignait.
Le parti de la guerre, chez nous, n'était pas
ridicule. S'il le devint, c'est qu'il eut dans Fleury
^cbvGooglc —
(1752-1753) — 118 —
l'obstacle insurmontable, par qui tout était im-
possible, tout avortait et tournait de travers.
L'organe principal du parti c'étaient les petits-
fîls de Fouquet, les Bellisle, intrigants si l'on
veut, mais qui gavaient beaucoup, qui avaient
beaucoup vu, esprits vastes, qu'on eût proclamé
des génies si la fortune n'avait été contre eux.
Fortune? hasard? Non pas. La Irès-fixe influence
de la vieille soutane qui, de Versailles, paralysait
la France.
Voyons si leurs affirmations étaient aussi lé-
gères, aussi chimériques qu'on a dit.
1' Ils affirmaient, avec Villars, qu'ici on naît
soldat, qu'après vingt ans de paix, le Français
rentrerait aux combats aguerri. Cela se trouva
vrai, non-seulement dans les attaques, mais dans
les résistances, quand en Italie, par exemple,
ils soutinrent tout un jour l'orage de la cavalerie
de Hongrie et la masse écrasante des cuirassiers
de l'Empereur.
2° Ils disaient l'Autriche au plus bas, très-peu
solide en Italie. Et cela se vérilîa. En Allemagne
même et pour sa défense directe, l'Autriche n'eut
que soixante mille hommes. Nous en avions cent
mille. Eugène usé, vieilli, regarda, n'agit point.
On objectait vainement les succès de l'Empe-
reur sur la Turquie, ses conquêtes de Passarovritz.
Choses antiques, et de quinze années. Tout était
:.bv Google
— H9 — (1731-1133)
changé, et la chance retournëe. Il y parut bien,
lorsque plus tanl la Turquie relevée (en 1739),
seule, sans la France, reprit rascendant sur l'Au-
triche et lui arracha la Servie.
Fleury restant, tout était impossible. Fleury
partant, tout se pouvait. II tenait fort. Pour l'ar-
racher de ta, il fallait préalablement une chose
bien difficile : que, par quelque coup imprévu, le
Roi, ce serf de l'habitude, y échappât, sortît du
cercle où était enfermée sa vie.
Beaucoup le disaient nettement : « Rien à faire
s'il ne prend maîtresse. Contre la vieille femme
Fleury, il en faut une jeune qui donne un peu de
cœur au Roi. »
Le moment était singulier. Excédé dcssotlisesj
des disputes emiuyeuses, le public leur tourna
le dos. Une génération toute nouvelle depuis
Louis XIV était venue, des hommes de l'âge du
Roi, de vingt ou vingt-cinq ans qui voulaient du
nouveau. Ce qui fut neuf vraiment, c'est que,
pour un moment, le froid plaisir ne fut plus à
la mode. L'esprit galant céda. On crut aimer
vraiment. On fut amoureux de l'amour.
Les arts lyriques nous menaient à cela. Leur
réveil fut la danse vers 1728, la mimique pas-
sionnée. Tout fut changé quand la noble élégance
de la Salé fat remplacée par la figure étrange de la
fée du Midi, la romaine-espagnole, la Gupi-Ca-
:.bv Google
(1733-1733) — 120 —
margo. Sous elle, le théâtre brûlait. On ne sait
quelle force ardente et sombre était en cette per-
sonne laide qui troublait les cœurs, rendait fou.
Elle élait malheureuse, et à chaque instant en-
levée.
La musique suivit, et l'on en fit partout. Contre
le vieux Lulli, qui rappelle trop Louis XIV, sui^l
l'austère Rameau, qu'on appela Newton de la mu-
sique. Voltaire lui fait Samson. On chante l'opéra
dans les brillants salons des Fermiers généraux,
chez La Popelinière et l'aimable Deshaies, sa
muse. Chez Samuel Bernard et son amie, M""' de
Fontaine Martel, leurs filles de beauté renommée
^M"" Dupin et mylady Kingston) avec Voltaire
jouaient la tragédie.
C'est dans cette atmosphère de femmes, dans
cet air chaud d'art et d'amour, qu'il trouva
une perle, la première chose humaine qu'il eut
pu faire encore. Il sent, à trenle-sept ans, son
cœur. Au printemps (1752), un moment échappé
à M"' Fontaine Martel, seul à Arcueil chez M" de
Guise, en vingt-deux jours il fait Zaïre.
« Pièce chrétienne, » dit-il. Mais le vif intérêt
est pour un musulman, le noble et touchant Oros-
mane. Le pacha Bonneval avait mis les Turcs à
la mode. Orosroane n'est pas aussi ridicule qu'on
a dit. C'est le Saladin de l'histoire, chevaleresque
et généreux. S'il est Français, d'autant plus il
D,a,l,zc.bvG00gIe
— 121 — (i73M753)
nous louche. 11 esl nous, et on esl pour lui (plus
qu'on ne serait pour un Maure, coDune Othello),
Les chrétiens discoureurs, Néreslan, Ghâtillon,
déplaisent furieusement au puhlic ; ils viennent
à contre temps. On enverrait au diable bien volon-
tiers ces fanatiques. Bref, le drame, avec ses ser-
mons, ce verbiage qui ne trompait personne, pour
l'effet esl anti-chrétien.
La pièce n'est pas forte, mais charmante, au
point du public, juste au point des acteurs, de
l'actrice qui fit Zaïre. M"' Gaussin n'eut pas
les dons sublimes et puissants de la Lecou-
vreur. Elle était faible, douce, timide. Elle annon-
çait quinze ans (à vingt). Elle excellait au simple,
et dans l'adorable ignorance (par exemple dans
l'Agnès de l'École des femmes). C'était réellement
une excellente créature, fort désintéressée, d'un
bon cœur, faible et tendre. C'est pour elle que
pour la première fois entre ce mot dans notre lan-
gue ; « Avoir des larmes dans la voix. »
Tous en eurent, au moment où Orosmane vaincu
dit ; « Zaïre, vous pleurez ? » Ce mot et quelques
autres eurent un incroyable succès d'émotion.
L'âme française, un peu légère, mobile et refroidie
par le convenu, l'artificiel, semble à ce moment
gagner un degré de chaleur.
L'amie chez qui logeait Voltaire, l'amie de tous
les gens de lettres, M°" de Fontaine Martel, très-
Diailizc^bv Google
(1733-1735) — 122 —
malade, mourante, s'obstinait à aimer encore.
En mourant, elle dit ; « Ma consolation est qu'à
cette heure, je suis sûre que quelque part on fait
l'amour. »
Paris agissait sur Versailles, l'Equateur sur la
Sibérie. Le Roi, qui avait vingtrdeux ans, reste-
rait-il tout seul hors de ce courant général? On
aurait pu le croire. Ses tristes habitudes d'enfance
semblaient l'avoir séché, l'avoir rendu impropre
à jamais à l'amour. Son plaisir, dès qu'il fut un
peu grand, n'était pas d'un cœur gai, d'une bonne
nature ; c'était de faire le maître et de tenir école,
d'user avec ses écoliers de sévérités libertines
{Maurepas). Marié, presque malgré lui, comme
on a vu, it fut six mois sans voir qu'il avait une
femme. Elle avait vingt-deux ans, lui quinze. Elle
n'était pas belle, mais très-charmante. 11 ne faut
pas la voir au triste portrait de Versailles, mise en
vieille, dans ce grand fauteuil, mais à cheval, où
elle était très-bien ^ . Elle était tout à fait son
père et si aimée de lui que sa mère en était ja-
louse. Elle avait l'air un peu garçon [Hénatdt),
d'un enfant bon et doux, et de petit esprit.
Mais jamais cœur de fille ne vint au mariage
plus amoureux, plus tendre. Le roi de France
avait été son rêve; on lui avait prédit qu'elle l'au-
* Ce qui le prouie, c'est que les niaitresses oe voulaient pas qn'ellt
suivit le roi à la charae en amazone. Argensoui il, 5f), J.
Douze, bv Google
— 123 — (173Ï-1733)
rait. Il fat le ciel pour elle. Stanislas avait tu en
ce bonheur étrange un miracle de Dieu. Passage
étonnant, en effet, de la mendicité au trône. Elle
arriva, on peut dire, nue, sans chemise (on lui en
donna), attendrissante de pauvreté, d'humilité,
mais de timidité extrême. Cette grande fille, inno-
cente et tremblante, près de cet enfant vicieux, ne
fut longtemps pour lui qu'un autre camarade,
moins rieur, plus soumis *. Le but du mariage
était manqué. On s'en prit à ia reine. Elle l'ai-
mait trop pour le changer. Elle était si faible
pour lui, que, quand il fut malade, on crut qu'elle
moun'ait elle-même.
La crainte de la mort, la peur dévote agissant
sur le Roi, le réforma. Elle devint enceinte; mais
' Les jéiuiles voudraient nous faire croire que leur sévérilé e:
A»ns U confession aurait donné des scrupules i la reiae sur les caprices
du Roi. A ({ui feront-ils croire cela? Tous les confesseurs de ce temps
imposent & l'ëpouee l'obéissance illimitée. Projart dit qu'on eut tort de
dire que la reine éluit prude, décourageait le Roi. Avec toute sa dé-
Tolion, elle seroblati avoir àes instincts sensuels. Elle aimait les comé-
dies libres {Vie de Rich., l, 553), écoutait parfois valonliers certains
propos inconvonanla (Arg., 1. 234.)
Loin d'ébigner le Roi, ce fut plutât par l'eicËs de la complaisance
qu'elle l'enleva aux amitiés honteuses, amenda ou cacha ses vices.
A son retour de chasse, ou après ses soupers des petits cabinets, il
était très-aveugle (jusqu'à prendre la première venue). Plusieurs fois
il tomba du lit (De Luynes). Parfois aussi la reine (souffrante
d'inGmiités précoces) se levait, gapait temps, prétextant quelque
*chose, disant chercher son petit chien, etc. Hais tout cela fort tard,
quand elle fut à bout et malade, quelquefois si inconunodée que,
d'un appartement h l'autre, elle allait en diaîse à porteur. (De
Luyms-)
:.bv Google
(1732-1755) — 124 —
elle avait été si durement médicamentée par les
sols médecins qui croyaient décider la chose,
qu'elle commença par avorter. De là une succes-
sion de couches pénibles , et coup siu- coup. Le roi,
dans sa froideur, était d'une régularité impitoyable.
D'Ai^enson dit : « Il lui fit sept enfants, sans lui
dire un mol. »
Ce fut, je crois, vers 1752 (après deux gros-
sesses en vingt mois), qu'elle eut la triste infir-
mité dont parle Proyart, une fistule. Quel mar-
tyre pour la pauvre dame qui avait peur de
rebuter, qui avait peur de refuser ! Et son amour
croissait. Ses enfants, presque tous des filles,
étaient son image même. Le roi y fut pour peu.
Plus il était froid, sec, plus elle y donnait de son
cœur. Elle eut (1731) une enfant qui n'était que
flamme, oît l'ardeur polonaise apparut tout en-
tière, la véhémente Adélaïde. Au moment de Zaïre
(août 1752), quand on ne parlait d'autre chose
que de l'attendrissante actrice, la reine fut en-
ceinte d'une enfant qui avait ces dons, la très-
douce M"" Victoire. Mais l'enfant , faible et
molle, marquait assez combien la mère s'af-
faiblissait. Si, malade plus tard, au hasard de
sa vie, elle redevint encore enceinte, ce ne fut
qu'un malheur. Deux U'istes avortons, scrofu-
leuï, cacochymes, que leur père appelait Chiffe
et Graille, augmentèrent le d^ût du Roi.
Douze, bv Google
_ 135 — (1132-1733)
Revenons. Pendant la grossesse pénible dont
naquit M"* Victoire, la reine élant'sans doute trop
affligée par la nature, le Roi se trouva seul, hors
de ses habitudes invariables. Situation nouvelle et
impossible. Bachelier, vivant là, voyant tout,
avertit Fleury. Il y avait péril en la demeure.
Fleury n'ignorait pas que les princesses de Condé
avaient toujours serré de près le Roi. Pour leur
tiermer la porte, il fallait une femme. Il demanda
conseil à la Tencin.
Il n'agit pas non plus sans consulter son ora-
cle d'issy, le rude Couturier, son nouveau di-
recteur. Mais les rudes sont doux au besoin. « Un
petit mal pour un grand bien, » c'est la r^le
en casuistique. Quel bien plus grand que de
garder le Roi sous la main de Fleury, c'est-
à-dire de relise? tJne femme fut achetée pour
le service du Roi.
C'était une demoiselle de Nesle, M""' de Mailly,
une dame de la reine. Son mari ruiné, para-
site, n'allait qu'en fiacre et vivait de hasards.
La personne n'était pas jolie, une grande brune,
maigre (Italienne du sang paternel), excellente
du reste, honnête et trè&-respectueuse, discrète,
qui rougirait plutôt, ne triompherait pas de sa'
honte.
La pauvre femme n'rai avait nulle envie. Son
mari le voulut et reçut vingt mille francs.. Elle
Douze, bv Google
(IWÎ-n33( — 126 —
alla grelottante (décembre 1732) dans un entre-
sol de Versailles. Rien de plus glacial en tout
sens. Les misérables vingt mille francs, mangés
sur l'beure par le mari, elle expliqua au Roi sa
pauvreté. Mais le Roi aussi était pauvre, et il
n'aurait osé demander à Fleury. Ce fut par Chau-
velin, et sur les fonds de la Justice, que très-se-
crèlement il tira quelque argent. Tout fut r^lé
ainsi : mille francs par rendez-vous^ c'est-à-dire
deux mille par semaine, au total cent mille fiancs
par an.
Ce ladre de Fleury, qui, avec vingt mille francs,
croyait pourvoir à tout, fut attrapé par Ghauvelin,
qui naturellement prit un peu d'influence. Depuis
loi^temps il cheminait sous terre^ isolé de la
cour, livré tout au travail et trompant d'autant
mieux. Dès lors certainement il put 3^ un peu
par la Mailly, reconnaissante, d'ailleurs trè»-bonne
et qui aimait la r^ne, qui connaissait ses vœux
pour que son père redevint Roi. La reine courti-
sait fort Villars, le grand prêcheur de guerre. Elle
ignorait absoltunent l'action sourde de Chauvelin,
et encore plus cet entresol. Mais les effets paru-
rent. Sans que le Roi sortît de son mutisme, on
voyait aux Conseils qu'il était fort changé, qu'il
arrivait tout prêt à croire Villars plus que Fleury.
Chaque jour le vieux maréchal parlait plus haut,
Fleury plus bas.
Douze, bv Google
— 127 — (1Î32-1733)
Dès février 1753, s'était posée la grande affaire
européenne. Auguste II mourant, Villars contre
Fleury soutient que Stanislas n*a pas abdiqué,
qu'il est roi. Fleury traîné, forcé, ne put plus ré-
sister au courant. 11 crut sage de complaire, de
lâcher la main. Le Roi, fort de Villars, de la
jeune noblesse, de tout Versailles enfin, le
17 mars (chose inouïe), parla, et devant les am-
bassadeurs ! Il dit que la Polc^e avait droit de
choisir, « et que lui, roi de France, il soutien-
drait l'élection. »
Élection aidée de présents d'amitié. Fleury, en
gémissant, se laisse tirer un million. L'Assemblée
vote bien, très-honorablement (mai) qu'dle ne
choisira pour roi qu'un Polonais, ce qui exclut
Auguste, fîls du mort, l'Allemand, le candidat
des Russes. Fleury, non sans regret, s'arrache
de nouveau trois millions. Cependant l'Empereur
dès le 21 mars avait impudemment parlé avec
mépris du droit d'élection. On avait répondu d'ici
avec hauteur.
L'honneur était en cause, la guerre presque
certaine. La chute de Fleury paraissait infaillible.
Espoir de libertél Voltaire guettait cela, regardait
Ghauvelin et l'émancipation prochaine. Celui-ci
dans son double rôle, entre Fleury et le public,
n'osait être indulgent, mais il clignait de l'œil,
voyait, ne voyait pas, menaçait et laissait passer.
Douze, bv Google
(1134-1753) — 128 —
La queslion était de savoir si Voltaire aurait joui- à
lancer ses Lettres anglaises. Lorsqu'enl730, les
Marmousets crurent faire sauter Fleury, Voltaire
écrit à Thieriot, alors à Londres , qu'on peut
donner ces Lettre en anglais. Puis : « Attendons
encore. » Cependant l'immense succès de Zaïre et
de Charles XII l'encouragea à faire imprimer en
français, à Rouen, chez Jore, libraire du Char-
les XII, — imprimer et non publier, attendre le
moment. La guerre qu'on prévoyait lui parut fa-
vorable pour lâcher son oiseau à Londres; j'en-
tends l'édition anglaise. Pour la française, il
ne faisait pas doute qu'il n'y eût un orage,
que Chauvelin ne Ht au moins semblant de le
poursuivre, et qu'il ne fallût d^uerpir. 11 était
prêt, il perchait sans poser. Déjà il étendait ses
ailes, de façon que le livre s'envolant de
Rouen, l'auteur s'envolât de Paris. Il passa une
année dans ces fluctuations, souvent malade et
rimant dans son lit une mauvaise pièce nationale
(sa faible Adélaïde). Il disait en juillet : « Atten-
dons. Dans deux mois j'imprimerai ce que je
voudrai. »
Vers août et septembre en effet, selon cette pré-
vision, Fleury fut au plus bas, et au plus haut
le parti de la guerre dont la France attendait son
émancipation. Bellisle et Villars l'emportèrent.
Tout le conseil fut entraîné et jusqu'au duc
:.bv Google
— 129 — (lîsï-nss)
d'Orléans, personnage dévot el demi Janséniste,
qui avait horreur de la guerre, et qui convint
pourtant qu'engagés à ce point, on ne pouvait
plus reculer.
Gela donna courage à Ghauvelin, qui , sous
forme modeste, affectant de ne faire que suivre
l'élan général, agit très-fortement. I) prépara,
signa le 26 septembre le traité de Turin avec
l'Espagne et le Piémont pour chasser d'Italie l'Âu-
tnche.
Le Piémont âmt avoir le Milanais. Et il nous
cédera la Savoie? point débattu longtemps. La
France magnanime n'insiste point pour avoir la
Savoie ; elle se croit payée si elle chasse l'Autri-
chien d'Italie.
Des deux infants dJEsyagne, l'aîné Carlos pren-
dra les Deux-Siciles, Philippe la Toscane, Parme
et Plaisance.
L'Espagne nous payait des subsides, fournis-
sait de l'argent. Cela parut calmer Fleury.
Une nombreuse armée, occupant la Lorraine,
sous Berwick, marche à l'est, et doit franchir le
Rhin.
Notre armée d'Itahe, sous Villars, va passer
les Alpes;
Et dans Brest une escadre se prépare sous
Duguay-Trouin.
Tout cela toléré par Fleury, malveillant. Et
»).' 9
Douze, bv Google
{1132-1733) — 130 —
tout au nom du Roi, qui même avant la guerre^
déjà occnltement est fort refroidi par Fleury.
Mais la France allait d'elle-même, marchait
seule un moment à l'envers de la royauté.
^cb, Google
CHAPITRE IX.
La guerre. — Fleury elWalpole. 1735-173S.
Fleury et les Walpole n'avaient pu empêcher la
guerre. 11 s'agissait pour eux de l'entraver, de la
faire avorter, d'en limiter les résultats.
Trahir les Polonais encouragés et compromis
par nous, surtout sauver l'Autriche, au moment
imminent de sa destruction, c'est l'œuvre calcu-
lée de la politique d'alors. Ceux qui menateqt
Fleury, ses directeurs d'Issy, chérissaient dans
l'Autriche le bigolisme militaire, la dragouade
de Hongrie, la persécution de Sallzbourg (1731);
l'Angleterre, protestante et chef des protestants,
chérissait l'épée catholique, le boucher autrichien
et sa horde barbare qu'elle peut par moments sol-
der et lancer sur l'Europe.
:.bv Google
(035-1755) — 132 —
Le vieux Fleury, le jeune Horace Waïpole s'ai-
maient, ne pouvaient se quiUér. Horace, filiale-
mentj apportait à Flenry ses dépêches de Lon-
dres, et le priait de lire, corriger ses réponses
^inl-Simon, chap. nvi). Fleury, malgré son
âge, allait à chaque instant de Versailles à Issy,
et, malgré tant d'affaires, y faisait des retraites.
Ainsi, parfaite entente de l'Anglais, du Papisme,
pour l'Autriche et contre la France.
Le roi pouvait gêner. La reine et la Mailly,
l'épouse et la maîtresse, étaient du parti de la
guerre. En mars, et depuis même, il avait parlé
€n ce sens. Il avait été impossible de ne rien faire
du tout. On rassemblait des troupes, mais sans
TÎvres. Brest avait une escadre, mais désarmée.
Cda gagnait du temps. L'été vient, bientôt passe.
Nous sommes au milieu d'août. Heureux délai
pour le Saxon, le Russe, l'Autrichien, dûment
avertis.
Le 16 août 1753 fut le moment de crise. Un
crï désespéré était venu de la Pologne. Les chefs
du parti national avaient écrit à Stanislas que, s'il
n'arrivait, tout était perdu. C'était un de ces jours
où, dans unEtat sérieux, les conseils restent en per-
manence, siégeant le jour, la nuit, mettant les mi-
nutes à profit. La reine était sur les charbons. Yil-
lars bouillonnait sans nul doute. On est bien
étonné délire chez ce général courtisan cette ligne
:.bv Google
— 155 — (n3S-lî35ï
sèche et contenue : » Il n'y aura rien d'impw-
tant. » Gai' le Roi est absent. Il est allé se pso-
mener. Promener? où? miracle! à Chantilly 1 à ce
château de la disgrâce, chez l'exilé M. le Duc, au-
tour duquel Fieury .depuis sept ans gardait on
cordon sanitaire. Jadis chasseur, ce prince, sé-
questré, n'osant remuer, s'étail fait une vie inno-
cente de graveur, de naturaliste, chimiste, etc.
On s'en moquait en cour. « Est-ce qu'il veut se
faire médecin? » Que va donc faire le roi chez
ce pauvre M. le Duc? Le consoler, sans doute.
lin Gondé, sans emploi au moment de la guerre,
méritait d'être plaint. Mais quoi 1 laisser tout pour
cela?
La vieille Madame la duchesse, démon d'im-
pureté, exquise en toute ordure, dont les petits sers
sales barbouillent les recueils Maurepas, avait ima-
giné « de faire son fds cocu pour le refaire miois'
tre. o Ses filles (Gharolais et Clermont), effrénées,
débridées, mais pas jeunes, aidaient à cela. Fieury
le savaitbien, et il en vit l'essai (juillet 1751), lors-
que, à Fontainebleau, elles produisirent leur prin-
cesse, unejolie petite Allemande, toute jeune (M. le
Duc eiit pu être son père). La petite, fort lasse de
Ghantilly, et brûlant pour Versailles, s'avanç»
fort et plut. Elle eut pour son mari un premier
signe de faveur, au moins un joujou militaire (ré-
giment des dragons Gondé). Fieury y coupa court.
Douze, bv Google
Bientôt vint la Mailly. Amour hebdomadaire, un
quasi-mariage, qui ne fit rien au rêve, à l'idéal de
Chantilly. Tf envoyer le Roi (quel qu'en fûl le pré-
texte], dans ce lieu charmant, dangereux, ce fut
un coup habile, un moyen admirable de le mettre
à cent lieues de l'affaire discutée, de lui faire ou-
blier la guerre pour la guerre au mari jaloux.
M. le Duc l'était extrêmement, et amoureux. Il
n'avait qu'elle, dans la solitude et l'exil. Contre
les galants ordinaires, il alla jusqu'à l'enfermer,
^ue faire contre le Roi? Il ne pouvait pas la cacher,
lorsque le Roi, revenant de Compi^ne, passait
par Chantilly. Pouvail-il l'empêcher de voir sa
vénérable mère? de voir sa chaste sœur à leur
joH Madrid, oîile Roi se grisait la nuit? En dé-
cembre 1756, M. le Duc est en pleine faveur. Et,
pour le constater, sa mère reçoit pour la petite
femme un don solennel dediamants (Fleury n'est
pas toujours avare), les lui plante en aigrette au
front (de Luynes). Elle en garda sa part. Comblé
et caressé, désespéré, son fils l'a marquée d'un
mol au fer chaad : « N'était-ce pas assez d'avoir
vendu vos iilles, sans traliquer de votre bru? »
Revenons. Dans ces jours de la suprême déci-
sion, 17 et 18 août, le Roi resta à Chantilly, revint
le 19 à Versailles. La reine était à l'heure, on
peut dire, de sa Passion, entre la vie, la moi"l.
Stanislas paraissait le plus lâche des hommes s'il
Douze. bvGoogle
— 135 — [1755-1155]
ne partait, s'il n'éeoulait l'appel Irès-pressanl de
son peuple. Le 20 au soir, le père s'arracha de sa
fille, pour le plus périlleux voyage qui jamais se
fût entrepris, pourtraverser l'Europe, tant d'États
ennemis, pouvant à chaque instant être arrêté,
tué, par ceux qui souvent contre lui avaient tenté
l'assassinat. Sa fille, qui se mourait d'angoisses, -
tremblait de rien montrer, d'accuser par ses pleurs
le départ de son père. LeKoi, justement à cette
heure, le soir du 20, au lieu de rester avec
elle, alla coucher à la Muette. Apparemment
Fleury craignait qu'à ce départ tragique, â ce
déchirement, la reine, qui eût touché les pierres,
n'en tirât quelque mot pour son père et pour
son pays.
Stanislas part le 20, à travers mille dai^ers
arrive à Varsovie (5 septembre 53). II est l'élu
national d'un peuple qui veut vivre encore.
Soixante mille seigneurs , gentilshommes , vo-
tent pour lui. Brillante cavalerie, mais disper-.
sée, qui craint pour ses foyers. Aucune armée or-
ganisée. Le traître Auguste a désarmé d'avance. Ce-
pendant l'Allemand n'est pas entré encore, et Ton
n'aura'aflaire qu'aux Russes. Dix mille Français,
si on les avait eus, eussent fourni un noyau suffi-
sant. Stanislas y comptait. Retiré antzig, il at-
tendait la flotte de Brest, qu'il avait laissée sous
un homme sûr, déterminé, de parole, Buguay-
Doiizc^bv Google
{173î-n3i) — 156 —
Trouin. Il ignorait la comédie qui se jouait de Wal-
pole à Flexiry. Le premier, devant Brest, avait
quelques vaisseaux anglais qui allaient et venaient ' .
Cela fournissait à Fleury celte ignoble et menteuse
excuse ; « Nous n'osons pas sortir. Horace dit :
« Ce serait une atteinte awc libertés eommer-
« dates que les traités assurent à la navigation
« de la Baltique. » Horace s'y oppose... Deman-
dez à Horace... » Voilà l'hiver, les glaces. La
Baltique est fermée.
La ville de Dantzig s'obstinait noblement à dé-
fendre son roij I^alement élu. Elle bravait les
Russes qui arrivaient. Qui croirait que si tard, ne
voulant rien au fond (qu'amuser et tromper la
reine !) , on eut l'indignité, le 18 novembre encore,
de faire écrire le mannequin royal, d'encourager
les résistances par les paroles de Louis XV, et
d'enhardir Dantzig à se faire écraser?
Sur le Rhin, on avait trouvé moyen de ne rien
faire non plus. Nous avions cent mille hommes;
l'Autriche, par le dernier effort, n'en eut que
soixante mille. Villars et les Bellisie voulaient que
l'on perçât dans l'Allemagne, qu'on lançât la Ba-
' Ce fait, absolument ignoré des hisloriens, m'est donné par un Uire
rare, dont je dois la communication i H. Ladislas Mickiewici ; Histoire
de Stanislas (par H. Chenriei), Londres, 1741. — k cela près, Villars,
Noailles, Duguaj- Trouin, etc., donnent tout; Noailles surtout, nos nù-
sères d'ItnUe, l'imprévoyance du ministère, l'abandon de nos soldats,
sans abri, sans bôpilaui, etc.
^cb, Google
— i57 — (n33-n»)
vière, qu'on mît en liberté lanl de haines muet-
les. Fleury disait ; « Sans doute, si nous avions
l'Empire pour nous, ijous entrerions. » — «L'Em-
pire sera pour vous, lui répondait Villars, le jour
que vous serez dedans, n
Mais Fleury, en traînant, gagne le 12 octobre,
la saison pluvieuse. On passe alors le Rhin. Pour- ■
quoi? pour rien du tout. On revient. Car il pleut.
C'est-à-dire que l'Autriche peut se tourner vers
l'Italie.
Là même, autre déception. Yillars avait cru
tout facile. Mais comment? Par la chute de Fleury,
que l'on espérait. Le Piémontais aussi. Il était
plus sincère pour nous qu'on ne l'a ditv Mais,
Fleury restant maître et le ministère de la paix,
il avait tout à craindre. Villars avait beau lui
prêcher qu'il fallait accabler l'Autriche, pen-
dant qu'elle était désarmée. Sourd et muet, le
Savoyard s'en tenait à son Mdanais. C'était déjà
beaucoup, et plus sans doute que ne permet-
trait l'Angleterre. Cette amie de l'Autriche, qui
déjà empêchait la France de l'attaquer en ces
membres extérieurs, aux Pays-Bas, aui-ait-elle
permis que le fougueux Villars, entraînant le
Piémont, la frappât au Tyrol, et la menaçât au
cœur même?
Villars eut un moment d'espoir, voyant, en fé-
vrier, l'armée des Espagnols qui enfin arrivait. Il
Douze, bv Google
{iî35-i735) — 138 —
y court. Mais déjà ils lui tournaient le dos, s'en
allaient au Midi. Ils ont leurs ordres, ne veulent
pas comprendre que leurs conquêtes du Midi ne
seront rien, si on laisse l'Autriche armer derrière,
se relever. Viilars leur montre au Nord le gros
nuage noir qui se forme au Tyrol. Rien de plus
ferme que les fous. La Farnèse et Philippe dé-
fendent expressément qu'on* agisse d' ensemble.
11 faut qu'on coure à Naples.-PIan stupide qui
fut couronné du succès. Comment? Par un mi-
racle que l'on ne devait pas attendre, par la
valeur imprévue, étonnante, de nos soldats no-
vices, qui tinrent les Autrichiens au Nord, mon-
trèrent tous les courage, celui même qu'on n'at^
tendait guère, un sang-froid merveilleux. Et cela
(on peut dire) sans généraux. Viilars était mort
de chagrin. Deux vieillards lui succèdent, Coi-
gny, Broglie, et gênés, de plus, glacés par les
lenteurs voulues 'du Piémontais. Broglie, à la Sec-
chia, presque pris, échappe en chemise. Mais
partout nos petits soldats ont une solidité d'airain.
Les Autrichiens, qui ont des corps merveilleux
pour l'attaque, la charge Hongroise aveugle, la
rage en manteau rouge des Croates altérés de
sang, avec cet enfer militaire qui trouble l'ima-
gination, n'émurent en rien les nôtres. Ils re-
çurent à merveille tous les généraux ennemis qui
venaient un à un se faire tuer en menant ces
Doiizccb, Google
— 139 — (1733-1735)
chaînes. Peu de prisonniers des deux parts. Aux
batailles furieuses de Parme, de Guastalla, il fut
constaté cpie la France, sans avoir jamais vu la
guerre, était toujours la France de Malplaquet et
deDenain.
Chose fort nécessaire, de salut pour les Espa-
gnols, pour l'infant Don Carlos qui, dans son
agréable promenade de Naples, aurait été bien
dérangé. Les trente, quarante mille Allemands
que nous tuâmes au nord de l'Ilàlie lui seraient
tombés dans le dos. Il put triompher à son aise^
n'ayant qu'à recevoir les clefs des villes qui ve-
naient au devant. Il put même, sur les petits
restes des garnisons tudesques qui fuyaient du
Midi, gagner une fort jolie bataille qui lui coûta
peu (Bitonto, 25 mai 1734).
Au Nord, la vaillance inouïe de cette jeune
France de la paix, précisément la veille (24 mai
1734), avaitéclalé, etnon moins l'éclatante lâcheté
de son gouvernement. 11 ne s'agissait plus du
trône de Pologne, mais de la vie de Stanislas, en-
fermé dans Danlzig par Tarmée russe, et que cette
cité défendait. Cent mille hommes, Russes et Alle-
mands, occupaient la Pologne. Trente mille ser-
raient Dantzig. Elle était soutenue par sa foi à la
France. Lui-même, Stanislas croyait très-ferme-
ment que le père de la reine de France ne pouvait
être abandonné. Les glaces empêchaient seules,
Douze, bv Google
(ns3-n55) — 140 —
disait-on, le secours. Elles fondent, on ne voit
rien encore. Le 10 mai (joie immense!), on dis-
tingue quelques vaisseaux. Ils sont liés par leurs
ordres précis. Ils descendent des hommes, mais,
voyant tant de Russes, ils les rembarquent, lais-
sant Dantzig dans le désespoir.
Un Français, xm Breton, Plélo, était notre mi-
nistre à Copenhague. Homme d'esprit, connu par
des vers agréables, membre de l'Entresol (le
club de l'abbé de Saint-Pierre), il était de ces rê-
veurs qui anticipaient l'avenir, qui avaient au
cœur la pairie. Il rougit pour la France en voyant
cette reculade. Il eut un sentiment aussi de
pitié, de chevalerie, pour la pauvre reine de
France, Les chefs s'excusant et disant qu'ils
n'avaient pu mieux faire, que la chose était impos-
sible: « Eh bien! dit Plélo, suivez-moi. Vous ver-
rez comment on s'y prend*. » 11 fait, comme il le
dit. Quelques Français le suivent. Avec ces ama-
teurs et quinze cents soldats seulement, il attaque
les trente mille Russes à couvert dans leurs lignes.
Il les forçait, s'il n'eût été tué.
Ces choses-là faisaient réfléchir les Anglais.
Elles augmentaient terriblement leur crainte
de la France, leur amour de l'Autriche. Elles
contredisaient fortement l'opinion bizarre que ces
amis avaient de nous.
C'était chez eux un article de foi que nous
Doiizccb, Google
— Ul — (1Î32-17»)
n'existions plus, qu'après Louis XIV le peu qui
restait de la France, le résidu des guerres, le co-
pta mortuum des ruines et banqueroutes, était
venu à rien, et comme race même était lini. Les
purs Anglais, qui sortaient peu de l'île, étaient
bien convaincus qu'il n'y avait ici qu'un ramas
d'avortons, perruquiers, cuisiniers, maîtres de
danse ou filles. C'est le sujet chéri d'Hogarlh, le
«ontraste étemel de l'Anglais fort, grand, bien
nourri, et du Français, grenouille ou lézard qui
frétille.
Cela allait plus loin. De l'autre côté du détroit,
ie credo était tel : le Français, c'est le vice; l'An-
glais, c'est la vertu. La petite chose gazouillante,
dansante, qu'on appelle un Français, ne loge rien
que vent dans sa tête légère; ni foi, ni loi; au-
cun principe. La solide créature anglaise, avec sa
double base de Bible et de Constitution, marche
au chemin de Dieu, et fait œuvre de Dieu en
pesant sur la terre, mangeant le plus possible, et
consommant de plus en plus.
Dès le commencement de la guerre, ils travail-
laient sérieusement pour que la France n'y gagnât
rien, pour que l'Autriche lût quitte à bon mar-
ché. Dans l'année 1754, ils ne se pressèrent pas,
voyant morts Villars et Bei-wick, et la France
sans généraux, espérant que l'Autriche, avec tous
ses barbares, à Parme, à Guasialla, allait nous
:.bv Google
éreinter. Mais quand ils la voient elle-même usée
et épuisée, Eugène à qui l'on prend Philipsbourg
sous le nez, Mercy tué, Konigseck qui traîne
comme un serpent coupé, alors notre amie An-
gleterre, sérieusement inquiète, se met devant
l'Autriche, et décidément la protège. Elle se porte
médiatrice (février 1735), et propose impartiale-
ment un plan tout autrichien.
Ârtide \". — L'unité, l'éternité de l'empire au-
trichien, au profit de son héritière. Donc, point
d'élection de Bohême, de Hongrie, et l'Empe-
reur sera toujours un antichrétien.
Soufflet assez fort pour Versailles. Car on a
flatté Louis XV, qui lui aussi descend de Charles-
Quint, que la ligne mâle autrichienne s'éteignant,
il pourrait arriver par l'élection. Fleury, que l'his-
toire dit si sage, s'était avancé sottement sur cette
ridicule espérance jusqu'à dire que, plutôt que de
garantir l'héritière, comme le demandait l'em-
pereur, « il aimerait mieux trois batailles »
(ViUars).
Article 2. — L'Espagne garde les Deux-Siciles.
Mais l'Autriche, qui n'avait nulle force dans ces
possessions lointaines, en revanche épaissit au
Nord. Au Milanais qu'elle garde, elle joint la
possession de la Toscane, plus voisine, aisée à
défendre, tandis qu'une île n'était rien pour cet
Autrichien sans vaisseaux.
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— 145 — (iias-iTO)
Article 5. — Le père de la reine de France
rwonce au trône. Nul dédommagement, aucune
indemnité... qu'un bien à lui, im petit bien de
noble polonais I Plus, l'honneur dérisoire d'une
ambassade qui le remercie d'abdiquer.
L'esprit gravement facétieux du mystificateur
Walpole brillait dans cette plaisanterie.
ChauTelin, à l'idée d'éterniser l'Autriche, fut
accablé, désespéré. Mais, loin de l'écouter, Fleury
envoie à Vienne un homme à lui. Que veut-il,
l'innocent? Signer, sans les Anglais, seul à seul
avec l'empereur, tout ce qu'ont dicté les Anglais.
Gela se fit ainsi.
Fleury était un homme modeste et sans ambi-
tion. Que la France n'eût rien, qu'on !(^eât Sta-
nislas seulement dans le duché de Bar, cela lui
allait à merveille. Chauvelin s'indigna, travailla
(par la reine, par la Mailly? par tous), et il exigea
pour la France, pour tant d'at^ent, de sang, qu'elle
avait sacrifié. 11 obbgea Fleury d'exiger la Lor-
raine, dont l'héritier passerait en Toscane *. Très-
' Le râel est presque toujours bien au-delS de tout ce qu'on eût sup-
posé. Les pièces rëceuimenl publiées Trappeut de stupeur. On y voit qui-
dès le nlois de nui 1755, Fleury demandait la paix k genoux aux Au-
trichiens {Havssonville, IV, p. 6'27). On y voit qu'il envoie successi-
Tement trois agents secrets à Vienne, et que dans son désir excessif de
lapaii, il entrave la paix, coniprometlaDt, embarrassant ses propres
agents mâme {Ibid., 401-437). On le voit lichenient dénoncer Quu-
Telin i l'ennemi. Sans ia firmeté de celui-ci, Fleury eût payé la future
:.bv Google
(1752-1735] — 144 —
imporlante acquisition, indispensable aux com-
munications de Champagne, d'Alsace. Excellente
barrière d'un si Taillant pays, si profondément
militaire.
Cette guerre avait fait un grand mal et un petit
bien.
Le petit bien fut la Lorraine remise ans bonnes
mains de Stanislas, la Toscane mieux administrée,
qui eut bientôt son Léopold. ÂNaples, le gou-
vernement incapable des Espagnols fut obligé
de prier l'Italie d'administrer, de gouverner.
Le mal, et très-grand mal, est la dissolution de
la Pologne, le salut de l'Autriche, qui reste au-
torisée à perpétuer à jamais l'étoitffement des
nations.
C'était un grand moment, celui qu'on a perdu.
Moment unique, de si belle espérance. L'Em-
pire n'était pas mort. La Bavière et la Saxe, le
Palatinat protestaient. Dans les petits Étals, moins
hardis, chez les populations honnêtes delà bonne
Allemagne, subsistait l'étincelle du droit, de la
patrie. L'Allemagne, la biche au bois dormant,
avait assez dormi; elle se réveillait; sur la face
de bêle lui revenait la face humaine. Ils redeve-
naient hommes aussi, ces peuples du Danube qui
possession de la Lorraine, il eût conseoti que l'Empire et VEmperenr
eussent Hne armée en Lorraine, presque en Gbanipagne, c'est-i-dire
au coeur de la France, etc.
:.bv Google
— 145 — inSi.l7!5)
ont sauvé l'Europe^ et qui, pour récompense, par
la ruse aulrichienne, sont tenus à l'état de loups,
que de temps à autre elle lance, quand l'Anglais
la paye pour cela. Ces peuples allaient sortir de
ce honteux enchantement.
Qui l'empêche? C'est l'Angleterre.
A ce moment, Voltaire disait à )a légère dans ses
Lettres anglaises (1. VIII, p. 149) : « Qu'elle aime
la liberté au point de la vouloir, de la défendre
chez les autres même. » Remarquable ignorance.
L'Angleterre justement alors affermit l'esclavage
des États autrichiens, livre les Polonais aux Alle-
mands, aux Russes.
Laide contradiction. C'est dans la même année
(1731) que l'Angleterre écoute la prédication de
Wesley, se réforme, assombrit son austérité pro-
testante, — et que, d'autre part, l'Autrichien finît
sa dragonnade des protestants hongrois et des pro-
testants de Saltzbourg. Voilà caque l'Anglais pro-
tège en 17351 Qui dira qu'il est protestant?
Si l'Angleleri-e eût été protestante, elle eût
cherché son point d'appui uniquement dans l'Al-
lemagne du Rhin, du Nord, dans les deux États
Scandinaves, unis, fortifiés. Avec sa très-étroite
jalousie maritime, ses petites vues sur la Baltique,
elle a toujours tenu en deux morceaux, c'est-à-
dire annulé, brisé t'épée du Nord, qui l'aurait
tant servie. Elle a plutôt soldé une épée catho-
«».. . 10
Douze, bv Google
(l7S3-lTîi) ■ — IM —
UijOB, gardé 4'enipù^ barbare oà le pa^nsne est
UB jMiDstre de guerre.
Ici, de tout son poids l'Av^eterre s'asseoit
aTec FlcHrysur la lounle pieire cathoUqve -dant
toute liberté est écrasée. L'flffortde 47^, notre
élan de réveil, anmaent avortent-ils? C'est le
secret des deux Walpoie. Ils rêgnaieiit idaas Ver-
saiUeB. Us rcgnaioit dans nos ports, v«Haient
notre inarine, la solitnde de Brest et de Toulon.
Doginy-Trouin, un jour, se eousumant & at-
toidre Fleury, voit dans cette antichambre et la
fo»lâ dorée ou misérable à culotte percée, d'na
visage dévasté et sombre. C'est l'homiae q«i ^
trembla'lesmers,e'estlenaHtaiisGassaTt. Dug«ay
alla à toi, le serra dans ses bras. Ses yeaz
n'étaient pas secs. Il plenrait sur la France,
hébsl aussi sur lui. Il ne revint jamais 'd'^étre
resté dans Brest enchaîné devant les An^sôs. fl
s'éteignit l'année suivante.
:.bv Google
CHAPITRE X.
Vdbire. 1734-1739. — Le roi ne bit point ses pîques. 1739.
'' Dans Cfitte paix malsaine qu'avaient rétaUie les
Walpole, une chose devait les cootristerj c'est
ce qui avait A^>aru si fortement en 1733 : Xa
France était par die-même.
Fort opposée à sou gouvememeat. CeJui-ci avait
Feooooé à toute mariae militaire. Mais la France
faisaU <ks -vai^eatlx. Â lArieat, à Saint-Malo re-
naissait un commerce hardi qui demain se fe-
rait corsaire.
Autre découverte fàcbeuse. Quelque soin que
Flenry prît pour £air« une guerre ridicule, le
Françaïâ apparut un ilangereux soldat.
La presse a pris l'élan, oe retournera plus à
i'éUt étouCEé, muet, de 1728. Des livres ibrts
éclatent de moment en moment.
:.bv Google
L'hisloire a commencé, — narralive dans le
Charles XII (1751), — réfléchie, politique,
dans la Grandeur et décadence des Romains
(1754). Ébauche magistrale, qui, par ce temps
de petitesses, montrant dans sa hauteur la co-
lossale antiquité, fait rougir le présent. — Autre
effet, et plus vif, quand les Lettres anglaises
opposent à nos misères la grandeur britannique,
l'empire que l'Angleterre a pris dans les af-
faires humaines.
Dans ce livre, Voltaire, trop favorable à l'An-
gleterre, n'en établit pas moins une grande vé-
rité qu'avaient dite les Lettres persanes : « Le
protestantisme a vaincu; en tous les sens, il a
pris l'ascendant. » 11 tolère et fait vivre en paix
toute la variété des sectes. 11 a donné l'essor au
gouvernement libre, à l'activité énei^que qui fait
trembler les mers. — Grands efforts. Et le peu-
ple n'en est pas écrasé. Ce peuple, si différent
du nôtre, est velu, est nourri. Il est fier, il rai-
sonne. I) a jugé ses rois.
Newton à Westminster, le solennel hommage à
la science, au génie, la royauté de ta raison,
c'est ce qui couronne le livre. II essaye de nous
introduire, non pas dans la vie du savant (comme
fit l'ingénieux Fontenelle), mais dans la science
elle-même, dans l'exposition difficile des lois as-
tronomiques , physiques , au sein même de la
Douze, bv Google
— 149 — ■ (nî*-«50)
nature. 11 ouvre au grand public, à Tignoraut^
à tout le monde, l'entrée de )a via sacra, où
la science et la religion se confondront de plus
en pins.
Pour lancer un tel livre, en 1753, Vollaire
attendait, espérait la chute de Fleury. Il ne le lâcha
qu'en anglais et à Londres (août-septembre). Il
retenait encore l'édition française à Rouen sous
la clef. Mais ce terrible livre, comme un esprit
qui rit des portes et des serrures, s'envola de
lai-même. En France, en Hollande et partout,
il circula, pour l'eiîroi de Voltaire qui, dans ses
circonstances toutes nouvelles, eût voulu le gar-
der encore.
Grand changement. Il redoutait l'exil. Il avait
pris racine. Il était marié.
Uarié d'amitié avec un esprit sérieux, l'un
des plus virils de la France, M*" Du Ghâtelet,
si lettrée, si savante, éprise des plus hautes
éludes, traduisant Virgile et Newton. Elle était
parfaitement libre, dans les idées d'alors, dé-
laissée, oubliée de M. Du Châtelet. Elle avait
vingt-sept ans, avait déjà vécu, traversé l'étude
et le monde, n'avait rien trouvé pour le cœur.
Elle avait des méthodes, point de fonds. C'est le
fonds, la vie même qu'elle sentit en ce petit
livre. Son cœur fut plein, et se donna.
Voltaire était malade et dans sa crise obscure
Douze, bv Google
{n3*-n5e) — iso —
de 1753 lorsque cet ange de Newton vint, amené
par «ne amie, le voir dans son triste \o^s près
Saint-Gerraîs. Newton, comme on a vn, avait
fait sa fortune, et il lui donna une femme, éprise
et dérouée, très-noble compagnon de (ravai! qui
adoucit sa vie, qui n'altéra en rim, mais aug-
menta sa liberté.
Quinze ans durant il ent chez ^le un agréable
ffsile, très-près de la frontière, qui loi permît
d'oser, mais parfois d'âfuder l'orage. B était, n'é-
tait pas en France, avait un pied dehws sur la
terre de la liberté.
En avril 1754, le danger ftit réel, Voltaire
quitta Paris. Une lettre de cachet fui lancée
contre lui de Tersailles, et en même temps, le
Parlement, sur une plainle des carés, fit lacé-
rer, brûler le petit livre par la main dn bour-
reau (juin 1734).
Il était près d*Autun chez les Guise et les Bi-
ebefieu qui ne le cachèrent pas. H était sans
asile. M" Du Chitelet franchit le pas, et le ca-
d)a chez elle.
C'était chose basardense. Et tout le monde fut
contre elle, sauf M. Du Ghâldet. Homtne d'es-
prit et dès longtem^H désintéressé de sa femme,
il trouva bon qu'elle abritât ce beau génie per-
sécuté, sans famille, ami, ni foyer. Il défendit
V(^taipe, lui raidit des services.
Douze. bvGoogle
— 151 — (H3fc-1739)
Hôte peu redoutable^ à vrai dire, peu com]H'«-
meUanU Cette maigre figure^ d^ de quarante
ans, Dfirreuse et maladive, malade imaginaire de
phos, touj,oiirs mourant, entre la casae et le café,
w^ ombre d'homme, il le disait lui-même, don-
nait peu l'idée d'un galant. Ën&rmé tout le jour,
n'apparaissant qu'une heure, ounme un iarfedet
de pas6age„ même à Girey on le voyait à peine.
M"' de Grafiigny qui l'y vit, et W de Staal à
Sceaux, lai trouvaient l'air d'un xcvenant, d'un
petit moine d'autrefois aux yeux m^^na et doux,
dont l'âme curieuse Tiendrait de Tîuitre monde
visiter celui-ci.
Unian bien sérieuse pour Emilie, jeune en-
core» belle et forte,, dans son ^e de viii^-s^t
auSf riche de vie, de sang^ bien plus que ne
le sont ordinairement les grandes dames. Le tra-
vail la sauvait. Ses lettres, très-intimes, secrètes,
à d'Ai^eatalf lui font beaucoup d'booneur. Elles
démentent ce qn*(m a dit si légèrement : qu'aile
n'aimait Yollaire que pow le bruit elle succès.
Elles sont graves et d'un honnête homme, mais
fort passicaittées, d'un véritable cullo pour Vol-
taire. Dans ses constantes inquiétudes, elle reste
très-noUe; elle désire sans doute « qu'il soit
s^e, n ne se compromette pas trop ; mais elle
ne l'exige point. Elle n'impose aucnn sacrifice,
respecte tout à fait la mission de ce grand esprit.
Douze, bv Google
{1734-1758) _ 152 _
Loin de le détourner vers la liltéralure secon-
daire, les petits succès, elle l'admire, le suit de
son mieux dans son essor philosophique. Elle
l'éloigné au contraire de son faible Louis XIV,
œuvre médiocre et légère. Tant qu'elle put, elle
le retarda, tint le manuscrit sous la clef.
Cirey, dans un paysage mesquin, château peu
gai et délabré, ne pouvait plaire qu'à de tels tra-
vailleurs. Deux appartements seuls y étaient habi-
tables. Au premier, la sérieuse dame calculait,
traduisait Newton*. Sous elle, à l'entresol, Vol-
taire écrivait tout le jour. Là il paraît très^rand.
Cirey lui fit son équilibre, il fut universel et
rayonna de tous côtés. A travers les poèmes et
les drames, les traités de philosophie, il expose
Newton, étudie la chimie, fait ses expériences,
son Mémoire sur U Feu. Il défend Réaumur dont
on méprisait les insectes. Il pose le principe
admirable : « Nous devons à notre âme de lui
donner toutes les formes possibles, » Ce prin-
cipe il l'applique, avançant en tout sens avec une
* El, de Newton, elle passait, non sans grîce, aui arraDgemeats in-
térieun. Elle apparaît charmante dans cette jolie lettre >lc Voltaire : .
• La Toiciqui arriie de Paris. Elle est entourée de deux cents ballots
qui ont débarqué ici. On a dea lits sans rîdeait, des chambres sans Fenê-
tres, des cabinets de la Chine et point de fauteuils, flous faisons rapié-
celsr de tieilles tapisseries. Elle est devenue architecte et jardinière;
elle fait des feuAies où j'aiais mis des portes, dunge les eicaliert en
cheminées. Elle lait l'outrage des fées, meuble Circj arec rien.,, b —
heures, nov. 17&4, p. 55S, S5T.
:.bv Google
— 153 — (1734-11391
vigueur merveilleuse et cette ambition conqué-
rante que Vice appelait « un héroïsme de l'es-
prit (mens hermea). »
Ce qui surprend le plus, c'est que les grands
orages lui viennent à chaque instant pour des
productions très-légères autant que pour ses livres
hardis. Pour le Temple du goût il est persécuté.
Persécuté pour une épître à Uranie. M™ Du Châ-
lelel est toujours dans les transes. En 1734 et
1755, ils respirèrent à peine. En plein hiver,
alerte (26 décembre) ; il s'en va de Cirey, se met
en sûreté. Autre plus grave, en décembre 1736
pour la plaisanterie du Mondain, et celte fois il
part pour la Hollande. Elle le suit. Les voilà sur
la nrige à Vassy {4 heures du matin). Elle
pleure. Va-t-e!le revenir seule dans ce Cirey dé-
sert ? Ou va-t-elle avec lui, en laissant là ses
enfants, sa famille? Voltaire l'en empêcha. Tout
souffreteux qu'il fût, seul il passa l'hiver dans
cette froide et humide Hollande, caché le plus
souvent, redoutant à la fois la haine de nos ré-
fugiés, et les calomnies catholiques du vieux J.-B.
Rousseau, qui allaient jusqu'à Fleury même,
pour éterniser son exil, lui fermer le retour, lui
faire perdre l'asile que lui avait fait l'amitié.
A ces misères joignez les procès, les libelles.
On lui avait lancé le libraire de Rouen, desti-
tué pour les Lettres anglaises. Sous le nom du
DolizccbvGoOglc
(IMWISB) — 154 ~
libraire, on publiait cait calomnies. Le faux
fNTotecteur de Voltaire, Mafurepas prétendit tout
arranger en écrasant V(4taire^ lui infligeant la
hcffile d'nne amende à payer aux pauvres.
La situation g^iérale empire en 1137. TouLe
liberté perd espérance avec l'homme de rise et
d'audace qui avait cru succéder àFleory. Ghau-
velin est chassé (février), chassé pour too-
JOUTS.
Son crime fut d'avoir ftwcé Fleury, forcé
l'Autriche à en Onir, par une ligne ajoutée
de sa main à une lettre de Fleury : « Qu'en at-
tenàAniy le ^.oi garderait PhiUpsboweg^ Trèoes
A KM, y> — que, si Voa ne finissait ri@a,
nous resterions toujours en Allem^ne.
Acte hardi, qui fit peur, décida tout^ mais
perdit GhauveUn,
Depuis deux ans l'Autriche et les Walpole. le
Iravaillâient. D'abord on lui o^it de l'ai^elit.
Puis, comme il refusait, on le calonmia, on
soutint qu'il volait. U aurait v(dé... une montre!
|Barbi^, etc.). Enfin par un coup plus halnle,
Walpole se procnra des lettres oiî Cbauvelin com-
muniquait avec l'Espagne (dans l'intérêt de la
France). On cria à la trahison.
I.ifô dates rendent à ces sottisea, disent la
vraie cause de sa chute. Vaincu et effrayé par
sa fermeté, l'Autrichioi lâche enfin la Lorraioe,
Douze. bvGoogle
— 155 — (ITSUTMl
15 février 1737*. Le 25 février, Chanvelin est
exilé pour !a Trie. Jamais l'Autrichien, ni t'An-
gtais, jamais )e parti prêtre, ne oonsentiFent à
son retour.
U laissait des regrets à la cour, dans rarmée.
an Parlement, partout. Il avait un parti ou deux
partis plutôt : celui du bien puliJic, et celai de la
guerre. Et ce dernier si fort, qu'il fallut Toocuper,
«m doDuaut aux Génois un secours pour réduire
la Corse, armée cwitre eux sous un aventurier qui
se proclamait roi de l'île.
A la cour, les meillairs étairait pour Ghauvetin :
j'entends M. delaTrémonilte, alors bien réfwmé,
et la bonne Mailly, d'un cœur honnête, ardent,
fort désintéressée, qui resta toujours pauvre, ne
voulant que l'amour, l'honneur, ta gloire du Roi.
Elle l'avait aimé déplus en plus, mais avait pen
d^espril, de la jalousie^ l'ennuyait. D aimait beau-
coup mieux la jeune femme de M. le Duc, comme
on a TU. Seulement^ pour la tirer de Chantilly, le
[«■«ttier point était de renvoyer Fleury, de donner
au mari pour sa femme la royauté même. 11 anrait
h\hi qne le rm changeât sa vie, ses habitudes,
immolât aux Gondés non-seulement Fleury, mais
les légitimés, le comte de Toulouse e* l'aimaWe
comtesse qui, si souvent, si l»en, le recelait i
Bambooillet.
■ D'HaunonvilIe, Riunion de la Lorraine, Vf, 489 .
:.bv Google
[17S*-n59) _ 156 —
Ainsi troublé, indécis, en 1737 et 1758, entre
la reine et la Mailly, seul en réalité, il eut des
échappées sauvages et de hasard, non sans danger
pour sa santé. D'ennui, d'épuisement ou d'autre
cause, il fut malade (février 1758), et juste au
même mois où Flenry, très-malade aussi, semblait
près de s'éteindre. La nuit du 20, celui-ci appela
son vieux valet Barjac, et lui dit : « Je me meurs ! »
(Luynes, II, 41). — Grande agitation dans Ver-
saOles. Que serait-ce si tout à la fois le ministre
et le roi manquaient ?
La reine serait-elle r^ente? Ses amies en par-
laient. Sous elle eût gouverné un second Fleury, et
tout prêt, Tencin, le fourbe, l'intrigant, dont l'œil
dur et faux faisait peur. Le roi y répugnait. Mais
il avait pour lui toutes les saintes, et celles du
cercle de la reine, et les dames de Noailles, la
perle des Noailles surtout , madame de Tou-
louse.
Celle-ci, douce et fine, avisée, travaillait à la
fois et pour l'Église et pour son fils. Les Coudés
demandaient que ce fils, le jeune Penthièvre, à
la mort de son père Toulouse, ne gardât pas le
rang si élevé que l'amour du grand roi avait fait
aux légitimés. M""' de Toulouse, même du vivant
de son mari, serra le roi de près, lui donna de
petits soupers (Luynes, II, 169), au grand éton-
nemenl de la cour. On savait à quel point le roi,
Douze, bv Google
— 157 — (n3*-i7M)
après boire, s'oubliait. M. de Toulouse mort,
Madame, éplorée, inondée de larmes (très-sin-
cères), en revoyant te Roi, se jeta dans ses bras,
lui donnant le fils et la mère. Le Roi fut fort
touché. Elle semblait un peu sa mère aussi, et il
t'aimait d'enfance. Dans cet aimable Rambouillet,
dans cette idylle austère d'un ménage accom-
pli, ^lle le recerait, le caressait avec une grâce
ilialernelle, le formait, l'amusait d'agréables pro-
pos, mondains, dévots, des histoires du grand
règne et de la belle cour. Avec sa gravité sou-
riante, une vertu si sûre, vingt-deux années de
plus, elle pouvait s'avancer plus que d'auti'es,
avertir l'enfant mal guidé de bien des choses dé-
licates, l'ennoblir, l'épurer, lui dire ce que c'est
que l'amour.
Une seule chose Ëiit ombre ; c'est que la faible
mère, cherchant avant tout la faveur, laissait jouer
son fils [du premier mariage) Épemon aux petits
cabinets, si mal notés. Et, pour son fils Pen-
thièvre, elle se hasarda elle-même. Elle avait un
grand avantage, gardant dans son veuvage un ap-
partement très-commode, où le Roi à toute heure
descendait sans chapeau, par un escalier dérobé.
M. de Toulouse avait eu (de sa mère Monlespan)
une clef pour entrer chez le roi. Cette faveur
subsisterait-elle ? M'* dé Toulouse y réussit adroi-
tement. Gomme le Roi s'amusait à tourner, elle
Douze, bv Google
[i3S*-lî3fl) _ 158 —
lui fît tourner dans un bois qui lui -vetaii de son
mari, un étui pour meltre la clef. En lui rendant
l'étui, le Roi donna l'inestimable passe-partimt
{17 mars 1738).
Ayaiil la def et l'escali^, on atrivait au
dernier cabinet oik le roi éciivail, k la fanmise
garde-robe où se trancha deux fois le destin de
la naonarchie. lollmité si grande que le Roi la
reAisa à sa iille HenrieUe, ne l'accorda jamais
qu'à son Adélaïde. On pouvait en elFet, lui ab-
sent, voir tous ses papiers. On pourait le sur-
prendre à lelle h«ire bien choisie, où la sur-
pr^ est désirée.
Quoi qu'il en soit, M"* de Toulouse, véritable-
ment affligée, restait dans sa ligne de deuil, passant
souvent deux heures à la chapelle au SoBd d'un
confes^onnal où elle lisait à la bougie. Sao appar-
tement même, avec la petite cour pavée de mar-
bre blanc et noir, avait un air de eloîtr e à l'espa-
gnole. Tout cela imposait. Et si quelqu'un pensait,
du moins on n'aurait pas jasé. L'eicuse au reste
était le iils et l'extrême besoin qu'elle avait du
Roi pour ce fils. On lui reproduit peu des amitiés
utiles qu'il lui Mlait subir. Les complaisantes
invariables des plaisirs du Roi (la Charolais,
D'Ëstrées) chez qui souvent il se grisail, se
trouvèrent très-4iées avec M*"* de Ttmlouse. D'Ar-
genson, par deux fois^ observe un peu cpiqu»-
:.bv Google
— 1» — [ns*-«s»;
ment que eelle-û a (pii a l'escaiier dérobé, »
peai .se Caire désirer par sa dévotion même, fille
était btanche et ^asse {it Mailly maigre et
noire), et, maigre les années, ftwl, conservée par
sa Tcrtu. A ciaquaate ans elle ^il belle, une
très-agréable maman.
Entre mai et octobre, elle avait, mois par
mois, «t degré par degré, r^it tous les h<m-
nfeurs, biens et dignités de son 61s. Au souper
de Fontainebleau, ce jeune fils (comme prince)
servit le Roi à table. Elle-même servit au des-
sert, dcHina au roi un verre et une assiette, et
par là constata son rang.
Husieurs crurent vnr une Maintenon, mais
celle-ci non sèche, au «onUraire, douce, aimable.
L'âge n'aurait lien empêché. L'amour dévot,
jésuite, avec ses vastes complaisances, eût fait
plus que beauté, jeunesse. M™ de Toulouse,
unie avec la reine et Tencin, le parti des
honnêtes gens, eût pu garder le Roi par l'attrait
maternel, la saveur du demi-inceste, ce lien équi-
voque, que tous £&Tomaient, honoraient et voi-
laient. Cependant dle-méme se cacha pen en août,
ayant laissé le Roi se faire Chez elle à Rambouill^
uae chambre i coucher, pais certain cabinet,
dont elle l'entretint longuement, tout bas, de-
vant tous, à Versailles '.
< Luynes, If, SQ6, 81 aoèt ilU. H ijotM : i La bitœt Mriabi. i
Douze, bv Google
Cela dut attrister H" de Hailly, qui vit qu'elle
ennuyait, et que le roi peu à peu échappait.
Elle chercha un amusement. Elle appela sa laide
et spirituelle sœur, M"* de Nesie, dont la figure
la rassurait. Cette grande fille, lâchée du cou-
vent, avec une vive gaieté, remplit te maus-
sade Versailles de sa jeunesse et de ses badi-
nages, hardis, mordanls, qui n'épai^naient per<
sonne. Elle étonna le roi en se moquant de lui-.
Et il y prit plaisir. H ne pouvait plus s'en passer.
Dès le 22 décembre, il voulait qu'elle soupât
avec sa sœur aux petits cabinets (Luynes, II,
295). On eut peine à parer ce coup.
Cette rieuse était fort redoutable. Elle lançait
d'ineffaçables traits. Dans le pays de cour, si sot,
où on craint tant les ridicules, on avait peur. On
remarqua le plat de la situation. Un ministre en
enfance, une maîtres^ usée, Toulouse la maman
complaisante de l'escalier furlif, tout était misé-
rable, ennuyeux, excédant. II était trop facile de
faire honte au jeune roi de sa patience. La NesIe
était impitoyable, et le plus dangereux c'est que,
sous ses plaisanteiies, sous ce rire et ces riens, il
y avait une force réelle.
Le roi élait timide, il baissait la tête et riait.
Ceux qui voyaient de près les choses. Bachelier,
Mot gnne, accenlué, Cort rare, chez un chrODiqncnr si discret, qui
presque toujours ne leut pas voir, baisse les jeux.
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— 16! — in3M73B;
le valet ïntioie, snivireol le vent, tournèrent. La
première girouette de France, Maurepas, tourna
non moins vite. Il crut Fleury fini, et Chauvelin
possible. Il avait vaillamment aidé à la noyade de
celui-ci, profil!^ de sa chute. Ministre de Paris, et
en même temps de la Marine, il se trouva de
plus comme un secrétaire de Fleury pour toutes
les Affaires étrangères. Plus encore, son altet' ego
contre le parti Chauvelin, jansénistes et libres pen-
seurs. En 1756, il accabla Voltaire pour les Let-
tres anglaises. En janvier 1739, il est changé ; il
écrit à Cirey, il courtiEe Voltaire et l'assure de son
amitié (Lettres de M"" Du Chat. 125).
De graves circonstances arrivaient, la guerre
presque certaine, donc Chauvelin, le seul capable
de la soutenir. Elle éclatait déjà entre l'Espagne
et l'Angletare. La mort prochaine de l'Empereur
allait la rendre européenne. Si Fleury restait là
(c'est-à-dire l'impuissance et l'absence de gouver-
nement), un grand désastre était certain.
La Nesle ne perdit pas de temps. Aux premiers
mois de 1739, sans faire bruit, et sous le couvert
de sa sœur la Mailly, elle prit Louis XV comme
on pouvait le prendre. Elle n'était pas belle, mais
plus blanche que la Mailly, plus jeune que M""* de
Toulouse. Elle ne coûtait rien et ne demandait
rien, n'exigeait nullement que le roi renonçât à
rien. Il n'était pas moins assidu le jour chez la
:.bv Google
(1134-113») — i6S —
maman ; le matin, comme à rordioaire, il allait
quelques heures bâiller au lit de la Hailly.
Situation bizarre. Par moments, le Roi la sen*
tait. Ce lien triple, impur (deux sœurs et une
mère) lui donnait des scrupules, pas assez pour le
rompre, assez pour n'oser communier. Il y avait
des exemples de la colère de Dieu , de gens
qui, mettant l'hostie à la bouche, ayant avalé leur
ji^ement, étaient tombés roîdes morts. Gela lui
doimait à penser. Six années avec la Hailly, il avait
fort tranquillement communié. Hais ici, avec ce
mâange, il eut peur. Rim ne put le décider à
hasarder la cho
« Le Roi a déclaré qu'il ne fera point ses pâques.
Le grand prévôt lui demandant s*il toucherait les
écrouelles (ce qui se fait après la communion), il
a sèchement répondu : Non » (Ai^raison 5 avril
1739).
Fait grave, de retentissement immense à Pans
et partout. Barbier (III, 167) se dranande comment
le fils aîné de l'Église n'a pas dispense du pape
pour faire ses pâques en quelque état qu'il soit.
Les ulti'amontains altérés espéraient éluder et
tromper le public en faisant dire une messe basse
au cabinet du Roi, de sorte qu'on ne sût pas s'il
communiait. « Le Roi dédaigne cette ridicule
comédie. H ne veut pas jouer la farce, il échappe
à son précepteur » (Ai^enson).
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CHAPITRE XI.
Guerre d'Autriche. Grandeur et catastrophe de la Nesle, 1140-1741.
Le chimérique espoir du salut par la royauté,
d'un roi affranchi par l'amour, l'idéal d'une douce
royauté de la femme donnant aux nations le pro-
grès et la liberté, c'est longtemps le roman du
dix-huitième siècle. Les meilleurs l'adoptaient.
L'excellent d'Ai^enson, obstiné à chercher son
homme en Louis XV, à soupçonner en lui un
mystère d'avenir, croit qu'un matin l'amour ya
tout faire éclalw. Voltaire, moins aveuglé, dans
son ironie même, ses moqueries légères (imitées
d'Arioste), ne désespère jamais. A chaque avène-
ment de maîtresse, il croit voir l'inerte Charles Tll
réveillé tout à coup à la gloire par Agnès Sorel.
Sous la Mailly, la Nesie, Châteauroux, Pompa-
:.bv Google
(174M74I) — iU —
dour, toujours revenait cet espoir. S'il fut un jour
moins vain, incontes la blemenl, ce fut en 1739.
Pour celle fois, le Roi parut aimer. Avant, après
la Nesle, ses maîtresses ont fort peu de prise ;
il n'en regrette aucune. Mais celle-ci vraiment
semblait avoir mordu. La voyant sans cesse, en
deux ans, il lui écrit deux mille billets. Et, à sa
mort, on le crut fou.
On sait malheureusement très-peu de celte
femme. On en a quelques jolies lettres. Elle appa-
raît pour disparaître. Elle n'agit que sous le cou-
vert de sa sœur et presque ténébreusement. Elle
estpi-udente, hardie. Tous, amis, ennemis, s'ac-
cordent à reconnaître, qu'avec une parole acérée
et brillante, elle eut un esprit vaste et fort, qui
n'eût reculé devant rien. On n'en parla guère qu'à
sa mort. Paris savait, à peine son nom, au moment
même où, entraînant le Roi, elle semblait lancer
sur l'Autriche et l'Europe la plus vaste révo-
lution. ;
Frédéric, dans ses beaux Mémoires, ne nous dit
pas assez cela. Seul alors en Europe, mal avec
l'Angleterre, mal avec la Russie, s'il n'eût senti
la France pour lui, il n'eût bougé. Il sut parfaite-
ment ce qui se passait à Versailles- Les anli-Autri-
chiens, la Nesle, y étaient maîtres, quand il agit
contre rAulriche.
Tout cela tenait à un (il, au plus fragile, au plus
Douze, bv Google
— 1G5 — («40-1741)
iiicerUin des miracles, à la question de savoir
jusqu'oii l'amour pouvait refaire un roi. De sa
honteuse enfance, de sa jeunesse aride, sortirait-il
un homme? Était-il bien capable de la métamor-
phose qu'aurait pu seul le haut amour? grand
problème et douteuse énigme.
L'aimable monument, un peu efféminé de 1 759,
la belle fontaine Grenelle, a la mélancolie des des-
tinées obscures. Une jeune reine (Paris? ou la
France? ou la Mailly? la Nesle? tout cela est
mêlé) trône sous la couronne de tours. A ses
pieds le beau fleuve et la molle rivière couchés
lèvent sur elle un œil aimant, croyant. D'elle vien-
dra l'émancipation? un cours heureux, prospère,
le floldeslemps meilleurs?... 11 se peut. Pourquoi
pas ? Rien ne doit l'effrayer. Une rêverie guerrière
est dans son doux visage. Et son poing sur la han-
che dit assez qu'elle est prête aux plus hardies
résolutions. Je ne sais quel nuage est pourtant sur
le tollt d'incertain avenir. Haute estl'aspiration...
Impuissante peut-être, elle ira se perdant oii vont
ces eaux, où coule cet élément fluide, qui fuit aux
grandes mei's.
Yoltaire, vif et crédule, ne douta pas. 11 se
croyait sauvé. En janvier (1759), il veut quitter
Cirey, s'établir à Paris. Depuis quatre ans, il avait
fait Mérope. Il faisait Mahomet, brûlait de les
jouer. 11 voulait retourner au terrain du combat,
Douze, bv Google
(i7»-17«) — 166 —
être là pour répondre aux articles, aux pamphlets
que semaient Desfontaines et autres avec l'appui
de la police. Il allait éclater dans les sciences par
ringénieui et très-neuf Mémoire sur le feu, par
son Netvton qui, depuis l'exil de Chauvelin, n'a-
vait pu s'imprimer. Paris était son vrai théâtre.
Après cinq ans d'ahsence , il rentrait agrandi ,
immense, rayonnant en tous sens. A Cirey, il était
malade de sa terrible activité, meurtrière dans la
solitude. La fièvre à chaque instant. Il défaillait
deux fois par jour (décembre). De là mille choses
vaines. Il va chasser, il achète un fusil. La nuit,
il rêve, il rime cent folies satiriques, libertine
imî^e des cours. Le plus fou eût été d'aller en
Allemagne chez le prince de Prusse, qui l'ap-
pelle et l'attire, essaye de l'enlever. Voltaire
ajourne, écrit des lettres adorables, où il voudrait
donner à ce roi de demain ce que n'ont guère les
rois, un cœur et des entrailles, un peu de douceur,
de bonté.
Très-sagement, M™ du Châlelet, pour l'éloigner
à j amais de la Prusse, en commun avec lui achète
un hôtel à Paris (2 avril 1739). Elle y va mener
son malade. Pour 200,000 francs on acquiert
l'hôtel Lambert, qui était aux Dupin, au gendre
de Samuel Bernard, hôlel bien connu de Voltaire,
qui lui rappelle un meilleur âge, (^and il jouait
Zaïre avec la belle M""* Dupin. A la pointe de l'Ile,
DolizccbvGoOglc
— 167 — (17«-17«>
au paisible quarti^ des grands hôlels de la ma-
gislrature, loin du ceotre, à porl^ du monde, en
vife de Saint-Gervais où Fange de Newton apparut
à Voltaire, c'est une fort noble résidence (aujour-
d'hui des Czartoriski). Très-sérieuse toutefois et
regardant le nord. Mais la décoration et les fres-
ques suaves des grands maîtres suppléent le so-
leil. M"" du Châtelet espérait tenir là cet esprit
si mobile par un salon royal où lettres et
sciences eussent brillé dans leur harmonie, éclip-
sant le salon artiste de M"" la Popelinière. Elle
comptait sur Thôlel Lambert, sur cet attrait du
monde, ce rajeunissement. Elle en avait besoin.
Elle avait séché en six ans de travail et d'inquié-
tude, du vain effort de captiver Voltaire. Les torts
étaient à celui-ci, aux indomptables ailes qui le
portaient de tous côtés. Il ne s*en cachait pas. A ce
moment aimable qui semblait pour toujours les
unir à Paris, il fait les vers bien tristes : « Si vous
voulez que j'aime encore, etc. » Vieux à quarante-
quatre ans, il espérait mourir paisible en cet hôlel,
en son Pari^ natal, entre l'étude et ses amis. Vain
espoir I une autre carrière, et sans repos, s'ouvrait
pour lui, éclatante, d'éternel exil.
Une réflexion naturelle aurait dû modérer l'idée
qu'on se faisait du changement du Roi. S'il s'était
abstenu de faire ses pâques au 5 avril, c'est juste-
ment parce qu'il était dévot. En mai, il y parut.
:.bv Google
(iiw-nii) — 168 — '
Le rude évêque de Chartres le fil trembler d'uo
mot. Sans rappeler sa faute, il fit penser au châ-
timent : « Sire, après la famine, voici bientôt la
peste qui n'épargnera pas les grands. » Ce coup
porta. Le Roi, à la messe, eut une défaillance.
Des gens pourtant qui voyaient de bien près,
son Bachelier qui vivait avec lui huit heures par
jour, s'enhardissaient. Bachelier fait écrire des
mémoires sur la tolérance, et les fait transcrire
par le Roi. La persécution janséniste se ralentit.
La police hésilait, elle ne troubla plus les malades.
Si l'on eut pas encore la liberté de vivre, on eut
celle de mourir en paix.
La Charalais, cette Gondé, joyeuse, hardie,
ayant pris à Compiègne la Nesie avec elle et chez
elle, poussa le Roi à une chose qu'on n'eût pas
cru, h faire un tour au vieux. Fleury, le matin,
arrivait pour travailler avec le Roi, avait la clef,
ouvrait lui-même. Un jour à l'ordinaire , avec
Barjac, qui lui portait son portefeuille, il veut ou-
vrir, ne peut. Barjac essaye aussi. En vain. Ma-
lignement, le Roi qui entendait, la^se gratter,
frapper, enfin ouvre, en disant froidement : « C'est
que j'ai changé les serrures » (Luynes, II, 454).
Grande révolution? Non, au fond peu de chose.
Il s'est donné la joie de casser le nez à Fleury.
Hais il n'en a guère moins à blesser la Mailly,
même la Nesle. Dans sa nature mauvaise de ma-
D,a,l,zc.bvG00gIe
t _ lfi9 _ (1740-17411
gister qui aime à châtier, il s'amuse à voir le vieux
prêtre la flageller des plus sensibles coups, sur les
amis de Cliauvelin, sur Mailly, mari de sa sœur,
même sur leur père M. de Nesle. Spectacle curieux.
Il force les deux sœurs d'avaler l'amertume d'aller
prier Fleury pour leur père et demander grâce.
Au point le plus sensible, la préférée le trouva
sec. Pour couvrir les grossesses, cacher l'inceste,
il veut la marier. Il lui fait espéi'er un prince, le
comte d'Eu. Et il lui donne un gentilhomme,
neveu de l'archevêque Yintimille, petit prol^é dé
Fleury. La voilà mariée de la main de Fleury,
moquée, la fière et la moqueuse.
Les quelques lettres qu'on a d'elle disent sa
triste situation. Fleury impunément l'ayant hu-
miliée, on la sentait branlante, et l'on se tenait
à distance. Toute mariée et posée qu'elle était,
elle menait sa vie de demoiselle , seule en sa
chambre, sauf les chasses où il fallait aller avec
le Roi et la Mailly. Que faisait-elle dans celte
chambre close ? c'est ce qu'auraient voulu savoir
ses ennemis. Ne pouvait-on s'introduire dans la ,
place? La société de la reine y songeait. Une de
ses dames imagina de lui adresser une femme
adroite, de deux visages et deux paroisses, M™ Du
Deffand. Correspondante de Voltaire , elle est
d'autre part plus qu'amie du président. Hénault,
l'homme de la reine. De plus, elle est parente
Douze, bv Google
(llW-1741) — 170 — •
des De Luynes, chez qui invariablement soupait
la reine. Cette Deffand avait toujours fait des af-
faires. D'abord, elle se fît quelques rentes chez
les maîtresses du Régent, puis servit H"* de Prie.
Vivant alors chez M°" Du Naine, elle avait bien
envie de s'en émanciper, d'acheter une maison.
La Ne&le aurait pu y aider, ou bien les ennemis de
la Nesle si par la bonne dame on avait jour chez
elle. La Du Deffand lui écrivit, se présenta comme
amie de Voltaire, flatta et caressa. La Nesle lit
semblant de la croire, répondit dans un abandon
tout charmant de crédulité, jusqu'à dire qu'elle
serait charmée d'être en tout dirigée par elle (sept.
1739, édition 1865, tome !, p. 1-9).
La solitaire n'en agissait pas moins. En 1740,
elle eut deux victoires coup sur coup. Seule, elle
eut les étrennes du Roi au 1" janvier. En février,
malgré Fleury, elle fit un ministre de la guerre,
Breteuil. Maurepas n'osa parler contre, suivit l'in-
fluence nouvelle et laissa le vieux cardinal.
Cette année-là est grande. En mai, Frédéric de-
, vient roi. En octobre, meurt l'Empereur. La
guerre arrive, et le héros.
Le voici donc, le grand acteur du temps. Il
reviendra de moment en moment, et nous le pein-
drons par ses actes. Il suffira de dire ici que per-
sonne ne l'avait prévu, qu'on ne supposait pas
qu'un artiste, musicien, poète, qui, longtemps pri-
D,a,l,zc.bvG00gIe
— 171 — («« ««)
soDnier et longtemps solitaire, n'aimait que les
arts de la paix, qui déjà à trente ans avait l'em-
bonpoint d'un autre âge, déployât tout à coup l'ac-
tivité du militaire, qu'instruit par ses succès,
instruit par ses revers, il serait peu à peu le plus
grand général du siècle. Étonnant caractère qui,
parmi ses défauts, ses fautes, n'en donna pas
moins à son temps la plus haute leçon : le triom-
phe de la volonté.
Le piquant, dans sa destinée, c'est qu'en réalité
l'Autriche, par ses persécutions cruelles et ses in-
trigues, fit ce grand ennemi qui faillit la détruire.
Son mauvais génie à Berlin avait été, vingt ans
durant, le rusé Seckendorff, ambassadeur d'Au-
triche, chaîné spécialement d'étouffer son enfance
et de l'empêcher de régner. Vienne en lui redoutait
un prince ahsolument français, élève de nos réfti-
giés. On irritait son père, un brutal allemand, con-
tre ce Français, ce marquis. 11 faillit lui couper la
tête, fît mourir ses amis, l'accabla, l'écrasa, le
força d'épouser une parente de l'Autriche. Il ne
fut épargné que quand il parut méprisable, en-
fermé dans l'étude des arts, qu'on croit futiles ; s'il
faut le dire enfin, avili par les dons de l'Autriche
même.
Déjà gras et fiévreux, seul aux marais du Rhin,
dans celle pitoyable situation (qui l'eût cru?), il
amassait une force, il ^tassait en lui un trésor
Douze, bv Google
(1740-1741) — 172 —
d'énergie, de volonlé puissante. L'heure sonne. Il
apparaît d'airain.
Ce scribe, cet ami de Voltaire, faiseur de petits
vers, et bon joueur de flûte (c'était sa grande pré-
tention), mène tout droit l'armée à la bataille... 11
a peur, mais la gagne. Dès lors il est très-brave,
froid et lucide au feu. C'est le grand Frédéric.
On fut bien étonné. Mais il n'avait rien fait de
téméraire, au contraire, une chose très-sage autant
qu'hardie, prudente et fondée en raison :
D'abord la Silésie qu'il prit aux Autrichiens est
anti-autrichienne de race et de croyance, protes-
tante, anti-catholique. L'invasion liit très-popu-
laire. La place principale fut livrée par un cor-
donnier (Dover).
Frédéric semblait seul, sans alhé, faire ce grand
coup de tête. Mais en réalité, il avait la France
avec lui. Au moment de l'invasion, en décembre
1740, notre Bellisle, dans la plus splendtde am-
bassade, avec un appareil de prince, éblouissait
l'Allema^e, lui prêchait la croisade contre Marie-
Thérèse, le démembrement de l'Autriche.
Comment n'eût-il pas cru que Fleury tomberait,
que le Roi allait être entraîné à la guerre ? Frédéric,
si français, savait parfaitement notre cour. Tous
regardaient Versailles, Berlin, Madrid et Vienne
avaient ce palais sous les yeux avec tous les détails
topographiques, anecdotiques , la chronique de
Douze. bvGoogle
— 175 — (17«-17«î
chaque jour. Chauveliu, rennemi de l'Autriche,
Chauvehn, l'absent, l'exilé, y semblait très-pré-
.senl, présent au Conseil par Breteuil, ministre de
la Guerre, présent aux salons et partout par MM.
de Bellisle, dans la chambre du Roi par Bachelier,
présent et puissant par la Nesie qui un moment
emporta tout (décembre 1740).
Frédéric savait à merveille la vraie situation.
C'est l'Autriche elle-même qui avait tué Fleury,
usant et abusant de sa crédulité^ le rendant ridi-
,cule. Elle l'emploie pour médiateur et sauveur
dans sa guerre des Turcs. Elle lui emprunte douze
millions . sur un gage ; elle l'attrape et donne le
gî^e aux Hollandais. Ce sauveur, ce médiateur,
elle s'en moque, et, nous voyant brouillés avec l'An-
glais pour la défense de l'Espagne, vite, elle se
ligue avec l'Ariglais.
Frédéric savait sans nul doute que Louis XV,
peu ami de la guerre, en ce moment y était en-
traîné, non-seulement par ses maîtresses, mais
par sa famille même. La famille royale, très-espa-
gnole de cœur et unie à l'Espagne par un double
mariage, priait et suppliait le Boi d'armer pour la
cour de Madrid et contre l'Ânglelerre. Mais l'An-
gleterre, l'Autriche, ligués sous Charles VI, plus
encore sous Marie-Thérèse, c'était alors même
personne. Le coup le plus terrible qui eût averti
l'Angleterre, c'eût été de marcher sur Vienne.
:.bv Google ' I
(1740-mi) _ 174 —
Les difficultés étaient moins en ÂUemagne qu'à
Versailles. Dans ces plans si hardis oiî le Roi se
laissait traîner, une chose lui plaisait, il est vrai,
celle de donner l'Empire au Bavarois, vieux client
de Louis XIV, de suivre cette idée de son aïeul,
de faire un Empereur (catholique autant que FAu-
tricbieo). Mais unechose ne lui plaisait pas : c'était
d'î^randir le roi de Prusse, chef naturel des protes-
tants. Fleiuy en gémissait. Et le Roi aussi au-de-
dans. Poussé par la Nesle et Fleury en deux sens
opposés, il tombe à un état de néant pitoyable.
Un matin il lui passe de faire de la tapisserie,
de reprendre (à ti'ente ans) les sots petits goûts
de l'enfance. On court vite à Paris demander à
H. de Gesvres (le célèbre impuissant) tout ce
qu'il faut pour ces travaux de femme. Même à
la cour, on rit. Le courtisan français qui ne tient
pas sa langue, fait compliment au Roi : a Sire,
votre grand aïeul n'a jamais, comme vous, com-
mencé à la fois quatre sièges (de chaises ou fau-
teuils). »
Comment le soulever de là? lui donner un mo-
ment de cœur, de volonté? L'amour et la paternité,
si puissant sur Louis XIV, pouvaient bien moins
sur Louis XV. Nul désir des enfants. En trente an-
nées et plus, il n'en eut ni de la Hailly, ni de Pom-
padour, ni de Du Barry. La Nesle essaya cette
prise, elle voulut ce gage du Roi (au grand moment
:.bv Google
— 175 — (n«o-««|
décisif des affaires). A la fête des R<hs (te 6 jan-
vier), elle est enceinte.
On le sut à l'instant. Fleury se crut fini. II îai
plat, à l'instant, comme un ballon piqué, si plat
que le 25 il fait sa cour à Frédéric, lui écrit que
« l'Autriche n'ayant pas rempli les traités, la
France est absolument libre, ne la garantit point. »
En même temps, cet homme de quatre-vingt-dix
ans, donnait ici la comédie honteuse de dire qu'il
n'avait nulle idée, nul parti, ne savait oii aller,
avait l'esprit perdu. 11 fait l'évapwé, l'innocent et
le simple. Il a réduit sa taille (Ar^.), il paraît plus
petit, veut faire pitié. On dit : « On ne peut pas
tuer ce vieux prêtre. »
Avec cela, il reste. Il tratne, il niaise, ajourne.
Le succès exigeait deux choses : ag^T dès mars,
— et marcher droit à Vienne. — Une troisième
était demandée par Frédéric : que Bellisle agît seul
avec lui, et dirigeât tout.
Bellisle n'avait point commandé (pas plus que
Frédâ'ic), mais chacun à le voir, à l'entendre, sen-
tait le génie. Frédéric le croyait le seul homme de
France {avec Chauvelin et Voltaire). Le 15 février,
on le fait maréchal, commandant de l'armée future.
Mars passé, rien encore. Avril, rien. Et déjà en
avril, Frédéric a gagné sa première victoire (de
Molwits), un brillant appel à la France, ce semble.
Que fait-elle? il attend.
:.bv Google
{n40-17«) — 176 —
Fleury renouvelail sa manœuvi-e de 1735. La
Nesle, en mai, joue le tout pour le tout. Elle entrait
au cinquième mois de sa grossesse. Le Roi, plus
qu'on n'eût cru, semblait attendri d'elle et de cette
espérance, de ce moment délicat et souffrant. La
Nesle en profila. Fleury boudait, se tenait àlssy.
Elle dicta au Roi une lettre où il disait « qu'il pou-
Tail rester à Issy. »
L'occasion est une place de gentilhomme de la
chambre que Fleury veut pour son neveu. Elle a
forcé le Roi d'écrire. La lettre est là , mais non pas
envoyée. Le Roi en est chagrin, agité, ne dort plus.
Bref, la Nesle elle-inême a peur, emploie sa soeur
pour faire la reculade, détruire la lettre, et Fleury
i-este.
11 en coûta la vie à cent mille hommes (pour
commencer, le désastre de Prague). Il en coûta la
guerre indéfiniment prolongée, où la France s'é-
puisa,* s'usa.
Contraste étrange ! A ce moment de mai où le
Roi nous inflige à perpétuité l'homme de la paix
et de l'Autriche, lui Louis XV est dans l'Empire
proclamé le roi de la guerre, le roi des rois. C'est
l'Agamemnon de l'Europe. La Bavière, la Saxe et
le Rhin, la Pologne, l'Espagne et le Piémont, et
le victorieux roi de Prusse, tous traitent avec la
France, veulent suivre la France au combat (18
mai, 5 juillet 1741).
Douze. bvGoogle
— 177 — (17*0-1741}
Betlisle apporta à Versailles celte couronne (on
peut dire) du monde. Il arrivait lui-même avec le
succès singulier d'être le favori, l'ami personnel
de trois rois : l'Empereur bavarois, le roi de Polo-
gne, le roi de Prusse. Et, avec tout cela, à peine
il arrache d'ici une promesse de 25,000 hommes 1
Si tard, et en juillet! on agira trop lard. Excellent
répit pour l'Autriche.
Le pis, c'est que Bellisle, en revoyant Ver-
sailles, le retrouvait changé. A ses idées pre-
mières, favorables à la Prusse (au grand roi
protestant), un autre plan peu à peu succédait,
plus agréable au Roi, un plan soutenu des Noailles,
et essentiellement catholique. Le Roi, la famille
royale, nullement ennemis de rAutriche, sympa-
thiques à Marie-Thérèse, ne voulait rien au fond
que lui prendre le Milanais, pour créer à l'infant
Philippe,, gendre de Louis XV, un grand élablis-
sement au nord de l'Italie, comme celui de
don Carlos à Niq;>les. Chaque semaine arrivait
de Madrid une lettre de la gentille infante.
Louis XV si paresseux lui répondait toujours, lui
écrivait à chaque instant. En secret. Et tous le
savaient. Noailles, le roué du Régent, aujourd'hui
sacristain, porte'Chappeàréglise(Ar0.), s'était fait
bassement l'avocat de ce plan, qui allait anner
contre nous le Piémont, l'allier à Marie-Thérèse.
On refroidit la Prusse également. Pour récom-
:.bv Google
(«4U-l7«l — 178 —
penser l'Allemagne de sa confiance ea nous, on en
Caisail quatre morceaux* tous faibles et dépen-
dants. Plan perfide qui dut irriter Frédéric. S'il
abcussail l'Autriche, ce n'était pas pour faire un
autre tyran de TAIlemagne. Pour comble d'inep-
tie, on blessa celle-ci, en faisant de son Empereur
un général de Louis XV (août).
Noailles, l'avocat de l'Espagne, n'en fut pas
moins l'ami de l'espion que l'Autriche avait ici,
Stainville (Glioiseul). Ces Stainville, des Lorrains,
& deux maîtres, à deux faces, se fourrant partout,
sachant tout, voyaient avec bonheur le beau plan
des Noailles qui, nous ôtant bientôt nos meilleurs
alliés, la Prusse et le Piémont, rendrait force 4
Marie-Thérèse.
Contre la famille royale et les Noailles, la Nesle
fat de plus en plus faible. Elle avait près du
Roi deux rivales : l'Infante et Choisy.
L'Infante, petite fille de quinze ans qui, tom-
bée à Madrid aux mains d'un démon, la Famèse,
dressée assidûment par elle et écrivant sous sa
dictée, par elle agitée, dépravée, flattait et cares-
sait son père, priait, pleurait, se désolait, se mou-
rait de n'être pas reine.
Et Choisy? c'était pis qu'une maltresse, c'était
une maison qui rendait toute maîtresse inutile,
(fêlait le tombeau de l'amour.
lîn confident ministre de Fleury acheta pour
Douze, bv Google
— 179 — (I1M-1141)
Lottis XV (vers novembre 1738) cette petite mai'
son pour s'amus»*, chasser, bâtir un peu. Le
ministre des plaisirs du Roi, l'effronté Gha-
Folais lui donna caractère, y créant une sorte de
parc avx cerfs des dames Le règlement cynique
de Ghoisy était celui-ci : Six lits de fionmes en
tout : point de maris. Les dames étaient invitées
Dès lors pourquoi une maîtresse? Le Roi n'était
pas fort, quoiqu'on ait dit. On voit dans De Luynes,
Argenson, etc., qu'il a souvent des défaillances.
Parfois il se remet en buvant coup sur coup quatre
verres de vin pur (Barbier). Il chasse. Mais le cu-
rieux tableau qu'on voit à Fontainebleau, montre
qu'on le menait fort près de la chasse en voiture,
en peUt carrosse de femme.
Le plus souvent la Nesie se tenait à Ghoisy, afin
que la place fût prise. Mais le Roi allait et venait,
souvent à Rambouillet près de M*" de Toulouse,
peu, très-peu à Versailles. Fleury s'en allait à Issy.
Les ministres en vacances quittaient Versailles
alors, s'amusaient à Paris [Barbier, 5, 288). Ainsi
point de gouvernement.
Le Nesle, enfonçant peu à peu, se décida enfîfî
à traiter avec les Noailles. Elle avait éprouvé com-
bien ils étaient dangereux. Pour la perdre , ils
avaient tenté un piège assez grossier, d'employer
un jeune homme, le fils de Noailles même, qui
Douze. bvGoOgIf
(1740-1741) — 480 —
près d'elle ferait l'amoureui. Elle en rit, mais
traita avec le père qui avait grande envie d'être
chef du Conseil, traita avec sa sœur, M"* de Tou-
louse, la pieuse maman du Roi. Celle-ci, qui pour
l'afTaire de son fils avait pâti dans sa vertu, s'im-
mola encore plus peut-être pour la fortune de
son frère et (ce qui surprit d'elle) sans décence
ni précaution.
L'excellent tableau de famille qui nous donne à
Versailles le portrait de la dame, intelligente certes,
avec de jolis yeux, sucrée, grassouillette et vul-
gaire, dit assez jusqu'où la commère pouvait aller
dans l'intérêt des siens. Sa facilité maternelle, du
Roi s'éteudant aux deux sœurs, elle parut les
adopter aussi, les embrassa et les enveloppa, leur
fit de son appartement (ce lieu dévot, de deuil ré-
cent) un libre lieu commun, prêtant, dit d'Ai^en-
son, son lit, son canapé, son fauteuil et le reste,
flonteux arrangement et fatal à la Nesie, qui,
dans cette grossesse avancée, endurait les retours
où s'amusait la malice du Roi, ou vers la maman
complaisante, ou vers la jalouse Hailly qu'il
consolait et qu'on crut même enceinte.
La Nesle leur quitta la place, s'établit à Ghoisy,
croyant y faire venir le Roi, le tenir seul. Absente
elle laissait le cbamp aux ennemis. Un coup lui
fut porté. Ce fut son mari même, un jeune bomme
léger, qui lui porta ce coup mortel. Dans une
:cbvGoogIf
— 18i — (i7iO-17«l
chambre au-dessus du Roi, il dit fort haut pour
être entendu par la cheminée : « Il n'a après tout
que deux laides. » Ce n'était que trop vrai. Elle
n'avait jamais été belle. Elle était blanche, c'était
tout. Elle n'était pas bien faite. Elle avait le cou
mal attaché. La grossesse, cette terrible révélation
de tout dé&tut, trahit ceux de sa taille. Le rire,
sa grande puissance, n'embellit pas à ces mo-
ments. Le Roi ne la voyait pas laide. Il fallut que
quelqu'un le dtt. Il le sut dès ce jour, alla moins à
Choisy. Gisante à son neuvième mois , elle se
trouva là comme un meuble inutile. A l'immobi-
lité du Roi, si nouvelle et si surprenante, on
donna la raison plus surprenante encore et sau-
greoue : « L'aident manquait pour ces petits
voyages {Arg.).y>
Dans l'absence du Roi, elle était en péril. Elle
avait provoqué non-seulement les plus hautes ini-
mitiés, mais, ce qui est plus terrible, les basses.
Les domestiques étaient ses ennemis. Son audace
qui affrontait tout, non contente de changer l'Eu-
rope, allait jusqu'à changer, réformer la maisou
du Roi. Elle avait touché même l'homme qui vi-
vait avec lui, le tout-puissant valet de chambre, à
qui le Roi disait tout, rapportait. Elle osa dire un
jour : « Vous allez rapporter cela encore à Bache-
lier? » Non moins imprudemment elle avait si-
gnalé le commence de places qui se faisait autour
Douze, bv Google
(««-HM) — 182 —
du vieux Fleury par ses TÎeux, Barjac et Brissert
(un précepteur de son neveu). Ce Brissert, à
lui seul, avait gagné plus d'un million. En-
fin, ce qui donna l'alarme au monde de valets
qui grouillait à Ghoisy, mangeant, pillant, vo-
lant sur les petits soupers, c'fôt qu'elle sup-
prima ces soupers et l'oi^ie de Champagne, mon-
trant au Roi qu'on se moquait de lui. Elle lui
fit faire ses comptes et lui prouva qu'un Lazare
volait ses bouteilles, etc. Elle exigea qu'on chas-
sât ce Lazare. Dès lors ils sentirent tous qu'avec
elle on ne pouvait vivre. Elle était clairvoyante.
Elle prévit et dit : « Je mourrai {Argms., II,
234). »
Supprimer les soupers! exiger que le Roi restât
' sobre et lucide, qu'il ne s'enivrât que d'amour I
Seule occuper Ghoisy, en écarter les dames com-
plaisantes qui y venaient toutes à leur tour I c'é-
tait une réforme énormément hardie, qui touchait
au Roi même. Et l'on a beau me dire qu'il restait
amoureux. Je sais mon Louis XV assez pour affir-
mer qu'en lui obéissant, il dut se faire très-froid,
triste, et laisser percer sa révolte intérieure, qui,
entrevue fort bien, enhardit à agir. La maîtresse
devenait un maître.
Le 11 août, elle fut très-malade à Ghoisy. On
la saigne deux fois et le Boi ne vient pas. Mais plu-
sieurs fois par jour il a de ses nouvelles. Le 15,
D,a,l,zc.bvG00gIe
— 183 — (i7«-n«)
elle lui mande qu'elle se meurt. H arrive. Elle ne
le lâche phis. Elle veut mourir à Versailles, se met
dans une litière. Mais elle se croit lellement mena-
cée de ses ennemis qu'elle ne se met en roule
qu'avec une forte escorte. Elle arrive ainsi la mou-
rante, armée en guerre et redoutable. Elle se fait
donner l'appartement royal (et très-voisin du Roi)
du cardinal grand aumônier de France, Là elle
accouche (4 septembre). Elle accouche d'un fils,
dont le Roi est parrain et qu'il nomme Louis. Il
semble ivre de joie.
Hais quelle ombre au tableau I A ce moment où
elle est plus que reine, où tout s'aplatit devant
elte> le Roi (dans sa nature maligne, jalouse et
toujours de bascule) relève M" de Toulouse. Il fait
à la maman le présent singulier de Luciennes, pa-
villon d'amour, bâti par la galante Gonti, fille de
la Vallière, et qu'aura plus tard Du Barry. Ram-
b<millet est trop loin. Luciennes, justement sur la
route de Versailles à Marty, sera la halte naturelle.
Nul don de plus haute faveur.
Autre fait et plus grave. Le Roi, revenant du
salut, au milieu de vingt-cinq personnes, se mit à
jas^ politique, à rire du roi de Prusse et de son
hardiesse à Holwilz où on disait qu'il avait fui
{Àrg., 236). Mot stupide, et bien dangereux,
qu'on prît avidement, en concluant sans peine que
le Roi tournerait contre la Prusse, contre les idées
Douze. bvGoOgIf
in*a-t7(i) — 184 —
de la Nesle, penchant plutôt vers le plan catholi-
que, vers les Noailles, leur sœur, M™ de Toulouse :
bref que la Nesie, en son triomphe même, n'était
pas forte au cœur du Roi .
La NesIe était le grand scandale, le parti des
impies, de Falliance protestante, L'ennemie de
l'Autriche, du parti des honnêtes gens. Si la main
de Dieu la frappait, c'était un grand coup pour
sauver la catholique Autriche, la touchante Marie-
Thérèse, « que les anges devaient défendre , »
selon la prophétie de Fleury. Dieu, en de tels
moments, ne refuse pas un miracle. La Nesle
n'était pas née pour vivre. Mal confoimée, elle
eut de plus une fièvre miliaire qui pouvait l'em-
porter. Il en fut avec elle, selon les vraisemblan-
ces, comme pour le petit don Carlos, le fils de Phi-
lippe II, malade et qui peut-être serait mort de lui-
même, mais on ne laissa rien au hasard : on aida.
Les horribles douleurs qu'elle avait se voient-
elles dans ces fièvres? le dénoûment rapide
(si prompt qu'on ne put même l'administrer)
est -il naturel en ces cas? Une circonstance ef-
frayante, et de clarté tragique, s'y serait ajoutée
(Jtfém. de itic/t-, V, 115), c'est que son confes-
seur à qui eu expirant elle dit pour sa sœur certain
secret, n'eut pas même le temps de passer d'une
chambre à l'autre, et tomba roide mort avant d'en-
trer chez la Mailly.
D,a,l,zc.bvG00gIe
— 185 — (i7«-nM)
Cette mort est du 9 septembre. Le 13, TAutri-
efae fat sauvée.
Narie-Tbérèse s'était enfuie de Vicune. Nous
é^ons bien près, à huit lieues. L'ordre vient de
Versailles de.n'aller pas plus loin, et de tourner
vers Prague, c'esl-à-dire de ne pas toucher au
cœur de l'empire autrichien. Quel est donc l'en-
nemi véritable? La Prusse, dans l'intime pen-
sée de Versailles, et Frédéric. Il se le tint pour
dit.
Marie-Thérèse put le 13 septembre jouer à
Peslh sa belle et pathétique comédie. Ëoceintc,
un enfant dans les bras, elle pria les Hongrois
pour elle, pour sa sûreté. Ces barbares héroïques
oublient tous les massacre et les perfidies de
l'Autriche. Ils tirent le sabre, ils crient : « Mou-
rons pour notre roi Harie-Thérèse I » Et en effet,
ressuscitant l'Autriche, ils ont fait mourir la
Hongrie.
Hais revenons en France. Les gens qui connais-
saient le Roi sentirent parfaitement que, même en
ce grand deuil, le seul qu'il ait eu de sa vie, ce
qui le louchait , c'était bien moins la morte
que la mort. Cette fenimç.adorée ne fut pas excep-
tée de laTèglç commune : on ne mourait pas dans
VersailléT. Du moins on emportait le corps (pas
encore expiré?), on le fourrait dans un hôtel voi-
sin. Cela se fait pour elle, et, sans cérémonie, on
Douze, bv Google
(1140-1741) — 186 —
la jette dans uoe remise. Devant mouler sa face en
plâtre, on remarqua que sa bouche restait ouverte
par une convulsion. Deux hommes forts ne furent
pas de trop pour empoigner la tête, la serrer^ et
de force, fermer cette gueule béante. Gela parut
bien drôle et amusant pour la canaille qui entra.
Ces imbéciles croyaient que c'était elle qui éloi-
gnait le Roi de leur Versailles. Ils firent à ce ca-
davre toute sorte d'indignités^ tirant dessus des
fusées , des pétards , outrageant de leur mieux
« la reine de Ghoisy. »
On avait prévu à merveille que le Roi n'ex^e-
rait aucune enquête. Les médecins furent pni-
àmlSf ne virent rien. Le Roi voulait-il voir? Vou-
lait-il bien sérieusement pousser à bout, connaître
les gens hardis qui avaient fait le coup, et qui
auraient cent fois mieux aimé avoir tout de suite
pour roi un dauphin de treize ans?
Sa tête parut très-affaiblie. Au-dessus il avait un
petit entresol où il allait pleurer au lit de la
Mailly, la faii e pleinvr, sur elle marmoter des De
pro/ttndts. Au-dessous il avait W" de Toulouse chez
qui il allait Êiire l'enfant. L'énervation pleureuse
et la peur libertine, et les enfances de Henri III,
c'est tout ce qui semblait rester . de lui.
Un acte cependant marque dans cette époque
qu'il voulait expier. On lui dit que les maux du
temps venaient uniquement du grand nombre des
Douze. bvGoogle
— 187 — (nift-lîM)
livres impies. 11 y remédia. Il créa tout d'un
coup, en une fois , soixante-dix- neuf censeurs.
Tous choisis avec soin. Exemple, le sage et pieux
Crébillon fils, le célèbre auteur du Sopha.
:.bv Google —
CHAPITRE XII.
La ccnspintioii de braille. — La Tounulla. -
Prague. 1743.
Quand Frédéric pressa Marie-Thérèse, Fleury
d'un air béat dit au Conseil : a Elle est comme
Jésus sur la montagne, éprouvé par Satan. Mais
les ar^es la souliendront. » Voici comme les anges
s'y prirent au moyen de Fleury.
Un jour, il va chez le petit Dauphin « pour assis-
ter à ses éludes. » Ce prince, qui n'avait que dou2e
ans, mais qui avait déjà la grosse lêle, le caractère
lourd et fort qu'on vit plus tard, parla au vieux
ministre de la guerre commencée, l'inlerrogea
sur la justice de cette grande entreprise. Fleury
très-volontiers s'y prêta, se laissa pousser, embar^
rasser, battre, jusqu'à être forcé de reconnaître
Doiizccb, Google
— 18» — (ms)
« que c'était une guerre injuste. » Il sortit vite,
pour n'en dire davantage. Tous restèrent stupé-
faits. Le dauphin ftit dès lors l'espoir « des hotir
«4tes5ens(Rich., VI, 168). »
Cet espoir dès longtemps était cultivé par l'É-
glise. Il n'avait que six ans quand le clergé de
France, dans l'Assemblée de 1754, vint lui faire
sa harangue, demander sa protection. L'enfant,
assis, couvert, l'accueillit gravement, prit la chose
au sérieux. Dans la réahté, en toute occasion, il se
déclara pour l'Église avec la chaleur de sa mère,
mais avec suite , autorité. Sa pesanteur phy-
sique y ajoutait. Il était à douze ans un gros
homme et un personnage, déjà un Stanislas pour
l'embonpoint, un Boyer pour l'esprit. Boyer, dont
Voltaire a tant ri, borné et entêté, s'était merveil-
leusement exprimé dans son élève le Dauphin.
Mais celui-ci, déplus, était mal né physiquement,
mal conformé, comme sont les enfants conçus en
dépit de l'amour, produits hétéroclites d'unions
répulsives. 11 grandit, il grossit, lourd, bizarre,
discordant, entrevoyant parfois sa fatalité très-
mauvaise. A. dix-sept ans, dans une lettre au vieux
Noailles, il dit : « Je traîne la masse pesante de
mon corps. » Il eût fallu du mouvement. Mais il y
fut absolument impropre. Il déteste la chasse, y va,
pour son coup d'essai, tue un homme. Une autre
fois, il joue, et si gracieusement qu'une dame.
:.bv Google
(n«i — 199 —
est fortement blessée {Arg., \I, 229, luynes,
IX, 525).
Une chose très^ave qui réfute ses panégy-
ristes, c'est le jugement sévère que M. de Luy-
nes lui-même (intime de Marie Leczinska) porte
sur le Dauphin. Il le trouve enfarU k vingt
ans, variable et lourdement léger, passant d'une
chose à une autre, de plus étrange, absurde ; par
exemple, chantant Ténèbres avec sa femme, la
seconde dauphine, dans la chambre lugubre où fut
ea^msée la première (Laiynes, VIII, 367). Cela
n'est pas d'un esprit sain, mais d'un cerveau, ce
semble, marqué des manies sombres du roi demi-
fou de Madrid.
Ce triste Galiban, qui après tout était honnête,
se fût jugé peut-être, eût décliné la responsabilité
des grandes choses, si les gens qui en étaient maî-
tres, ne l'eussent incessamment poussé, mis en
avant. Il se crut nécessaire, appelé et touIu de
Dieu, fit effort et s'ii^énia. Là parut im esprit
très-faux, un sot subtil qui dans la main des
fourbes eût pu aller très-loin el faire regretter son
père même. Celui-ci l'aimait peu, le voyait comme
tm être à part, déplaisant dans le bien autant que
dans le mal, en parfait contraste avec lui.
Le Dauphin fut le centre, le noyau fort et dur
autour duquel la famille royale, et le clei^é, l'in-
trigue esp^nole-aulrichienne, tons les éléments
:.bv Google
— m — ' (HM)
rélrc^rades se groupèrent peu & peu. Nous devons
les énumérer.
. La reine, entre sa chaise et sa chaise percée, a
i'air de n'agir pas, de souffrir seulement. Son
infirmité la stimule. Quand sa chère Espagne est
en jeu, elle fait écrire à Madrid les avis que
ne donnaient pas nos ministres. Les intrigants
Lorrains, les Polonais jésuites, la lancent par
moments aux pieds de Louis XV. « Sire, sauvez la
Religion » (c'est-à-dire proscrivez Voltaire ou
l'Encyclopédie). Chose triste, odieuse, pour chan-
celier intime elle prend Saint-Florentin, minish%
des prisons, geôlier des protestants, jansénistes
et philosophes.
Les deux filles aînées, l'Infante et Henriette,
qui ont seize ans (1745) sont une avec leur mère.
La première, grande et belle, fort aimée de son
père (stylée par la Famèse), voulait non-seule-
ment une royauté du Milanais, mais ce qui est
plus fort, à la mort de Fleury faire ici un premier
ministre I
Henriette, au contraire, très-douce et maladive,
avait beaucoup souffert. Promise au Bavarois,
promise au duc de Chartres qu'elle aimait, qui
l'aimait , puis refusée, brisée. Son père veut la
garder. I) craint les Orléans, est jaloux de ses
fdles. Nulle plainte. Mais la pauvre Henriette (in-
strument de sa mère, du dauphin), si elle ose
Douze. bvGoogle
(iws) — 192 —
parler, doit, timide et tremblante, aller d'autant
plus droit au cœur.
Une enfant de dix ans, la véhémente Adélaïde,
aura un bien autre pouvoir. Dans sa vivacité, son
élan polonais, ses saillies précoces et baroques,
elle amuse, elle étonne. Seule des filles du Roi,
elle obtint de rester près de lui, de ne pas subir
le couvent. Elle prendra le Roi sans nul doute,
lui fera faire ce que veut le Dauphin.
Toiis Espagnols de cœur, voulant le Milanais
pour l'infant et Finfanle. — Mais secondairement
tous pour Marie-Thérèse. — Tous rêvant l'avenir
de l'hymen Autrichien, visant pour une infante
d'Espagne le petit Joseph II'.
Funestes mariages, d'abord de Joseph II, plus
tard de Marie-Antoinette I Un million d'hommes
ont péri pour cela.
Bourbon, Autriche, Espagne, trinité sainte.
Union ardemment désirée du clergé. Le sang
du Très-chrétien et du roi CatbxMque ne peut
mieux s'allier qu'à VAposîdique Autrichien.
' t Hais il n'a pas sii mois, s 11 n'importe. Longtemps avant
qu'il ne fût né, il est rêïé de la Famëse, des Bourbons d'Espagne
et d'ici. Cette Farnbe, en sa vilaine âme, eut toujours deux
idées : 1" prendre à l'Autriche ce qu'elle peut; 3° l'épouser (par
ses enfants, petits-enfanls). Dès son grenier de Parme, et avec la
bassesse des petits princes d'Italie, elle avait pour César, pour
l'Empereur, pour l'Autridtîen, cette admiration de valet, qu'ont
eu les Allemands, les Georges de Hanovre, restés valets sur le
:.bv Google
— IflS — (n«)
La guerre n'est qu'extérieure. On reste ami,
parent. Le cœur est pour Marie-Thérèse. La boime
Autriche, Vhonnête Autriche, ce sont des mots
adoptés dans l'Europe. Sur la justice de celte
guerre, l'opinion de Versailles et Madrid est teut à
fait celle de Vienne. C'est celle àeskmnêtes gens.
Le vieux Fleury, en entravant la guerre, sert di-
rectement la pensée de toute la famille rople. Elle
pleure aux victoires de la Prusse. Elle pleure aux
succès de la France. Dès ce jour est organisée,
contre nous, contre la patrie, ta conspiration de
famiUe.
Cette conspiration n'est devenue bien claire que
plus tard, à mesure que grandit te Dauphin. Mais
déjà elle existe, elle agit sourdement, saisit le Roi
d'autant plus sûrement qu'elle ne veut et n'insi-
nue guère que ce qu'il eût voulu lui-même. De
fond et de nature, d'éducation, de précédents, il
était (sauf des écliappées) homme du clergé et du
passé, bon espagnol, bon autrichien.
L'opposition naturelle à cela furent les maî-
tresses. Dans quelle mesure? médiocre pourtant,
Irfliie du monde. Dès 1736, elle flalLe l'Autiiche, nomme sa fille
Marie-Thérèse. -En 1741, Joseph est à peine sorli du sein
malemet, que notie Infante de seize ans lui lait vite une épouse.
Cette maladie de mariages Autrichiens gagna de Madrid i Ver-
sailles, par cette Infante aimée de I^ouis XV , caressante , intri-
gante, et qui corrompit la famille.
:.bv Google
(17«| — 1«4 —
La Nesie avait l'instinct du grand. La Mailly eut
du cœur. Leurs efforts avortèrent. La Tournelle
voulut, exigea (jfw'iî foi Roi, le rendant seule-
ment plus absolu, plus dur. La Pompadour lui
fit un peu tolérer les idées. Mais ce ne fut jamais
qu'en haine et envie du Dauphin. Donc, rien ne
fut gagné. Le parti du Dauphin le reprit par ses
filles. Ceci soit dit pour tout le règne. Revenons
à la fin de 1741.
L'affaissement d'esprit pitoyable où fut
Louis XV, sa peur profonde de la mort après la
catastrophe horrible de la Nesle , donnait bon
espoir au clergé. La Mailly, plus qu'usée, ne
pouvait pas faire contrepoids. Le Roi repren-
drait-il maîtresse? cela semblait douteux. Le
parti bien pensant croyait que, si parfois revenait
l'ardeur libertine, la petite maison de Ghoisy y
suppléerait de reste, les dames complaisantes, les
nocturnes hasards sans amour et sans souvenir,
donc, sans effet ni influence.
Il fallait un courage réel pour entreprendre de
refaire une maîtresse, de rendre le Roi amou-
reux.
Deux sortes de personnes y étaient cependant
infiniment intéressées, les courtisans, les gens
d'affaires. Parmi les premiers, Richelieu, jusque-
là écarté, mais uni auxTencin, ne désespéra pas
de s'empiarcr du Roi eu lui donnant une maîtresse
:.bv Google
— 195 — [I7«)
quasi royale, bâtarde des Gondé. Dans le monde
d'affaires, on présentait d'en bas un bijou plé-
béien, une enfant accomplie, une Pandore douée de
tous les arts. Créature et filleule des Paris, la pe-
tite Poisson était née in tt^io, dans leur propre
comptoir. Celle de Richelieu, la Tournelle avait
vingt-cinq ans. Celle des Paris, la Poisson, n'en
avait que dix-huit. Laquelle des deux aurait
le cœur et le courage de reprendre le rôle
dangereux de la Nesie? Laquelle agirait pour la
France? c'était au fond la question. La Tournelle,
qu'on croyait bâtarde des Condé, donnait espoir;
on supposait qu'elle serait, comme eux, du parti
Chauvelin, anti-dévot et anti-autrichien. La petite
Poisson promettait encore plus; le salon de sa
mère, fort mêlé,. recevait avec les fermiers géné-
raux, beaucoup de gens de lettres, les plus libres
esprits. Filleule des Paris, elle était caressée de
tous , et put jouer enfant plus d'une fois entre Vol-
taire et Montesquieu.
La mise en scène de l'enfant fut jolie et fort
bien entendue. Les Paris, relevés, redevenus
puissants (Montmartel, banquier de la cour, Du-
verney , fournisseur général des armées), gar-
daient une note fâcheuse, celle d'avoir eu leur
commis Poisson pendu en effigie. La petite Pois-
son avait un beau prétexte, louchant, d'aller au
Roi, sa piété filiale. On la faisait voltiger dans les
Douze, bv Google
(««) — t96 —
chasses, en robe rose et phaëlon bleu. Elle allait,
revenait, tournait autour. Le parti contraire s'en
moquait, disait : « C'est l'amoureuse du Roi. »
Mais d'autres plus sérieusement : « C'est pour
la grâce de son père ». Quelque pari qu'il allât,
il revoyait ce doux petit visage, muet, qui pour-
tant implorait. Il souriait, regardait volontiers.
On s'alarma. On coupa court en décidant le Roi,
non à prendre la fille,mais à faire grâce au père
(en 1741). Cela finissait tout.
Les Paris comprirent mieux qu'il fallait d'abord
la marier, la faire dame d'un salon, une reine de
la mode et des arts, mais surtout lui ôter ce très-
fâcheux nom de Poisson, dont on plaisantait trop.
«La caque sent toujours le hareng, etc. » Le Roi,
qui avait eu la Nesle, un des grands noms de
France, eût bien fort descendu avec celle-ci. La
famille royale, la cour, supportaient mieux la
Nesle, disant : « Elle est de qualité. » Cela re-
tarda la Poisson, et plus de trois années.
Pour le moment, Duvemey, ajournant sa petite
merveille, se rangea à l'avis des Tencin et de Ri-
chelieu, qui était de donner au Roi une prin-
cesscy mais encore une Nesle. M. le Duc, qui avait
eu longtemps M"" de Nesle, se croyait père de
plusieurs de ses filles, et il en avait doté, marié
une à un gentilhomme. Bientôt veuve, fort belle
et brillante, celte dame, qui se sentait Condé, en
D,a,l,zc.bvG00gle
— 197 — (iiiS)
avait la hauteur malgré sa pauvreté. « Haute
comme les monls », disait M"* de Tencin, sa pa-
tronne. Elle n'en fut pas moins basse, avare j
débattant longuement dans sa froideur sordide
combien elle aurait de son corps. Bien diffé-
rente de la Nesle, elle facilita son traité, en
demandant beaucoup pour elle-même, et rien
pour la France, en se séparant des Condés qui
soutenaient Chauvelin. Elle eadura Fleury, et
Tencin, et Noailles, les influences de famille. Elle
employa Voltaire, l'homme de Richelieu, auprès
du roi de Prusse, mais ce qui fut bizarre, le lit
écrire aussi pour les plans de Tencin et la folle
croisade qui nous brouillait avec la Prusse.
Revenons en septembre, en 1741. Fleui"y, di-
sons plutôt Versailles (et la famille, les Noailles,
Maurepas, etc.), parut se proposer deux choses :
Sauver l'Autriche, et blesser Frédéric.
1" On n'aUa pas à Vimne, comme il voulait.
Et on amusa le public en portant jusqu'au ciel un
brillant coup de main, Prî^ue emportée par esca-
lade. Maurice de Saxe, le bâtard, la commanda.
Cheverl l'exécuta. Et la gloire en fut à Maurice
(18 novembre 1741).
2' Fleury accorda au roi Georges, oncle et en-
nemi de Frédéric, la neutralité du Hanovre (octo-
bre 1741). Georges est mis à son aise. On ne peut
l'attaquer. El lui il peut donner des subsides à
Douze, bv Google
(1743) — 1«8 —
Marie-Thérèse, lui payer des Danois, des Anglais
et; chose impudente, douze mille de ces Hano-
vriens que l'on vient de déclarer neutres.
3° Bien loin d'écouter Frédéric , on prend
pour général celui qui lui déplaît le plus,
un sot brutal, un Broglie, qui l'a blessé, le blesse
encore. On rit de Frédéric. On élève ridiculement
en face de ce grand homme un nain, ce Maurice
de Saxe, ofBcier subalterne et caractère suspect,
qui a rincroyable insoloBce d'être jaloux du roi
de Prusse.
Frédéric sentait tout cela. Il se trouvait seul,
sans terreur. Ce grand et ferme esprit avisait froi-
dement à vaincre et à traiter sans nous.
L'infortuné Bellisle voit tout fondre en ses
mains. Le Prussien et le Saxon flottent. L'Empe-
reur a perdu tous ses Étals héréditaires. Bellisle,
en mars, court à Versailles. Il trouve autour du
fauteuil de Fleury ceux qui perfidement ont agi
contre lui, contre la Prusse et pour l'Autriche.
La Mailly eut alors un beau mouvement de
cœur. Elle força d'écouter Bellisle qui écrasa ses
ennemis.
Le Roi ne disait rien, et l'on croyait que,
pour des paroles si libres, il serait mis à la
Bastille. Quelques honnêtes gens réclamèrent.
La Mailly pleura pour l'armée qui périssait si
Ton brisait Bellisle. Le relever, c'était sauver
Douze, bv Google
__ itg _ (1743)
l'armée, nous ramener la Prusse, raffermir l'AJ-
lemagne. — Revirement subit. Le Roi signe un
brevet qui le fait duc, et duc héréditaire. L'Em-
pereur le fait prince d'Empire.
Tout cela vient bien tard. Frédéric, sen-é de
trèS'près, non soutenu par les Saxons, aban-
donné de nous, et seul, gagna la bataille de Cho-
tusilz. Vainqueur, il écrivit à Broglie qu'il était
quitte envers la France (mai). BrogUe , sourd
aux conseils de Bellisl^ se fit battre et s'enfiiit
dans Prague.
Marie-Thérèse qui, avant la bataille, ne savait
pas si elle ferait grâce au roi de Prusse, d^onfla,
devint souple. Le traité était imminent, fiellisle
accourt chez Frédéric, et s'emporte dans son dé-
sespoir. Frédéric froidement tire de sa poche les
lettres que Fleury a écrites en Autriche, offrant de
laisser là la Prusse, de faire rendre la Silésie si
l'Empereur a la Bohême. Lettres honteuses où le
radoteur confiait à l'eqnemi tous ses chagrins se-
crets. Dans ces missives étranges, l'esprit prêtre,
l'esprit de police, de lâcheté, d'enfant rapporteur,
brillait, comme dans celles de 1757. Il a accusé
Cbauvelin alors , aujourd'hui dénonce BelUsIe
(2 juillet 1742). Marie-Thérèse imprime tout cela
pour l'amusement de l'Europe. Versailles est dé-
masqué, honni. Le roi de Prusse s'arrange avec
l'Autriche et l'Angleterre (28 juillet). Hollande
Douze, bv Google
(1743) _ 200 —
et Danemark, Pologne et Saxe, y accèdent bientôt,
et six mois plus lard la Sardaigne nous laisse
aussi et traite. Seule restera la France. L'autre
année, Louis XV parut le général du monde (août
1741). En août 1742 il n'a plus d'allié que l'inu-
tite Espagne et le Bavarois ruiné.
La situation était grande, terrible. Les nôtres,
abandonnés, n'ayant ni Prussiens, ni Saxons, sont
enfermés dans Prague. Rien n'y vient plus. Dès
août la disette commença Les bandes innombra-
bles de Marie-Tbérèse, ses cavaliers barbares,
guêpes féroces, voltigent tout autour et coupent
toute communication. L'impératrice dit : « Je les
liens. » Fleury prie, et elle s'en moque. Elle veut
qu'ils sortent désarmés, prisonniers. Bellisle, très-
généreusement, pour réparer les fautes de Broglie,
s'enferme dans l^rague avec lui. Il répond à Marie*
Thérèse par des sorties terribles. Dans l'une, nos
Français vont droit aux batteries autrichiennes, les
enclouent, avec grand carnage, enlèvent le général
Mouti. Insigne gloire, mais qui ne nourrit pas.
On tue, on mange les chevaux.
Cela le 22 août, que fait-on à Versailles ?
Une voix sourde, profonde, s'y élevait pour
Cbauvelin. Dans un si grand péril, dans un tel
abandon , tous sentaient qu'il fallait à l'heure
même un pilote, une main sérieuse au gouvernait.
Les Condés, les Conti, la Mailly, même le contrô-
Doiizccb, Google
— 3fli — (1743)
leur des finances Orry, créature de Fleury, étaient
pour Chauvelin. Mais personne hardiment n'osait
s'avancer et déplaire, risquer « d'attacher le gre-
lot. » La question était de savoir si les influences
nouvelles, Richelieu et les autres^ agiraient dans
ce sens. Us s'abstinrent lâchement.
Les Haurepas, les Noailles, tremblaient. Ils
firent parler Fleury. Il dit que la religion était
perdue si l'on rappelait GhauvcHn. Il avoua que le
Conseil n'était pas fort, qu'il fallait le fortifier,
pour cela appeler... Tencin, avec le jeune d'Ar-
genson (souple et fin valet des jésuites). Le 27
août cela se fit. Tencin, que jusque-là on avait
cru homme d'esprit, au pouvoir parut un néant.
11 y avait pourtant de vrais Français. Un M. de
Merle, que connaissait un peu Fleury, vînt le
trouver, prier pour notre armée, demander qu'on
envoyât à son secours l'armée inactive de Maille-
bois. Fleury y consentit. Maillehois alla jusqu'à
Égra. Mais cette fois encore, on attrapa Fleury.
Le secret agent de l'Autriche, Stainville (Ghoi-
seul), lui dit que, si près de la paix, il allait gâter
tout par une collision inutile. Et il rappela Mail-
lehois. Prague et nos enfermés furent abandonnés
à leur sort.
Avec la faim, bientôt le froid sévit. On put
voir (là comme en Crimée) à quel point ces extré-
mités, loin d'abattre l'âme française. la tendent
DolizccbvGoOglc
(1142) _ Î02 —
au contraire et l'exaltent. La poudre leur man-
quait. Us faisaient des sorties, des chaînes à
l'arme blanche, et parfois en triomphe rappor-
taient un morceau de bois. Dans leur gaieté,
leur bonté généreuse , ils partageaient leurs
rations réduites avec de pauvres spectres de
femmes indigentes qui trouvaient auprès d'eux
plus de pitié qu'auprès des leurs.
Le Roi était-il averti? M. de Beauveau échappé
à grand'peine , vint , lui dit tout. Et il restait
muet. La Mailly se désespérait. Il parla, mais pour
ne rien dire. Il ne fallait qu'un mot, rappeler
Chauvelin. Son nom seul aiu'ait fait solder Harie-
Thérèse, eût aidé Frédéric dans l'idée admirable
qu'il eut pour nous sauver , pour relever le
Bavarois : c'était de décider les princes allemands
à faire une armée de l'Empire. Mais saus la France,
ils n'osaient faire ce pas.
Pour dire le vrai, le Roi était tout absorbé
dans le traité de la Toumelle. Elle exigeait des
choses énormes et insensées : un dudié (Châ-
teauroux) ; plus l'état fastueux qu'avait eu Mon-
tespan; plus des avantages futurs pour les en-
fants qu'on lui ferait. Et ce traité immonde
publié à grand bruit, à son de trompe, le duché
vérifié, enregistré en Parlement, comme on eût
garanti un traité avec telle puissance étran-
gère.
Douze. bvGoogle
— SOS — (17«)
Elle exigeait encore une chose bien dure, qui
coulait fort. Celait qu'on chassât la Mailly.
Donc le traité traînait. Une chose juge cette
femme, c'est que, craignant pourtant que le Roi à
la longue ne perdît patience, elle usa d'un moyen
étrange, de lui donner un passe-temps comique
autant qu'infâme. ËHe lui envoya à sa place sa
sœur, amusante et cynique, laide et drôle, qu'il
eut à Choisy.
Mais le Roi enfm lait effort. La grande exé-
cution s'accomplit. Le secoiu"s de Pn^ue? Point
du tout. Une chose bien plus importante à Ver-
sailles, l'expulsion de la Mailly (10 novembre
1742). Tencin, dit-on, en eut l'honneur. Le clergé
volontiers en eût chanté des Te Dmm. Car, tant
que la Mailly restait, la Nesie n'était pas enterrée.-
11 y avait un cœur pour la France.
Le désastre de Prî^ue ne fut plus qu'un fait se-
condaire. Marie-Thérèse y usait son armée. Elle
voulait à tout prix sa vengeance. Les supplications
sottes de Versailles avaient ajouté à son oi^ueii
boufQ. Ne sachant plus que faire, nos ministres
écrivent qu'il faut revenir.
Mais comment revenir?... Plus de routes.
Tous les ponts détruits. Des montagnes à passer.
Très-hautes, car elles versent des rivières oppo-
sées, au Nord et au Midi, à la Baltique, à la mer
Noire. A ces hauteurs , le froid est redoutable.
:.bv Google
(1742) — 204 —
C'est peul-êlre ce qu'on calcula. Couler Bellisle à
fond, c'était la pensée de Versailles. S'il meurt là,
c'est fini ; c'est l'audace insensée. S'il passe en
laissant derrière lui une armée gelée et détruite,
ce sera mieux. Car il vivra condamné, flétri et
maudit.
Mais enfin voici l'ordre. Il faut partir. C'est la
nuit du 16 décembre (1742). Bellisle dit à Che-
verl : « Garde tous les malades. Tu ne te rendras
pas. — Certes, non, général. » Il en était bien
sûr. Il se fût fait sauter. .
Maintenant le voilà, l'homme de l'entreprise, ce
Bellisle, qui emmène la nuit ses quatorze mille
hommes, les seuls qui marchent encore, affaiblis,
amaigris. C'était la miniature du retour de Mos-
cou. Bellisle n'en fût jamais sorti s'il n'y eût eu
avec lui un autre homme de génie, Vallière,
vrai créateur de notre artillerie. On emmenait
trente canons. On ne sait pas comment, mais
il leur mit des ailes. Partout oiî les affreuses
bandes de la cavalerie de l'Autriche se présen-
taient sur nos gelés pour faire leur petite récolle
de têtes, et de nez, et d'oreilles, nos canons vo-
lants y étaient pour faire voler leurs escadrons.
C'est la première fois que l'on vit ces canons ani-
més, pleins de verve française. Le très-attentif roi
de Prusse, studieux, et qui aimait son art, en pro-
fila, en fit autant, et d'un bout de l'Europe a l'au-
D,a,l,zc.bvG00gIe
— 205 ~ (i7i2)
tre dans ]a guerre de Sepl-Ans. Il imila ValHère,
fut imité de Bonaparle.
On perdit énormément d'hommes. Mais on ar-
riva à Égra, fièrement. On sauva le drapeau. Che-
vert se défendit à Prague, et si bien que Marie-
Thérèse, le cœur crevé, y manqua sa vengeance,
dut le laisser aller.
Le Boi , pendant ce temps, avait eu sa
victoire. La victoire achetée et que d'autres
avaient eue. Les chiffres prient. Il l'eut le 10.
Du 17 au 26 noire armée fut gelée. Le 19, cette
fdie se montra triomphante à l'Opéra qui l'applau-
dit. Vingt jours après, le dévoiement de Fleury
évacua le peu qu'il avait d'âme. Tous en rirent, et
dans l'antichambre, chez le mort même, on en fit
des chansons. Chacun se sentit soulagé. Le Roi
aussi. Il fut fort gai, et dansa une ronde à la
Muette, d'après un air nouveau qu'on avait fait
sur Maurepas, sur son sexe équivoque, son in-
capacité d'amour (Revue rétr., t. V, 213).
Cela ressemble à Charles VI.
C'est lui faire tort. Au moins Charles VI était
fou.
:.bv Google
CHAPITRE XIII.
Frédéric le Grand. — Furie de riaglelerre. — La Tournelle. -
Le roi malade. 1745-1744.
Frédéric ne pouvait être accusé de nos désas-
tres, c'est lui qui pouvait accuser. On avait cons-
tamment agi sans lui, et contre lui. On l'avait
laissé seul au moment décisif d'avril 1742. Certes
il avait le droit de nous tourner le dos.
Cependant il n'abandonna nullement noire Em-
pereur, rendit même à la France de signalés ser-
vices dans les derniers mois de Fleury et dans le
long gâchis qui suit (1743). Services, en con-
science, beaucoup trop oubliés.
n suivit en cela son intérêt sans doute ; mais, re-
connaissons-le aussi, sa partialité pour la France,
très-forte au début de son règne. Ce sentiment in-
time, de son mieux il le cache. Il plaisante Vol-
:.bv Google
— 207 — (17«!-n«)
taire et BelHsle. Hais lous ses actes sont fran-
çais.
Il était un des nôtres, constamment inspiré et
imbu de la France. Jusqu'à quinze ans, il est fils
du Refuge, élevé par nos protestants. Excellente
influence, austère, qui, plus que tout le reste, créa
en lui le nerf de l'indomptable volonté. De quinze
à vingt, il copia Versailles. Sagrand'mère, la spi-
rituelle Sophie-Charlotte qui y avait été, qui fut
près d'y régner en épousant le Grand Dauphin, lui
laissa trop sans doute l'admiration de cette cour.
Sa charmante sœur Wilhelmîne, plus âgée, qui
put tout sur lui, fut élevée par une Italienne, et
l'aurait fait plus que Français. La prison, la per-
sécution du barbare Allemand son père, le chan-
gèrent, mais toujours dans le sens de la France.
Il fut, dans sa longue retraite (de dis années),
le disciple de nos philosophes. Les lourds con-
verb'sseurs que son père avait mis dans sa pri-
son pour l'aplatir chrétiennement, le firent soli-
dement anti-chrétien. Français signifiait pour lui
libre pemmr. Être un roi tout français, cela lui
paraissait être roi des esprits et de l'opinion,
grande puissance qu'il cultiva toujours et qui
n'aida pas peu au beau succès de ses affaires.
Ce qui est grand en lui bien plus qu'aucun suc-
cès, c'est cette suprême victoire d'avoir plus
qu'aucun homme, prouvé, réalisé, la profonde
:.bv Google
Ii743-n«) — 208 —
pensée de ce siècle : « L'homme est son créateur.
Toute puissante est la volonté pour se faire, en
dépit du monde»
Deux choses auraient pu l'annuler, les deux
énervalions de vices et de misère. Ce prisonnier,
ce vicieux, ce misérable, ce mendiant, par-dessus
tout cela, fut de bonne heure marqué d'un signe
qui promet peu l'activité. Dès vingt ans, il fut
gras. 11 parut perdre un sens, celui des femmes
et de l'amour. Ses ennemis pouvaient le croire
brisé. Mais c'était le contraire : le cerveau fut
doublé. La volonté terrible qui fui en lui, domp-
tant l'inertie naturelle, en fit un type unique, ex-
traordinaire d'activité, jusqu'à vouloir supprimer
le sommeU. Solilaire dix ans à Rbeinsberg, et
n'ayant nulle affaire encore, il se levait déjà en
pleine nuit. A quatre heures, on le réveillait, et
durement, en lui appliquant une serviette mouil-
lée. Il travaillait huit heures, portes closes, jus-
qu'à midi. Il hsait, pensait, écrivait. 11 se Irem-
pail d'un fatalisme dur {que Voltaire en vain com-
battait). H écrivait des lettres, des histoires, des
mémoires, un entre autres : Commera faire la
guerre à l'Autriche.
Devenu roi (mai 1740), il se trouva recevoir de
son père une bonne armée disciplinée, qui ne s'é-
tait jamais battue, de très-bons généraux, mais
qui avaient peu guerroyé. Fort ridiculement on
Douze. bvGoogle
— 209 — (nB-n«)
le compare à Bonaparte. L'henreux Corse eut la
chance unique d'hériter de Masséna, d'Hoche,
d'avoir à commander les vainqueurs des vaîn-
quejurs. Favori du destin, il reçut tout d'abord de
la Révolution l'épée enchantée, infaillible, qui
permet toute audace, toute faute même. L'armée
de Frédéric, qui n'avait fait la guerre que sur les
places de Berlin, était dressée sans doute (et sur
les idées excellentes du vieil Anhalt). Mais tout
cela n'est rien. Une armée ne se forme qu'en
guerre et sous le feu. Son roi, non moins qu'elle
novice, l'y conduisit, l'y dirigea, lui apprit plus
que la victoire, la patience, la résolution in-
vincible, et en réalité c'est lui qui la forma.
Ce que ne fut pas Bonaparte, Frédéric le fut :
créateur.
Bonaparte eut en main l'instrument admirable,
homogène, harmonique, de la France si ancien-
nement centralisée. Frédéric eut en main un
damier ridicule, fait d'hier et de vingt mor-
ceaux, une armée composée et de recrues for-
cées, et d'hommes de toute nation. Il eut un
pays sans frontière, bigarré, bref un monstre.
C'est la création d'un besoin. Contre le monstre
Autriche, il a fallu le monstre Prusse. Commen ^
eût-il agi, ce corps dégingandé, s'il n'eût en Fré.
d&ic trouvé l'unité, le moteur?
Ses contemporains sont sévères dans leur juge-
ITI. u
Douze, bv Google
(174W7M} — 210 —
ment sur lui. Ils en parlent comme d'un roi. Mais
il fut encore plus le grand chef des résistan-
ces européennes. Dans l'odieux moment oii l'a-
veugle Angleterre se déclara pour Vienne et
pour la catholique Autriche contre les libertés de
l'Allemagne (1742), — au moment où l'intrigue
fit cet indigne coup d'accoupler l'Autriche et la
France (1755) , que devenait l'Eiu-ope sans
l'homme extraordinaire qui seul la vainquit, la
sauva ?
Cet homme, tellement maître de lui, fait un
frappant contraste avec son temps. La violente
Angleterre de Georges, l'Autriche colérique, ran-
cuneuse, de Marie-Thérèse, la furie de Madrid,
l'ineptie de Versailles, bref l'aliénation de tous,
ne laisse voir qu'un homme en Europe. Un seul
a son bon sens. Il a l'air du gardien des fous pour
empêcher à chaque instant qu'eux-mêmes ne se
blessent el se brisent.
On ne dit pas assez tout ce qu'il fit pour nous
en ce moment. Il se compromit même (Dover), De
sa personne, il alla visitant les princes de l'Empire,
les engageant à se confédérer, à faire une armée
neutre qui aurait couvert la Bavière, découragé
la pointe que l'Autriche voulait faire en France.
Son influence ôta deux armées à nos ennemis :
1° celle du Hollandais que l'Anglais voulait leur
donner el que le roi de Prusse paralysa plus
Douze. bvGoogle
— 211 — (1743-1744)
d'une année ; 2* les troupes Anglaises de Flan-
dre que Georges, ce furieux Allemand et plus
Autrichien que l'Autriche, envoyait à Marie-
Thérèse. Pour nous sauver ce coup, Frédéric
eut besoin de menacer et de dégainer presque.
n signifie à Georges que s'il fait un pas dans
l'Empire sans l'aveu de l'Empire, la Prusse à
l'instant même saisira son Hanovre. Georges avala
sa rage. Mais sa jalouse haine pour Frédéric s'en-
venimant, le fît de plus en plus, contre tout
intérêt anglais, serviteur de l'Autriche, et bour-
reau (s'il eût pu) pour détruire la Prusse et la
France.
L'Angleterre (d'elle-même calculée, raisonna-
ble , et sérieuse dans les intérêts) avait en ce
moment un accès singulier, allait comme un
homme ivre qui suit non pas sa route, mais de
droite et de gauche, poussée ici et là. Après la
torpeur de Walpole, sous Carleret et Pitt, elle s'é-
tait éveillée de fort mauvaise humeur. Comme un
boxeur méchant, fort, sanguin, qui veut des
querelles, elle cherchait à qui donner des coups.
Fureur instinctive et aveugle, que de façon di-
verse on travaillait habilement. D'une part, la
banque maritime, les noirs comptoirs de Lon-
dres qui dans l'Amérique envoyaient leurs con-
trebandiers, commanditaient le vol, voulaient
que leurs br^uds fussent inviolables aux Ës-
. Douze, bv Google
(1743 ilU) — 212 —
pagnols. 11 fallait écraser l'Espagne qui criait :
Au voleur I — D'autre part, une masse plus dé-
sintéressée, mais solte et violente, au nom de
la famiUe, s'émouvait pour Marie-Thérèse con-
tre l'intérêt prolestant, contre le roi de Prusse.
Son oncle Georges II était à corps perdu dans ce
courant. — Un troisième mobile, commun à tout
parti, c'était la haine de la France, l'idée que
celte France qui flottait sans pilote, allait re-
commencer Louis XIV, la monarchie universelle.
On n'avait jamais su ici-bas ce que peut la haine
tant que cette Angleterre ne donna son héros,
l'enragé M. Pilt, ce furieux malade, de colère
calculée. Tous les plans de ruine et de démem-
brement, rêvés de Marlborough et d'Eugène,
étaient au cœur de Pitt. Deux vieilles gens de
soixante-dix ans, Stairs, Sarah Marlborough, res-
suscitèrent pour hurler avec lui. Stairs, l'écos-
sais camus, un dogue à figure d'assassin (qui
tua son frère à douze ans), avait eu à quarante
la jouissance unique de marcher sur le pied au
grand roi qui ne pouvait plus remuer. El la
furie Sarah, l'impudique exploiteuse de la pauvre
• reine Anne, ce vampire enrichi de carnage, du
sang de la France, en avait soif encore. Elle
fut d'autant plus une plaideuse pour Marie-Thé-
rèse, prête à lui donner tout. Pour son impéra-
trice, elle courait les rues, lui ramassait Tar-
Diailizc^bv Google
— 213 — (17*3-174*1
gent, pleurait, priait pour elle. La famUle est
en cause et la projeté. Vingt peuples délivrés
de l'Autriche, rentrés dans le droit naturel de
la liberté élective, sont proclamés par l'Angle-
terre la propriété de la femme, de son fiTiit né,
à naître, de ce ventre plein de tyrans.
Dans cet accès bizarre, la terre de la Loi, l'An-
gleterre, se déclara contre la Loi, contre l'élec-
tion régulière que l'Allemagne unanime fît de
son Empereur à Francfort. Elle biffa le choix
des Allemands, nia la liberté germanique. Cou-
ronné à Francfort, et couronné à Prague, l'Em-
pereur Bavarois, avait pour lui le Droit incon-
testablement. Force énorme, si son défenseur,
si la France n'eût été trahie.
Fleury mort, l'Espagne voulait nous donner
un ministre. D'autres timidement auraient in-
sinué Gbauvelin. Mais qu'en a-t-on besoin?
« N'avons - nous pas le Roi ? » C'est le texte
qu'en chœur chantèrent les deux partis, Noailles
d'un côté, de l'autre Richelieu. Merveille ! le Roi
parle. On le pousse, on le presse, et on obtient
cela. Il parle. Il parle haut et sec. A propos de
Tencin, il dit d'un ton bref: « Plus de prêtre. » 11
est donc bien changé? Point du tout. Pure imita-
tion. Il copie assez bien la sèche impertinence
de Richelieu, de la Tournelle. Il n'en reste pas
moins ce qu'il fut, nu jouet, l'automate de Vau-
canson.
Douze, bv Google
(n-ij-nii) — 214 —
Lorsque la vieille M"" !a duchesse osa (fé-
vrier et avril) lui présenter les lettres , les
mémoires francs, hardis, que lui adressait Chau-
vetin, on lui fit croire sans peine que cela bles-
sait son honneur. Maurepas et Noailles, les plus
intéressés à exclure Chauvelin , y réussirent
sans doute par d'adroiles insinuations. Le Roi, si
peu sensible, indifférent même à l'outrage (on l'a
vu en 1750) , crut avoir de lui-même une royale
colère, et fit ce qu'on voulait. Il aggrava l'exil de
Chauvelin (avril), fil entrer Noailles au Conseil.
La Tournelle avait une étoile, et y croyait,
bien sûre de faire du Roi le plus grand roi du
monde (V. sa lettre dans Goncourt). Admirons
les premiers effets de cette étoile : Chauvetio
en disgrâce, et Noailles au Conseil.
Noailles, qui, sous la Régence, avait eu des
vues saines, d'heureuses lueurs, n'avait dans sa
vieillesse gardé que ses défauts, une imagination
mobile, une versatilité bizarre, qui le faisait sans
cesse voltiger d'une idée à l'autre. Brillante,
étourdissante, sa parole était la tempête. Pour
ajouter l'éloquence du geste, il jetait son chapeau
•en l'air (Àrg.). Bref, homme détalent et d'es-
prit, de vaste connaissance, sans cœur, ni fond,
ni caractère, faux dévot (et flatteur de la tra-
hison de famille), il offrait la grotesque image
d'Arlequin à soixante-cinq ans.
Douze, bv Google
— 215 — (lHS-1744)
Richelieu, la Toumelle, se montrèrent là très-
lâches. Dans la terrible crise oi^ nous entrons
(avril 1745), lorsque l'invasion de toutes parts
nous menace et gronde, ils laissent la Famille et le
parti dévot remettre à ce vieil étourdi la défense
de nos frontières.
Georges, Marie-Thérèse, ne doutent plus de
rien. Ils sont sùi's de finir en une campagne.
C'est moins que la guerre, c'est la chasse, c'est
la curée. Qui veut des morceaux de la France?
Mais sa ruine n'est pas ce qui plaît à Marie-
Thérèse. C'est bien plus la vengeance.A Prague,
à Égra, on le vil. 11 lui faut des Français
vivants à outrager. Celte femme de vingt-huit
ans, toujours grosse ou nourrice, avec sa beauté
pléthorique, ivre de sang et bouffie de fureur,
a beau ,êlre dévote; on voit déjà ses filles en
elle et le fantasque orgueil de Marie-Antoinelte,
et les emportements de la sanguinaire Caroline.
Elle sème; les siens récolleront. Elle fonde sur
le Rhin et chez nous l'exécration du nom d'Au-
triche. Ses manifestes terroristes , des pères
aux fils, jusqu'en 95, s'imprimeront dans la
mémoire, ^es menaces de mutilations, le nom
de son Menizel, choisi par elle pour aplanir la
route, décourager les résistances par d'horribles
excès de férocité calculée. On réclame. Elle en
rit, et désavoue Mentzd en l'avançant et le ré-
Diailizc^bv Google
(1745-lîM) — 216 —
compensant. Dans ses proclamations, il dit au
paysan que, qui ne vient à lui, sera forcé Im-
même de se tailler m pièces , de se couper le
nez et les oreiUes. Nombre de ces barbares, soua
l'habit musulman, avec charivari de tambour et
tamtam, donnaient une agonie de peur au
paysan, qui, dans ses cris au ciel, mêlait con-
fusément le Turc avec Marie-Thérèse.
Invasion hideuse, à laquelle le sot Georges,
la bi'utale Angleterre n'eurent pas honte de s'as-
socier. Ce grand peuple a des temps où il ne voit
plus goutte, va comme un taureau, cornes
basses. Le portrait ridicule que nous donne
Gomines des Anglais arrivant en France avec
Edouard IV pour faire la guerre à I^ouis XI, con-
vient (quatre cents ans après). Bravoure et gauche- .
rie, maladresse incroyable, foi soKe à la force phy-
»que. Tel vous allez les voir à Dettingen. Georges,
.par une savante manœuvre, veut couper Noailles
d'avec Broglje, empêcher leur jonction. Et il se
fourre dans un impasse. Le loup a voulu pren-
dre, est pris. Voilà qu'il ne peut plus nï nourrir
son armée, ni avancer, ni reculer.
Ce joli coup était moins de Noailles que du
très-habile de Vallière qui sut placer ses batte-
ries de façon que la masse anglaise, bien exposée
en espalier sur la rive opposée du Hein, devait,
défilant en arrière, subir en plein le feu, avaler
Douze. bvGoogle
— 217 — ("43-17*4)
tout jusqu'au dernier boulet. Qui sauva Georges?
L'étotu'derie de nos brillants courtisans de Ver-
sailles. Le neveu de Noailles, Grammont et la
Maison du Roi, ne voulurent pas que l'artillerie
eût l'honneur de l'aiïaire. Cette cavalerie dorée
s'élança, elle alla chaîner justement devant nos
canons et les empêcha de tirer. L'avant-garde,
sans ordre de même, suivit ce faux mouvement.
Nos pauvres jeunes milices, amenés d'hier à
Tarmée, tinrent peu, et, ce qui étonna, nos fiera
gardes-françaises, superbes au pavé de Paris.
Même perte de chaque côté , mais Georges
était sauvé. Les Autrichiens allaient le joindre.
Noailles, pour n'être pas saisi entre les deux,
dut repasser le Rhin. Triste nécessité, et on la
rendit ridicule. Le Roi dit que notre Empereur,
le Bavarois, traitant avec Marie-Thérèse, il ne
voulait pas les gêner et rappelait les armées de
l'Empire. Cette déclaration chrétienne et paci-
fique de conciliation enhardit nos ennemis. Elle
n'aida pas peu à décider le traité du Piémont
et de Marie- Thérèse. Le Piémont sentait bien
que nous étions trop Espagnols, que nous ue
travaillions en Italie que pour noire fille l'In-
fante. (15 septembre 1745.)
Grand coup contre Madrid, grand coup contre
Yereailles, c'était juste l'endroit sensible des deux
cours, l'affaire de la famille. l'Infante (poussée
Douze, bv Google
(11*3-11141 — -218 —
par la Famèse), dans sa tendre correspon-
dance qui était constamment en roule de Ma-
drid à Versailles, dut tremper son pa[ùer de
larmes. Le Roi embarrassé, Toyant que le Con-
seil craignait de prendre avec l'Espagne des en-
gagements compromettants, ne consulta qu'un
homme, celui que la Toumelle appelait Faqui-
net, Maurepas. Tl méritait ce nom. L'heureuse
occasion de faire contre la France l'affaire de
la famille, Maurepas la saisit aux cheveux^
dressa docilement, ou plutôt copia le traité
insensé. C'était déjà le Pacte de famille qui
mariait la France à l'Espagne, l'associait aux
aventures de la patrie de Don Quichotte. Rien
de stipulé pour la France, mais généreusemmt
elle donnait tout le Milanais à l'Espagne (donc
guerre éternelle au Piémont).
Guerre déclarée à l'Angleterre, et dès lors
maritime (la guerre jusque-là n'était qu'Hano-
vrienne). Article grave, qui eût dû faire trem-
hler Maurepas, comme ministre de la marine ;
il avait construit des vaisseaux, mais en bois si
mauvais que nos amiraux déclaraient qu'ils ne
pouvaient tenir la mer.
Le comble de l'imprudence c'était qu'on s*en-
gagait à ne jamais traiter avec l'Anglais qtt'U
n'eût restitué Gibraltar. Donc on fermait la
porte à tout arrangement possible.
Douze. bvGoogle
— 219 — [n*3.17i4)
Ce fut le premier acte du Roi gomemant par
Im-même^ acte accordé à la famille, acte de père
plus que de roi. Et en même temps, chose bi-
zarre, il en faisait un autre absolument contraire.
Richelieu, la Toumelle eurent l'autorisation d'une
démarche (indii^ecte et secrète) auprès du roi de
Prusse. Le Roi sut, approuva que leur homme,
Voltaire, allât à Berlin , « comme persécuté de
Royer. m IÏ lut et goûta même la risée que Vol-
taire faisait de ce' Royer, le vrai chef du clergé
qui, depuis Fleury, avait la FeuiUe, c'est-à-
dire en réalité donnait comme il voulait évè-
chés, abbayes, et tous les biens d'Église, dis-
posait de ce fonds énorme. Ce sot gouvernait
le Dauphin. Peu à peu , autour d'eux , une
cour se formait dans ta cour, de gens pieux qui
ne censuraient pas le Roi tout haut, mais qui
pour lui priaient, levaient les yeux au ciel. Tout
le travail de Richelieu était de bien montrer
au Roi cette cour opposée à la sienne, ayant
déjà tout prêt son successeur, le petit saint,
le nouveau Duc de Roui^ogne. D'autre part, la
Toumelle, avec sa hauteur, son audace, le
sommait d'imiter Frédéric, d'être vraiment roi.
Il se trouvait précisément que le Roi de Prusse
à Berlin renouvelait l'Académie que sa grand'mère
créa sous les auspices de Leibnitz. 11 fut ravi
de recevoir Voltaire. Il savait parfaitement la
Douze, bv Google
(171W7M) _ 220 —
puissance de l'opinion dont Voltaire devenait
de plus en plus le maître. Les tragédies de
l'un, et les victoires de l'autre avaient coïncidé.
On jouait Mt^wmet à Lille le jour où l'on
apprit la victoire de Molwitz; Voltaire dit la
nouvelle; la salle enthousiaste applaudit à la
fois Frédéric et Voltaire. Acquérir celui-ci, c'é-
tait conquérir un royaume, le grand peuple
penseur, dispersé, il est vrai, mais fort, et qui
ne donne pas seulement la fumée de la gloire,
mats toujours''à la longue la réalité du succès.
Frédéric, malgré tels côtés petits ou ridicules,
vu de près, saisissait au moins d'étonnement.
En arrivant de France et de la molle vie de Ver-
sailles, on ne pouvait voir la vie rude et forte
du roi de Prasse, son énorme labeur, sans être
frappé de respect. Cet homme qui, dans les
froides nuits du Nord, déjà à quatre heures du
malin siégeait en unifornie {et tout botté), à son
bureau, devant une montagne de lettres, de dé-
pêches, d'affaires privées, publiques, avant qu'il
fût onze heures, avait fait chaque jour ce qu'un
autre eût fait en un mois. Le tout annoté de
sa main pour les bureaux qui le soir même
devaient avoir fait les réponses. N'ayant nulle con-
fiance en personne, il lui fallait entrer dans un
détail extrême. Seul général, seul roi, seul admi-
nistrateur, il était encorejuge dans les affaires
Douze. bvGoogle
— 22t — (n4s-n«)
douteuses. Gouverneoient étrange, absurde ail-
leurs. Ici, commeol faire autrement? Roi du
chaos, d'un État discordant de pièces qui hur-
laient d'être ensemble, d'un État tout nouveau où
rien n'était encore, ni les institutions, ni les
choses, ni les personnes, il lui fallait périr ou
bien jouer îe rôle du Grand esprit, de i'âme uni-
verselle du monde (Mirabmu). Du reste sim-
plicité extrême. Nul faste et point de cour.
Nulle crainte même que ses goûts d'artiste ne
le diminuassent aux yeux des pliis intimes. Il
était bien sûr d'être grand.
Ce qui est amusant, bizarre, c'est qu'avec
celte vie terrible, tendue de stoïcisme, il se
croyait épicurien. Il était en paroles plus que
mondain, cynique, imitant un peu lourdement
ce qu'il croyait le ton des salons de Paris.
Quant aux réalités, il est bien difficile de croire
ses ennemis en ce qu'ils ont dit de ses vices.
Il n'aurait pas gardé cette âme forte et ce nerf
d'acier. Il n'eût pas eu dans son palais (avec la
vie d'Hélagabal) pour amis personnels les plus
honnêtes gens et les plus graves de l'époque,
lord Keith el lord Maréchal.
Fi-édéric était favorable. Il se savait l'objet per-
sonnel des colères, des haines de Marie-Thérèse
et de Georges surtout, qui, dans sa bassesse '
envieuse, eût voulu ruiner de fond en comble la
^cbvGooglc
(1743-1144) — 322 —
naissante grandeur de la Prusse. Avec le misé-
rable Auguste de Saxe, ils complotaient non-
seulement de lui ôter la Silésie, mais de dé-
membrer son royaume. L'arrangement ne fut
pas difficile entre deux parties dont chacune se
voyait absolument seule. C'était un mariage de
nécessité, de raison.
Union discordante, au fond, et sans solidité.
Le roi de France qui venait de mettre tout son
cœur et sa sincérité dans le sot traité de famille
pour l'Espagne contre le Piémont, allait main-
tenant s'allier à la Prusse, ce Piémont du
Nord. Ce roi, tout catholique, qui tenait son
Conseil chez lui cardinal, chez Tencin, allait
contre sa conscience jouer le rôle faux de re-
lever le parti protestant, en s'unissanl à la
Prusse, à la Suède, à la Hesse, et au Palatin.
On pouvait croire qu'il y avait làrdessous quel-
que chose. Au fond que voulait- on? Une seule
chose, conquérir la paix, s'aider de la pointe
hardie que Frédéric voulait faire en Autriche,
ne point irriter Georges en touchant son Ha-
novre, ne point fâcher Marie-Thérèse, la tou-
cher seulement au point le moins sensible, à
ses extrémités éloignées, excentriques (aux Pays-
Bas), bref l'alarmer assez pour en tirer la paix
et le Milanais pour l'Infante.
En tout Noailles étnit mis en avant et sem-
:.bv Google
— 225 — (4743-1744)
blait diriger, Deirière était Tencin. Le Roi ne
se fiait qu'au cardinal, ne parlait que de lui,
disant à toute chose : « Mais Tencin le sait-il?
Tencin, qu'en pense-t-il?» etc. Tout Paris le savait
{Notwdles à la main, R&). r. F). Jamais on ne
vit mieux combien cette tête de roi était creuse.
Bu Tencin d'autrefois, l'intrigant, le rusé, la
ruse même avait disparu. Il restait un grotesque,
vieux galantin fardé, la ganache amoureuse. Sa
cervelle affaiblie, à travers le grand plan de l'al-
liance de Pnisse (plan protestant) , en jeta un
autre contraire, tout catholique, d'une descente
en Angleterre, d'une restauration des Stuarts. Le
Roi y mordit fort. Il était trop visible que cette
tentative si incertaine allait avoir l'effet certain
de nous faire perdre les amis protestants que
nous tâchions de nous faire dans l'Empire. N'im-
porte. On passa outre. î^oailles insista pour
qu'on fit chef de l'expédition l'aventurier Mau-
rice, l'homme à la mode, prolestant, mais
qui par là même offrait à Tencin l'appât d'une
éclatante conversion. Maurice marchandait peu,
eût daigné imiter Turenne. Il promit de se
faire instruire [T&iUanàier). Fdle de soi, l'af-
faire fut faite encore plus follement , comme
croisade et restauradon des Stuarts, ce qui de-
vait doubler et décupler les résistances. On ne
âongeait pas même à s'aider de l'Ecosse. Direc-
Doiizc^bv Google
(1713-17*4) — 224 —
tement Maurice devail aller dans « la rivière de
Londres. » Le secret élaïl impossible. Rassem-
bler une armée, enlever de Nantes à Dunker-
que toutes les embarcations, c'était suffisam-
ment avertir les Anglais. Ils eurent deux mois
poiu- eux. Une grosse flotte anglaise fut mise
a dans la rivière de Londres. » Les nôtres, pour
passer, prennent judicieusement le moment des
tempêtes, l'équinoxe de mars, et le passage est
impossible.
Le ridicule qu'ils auraient eu dans la Tamise,
ils l'eurent au continent. Quoi de plus sot que
de ménager Georges en ne l'attaquaut pas où il
est vulnérable, en son Hanovre, mais de menacer
l'Angleterre, d'alarmer ce grand peuple, d'exas-
pérer sa haine? Nos alliés d'Empire, les protes-
tants du Rhin furent furieux de celte sottise ca-
tholique. Le Hessois, loin d'être avec nous, vou-
lait, de sa personne, aller défendre l'Angleterre.
Il y avait de quoi dégoûter Frédéric. Il pou-
vait deviner qu'on n'agirait qu'aux Pays-Bas. Le
simulacre de descente avait eu cet effet de faire
rappeler en Angleteree ce qu'il y avait d'Anglais
en Flandre, et l'on pouvait dans ce pays dégarni
à bien bon marché réaliser le plan des cour-
tisans , arranger pour le Roi une belle cam-
pagne, lui dire qu'il avait ^alé Louis XIV son
aïeul et surpassé le roi de Prusse. Qui eût
Douze. bvGoogle
— 225 — (n»-n*4i
triomphé? la Toumelte, sa chance, son bonheur,
son étoUe.
Frédéric s'obslinail à nous croire de bonne
foi. On croit ce qu'on désire. Les belles lettres
qu'il écrivait alors sont un peu juvéniles. Il
y a du calcul , et le calcul de la sagesse, mais
aussi fa-ès-visiblemenl une chaude espérance, une
passion. Avec son air prudent et doucement mo-
queur qu'il eut toujours, il était ivre de la France.
C'était entre lui et Voltaire la fraîcheur du pre-
mier amour. Il ne marchande pas les protesta-
tions à Louis XV, se posant comme inférieur
même, comme aUié fidèle et dévoué. Il écrit à
Noailles : « S'il ne tenait qu'à moi, vous auriez
pris vingt mille hommes et gagné trois batailles. »
Il dit qu'il ne demande que le rôle des anciens
Suédois, dont l'épée fut toute française. Tout
cela est suieère. La Prusse et la vraie France
auraient eu le même intérêt!
La comédie des conquêtes de Flandre par le
Roi s'était faite en mai. Entouré du corps du
Génie (alors le premier de l'Europe), armé des
foudres de Vallière et d'une artillerie supérieure,
le Roi fît sa rapide et brillante promenade par
des villes fort peu défendues. Gourlrai, Menin,
Ypres , Fumes , sont pris en trois semaines.
Tout ce qui arrêta Louis XIV est trop facile à
Louis XV. Tout cède à son étoUe. Cette étoUe
:.bv Google —
(1743-1Î4I) _ 22ft —
pourtant reste encore à Paris. Elle étale son
deuil et pleure à l'Opéra. Elle s'établit chez
DuTemey, pour avoir les premières nouvelles.
Elle pousse contre Haurepas qui l'a fait retenir
ici les plus sinistres plaintes et des cris de veit-
geance. « II faut nous en déÊiire » , dit-elle
(lettre du 5 juin, ap. Concourt). La reine cod-
damnée à rester, obéit; mais la Tournetle perd
patience. Elle part, sûre d'être pardonnée.
Une guerre plus sérieuse nous venait sur le
Rhin. Coigny, son vieux gardien, l'avait fort mal
gardé. L'Autrichien était dans l'Alsace et la Lor-
raine ouverte. Stanislas en danger s'enfuit de
Lunéville. Pour le coup Frédà-ic croit que l'on
Ta agir. Il écrit (12 juillet) au Roi directement
une lettre qu'on crcHrait d'un ami. « U va
prouver cette amitié, va partir le 13 août, el
il sera le 30 à Pragite. Il espère que le Roi
ne le laissera pas seul dans un pas aussi grave,
qu'il fait en partie pour la France. Il tant frap-
per trois coups, en Ravière, Robême et Hano-
vre, mettre Rellisie à la tête de nos années,
comme l'honmie qui a la confiance de l'Alle-
magne. Il fendrait employer Haivice « ou quel-
qu'un de déterminé » pour l'expédition de Ha-
novre. — El surtout cette fois agir à temps. —
Mais plus de défensive; on a péri par là. L'offen-
sive donnera le succès. Elle fut le secret de Coudé,
:.bv Google
— 827 — {i7M-n«)
de Turenne, de Luxembourg , de Câlinât, qui don-
nèrenl tant de gloire aux armées de la France. »
Ces excellents conseils ne furent point écoutés.
On donna à l'ardent Maurice le poste de Timmo-
.bililé, la garde de qos côtes. Bellisle fut retenu
à Metz « pour préparer les vivres. » Deux vieil-
lards, Noailles et Coigny, eurent le poste de l'ac-
tion, la forte armée du Rhin, avec un grand ren-
fort du Nord. Énorme supériorité sur l'Autri-
chien qu'on eût pu par des coups rapides acca-
bler, enterrer en France, empêcher à jamais
de rejoindre Marie-Th^se. Les deux poda-
gres furent chaînés de cela, Noailles, lourd,
gros comme un lonneau ; Coigny , usé et in-
décis. Si J'ennemi fuyait, le suivraït-on, pren-
drait-on l'offensive? Notre année d'Italie, en ce
moment, en donnait bel exemple. Chevert (com-
mandé par Conli), avec autant d'élan qu'il fut
ferme dans Prague, avait vaincu les Alpes à leurs
pas les plus rudes, forcé (contre le roi de Sar-
daigne en personne) les gorges âpres de la Stura,
les batteries, barrières et barricades d'un nid
d'aigle, Château-Dauphin (18-19 juillet 1744).
L'armée du Rhin a moins d'ambition. Son offen-
sive en Allemagne sera sur notre frontière même,
le siège de Fribourg, à deux pas. Opération cer-
taine que le Génie fera en tant de joui's devant le
Roi, qui seul aura l'honneur de la campagne.
:.bvGoogIf
((745-1744) — 228 —
Le roi de France apprit l'inTasion à Dunker-
que où il se délassail près des deux sœurs.
Celles-ci, amenées à l'armée dans un royal cor-
l^e de dames, de princesses du sang, y trouvè-
rent un accueil de risées si cruel qu'elles ren-.
trèrent en France, ne se rassurèrent qu'à Dun-
kerque. Les Suisses, dans leur jargon, d'abord
firent de gros rires « sur les putains du Roi. »
Nos soldats rechantèrent les vieux refrains mo-
queurs sur Montespau et Maintenon. Les honnèles
Flamands voyent avec horreur ces deux sœurs
dont l'aînée donne au Roi la cadette, cet accord
dans l'incesle. La Tournelle, toujours guindée
haut, toujours reine, eût ennuyé le Roi si ses
goûts de bassesse , sa trivïahté n'avaient en
leur détente avec la Lauraguais, sa sœur, petite,
grosse, mal tom-née, cynique, un avorton rieur,
qu'il appelait la rue des mauvaises paroles,
une laide avec qui on ne se gênait pas. Il al-
ternait ainsi de la tragédie à ïa farce. Plus de
résen'e. Il a cassé les vitres. A chaque ville, on
loge les deux sœurs à portée. Tout près aussi
son confesseur , le bon jésuite Pérusseau. Non
que le Roi s'en serve (il ne fait même plus ses
prières). Mais il le veut tout près, en cas de ma-
ladie, de mort, pour être sur-le-champ absous.
Au départ de Versailles, il tenait teliemenl à
ne pas faire un pas sans mettre en ses bagages
Douze. bvGoogle
— 229 — (n43-l7«)
cet homme indispensable, qu'il ne lui donna
pas le répit d'un seul jour pour se préparer.
Près de ce douteux personnage, un autre qui
l'était beaucoup moins suivait le Roi, son au-
mônier, Fitz-James, évêque de Soissons, pour
l'administrer au besoin.
Caractère violent, et figure menaçante, Filz-
James, à la Tournelle, donnait l'effroi constant
du parti des dévols. Ce parti la suivait. Il eut
un grand r^al à voir les risées de l'armée et la
Tournelle en fuite, à voir cette orgueilleuse,
« haute comme les monts, » poursuivie des
sifflets. Pour comble, arriva à Dunkerque un
témoin plus haineux, plus malin, de sa honte,
celui qu'elle appelait Faquinet, qu'au fond elle
craignait, Maurepas. Ennemi capital et de fa-
mille, qui naguère, avant sa faveur, héritant
de l'hôtel où elle logeail, l'avait chassée, jetée
sur le pavé. La brouille était à mort. Elle n'a-
vait pas pu obtenir du Roi son renvoi. On
l'avait éloigné en exigeant qu'il fit sa tournée
de ministre dans nos ports. R eut des ailes, la
fit en un moment, et quand elle le croyait bien
loin, il lui apparut à Dunkerque, pour l'obser-
ver humiliée, la tenir sous son froid regard.
Voilà le Roi forcé d'aller du Nord au Rhin,
et précipitamment, et pour la guerre la plus ter-
rible. Ce n'est pas la place des femmes. Mais
:.bv Google
(n43-n«) — 230 —
la Touroelle avait trop peiir, le vopnt ainsi
entouré, le connaissant si faible. Elle jura qu'elle
suivrait le Roi, qu'on ne l'en arracherait pas.
Dans ce brûlant mois d'août, le sang déjà aigri
de mortifications, de fureurs, d'oi^iea obligées,
elle tomba malade en route, et retarda le Roi.
Il lui fallut à Reims s'aliter, ée purger. La mé-
decine lui panit si mauvaise qu'elle se croyait
empoisonnée. Le Roi très-froid, porté aux idées
funéraires, entretint la malade de son futur
tombeau, en discuta la place. Rref, il partit
devant, pour Metz.
Les deux sœurs, établies à Metz fort scanda-
leusement dans l'abbaye de Saint-Amould, com-
muniquaient avec le Roi par une longue galerie
de bois, que ïe prieur bâtit « pour que Sa Majesté
pût aller à la messe. » La galerie extérieure et
en vue fut plus choquante encore en barrant
quatre rues. Force murmures du peuple, juste-
ment indigné de ces plaisirs impies qui, en tel
moment, narguaient Dieu.
Le 5 août, à un long souper qui dura dans la
nuit , on fit boire le Roi sans mesure. Excès
fatal. Il s'y joignit, dit-on, un coup du soleil
d'août, et très-probablement le triste abus, l'effort
d'un amour refroidi auprès d'une malade au sang
tourné, qui portait un germe de mort.
Le 4 août, le Roi lombe. C'est la fièvre pu-
D,a,l,zc.bvG00gIe
— 254 — Cils-iW*!
tride. Alarme nnmeuse. — Que va-t-on dev^r?
On a fait cent récits de la douleur du peu-
ple, des églises assiégées, des prières, des pleurs,
des sanglots. Il est sûr qu'on gardait alors beau-
coup encore de cet amour de mère que la France
avait eu pour l'enfant Louis XV. Mais on a dit
trop peu que, dans cette douleur, entrât (el
pour beaucoup aussi) la terreur de l'invasion,
l'irruption horrible de ces bandes de mutila-
teurs, l'effroyable récit de ce qu'ils faisaient en
Alsace. On les crut h Paris. Lam^table faiblesse
d'une grande nation qui se croit ou perdue ou
sauvée dans un homme I grand contraste à ce
qu'on a vu celle année aux JÉIats-Unis. Le pre-
mier magistrat assassiné, nul trouble. Nulle
cj-ainte, et point d'émotion. Une chose édata,
c'est qu'en les républiques la vie, la mort d'un
homme pèse peu. Le salut subsiste en chose
moins fragile : l'immortalité de la Loi. Avec la
monarchie, le gouvernement personnel, on doit
toujours attendre les revirements dangereux et
soudains qui tiennent an hasard de la vie
d'un individn.
Du 4 au 12, le mal va son chemin, et nul
médicament n'agit. Les deux dames tiennent le
Roi, portes closes. Les princes du sang, les
grands seigneurs, restent dans l'antichambre,
exclus et indignés. Cependant le grand chi-
:.bv Google
(l7»-n44) — 232 —
nii^ien, la Peyronie, déclare que peut-être le
Roi n'a pas deux jours à vivre. Il dit : « Il faut
l'administrer. »
Le long et beau récit original (de Richelieu
lui-même certainement {Mém., Vil) ne peut
être abrégé. Seulement il ne dit pas assez
combien dans ces alternatives déjà pesait le
futur roi, le Dauphin, que l'on attendait. Gela
seul fait comprendre l'extrême embarras du
jésuite quand la Tournelle le pria de ne pas
exiger dans la confusion qu'elle fût l'en-
voyée avec honte. Pendant qu'elle parlait, il
voyait le Dauphin absent. Tous le voyaient, ce
lourd enfant sévère, le vrai juge de Louis XV,
vrai croyant, intraitable, que rien ne ferait re-
culer. Il arrivait. Gela enhardissait et les princes,
et les prêtres. Fitz-James, pour en finir, alla jus-
qu'à user des moyens populaires, faisant à ta
paroisse fermer le tabernacle, même ameutant
le peuple, enfin de sa personne à grand bruit dé-
clarant aux sœurs que le Roi les chassait.
Le Roi eut une peur extrême. Il fit, dit tout
ce qu'on voulait, même un peu plus encore.
Les médecins l'avaient abandonné. On le jugeait
perdu. On démolissait sans façon la fameuse
galerie. Déjà la solitude se faisait autour du
mourant. Les ministres emballaient, et les prin-
ces parlaient pour l'armée. L'absence des mé-
D,a,l,zc.bvG00gIe
— 235 — (n4ï-n«)
decins fut le salut du Roi. Un empirique lui
donna l'émétique. Et dès tors il fut beaucoup
mieux.
La reine était venue, et il lui demanda pardon.
Pour le Dauphin, on craignait que la vue du suc-
cesseur ne fil mal au malade. Au nom du Roi,
il' lui fut défendu d'avancer plus loin que Ver-
dun. Il y est le 15 août, et ses sœurs. La pe-
tite, Adélaïde, fort passionnée pour son père,
se mourait d'être arrêtée là. Châlillon, le dé-
vot gouverneur du Dauphin, prit sur lui de
continuer. Mais la vue du Dauphin fut peu
^réable à son père.
Promplement rétabli, te Roi put passer en Al-
sace. Noailles et Coigny, inquiets, trop occupés
de Melz, bien moins de l'ennemi, l'avaient [mal-
gré leur force supérieure) laissé partir, laissé
apporter à Marie-Thérèse un renfort redoutable
qui accabla le roi de Prusse. Sans souci de son
allié, Louis XV s'en tint à la petite affaire mar-
quée pour but de la campagne. Il vit prendre
Friboui^ (octobre), ennuyé de la guerre et fort
impatient de revenir à ses plaisirs.
Son retour fut une vraie fête. On lui savait un
gré infini, non d'avoir rien fait, mais de vivre.
L'invasion n'avait pas eu lieu. On fut ivre de joie.
La cour l'appela le Bien-aimé. Paris lui arrangea
un triomphe d'empereur romain. Il entra lente-
Diailizc^bv Google
(1743-^llH) _ 254 —
ment, et dans les carrosses du Sa<a-e, poui- qa'm
pût jouir de le voir, qu'on se rassasiât de sa pré-
sence. Une part dans ces transports évidemment
revenait à la reine, à ses douces vertus domesti-
ques qui touchaient fiât le peuple, à l'union réta-
blie de la famille royale. La maîtresse au contraire
lui était un objet d'horreur. Au retour sa voilUre
fat arrêtée à Ja Ferté, elle faillit êlre mise en
pièces. A Paris, die osa aller voir la Teatrée du
Roi, se mê)^ à la foule; elle fut accablée d'af-
fronts, on lui cracha au nez. Elle rentra déses-
pérée. Tout son orgueil Tabandonna. Elle écri-
vait à Richelieu (pour le montrer au Roi) que, si
elle pouvait rentrer, elle ne deonoderait nulle
vengeance, ne ferait nulle condition, se rendrait
« à l'ordre du maître. » {fitcft., VU, 51).
Elle était à ses pieds. Hais d'autre part le
Roi qui avait va à Metz la bonté de la reine, sa
passion pour lui, qui voyait à Paris la foule si
heureuse de leur réconciliation, ne pouvait qu'hé-
siter à rompre encore, à mécontenter tout te
mcmde. Loin de dii^racier les amis du Dau-
phin, il avait dé^gné (octobre) M. de Ghâtilloa
pour l'honorable mission d'aller recevoir la Daii-
phine.
Tout cela agissait si bien qu'après ce l(m%
sevrage d'amour physique , il pensa à la reine.
C'était la nuit du 9 novembre. La reine était
Douze. bvGoogle
— 355 — (««-1744)
coudiée. Ses femmes entendirent gratter à la
porte de la chambre. Elles dirent : « C'est sû-
rement le Roi. » La chose était peu vraisem-
blable après une interruption de quatre années.
La reine , fort timide (de son infirmité) , en
avait presque peur. Elle dit : « Vous tous Uvm-
pez. Dormez. » Avertie une seconde fois , elle
fît même réponse. A la troisième fois où l'on
gratta plus fort, elle se décida à faire ouvrir.
C'était trop tard. Le Roi était piqué. Il traversa le
Pont-Royal et alla tout droit rue du Bac, où sa
maîtresse demeurait (Rich., VII, 53).
Elle s'y attendait si peu qu'elle fut comme fou-
droyée, s'évanouit. Puis, sentant mieux son avan-
tage, elle reprit toute sa hauteur. Il s'excusait. Elle
dit : « Je me liens contente de ne pas être envoyée
par vous pour pourrir en prison. Quant à retour-
ner à Versailles, il faudrait pour cela faire tomber
trop de têtes. » A graud'peine il obtint qu'il n'y
aurait que des exils. Un coup sur le duc dé
Chartres, en son gouvemair qui venait de se
distinguer à Fribourg. Un coup sur le Dau-
phin, en son gouverneur Chatillon, durement
exilé pour toujours. Exil des ducs de Bouillon,
de la Rochefoucault, etc. Il ne disputa pas, se
hâta de dire oui.
Cette nuit d'émotions de tout genre lui rendit,
ou doubla sa fièvre. Elle eût voulu qu'il exilât
Douze, bv Google
(1745-nM) — 256 —
les princes, l'évêque de Soissons, qu'il chassât
Maurepas. Là, le Roi résista. U ne fut pas moins
ferme à refuser ce que la Nesle avait eu seule,
im gage d'amour et d'avenir. {Rich., VII, 79).
Ses transports, ses fureurs ne lui valurent pas
d'être enceinte. De telles alternatives lui por-
tèrent le sang au cerveau. Au matin sa tête écla-
tait.
Le roi, pour lui complaire, sans chasser Mau-
repas, imagina pour lui une cruelle mortification,
xme exquise torture, celle de porter à la maîtresse
sa lettre d'excuse et de rappel. Le faquinet plia,
s'efforça dans la honte de garder sa grâce légère,
voulut baiser la main. Il n'eut de la malade
qu'un mot ; « Donnez... Allez-vous-en! »
Elle le croyait son assassin. Dans ses délires de
fureurs, de regrets, elle criait qu'à Reims, il avait
empoisonné sa médecine, soutenait que la lettre du
Roi était aussi empoisonnée. Richelieu le croyait
comme elle, et il l'a dit à Soulavie (YII, 72). Ac-
cusation peu vraisemblable. Maurepas incapable
de crimes autant que de vertus (comme le disait
très-bien Caylus) n'usa pour tuer l'orgueilleuse
que de ponts neufs et de chansons. Sa vie n'avait
pas l'importance de celle de sa sœur !a Nesle.
Sa mort importait moins au salut de l'Autriche
et aux intérêts du clergé. Ou savait la Tournelte,
ainsi que Richelieu, vouée uniquement à sa
Douze. bvGoogle
. — 257 — (17*3-1744)
propre fortune, plus qu'aux idées d'aucun parti.
Le Roi la regretta dans la mesure de son
mérite. Le 6 décembre, jour de sa mort, il alla
à la chasse , il alla au Conseil , et puis à la
Muette souper avec quelques amis.
Il tint à peu de chose qu'une mort autrement
importante ne changeât la face du monde, celle
de Frédéric, que notre abandon accabla. En un
mois il prend un royaume , occupe la Bohême,
mais sur-le-champ la perd. Son agent envoyé près
de Noailles et de Coigny les prie d'exécuter le
traité, d'occuper celle des deux armées Autri-
chiennes qui est de ce côté du Rhin. Ils la lais-
sent échapper. Au moins il eût fallu la harceler,
la ralentir. Ils la laissent marcher, leste et li-
bre, et rejoindre Marie-Thérèse. Le roi de Prusse
était déjà embarrassé par les troupes légères
de l'Autriche qui voltigeaient autour, prenaient
ses magasins, ses vivres. Quand la seconde ar-
mée arriva, il se vit à la lettre noyé d'un océan
de guerre. Grande et terrible épreuve pour l'ar-
mée prussienne qui eut vraiment besoin d'une,
solidité merveilleuse. Le Roi, dans sa retraite, fut
lent et redoutable, faisant ferme ici, là prenant
des postes importants, là menaçant et offrant la
bataille (24 octobre). On ne combattait pas. On
aimait mieux l'user, l'affamer, guettant un mo-
ment de désordre oiî le lion, effaré de cette âpre
Douze, bv Google
(i7«.n*4) — 258 — ,
chassç^ irait lombanldaos quelque fosse- Sa gar-
nison de Prague, qui en sort (26 noTembre),
meurt de froid. La moitié esL gelée. Notre t^u^le
retraite de 1742 se renouvelle pour la Prusse
(déc. il'^). Frédéric, un moment, manqua de
peu la mort. Il âait entré dans Kolin avec ses
gardes, le quarliergénéralel beaucoup d'embarras.
Toute la plaine autour était couverte de ta cavalerie
des barbares. Ils chargent les gardes avancées, les
refoulent, fondent dans la ville. {Trmck.) Si cette
attaque aveugle eût été plus habile, le Roi pou-
vait périr ou (pis encore) aller à Vienne.
Combien il dut maudire l'abandon de la
France I Par elle il eut pourtant une grande glcùre,
de se sauver seul par des coups de génie. Réu-
nir, maintenir unie une armée poursuivie de
ceUe effroyable nuée, en combiner sans cesse
le vaste mouvement rétrograde, de manière à ser-
, rer et rapprocher les corps pour arriver ensemble
en Silésie, en présentant toujours un redoutable
front, — là, recevoir la grande invasion, à la pointe
des baïonnettes, la relancer si bien qu'elle fût b'op
heureuse d'échapper à son tour en couchant cinq
nuits sur la neige, — ce fut chose admirable, et
plus que dix victoires.
:.bv Google
CHAPITRE XIV.
La Pompadoar «1 fmAtoaj. — ToHaira et l'origine de
l'Encfclopédie. 17iM746.
L'opposition du Roi el du Dauphin s'est forte-
ment marquée à Metz. Elle nous donne le fll in-
time de l'histoire de Versailles et de nombre de
faits qui autrement seraient inexplicahles.
Le Roi , imprudemment , ne chasse le gouver-
neur du Dauphin que pour lui donner un homme
beaucoup plus dangereux. Jusque-là le Dauphin
n'avait pas son guide-âne. ]l Peut dans ce nouveau
venu, la Vauguyon, homme de trente-neuf ans, et
de certain mérite. Voilà l'inséparable ami du
prince, ou, disons mieux, son âme, et il sera plus
tard le gouverneur de Louis XVL Dévot peu scru-
puleux, il se démasquera en se faisant compère et
patron de la Du Rarry.
:.bvGoogIi
c —
(nw-iîM) ^ 240 —
En février, ta Yauguyon arrive et la cour du
Dauphin plus que jamais est le foyer des criti-
ques conlre Louis XV. En février, le parti opposé
ofÈre au Roi, au bal de la Ville, la brillante maî-
tresse qui, malgré le Dauphin, va rogner vingt an-
nées. Le roi, fort peu sédqit, ne l'accepte pas
moins (de la main des banquiers, des Pâris^ ses
patrons), en haine de ses censeurs dévots.
Il était naturel que le Roi , à la longue , las
de ses hautaines maîtresses, la Nesle et la
Tournelle, peut-être aussi trouvant un peu nau-
séabondes les facilités de Ghoisy, acceptât ce que
jeune il avait refusé, une femme d'esprit, une in-
telligente amuseuse.
M"' Poisson, fdleule des Paris, et la fille du Pois-
son pendu (en eHigie], était de race de bouchers.
De là de sots lazzis sur la viande et sur le poisson.
Elle n'avait nullement la fraîcheur des belles de
la boucherie. Dans ses portraits, elle est gentille
et fade , d'agréable médiocrité. Elle crachait le
sang de bonne heure ; c'était peut-êlre la faute de
sa mère (une grosse beauté hardie el forte) qui,
spéculant sur elle, la fit trop travailler. On lui
fit prédire à neuf ans « qu'elle serait maîtresse du
Roi. » Sa mère, dont la maison attirail fort les
gens de lettres, sans cesse faisait l'eshibition du
prodige, vanlant ses talents et ses charmes, di-
sant : tt C'est un morceau de roi. »
:.bv Google
— 2*1 — (1745-1746]
La mère Poissonj qui nerougissail guère, autour
de Louis XV, fit comme un siège, une attaque en
tous sens. Elle l'essaya en Diane, on l'a vu. Elle
l'essaya en musicienne. Elle brillait sur le clave-
cin, enchanta la bonne Mailly. L'effet fut tout con-
Iraire sur la Tournelle. Une dame ayant eu l'im-
prudence d'admirer, la Tournelle lui marche sur
le pied et lui écrase un doigt.
Donc, il fallut attendre. Le Normand, fermier
général, plus qu'ami des Poisson et peut-être père
delà petite, la maria à soji neveu d'Etioies. Posée,
encadrée dans Je luxe, elle put dégorger ce qu'elle
avait de bas, se former el prendre attitude. Elle
eut un salon, réunit artistes et gens de lettres, les
trompettes de ia renommée. Mais , son grand
moyen de succès, c'est qu'elle se fit un théâtre,
avec décors, costumes, machines, etc. Elle jouait,
déployait le talent d'une agréable actrice de second
ou de troisième ordre. Elle chantait d'une voix de
serin, qu'on disait voix de rossignol. Cela retentis-
sait plus haut. Le président Hénault en fut ravi et
put en parler chez la reine. Plus directement les
Tencin s'en occupèrent. Encore plus un Binet, un
parent des Poisson cl valet de chambre du Dau-
phin. D la vantait au Roi. Mais, chez le Dauphm ,
il disait qu'elle ne voulait lien qu'une place de
fermier général .
Par un autre canal encore elle arrivait au Roi,
ivl. i«
DolizcdbvGoOglc
(n*5-nM) — 242 —
par son écuyer Briges, qui t'eut d'abord. Enfin
tous firent si bien qu'un soir il la reçut. I) n'en
fut pas charmé. Elle avait vingt-trois ans, quatre
ans de mariage, deux enfants. Elle était déjà fati-
guée, molle et loin d'être neuve. Elle fit si peu
d'impression que même, un mois après, il ne s'en
souvint plus. Il fallut aider sa mémoire, lui rappe-
ler certain soir, certaine dame. On lui disait que ,
depuis ce soir-là la pauvre dame était restée éprise,
que son mari était horriblement jaloux, qu'elle
était tourmentée, désespérée, pensait à se tuer.
C'était avril. Le Roi allait en Flandre. On brusqua
tout, on la lui ramena (la nuit du 22) à souper.
Richelieu y était et n'en fit pas grand cas. Mais,
lui parti, en excellente actrice, elle dit qu'elle
était perdue, qu'elle ne pouvait pas reloumer,
qu'il fallait qu'il la prît, la cachât n'importe où.
Situation piquante. Le roi la mit au petit entresol
qu'il avait sur sa tête. Là, quelques jom"s, en se-
cret, il l'eut, il la nourrit, tremblante et désolée
des lettres folles qu'écrivait le mari. 11 vit comme
on tenait à elle, sentit le prix de ce trésor. Le voilà
attaché décidément. Il ne la cache plus. La fa-
mille sombrement muette, les murmures, les
mines maussades le piquent. N'est-il donc pas le
maître? Pour faire dépit à tous, il la déclare maî-
tresse, et, pour comble d'éclat, à Pâques.
Quelle chute après celte bâtarde des Coudés,
Douze. bvGoogle
— 243 — (nw-iiMj
que le Roi nppehil princesse ! Gcile-ci, lagmetie,
la robine (comme on dit tout bas), n'est pas née.
Eh ! bien, c'est tant mieux. Le roi la crée et la foit
naître; il y. met son plaisir. En quinze jours il Ja
décore, l'honore, lui donne un train et des palais.
H la titre du nom sonore d'une maison éteinte. EJte
est et restera la marquise de Pompadour (22 a^ril-
6mail745).
Le Roi éiait si mal avec sa famille au départ
pour la Flandre, qu'il ne dit pas même adieu à la
reine. Il aurait bien voulu laisser ici le pa-
quet le plus lourd, son gros jeune dévot. Mais
cela était difficile. Arrivé le 9 mai au camp, de-
vant Tournai, il apprit dans la nuit que l'ennemi
marchait, qu'il y aurait bataille. Il défendit qu'fl»
éveillât son fils, partit, voulant peut-être qu'il ne
le joignît pas à temps. Mais le Dauphin fit hâte, ne
lui donna pas ce plaisir.
L'armée était très-forte (aux dépens de celle
du Rhin); elle n'avait guère moins de quatre-
vingt mille hommes. Et tout cela était mené
par un malade, par Maurice, hydropique, à qui,
au départ, on venait de faire la ponction. Ce
que ce héros de la mode avait tant poursuiivi,
et par tant de moyens, intrigues et coups d'aa-
dace {plus que coups de génie), le commande-
ment en chef, il l'avait, et mourant il ne vou-
lait pas le lâcher. Autant qu'il le pouvait, il
D,a,l,zc.bvG00g|l
cacha son état. Il assiégeait Tournai, mais souf-
frait tellement qu'il vit par l'œil d'autrai, char-
gea ses lieutenants de chercher, de choisir un
lieu propice à la bataille (Rieh.). — En passant
l'Escaut on trouvait trois villages, Âutoing, Fon-
tenoy el Barry, oiî l'on fit trois redoutes, et do
plus les Tillages avaient devant eux deux ravins.
Cela paraissait fort. Ce qui gâtait la chose, c'est
que l'armée française avait dans le dos la rivière.
Sa retraite c'était l'Escaut. — Des ponts étaient
jetés tout prêts, un spécialement pour le roi en
cas d'échec. La retraite de tant de mille hommes
à la file sur des ponts étroits est une opération
scabreuse. Notez que pour garder ces ponts,
on mit sur les deux rives un corps de vingt mille
hommes qui restait l'arme aux bras. — Notez
que pour garder le Roi, on immobilisa encore
sa Maison, une armée de six mille hommes
d'élite avec une batterie de canons. Plan éton-
nant, d'après lequel les combattants réels n'é-
taient plus guère que cinquante mille. Notre
supériorité de nombre était parfaitement annulée.
Maurice vint de Tournai dans une carriole
d'osier, vil fort bien le danger (dit Richelieu').
Mais le temps lui manquait pour changer de
■ J'ai tous les récits sous les yeui- Le meilleur est celai que Riche,
lieu Et pour Louis XVI, en 1 782 {Rkh. Vil) , sauf le point où il vMit
faire croire que seul il eut l'idée, si simple, que tout le monde avait.
Douze, bv Google
— 245 — (1T*5-1746)
position. L'ennemi avançait, conduit par un fils
du roi Georges, le duc de Cumberland, et le
Roi allait arriver.
Le 11 mai, de bonne heure, le brouillard s'é-
lant élevé, notre arliilcrie tirait déjà. Le Roi
était placé un peu haut et près d'un moulin,
de manière à voir sans danger. Couvert de sa
Maison, de ses canons à lui, il était gai. Et,
dans ce groupe de seigneurs, de ministres, qui
l'entouraient, pendant que le Dauphin priait tout
bas sans doute, il se mit à chanter et à faire
chanter une chanson, trop gaie, de corps de
garde. Gela ne parut pas humain, au moment
d'une si grande destruction d'hommes. « C'était
bravoure? » — J'en doute. Les très-biaves sont
calmes et froids dans les grandes attentes.
Les Anglais, Hollandais, Hanovriens regar>
daient cependant comment percer à nous. Il fal-
lait franchir les ravins; puis on était en face de
trois redoutes, de Barry sur la droite (regardant
les Anglais), d'Auloing à gauche et Fonlenoy au
centre. Dans ces redoutes tonnaient cent vingt
canons. L'embarras cependant pour Cumberland
n'était pas médiocre de s'être avancé là, si près
du roi de France, nez à nez, et de reculer. Le
vieil autrichien Rœnigseck conseillait de tâter, de
ne pas s'engager à fonds. Cependant le prix
était grand. Non pas Tournai, mais le Roi même.
Douze, bv Google
(171.-17*6) — 216 —
Pour qui se souvenait de Poitiers, de Pavie, de
nos rois prisonniers, celle présence de Louis XV
était une grande tentation.
II y avail des gens acharnés. De même que
chez nous la brigade Irlandaise flairait le sang
Anglais, dans les rangs anglais le Refuge, les lils
des protestants altérés de combat, auraient donné
leur vie pour prendre le pelit-fds de Louis XIV.
Ces gens-là les premiers durent voir où il fallait
Ërapper. Le défaut de notre ordonnance dont
Maurice fait l'aveu, c'est qu'entre Fonlenoyj
Barry, il y avait du vide, et nos lignes baillaient.
Franchir le ravin sous le feu, puis en courant
passer à travers les boulets croisés de Barry et
de Fontenoy, ce n'était pas chose impossible.
Mais il n'y avait guère de retnur, ayant le ravin
derrière soi, peu de chance de le repasser. Il fal-
lait avancer, dépasser nos c«inons, les laisser
derrière (inutiles). Alors on perçait noire armée,
on la coupait en deux et l'on prenait le roi de
France, ainsi que le Prince Noir prit Jean.
Et cela se ûl presque. Le ravin fut passé. Et
l'on passa encore entre les deux redoutes sous
la grêle. Cette grêle elle-même fit serrer les
Anglais, les massa en une colonne. Nos canons
dépassés derrière ne tiraient plus, et les petites
pièces que traînait l'ennemi de moment en mo-
ment, de la colonne ouverte, vomissaient le
:.bv Google
— 247 — (n4S-«46)
fer et le feu. Elle avançait alors et faisait quel-
ques pas. Six heures durant, elle avança. Gom-
ment pendant six heures Maurice fit-il si peu
pour réunir nos forces, comment nous laissa-t-il
faire si longtemps des chaires inutiles , par-
tielles, sur la masse qui nous foudroyait?...
Beaucoup s'y obstinèrent. On dit que M. de 6i-
ron eut, sous lui, six chevaux tués.
L'homme de Maurice, d'Ëspagnac, est ridi-
cule ici quand il veut nous faire croire que ce
désastre était le comble de l'habileté, que, plus
l'ennemi avançait, et mieux il était pris, que ce
massacre utile des nôtres avait mis justement
les Anglais dans la souricière. Ce qui est sûr,
c'est que Maurice, tremblant pour le Roi, com-
mençait à effectuer la retraite. Hais plusieurs ne
Toulaient pas se retirer. Nos Irlandais frémis-
saient de fureur.
Ce spectacle terrible;, et rapproché du Roi, le
lit suer à grosses gouttes (dit le témoin, valet de
chambre, Rich., Vil, 145). Au moulin, il était
en vue, des boulets arrivaient et le passaient
parfois. Il descendit plus bas. Tous autour de
lui, fort émus. Les uns disaient que, si le Roi
mettait en sûreté sa tête sacrée, on pourrait dis-
poser de ce gros corps qui le gardait. Que le Roi
prît part au combat, nul n'en avait même l'idée.
Le Dauphin seulement, avec son tact sûr pour
:.bv Google
déplaire, demandait à chaîner, à joindre la cava-
lerie. Cela le perdit pour toujours; Louis XV ja-
mais ne l'emmena^ ne l'envoya, ne l'employa à
rien. Il crut, à tort sans doute, que les conseillers
du Dauphin l'avaient poussé perfidement pour
faire mieux ressortir l'inaction du Roi. Elle était
remarquée et surprenait. Nos Français avec leurs
idées de roi vaillant à la François I", compre-
naient peu celte sagesse. Us l'appelaient « Louis
du moulin (Frédéric). »
Beaucoup regardaient de travers ce moulin qui
paralysait les six mille hommes de la Maison du
Roi, qui gardait ses canons, si nécessaires alors.
En les faisant tirer, ou avait chance encore. Cela
crevait les yeux, et chacun le disait. On ue l'en-
tendait que de reste. Mais le Roi ne l'entendait
pas. Richelieu hasarda de dire « qu'il faudrait
des canons. » — - « Oà les prendre? » dit un
courtisan. — Tout près. Je viens d'en voir. —
Oui, mais le Maréchal défend que l'on y touche.
— Le Roi peut l'ordonner. »
Là-dessus grand silence. Alors timidement
(non sans effort, et d'un véritable courage).
Richelieu, risquant sa fortune, demanda si Sa
Majesté voudrait envoyer ces canons.
Le Roi parut troublé (Rich., 141). Il hésita,
puis consentit, ne pouvant guère faire autrement.
Ces canons, à l'instant traînés devant la masse
^cb, Google
— 249 — [)Ti5-<74ffi
anglaise, tirés à quelques pas, y firent une hor-
rible trouée. Le Roi y lâcha sa Maison. Tous se
lancèrent, même les pages. D'autre part, Mau-
rice avait pu enfin faire parvenir aux corps isolés,
un ordre de charger d'ensemble. La colonne
qui en sis heures devait avoir perdu beaucoup,
sous le canon tiré de près, n'était plus que
de dix mille hommes; et sous ta charge, elle
fondit.
Fonlenoy et la prise de tous les Pays-Bas , opé-
rée heureusement par les manœuvres habiles
de Maurice et de Lowendall , avançaient-ils la
paix? Point du tout ; au contraire. Les Anglais
ulcérés poussèrent en furieux dans la guerre
de subsides, gorgeant Marie-Thérèse, et les prin-
cipicules nécessiteux de l'Allemagne, nous fou-
droyant de leurs gninées. — La grosse reine des
brigands du Danube riait, engraissée de ses pertes.
Des subsides énormes de Londres, elle avait de quoi
faire son mari Empereur, noyer la Prusse de bar-
bares. Nos victoires inutiles de Flandre servaient
si peu à Frédéric qu'il dit : «. Autant vaudraient
des batailles au bord du Scamandre ou bien la
prise de Pékin. » Au moment où. il espérait quel-
que diversion de la France, il apprit qu'au con-
traire notre année d'Allemagne, affaiblie pour
celle de Flandre, venait de repasser le Rhin. Ma-
rie-Thérèse, impératrice, était encore plus impla-
Diailizc^bv Google
[17*5-17*6) — 250 —
cable , enflée d'orgueil et de fureur. Elle ne
voyait, n'entendait plus. Frédéric, par expérience,
savait qu'elle ne devenait bonne qu'en recevant
les étrivières. Il les lui prodigua. Â chaque re-
fus, une victoire.
D'août en octobre 4745, la ligue (d'Autriche,
Saxe, Angleterre, Piémont) était vaincue par-
tout. En Flandre on avait pris Bruges et Gand,
et l'on investissait Bruxelles. En Italie, une armée
espagnole, partie de Naples, et ayant joint notre
armée de Provence, secondée des Génois, avait
séparé brusquement le Piémontais de l'Autri-
chien. Ce qui est bien plus grave , les Monta-
gnards d'Ecosse avec le Prétendant descendent à
Edimbourg (2 octobre). La claymore à Preston
brise l'épée anglaise. Les enfants de Fingal et l'ai-
gre cornemuse traversent l'Angleterre et directe-
ment vont à Londres.
Tout est merveilleux dans l'affaire, sublime et
fou. C'est un chant d'Ossian. Charles-Edouard,
second fils du rm Jacques, qui n'avait rien de lui,
rien des Stuarts, mais tout de la Pologne et de sa
mère Sobiesta, unit trois avantages, beau et intré-
pide, ignorant, ne sachant rien du réel , du possi.
ble. Quand notre embarquement manqua (en mars
1744), il eût trouvé tout simple de passer en
bateau sur des coques de noix. Il resta ici, re-
muant Versailles en dessous par son. frère, plus
D,a,l,zc.bvG00gIe
— 251 — (17*5-17*61
adroit. Par Tencin il agit, par Richelieu qui espé-
rait commander une descente.
Versailles hésitait fori, voulait, ne Toulait pas.
On prêta seulement deux vaisseaux à un arma-
teur Irlandais, de Nantes, qui disait « faire la
course. » On ne donna nulles troupes, quelques
armes à peine, et peu, Irès-peu d'argent. Le
brave prince ne s'arrêta pas à tout cela. II avait son
roman en tête, de laisser là les Jacobites trop pru-
dents, mais de se jeter tout d'abord dans les Hau-
tes Terres, chez ces vaillants sauvages aux courts
jupons d'Ecosse, sans calcul et prêts au combat.
La folie Polonaise avec la folie Gaélique, cela pou-
vait faire quelque chose d'extraordinaire , de
grand. L'absurde de la chose, l'improbable ai-
daient au succès. Arrivant seul et sans force étran-
gère , il avait plus de chance. Nul souci des
moyens. 11 calculait si peu qu'il avait pris
l'habit le plus impopulaire, le plus mal vu
en Angleterre, celui du séminaire Écossais de
Paris.
Tout se fît par gestes et regards , car il ne savait
pas leur langue, ni eux 1a sienne. Us le virent,
furent émus. Dès qu'ils furent douze cents,
la cornemuse en lête, ils descendirent dans
Édimboui^; alors, ils furent trois mille. Sans se
compter, ils chaînent les Anglais à Preston Pans,
et les défont. Toute l'Ecosse se déclare. Mais la
:.bv Google
(i7«-n*eï — 252 —
dJfficuUé élait de mener jusqu'à Londres ces fits
de )a montagne, si altachés au sol natal.
Beaucoup laissent le prince, qui n'avance pas
moins. Plus il enfonce en Angleterre, plus il es-
père deux choses : que le vieux loytdimie va re-
monter au cœur des Jacobites Anglais; que la
France, l'Espagne, rougiront à la fin, ne vou-
dront pas le voir périr.
Le secours fut étrange : trois compagnies Fran-
çaises, juste assez pour nous compromettre sans
le fortifier. Les Jacobites d'autre part, loin d'a-
voir quelque élan , furent plutôt effrayés. Ils
ne voulaient rien faire sans une grosse ai-
mée de la France. Les wighs , les anti-jaco-
bites ne bougeaient pas non plus. Il en fut
justement comme à l'invasion de Guillaume en
1688. Nul mouvement ni de l'un ni de l'autre
parti. Mais cette fois, la chose fut d'autant plus
plaisante qu'elle eut lieu au moment où les An-
glais croyant la guerre très~loin, en Allemagne,
bouillonnaient de vaillance, guerroyaient de pa-
roles, impitoyablement soufflaient le feu, le fer.
La guerre ? Mais la voici, à deux journées de Lon-
dres. L'un dit : o Je suis marchand j. — moi ban-
quier ; — moi fermier. » C'est l'affaire du Roi, des
soldats.
Situation comique. Celle d'Auguste III devant
le roi de Prusse ne l'est pas moins; il s'en-
D,a,l,zc.bvG00gIe
— 253 — (n«.n*a)
fuit en Pologne, et Frédéric, pour la seconde
fois , gardant la Silésie , a fait plier Marie-
Thérèse. Le SaToyard, chassé par nous de la Sa-
voie, de tous sfâ états presque, voit tomber ses
places une à une ; on conduit en triomphe notre
Infant Philippe à Milan. En Flandre, nous serrons
Braxelles. Tant de succès, par-dessus Fonlenoy,
mettent le Roi plus haut qu'il ne le fut dans tout
son r^ne. Ses censeurs de Versailles sont déso-
rientés. La maîtresse, déclarée à Pâques, au mé-
pris des saints jours, n'a pas porté malheur. En
septembre, à Versailles, elle a son Fonteiioy.
La \igoe universelle de la cour, les lazzis,
les chansons qui l'attaquent, les innombrables
poissonOfdes , obligent la Poisson d'avoir un
grand mérite. Elle a celui des convenances. Tout
au rebours de la Tournelle, si insolente pour la
reine, celle-ci devant elle est humble et tendre,
semble demander grâce, même avoir besoin
d'être aimée. À sa présentation , sous les yeux
de tant d'ennemis , elle fut et charmante et
touchante. La reine lui sut gré de son trouble,
la rassura, lui fit un accueil quasi maternel. Elle
jugea qu'après tout, si le Roi devait avoir une
maîtresse, celle-ci était la meilleure. Cette faveur
alla bien loin. Elle la fit dîner avec elle â
Choisy.
Grand coup pour le Dauphin. Vraie lumière
Douze, bv Google
(17*5-1148) — 254 —
sur Versailles. La reine n'était pas en tout de
la cabale Ses lettres (à l'occasion de Fonlenoy,
Ârg., éd. J., t. Y, mb. fin.) montrent qu'en bien
des choses elle était séparée du Dauphin. Ëite
le fut bientôt de ses filles, vouées passivement
à leur frère , contre la Porapadour, lui enlevant
le Roi et blessant la reine elle-même.
Tant que nous n'avions pas le Journal de
M. de iMynes, nous ne savions pas la part im-
mense que les filles du Roi eurent dans sa
vie. Et partant nous ne sentions pas combien la
Pompadour fut utile pour faire équilibre à cette
funeste influence. Nous aurions pu le deviner
pourtant en voyant qu'aux premières années,
les hommes de valeur, Argenson, Machault,
Duverney, Quesnay, les Encyclopédistes, sont
tous avec la Pompadour. C'est évidemment le
parti de \ollaire et de Montesquieu. Dans le très-
beau pastel que Lalour a fait d'elle, déjà pâle et
usée, elle se pare de ces beaux génies. Elle
a sur son bureau, Irès-ostensiblement, l'Esprit
des Lois, la Henriade, je crois même un vo-
lume de V Encyclopédie.
Elle était médiocre et froide, mais dirigée par
des têtes plus fortes { une Lorraine surtout ,
M"* de Mirepoix). Elle sentit très-bien, dès la
seconde année, qu'elle n'avait nulle chance de
garder un amant salisfail, un homme secrètement
Douze. bvGoogle
— 255 — (ilis-nW)
dominé par ses filles, que par l'amusement, une
vie d'art et de plaisir, tout opposée à la tor-
peur malsaine de ces influences secrètes. Son
tiiéâtre des cabinets groupa près d'elle un
monde de courtisans, d'artistes, tous ravis d'ap-
procher le maître. A la' réalité , aux soupers,
aux caresses qui servaient le parti dévot, elle
opposa l'illusion et la fanlaisie du th^tre, les
séductions de l'esprit. Elle s'y mit, s'y usa sans
réserve. Sa jolie voix et son talent d'actrice, cent
sortes de costumes la renouvelaient tous les
soirs. Sa douceur fade allait à VHerminû du
Tasse; sa'simplicité (fausse) lui permettait pour-
tant de jouer les bei^ères, Églé et Galathée.
De bonne heure, elle fait des rôles humbles de
vieille', et pour bien faire entendre qu'elle ne
prétend qu'amitié pure, elle joue Urmie, dans
une robe pailletée d'étoiles.
Quelque peu digne qu'elle en fût, il est sûr
qu'elle fut {pendant près de dix ans, -1745-1755,
avant la grande guerre, un centre pour les arts
et les lettres. Elle fnt une maîtresse bien moins
qu'un ministère. Ceci explique un peu pourquoi
elle eut besoin de tant d'ai^ent. Elle ne put
avoir, avec cette énorme dépense, le désinté^-
ressement de la Mailly, la Nesle. Dos arts char-
mants naissaient, dans la décoration intérieure,
dans l'ameublement. C'est un trait spécial, ori-
:.bv Google —
(n45-n«) — 256 —
gina) du siècle. Ces dix ans en furent l'apogée.
Le déclin commença après, vers 1760.
Par là elle ayait prise sur le Roi pour qui
l'intérieur était beaucoup , si ce n'est tout. La
question était de savoir si, de l'art, il pouvait
passer aux idées de prc^ès politique, social, aux
nouveautés qui venaient rajeunir , sauver ce
monde vieilli. C'était là le débat et le. combat
réel entre la Pompadour et la famille royale.
Déjà assez adroitement on avait introduit Vol-
taire, comme victime de ta cabale du Dauphin.
La forte antipathie de Louis XV pour son fils lui
fît même accepter les risées que Voltaire faisait
tous les jours de Boyer. Celui-ci se plaignant de
passer pour un sot, le Roi dit : « C'est chose
convenue. » Richelieu, la Toumelle, firent en-
voyer Voltaire auprès de Frédéric. On lui fit ré-
diger le manifeste de la descente en Angleterre,
La Pompadour inaugura le théâtre des cabinets
par son Enfant prodigue. Voltaire fut entraîné.
Elle le fit académicien , gentilhomme de la
chambre, historiographe du Roi. Dans sa vivacité
crédule, il partageait le rêve de d'Argenson et de
tous. Ils croyaient que le Bien aimé , à force
d'amour et d'él(^es, de flatteries qui étaient des
leçons, aurait pu être transformé, mis sur la
voie L^es grandes choses.
Il est certain que la nécessité semblait falale-
D,a,l,zc.bvG00gIe
— 257 — (1743-1746)
ment y pousser elle-même. Sans un changement
radical qui étendrait l'impôt à tous, au clergé et
à la noblesse, on succombait, on périssait. La
Pompadour avait pour patrons les Paris, ce
Paris Duverney, qui, sous M. le Duc, voulait
imposer le clei^é. Machault, contrôleur général,
partageait cette idée. Elle le soutint, le prit
à cœur, te défendit longtemps. C'était l'idée du
siècle, et pour la France et pour l'Europe. Vol-
taire, après la guerre, ne voit pour l'Allemagne
ruinée nul remède que ceux de Frédéric (plus
tard de Joseph II), la sécularisation des biens
ecclésiastiques (éd. B., t. ilvi, 554).
Question financière qui touchait le terrain
moral. Le clergé, c'était le passé. On ne pouvait
toucher au clergé, qu'en suscitant l'idée nou-
velle. Non formulée encore, elle se faisait jour
par les belles lueurs isolées qui perçaient çà et
là dans les sciences et les arts. Faire un corps
général des lettres, arts et sciences, au point
du dix-huitième siècle, c'était évidemment le tra-
vail préalable.
Voici ce qui advint. Le vieux et savant d'Agues-
seau , malgré les côtés tristes , misérables de
son caractère, avait deux côtés élevés, sa réforme
des lois, et une passion personnelle, le goût et
le besoin de l'universalité, certain sens encyclo-
pédique. Un jeune homme, un jour, vint à lui,
m. 17
DolizccbvGoOglc
[ll*5-n«) — 258 —
homme de lettres vivant de sa plume, et assez
mal noté pour des livres hasardés que la faim lui
avait fait faire. Cet incomiu suspect tît pourtant un
miracle. Le vieux avec stupeur l'écoula, dérou-
lant le gigantesque plan du livre où seraient
tous les livres. Dans sa bouche , les sciences
étaient lumière et vie. C'était plus que parole ,
c'était création. On eût dit qu'il les avait faites,,
et les faisait encore, ajoutait, étendait, fécon-
dait, engendrait toujours. — L'effet fut incroya-
ble. D'Aguesseau, un moment au-dessus de lui-
même , oublia le vieil homme , fut atteint du
génie, grand de cette grandeur. II eut foi au
jeune homme, protégea VEneyclopédie.
Prodigieuse sibylle du dix-huitième siècle ,
combien d'autres il fit ou changea, ce grand ma-
gicien Diderot! Il souffla, certain jour; il en jail-
lit un homme, et son homme opposé : Rousseau.
L'énorme et indigeste monument, VEneyclo-
pédie, tout informe qu'il est, étonnamment fé-
cond, ou la Révolution déjà coule à plein bord,
avait pourtant besoin , contre son ennemi le
Clergé, d'avoir son ennemi le Roi. C'est pour la
Pompadour un titre de l'avoir si longtemps, si
obstinément soutenu, jusqu'à l'achèvement, pen-
dant plus de dix ans. Plus d'un article hardi
en fut fait à Versailles, au petit entresol qu'y
occupait Quesnay , l'illustre créateur de l'Éco-
nomie politique, le médecin de la Pompadour.
Douze. bvGoogle
CHAPITKE XV.
Le roi compiis par la famille. — Règne d« madame Henriette. —
Paix de 1748.
, Le fait le plus obscur et le plus surpreDant
dans toute l'histoire de Louis XV, c'est l'assenti-
ment passa^^r qu'il donna aux grandes vues
d'Ai^aison l'aîné, l'utopiste, disciple de l'abbé
de Saint-Pierre.
Le famaix d'Argenson le père, le rude homme
^e police sous Louis XIV, qui eut la large étoffe
d'un grand bomme et d'un bas coquin, eut
deux fils d'un esprit contraire. Le cadet fut
très-fin, un renard, valet des jésuites. Par
eux, il monta Vite, les ayant bien servis dans
leur très-grande affaire de faire reine Marie Lec-
-zinska. La reine s'en souvenait, l'aimait. Au
-grand drame de Helz, il Joua double jeu entre
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(1Ï4S) _ 260 —
ta reine et la maltresse. Gela le Ht U'ès-fort quand
celle-ci revint (nov. 1744), et il put faire donner
les Affaires étrangères au frère qu'il croyait diri-
ger. Il n'y voyait qu'un simple. Mais justement
celte simplicité loyale, hardie, fui une force, —
à ce point qu'un moment il fît marcher le Roi
contre la cour et la famille, dans la vraie voie
de la raison.
Il voulait l'alliance protestante de Prusse, Saie
et Hollande (plus, celle du Piémont qui aurait été
chef de la libre Italie). La famille voulait l'alliance
catholique, d'Ëspagne-Âutiiche (avec une Italie
soumise aux Espagnols).
D'Ai^enson séduisait le Roi par l'espoir de la
paix. Le Roî semblant si haut (octobre 1745),
heureux partout eu Flandre, en Piémont, en
Ecosse, il y avait des chances réelles pour réé-
gner, détacher de la ligue les États secondaires,
Saxe, Piémont, Hollande. Gela était sensé.
Il existait vraiment un parti en Hollande, anti-
anglais et anti-orangiste, qui se lassait de suivre
l'Angleterre. Il y avait pour le Piémonlais un
intérêt réel à se mettre avec nous.
Quant à la Saxe, îi la Pologne, l'eûmes sous
Auguste 111, d'Ai^enson faisait un roman. Il
eût voulu une Pologne héréditaire, l'assurer au
Saxon, aux Allemands, dans la supposition très-
vaine que ces peuples d'esprit contraire s'uni-
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— 261 — (HM)
raieul pour form^ une barrière contre ta Russie.
Pour rilalie, le plan était très-beau. Une fédé-
ration d'États égaux entre eux. Un gardien armé,
le Piémont, qui aurait eu Milan. Venise aussi
avait un peu de Lombardie. La Toscane redeve-
nait république. L'Espagnol gardait Naples. Mais
tout prince étranger devait opter, jurer de se
faire Italien. L'Autrichien à jamais chassé. La
France se chassait elle-même et généreusement
s'excluait de l'Italie, libre par elle.
La vraie difficulté était notre petite Infante, son
mari qui alors tenait Milan. Le Roi, à cause d'elle,
était fort Espagnol. Retirer Milan à sa fille pour
le donner au Savoyard, cela devait lui être dur. Il
était, il est vrai, pour le moment mécontent de
l'Espagne que le succès rendait indocile, inso-
lente. 11 était peu content de l'Infante elle-même,
qui ne se fiait pas à lui seul, intriguait en dessous
avec Versailles (le Dauphin, Noailles, Maurepas).
De plus l'Infante, belle et jeune, mariée sans
mari (avec l'Infant toujours absent), avait en at-
teudant pris un vieux galant, un évêque ambas-
sadeur de France. Point fort sensible au Roi,
qui était jaloux de ses filles.
Il aimait la géographie. De sa main il traça
le plan du partage nouveau qui rognait la part
de son gendre. Tout se fit entre lui et d'Ar-
genson. Pas un mot au Conseil. Maurepas ce-
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{1148) __ 262 _
pendant le sut, et avertit l'ambassadeur d'Espa-
gne. 11 accourt, il crie, pleure. « On l'entendait
hurler. » (Ârg.) C'est bien piâ à Madrid. « On se
couvre la tête de cendres. » Ici, la reÎM et Hen-
riette, la cour, tout entourait le Roi de désolation
et de deuil. Le traité (qu'il signa à contrecœur)
alla fort lentement à Turin. Très-rapide, au con-
traire, marchait une armée autrichienne. Le Pié-
mont a peur, nous U^hit. Nos Français sont
surpris, elles sots Espagnols qui pleuraient tant
pour le traité, pleurent maintenant de l'avoir re-
fusé, d'êlre battus, chassés partout.
L'affaire d'Ecosse alla de même. On paya pour
Charles-Edouard des Suédois qui ne partirent pas.
On envoya Richelieu à Brest pour embarquer des-
Iroupes ; beaucoup d'argent, nul résultat. Cepen-
dant le Roi Geoi^es a rassemblé trente mille hom-
mes qui refoulent Edouard au Nord. Vainqueur en
reculant à Falkirk, il n'en est pas moins vaincu
décidément à Cutloden (avril 1746). Là des mas-
sacres horribles. Un sur vingt décimé. Le fer, le
feu partout, la froide application du plan suivi de-
puis, de faire des Hautes-Terres un désert.
Toutes les forces de la France (1746) sont
concentrées en Flandre pour la guerre de parade
que le Roi iait en mars. On réunit pour hii cent
vingt bataillons près d'Anvers, cent quatre-vingt-
dix escadrons. Anvers pris snr-le-champ, le Roi
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— 965 — {1748)
a ce qu'il veut, et le 50 mars, au début même de
la campagne, il a fini la sienne, revient droit à
Versailles. Le maréchal de Saxe , Lowendall et
Conti, continueront l'œuvre facile de prendre les
villes de Flandre, et Maurice gagnera l'inutile vic-
toire de Raucoux. .
Toute l'année 1746, oisive pour le Roi, passe
comme un tourbillon de fêtes, sauf en juillet un
deuil assez court. La daupbine espagnole meurt
le 6 àYersailIes, et son père, Philippe V, le 20. Cela
finit le long règne de la Farnèse. Le nouveau roi,
Ferdinand VI, se défie de cette belle-mère, l'éloi-
gné, s'intéresse fort peu à son frère, D. Philippe,
mari de noire Infante. D'autant plus les deux in-
trigantes, l'Infante et la Farnèse, perdant terre en
Espagne, se reprenaient ici sur Versailles et vou-
laient y jeter le grapin. Le moyen eût été d'y met-
tre une seconde dauphine, une sœur de la morte
(une naine toute noire, dangereux diablotin).
Elles s'y prirent maladroitement et révoltèrent le
Roi. Par un procédé double, en lui écrivant dfô
tendresses, elles animaient le Dauphin contre lui.
«Dévotes, harpies, catins, » tâchaient de le
rendre amoureux. Elles parlaient au nom du
roi d'Espagne, qui n'en savait un mot. L'In-
fante en vint enfin, dans sa fureur d'enfant gâtée,
au point qu'elle gronda son père, le menaça. Gela
trancha. Le Roi fît écrire à Madrid que nous
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(I7ii) — 261 —
avions ici trop d'horreur pour l'inceste , qu'on
n'épousait pas les deux sœurs. Il suivît d'Ar-
genson, il accepta son plan de demander plutôt
une Saxonne, de regagner ainsi la Saxe el la Po-
logne à l'alliance française.
Après la Saxe la Hollande. D'Ai^enson insistait
pour qu'on fît celle-ci médiatrice. Des conféi-encea
furent ouvertes à Bréda. Il y reprît son plan, de
nous regagner le Piémont en lui donnant Milan,
en resserrant la part de l'Infant, notre gendre.
Propositions secrètes qui transpirent à Madrid.
L'Infante et la Farnèse pleurent, crient. Un ton-
nerre de sanglots s'entend des Pyrénées. Quel est
l'indiscret? Le Roi même. Il dénonce là-bas ce-
lui qu'il approuvait ici. Comment? Par exlrême
faiblesse. Il avait une lettre suppliante de Phi-
lippe V mourant. Il sentait que l'Infante serait
désespérée, furieuse, si (saos lui dire un mot)
on lui ôtait Milan, la couronne de fer, pour la
donner au Savoyard. Il eut peur de sa fille, rejeta
tout sur ÂrgensoD.
Celui-ci était seul. Il pouvait se vanter d'avoir
réuni tout le monde , mis les partis d'accord.
Tous contre lui. Il eût fallu bien du courage dans
la Pompadour pour l'aider contre la cour et la fa-
mille. Ce triste visage (à la crème, qu'on voit dans
le pastel) n'en était guère capable. Elle baissait.
L'année 1746 fut terrible pour elle. I^ pouvoir
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— 265 — (17M|
lui venait, maïs la vie s'en allait, d'abord Ja santé,
la beauté. Si le Roi eût été un peu absent, elle eût
pu remonter. 11 ne le fut qu'un mois, et elle ne
put pas respirer. Ministre tout le jour, la nuit chan-
teuse, actrice, mise au lait et crachant le sang,
die s'exterminait. Et le Roi était ennuyé. Aux
ballets où elle figure, il bâille. « J'aime la comé-
die, » dit-it, et il y bâille aussi. 11 ne se plaît un
peu qu'aux Italiens, au spectacle où elle n'est pas.
Elle semble finie déjà (1747). Elle a Tair épuisé,
« sucé, » dit d'Argcnson. Elle souffrait du mé-
pris de Paris. Point d'affront qu'à Versailles elle
n'ait du Dauphin, de Mesdames. La nuit, c'est
pis encore. Le Roi allait toujours chez elle, ce
qui trompait les simples. Mais en réalité, c'était
pure habitude. On sut lui mettre en tête qu'elle
était très-malsaine. Sous tâl ou tel prétexte, il
couchait sur un canapé {Haussât).
« La Poœpadour va être renvoyée. Le Roi vivra
dans sa famille. » (Ârg., 1747.)
La famille? qu'était-ce? Non, certes, le Dau-
phin. C'est un peu la Dauphine, une bonne Al-
lemande. C'est beaucoup, c'est surtout la fille
aînée du Roi, la très-douce M"* Henriette, sa
petite sœur Adélaïde.
M™ Henriette était une pâle fille du Nord ,
très-maladive et très-timide, qui avait près du Roi
comme un respect tremblant, presque peur. Cela
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(1748) — 266 —
lai plaisail. C'était un cœur charmant et bon, uu
cœur brisé et ia victime de son père qui l'avait
traitée durement. Élevée presque avec le petit
Orléans et jouant avec lui, elle avait bien cru l'é-
pouser. Mais le Roi était tout à fait pour les
Bourbons d'Espagne, ne voulait nullement appro-
cher Orléans du trône. Il aimait mieux d'ailleurs
rinfemte. 11 immola Henriette, ne la maria point.
Qu'arriva- 1 -il? Cette bonne sœur n'en fut pas
moins toujours du parti de l'Infante à qui on la
sacrifiait. Comme les chiens battus qui d^autant
plus s'attachent, elle se donna toute à son père.
La cabale dévote lui faisant un devoir de l'enve-
lopper, le gagner, elle trouva ce devoir très-dous.
Élevée par la vieille M"" de Ventadour, une dévote
bien peu scrupuleuse, Henriette prit le rôle qu'on
voulait; elle força sa timidité, fit chez elle des
soupers au Roi [Imynes, Argenson, Campa», etc.).
Chose certainement pénible à une si modeste per-
sonne, et si souvent malade. Mais elle se vain-
quit tellement qu'il se trouva chez elle à l'aise
plus que partout ailleurs, s'habitua à elle, comme
à un doux animal domestique dont on ne peut plus
se passer, qui ne se plaint jamais, accepte tout
caprice, qui voit sans voir et souffre tout.
Succès réel du parti du Dauphin qui parla sœur
faisait arriver, réussir, tout ce qui eût choqué du
frère. Le Roi cropit pour elle n'en jamais faire
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— 267 — (17481
assez. II lui donne à Versailles (où elle u'avait
besoin de rien) huit cent m0e Uvres dé rente,
justement quatre fois plus qu'à la Porapadour,
qui en a alors 200,000. Tout à l'heure, il va lui
créer une Maison , dames et grands officiers ,
presque au point d'éclipser la reine. '
La reine y gagna fort. Autant le Roi avait été
jusque-là sec pour elle, même dur, autant il fut
aimahle. Nul doute que la três-lwnne fille n'eût
obtenu cela de lui. La reine eut des étrennes, et
la Pompadour n'en eut plus. Le Roi fit le jeu
de la reine, et pria les seigneurs de la distraire
un peu. Enfin il fit la chose qui ravit tout le
monde. La Bête fut chassée, je veux dire Âi^eu-
son. Quelle joie pour notre Infante! Qui peut
lui faire cela, sinon son humble sœur, empressée
à servir celle à qui on l'a immolée.
Argenson renvoyé (février 1747), c'est toute
une révolution. Nous tournons le dos à la Prusse,
à la Hollande et au Piémont. Nous reviendrons de
plus en plus aux alliances catholiques, aux Es-
pagnols, aux Autrichiens.
Même avant qu'il ne tombe, on a à regretter
d'avoir négligé ses avis. L'alliance du Piémont
manquée nous ruine en Italie , nous amène en
Provence les bandes autrichiennes , dont nous
étions noyés, sans un hasard heureux, rinsurrec-
tion de Gênes (V. le très-beau récit de Sismondi).
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(««) . _ 268 —
L'alliance de Hollande qu'Ai^enson travaillait, et
qu'on fit avorter en envahissant ce pays, y lua
le parti de la France, donna force au parti an-
glais et orangiste. La populace des ports fit ce
qu'elle avait fait pour Guillaume III en 1672.
Elle Toulut, exigea un sladlhouder, imposa à
la répi^lique un très-indigne chef. Orange, ser-
viteur des Anglais. Notre imprudente attaque eut
ce beau résultat de sceller Tunion de l'Angle-
terre et de la Hollande, d'opérer Tanéantissement
définitif de celle-ci.
Nous demandions la paix en offrant humble-
ment de rendre nos conquêtes. Et l'on n*en vou-
lait pas. Cependant tout le monde était bien las,
surtout les Etats secondaires, pauvres comparses
du grand drame ofi ils ne gagnaient que des
coups. Les obstinés eux-mêmes commencèrent à
se faire plus doux aussi, quand Maurice menaça
Maëstricht, le boulevard de la Hollande, quand
il gagna tout près la victoire de Lawfeldt, peu
décisive, il est vrai, mais sanglante. Puis il em-
porta 6erg-op-Zoom. Sac cruel qui montra com-
bien s'aigrissait cette guerre, et terrifia la Hol-
lande. Si l'on . prenait aussi Maëstricht, notre
armée débordait, et ce riche pays, si peu fait à
la guerre, se voyait appelé aux cruels sacrifices,
aux affreux moyens de défense qu'il prit contre
Louis XIV, s'inondant, se noyant, s'infligeant un
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— 269 — (1118)
désastre plus grand que n'eût £ait l'ennemi.
L'Anglais aussi, ayant anéanti jusqu'au dernier
de nos vaisseaux, ayant fait son œuvre de guerre,
devenait pacifique pour ne pas nous laisser re-
prendre avantage sur terre. Donc on négocia.
Malgré le maréchal de Saxe qui raisonnablement
voulait d'abord Maéstricht , on se dépécha de
traiter.
Le but primitif de la guerre, où était-il? Et qui
s'en souvenait? L'Autriche, que l'on devait dé-
truire, malgré sa cession à la Prusse, était plus
forte que jamais. Le mari de l'Infante, son éta-
blissement, sa royauté lombarde, qu'étaient-ils
devenus? Notre Inlante voyait tout lui échapiwr,
l'espoir même. Le frère de son mari, Charles,
le roi de Naples, s'il eût succédé en Espagne à
Ferdinand (faible et malade), entendait laisser Na-
ples au second de ses fils, non à son frère Phi-
lippe, le mari de l'Infante. Donc, celle-ci, qui,
avec la Farnèse, a régné à Madrid, qui un jour
eut Milan, qui (d'après le traité de 1736) pou-
vait espérer Naples, se voit entre trois trônes,
à terre.
Elle savait très-bien l'intérieur de Versailles.
Elle voyait monter Henriette. Celle-ci, sans esprit,
sans adresse, quasi muette, nulle, avait gagné le
Roi. Comment? par cela même, par l'excès de
l'obéissance. On savait bien pourtant ce qui était
Douze. bvGoogle
(17*8) — 270 —
derrière et la poussait. Que lui férait-on faire?
CtHnment userait-elle de ce pouvoir ûroissant.
Trois personnes étaient inquiètes, fortement at-
tristées : la Reine, la Pompadour, l'Infante.
La reine, tout à coup flattée du Roi (déc. 1746,
Aéc.ilAT,DeLuynes)y n'avait pas pria le change.
Elle se refroidit pour ses filles, se fatigua du
baiser d'étiquette qu'elles lui donnaient toujours
chaque fois qu'elles entraient dans sa chambre
{Luyms, VIII, 173, 12 janvier 1748).
La Pompadour imagina pour partager, neutra-
liser la grande faveur des deux ainées, de tirer du
couvent et de faire venir à Versailles, M™ Victoire,
jolie fille, grande fille, déjà de quatorze ans.
L'Infente, corrompue et hardie (comme élève
de ta Farnèse), qui avait hasardé déjà, comme on
a vu, d'intimidé son père dont cfle savait le
faible cœur, hasarda un moyen d'arrêter le pro-
grès de son goût singulier pour Henriette. Vol-
taire, sous le Régent, avait fait une pièce hardie
contre l'inceste, CEdipe. Elle le pria (c'est lui qui
^ouB l'apprend) de faire une Sémiramis. L'inceste
était fort à la mode. Le roi de Pologne, Àû-
^ste II, disputait sa fille à son fils. La chanoi-
nesse de Lorraine qui se tua pour son frère,
avait fait éclat et légende (1742). Les Choiseul
imitèrent. La femme de Hérault, le dévot lieu-
tenant de police, était publiquement maîtresse
Douze. bvGoogle
— 271 — (1748)
de son père, très-ricbe, que souffrait le mari.
Les mœurs étaient sur cette pente. La pièce aur
rait paru toucher bien moins Madame (après tout
respectée) que des gens bien connus. Elle aurait
averti, mais non blessé directement.
Voltaire était alors retiré, mécontent. Son zèle
de courtisan avait fait mauvaise campagne. Sa fa-
miliarité hai-die, parmi les flatteries, avait choqué
le Roi, choqué la Pompadour qui visait à la ma-
jesté- U avait fui Versailles, revenait volontiers
à Sceaux chez la duchesse du Maine. Cette vieille
petite fée, brouillée avec la cour, jusqu'au dernier
jour conspirait, mais littérairement, accueillait
les satyres. C'est chez elle jadis que Voltaire fit
ŒMpe (1721). Chez elle, il Cit Sémiramis (il 41).
Il l'achevait à Sceaux (décembre).
En janvier il est à Versailles, voit mieux le
terrain, et prend peur. M" Henriette, à ce mo-
ment, quitte le petit appartement qu'elle occu-
pait au Nord pour le grand logement royal qui
termine l'aile du Midi, qu'elle quittera bientôt
pour un appartement central entre le Dauphin et
le Roi {De Luynes). Là elle est le médiateur, le
chefduconsdlàehïamiMe (c'est le mot qu'em-
ploie d'Argenson); Voltaire, fort inquiet, écrit de
Lunévitle, pour ajourner Sémiramis (févr. 1748).
A Versailles, une scène violente éclair-ait la si-
tuation (17 avril, Luynes, tx). La Pompadour n'o-
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(174 _ 272 —
saot altâquer Henrieltâ^ lui opposait une poupée.
Elle faisait venir deFonlevrauU la petite M™ Vic-
toire. Le Roi pleura en reToyant cette enfant toute
aimable, et bonne autant que belle. Elle se sus-
pendit à lui, ne s'adressa qu'à lui. II se montra
très-^ible. Dépenses énormes, et ridicules hon-
neurs (pour une enfant de quatorze ans), rien ne
fut épargné. Henriette souffrait et se taisait. Mais
Adélaïde éclata. Elle crevait de jalousie. Elle cria.
Tout en retentit. Elle s'indignait, non pour elle,
~ mais pour sa sœur, l'aînée, une princesse de
vii^t et un ans, à qui la nouvelle venue dérobait
les bonneurs et le cœur de son père. On vit là
pour la première fois la violence d'Adélaïde, le
pouvoir qu'elle aurait. Elle n'avait pourtant que
quinze ans. Mais on lui obéit. Victoire fut éloi-
gnée, et logée au second étage, confinée dans le
petit rôle de soigner deux petites sœurs.
Voltaire, chez Stanislas, loin du danger, avait
repris courage. L'Infante, pour qui il lit la pièce,
disait-on, allait arriver. Et ce drame qui punit
l'inceste ne pouvait déplaire à la reine. U fut pro-
bablement montré à son père Stanislas. Bref, al&i
jaeta.... Le 29 août, la pièce est représentée à
Paris. On voulait retrancher deux vers trop dan-
gereux. Mais on eût paru craindre. Tout au con-
traire la Pompadour pensa que tout serait cou-
Tert, toute allusion écartée, si lui-même le Roi se
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— 275 — (i K)
faisait protecteur de la tragédie. Elle lut fit don-
ner un décor pour Sémiramis.
Ce que l'auleur avait le plus à craindre, c'était
qu'une parodie, trop claire, ne forçât de voir et
de comprendre. Cette peur le jeta dans une étrange
agitation. Il écrit à la fois de tous côtés, prie le
cardinal Quirini, prie M"" de Luynes, prie la reine
elle-même. Six lettres à la reine ! qui répond froi-
dement que la parodie est d'usage. Heureusement
pour lui, la Pompadour qui n'avait pas moins
peur, ayant (par le décor) fait le roi patron de la
pièce, fit défendre la parodie (septembre). .
Voltaire la remercia, par une autre impru-
dence; — vaillante et honorable. — C'était le mo-
ment triste oii le traité bi-usqué qui finit cette
guerre, d'un trait de plume nous ôtait nos con-
quêtes, toutes ces places fortes que l'on venait de
prendre, ce royaume des Pays-Bas. Le maréchal
de Saxe entourait et tenait Maeslricht, la clef de la
Hollande, — bien plus l'occasion d'infliger aux
Anglais un affront solennel, de voir prendre la
place, à leur nez, sans rien faire. 11 gémissait,
écrivait à Versailles. Et Versailles était sourd.
Excessives étaient les misères, il est vrai. 11 ne
restait d'argent que pour les fêtes. Les dévots
d'autre part, la famille, toujours avaient maiidit
la guerre, fait des vœux pour les Autrichiens.
On précipitait tout. On jetait les fruits de la guerre
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■ ■ DolizccbvGoOglc
11748) — 27* —
et du sang de lanl d'hommes, on brûlait de se
dépouiller. Peu réclamaient. Voltaire l'osa. Dans
certains vers, au Roi et à la Pompadour , il linit
par ce trait : «... Et gardez tous deux vos con-
quêtes. »
Le traité était fait, mais n'était pas signé (il ne
le fut que le 18 octobre). Plus il était hodteus,
plus on trouva blessant le conseil de Voltaire. On
n'avait pas osé s'irriter pour Sémiramis. Pour
les vers, on cria. Mesdames et leur parti s'élan-
cent et courent au Roi {V. Laujon dans Havsset).
L'Étal, le Roi étaient perdus, si un homme de sa
maison, son dmnestique, osait lui donner des avis,
mêlant impudemment au nom du Roi la Pompa-
dour. Celle-ci s'aplatit, ne dit pas un mot pour
Voltaire. Pour bien faire comprendre à Mesdames
qu'elle n'était plus rien près du Roi, qu'une amie,
une ancienne amie, elle joua la vieille Bauds
(nov. 1748). Le Roi la releva de ces humilités en
la nommant surintendante de la maison de la
reine (Campa»). La reine, refroidie pour ses filles
{Luynes, vm, 173), d'autant mieux recevait les
respects de la Pompadour.
Le vrai mot, juste et fort, sur la paix d'Aix-la-
Chapelle, fut dit aux Halles, resta proverbial.
Pour injure, on disait : « Bête comme la Paix. »
Nous rendions un royaume, les Pays-Bas ; et
un empire, les Indes, où noire grand machiavel
Doiizccb, Google
— 275 — (»îiB]
Dupteix faisait l'œuvre de ruse, de craaulé, de
force, -qu'ont fait les Anglais par lord Clive.
Nous avioDS dans les Indes un génie, un héros.
Nous ruinons Dupleix, emprisonnons La Bour-
donnais.
Et celte paix contenait la guerre. Le traité
fut si vague et si mal fait pour l'Amérique qu'à
volonté l'Anglais pouvait mordre sur nous. D'où
la Guerre de Sept-Ans.
Étrange çhpse qu'après Fontenoy, nous subis-
sons encore la vieille honte de Dunkerque, le ré-
tablissant, comme il fut, quand l'Ar^lais mit le
pied sur la tête de Louis XIV.
Un Irait encore nous entra plus au cœur :
l'hospitalité de la France violée cruellement, pour
obéir à l'étranger. Louis XV avait donné parole à
Charles-Edouard de ne jamais le renvoyer. L'An-
gleterre l'exigea. Ce héros, Polonais el fou, n'en-
tendit à nulle offre, nulle raison, nulle prière. Il
n'obéit pas plus à une lettre de son père. Dans
son hôtel garni, avec tous ses vaillants, il était
armé jusqu'aux dents. Peut-être il avait quelque
écrit. Il voulait se faire tuer, et pouvoir à ja-
mais déshonorer le roi de France. On croit de
plus qu'il était amoureux, aimait mieux mourir
que partir. Oh le surprit en traître, à l'opéra,
on le lia. Pendant ce temps on prit tous ses pa-
piers. On l'emporta. Il faillit crever en route de
D,a,l,zc.bvG00gIe
{»«) — 276 —
lièvre et (le fureur, crianl « Paris! ou Paradis! »
(Arg., m, 221-227).
Tout cela fut cruel, nous retourna au cœur
notre plaie de Dunkerque. Chacun se sentit avili.
Un jeune homme. Desforges , qui avait vu la
chose à l'Opéra, ne put se contenir. Il fit les
vers fameux qui le mirent pour [longtemps en
cage à Saint-Michel. Tous les dirent et les surent :
Peuple, jadis si fier, aujourd'Iiui si serTJle !
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CHAPITRE XVI.
Midarne Henriette. — Les biens d'église défendus et sauvés.
1748-1751.
Celle ruioe d'hopneur , parmi lanl de ruines ,
ce guel-apens royal fut senti, je crois, du Roi
même. Pris en ce vilain cas, comme homme et
gentilhomme, il semble que dès lors il com-
mence à se mépriser. Je le vois tombé bas, et
dans telles choses honteuses qui jusque-là lui
auraient répugné. Il a goût à l'aident, tripote
et boursicote. Puisant à volonté au Trésor , il
n'en est pas moins faufilé dans la bande des
loupa cerviers, spéculateur en blé. Très-dange-
reux trafic. Dans quel but? Augmenter un peu
l'argent de poche, de jeu, de fantaisies ïurtives.
11 a quitté Tarmée pour, toujours. Le travail,
qu'on lui fit aimer un moment, la Pompadou
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1748 ilbV. _ 278 —
i SU fort aisémenl l'en dégoûter. Que faire?
Enterré aux malsains cabinets de Versailles ,
lUX malpropretés de Choisy, il fuit le jour. La
nuit, il s'amuse à griser ses filles.
Il était tout à fait indigne et incapable de
soutenir la grande révolution, qui, de Law aux
Paris, de ceux-ci à MachauU, Tui^ol, alla mar-
chant toujours dans la pensée du siècle et qui
devait plus tard se formuler ainsi : unité d'ad-
ministration, suppression graduelle du privi-
lège {et de classe et d^ étals), — égalité d'impôt.
Nécessité l'impérieuse , l'embarras infini oii
se trouva l'Élat après la guerre, faisait mettre
les fers au feu , par un premier appel, timide
encore, aux quatre milliards du clergé. Chacun
croyait qu'en France ii possédait le tiers des
biens. S'il daignait faire aumône à l'Etat d'un
minime don , ta charge portait toute sur les
curés, le bas clergé. Le haut, de luxe el de
luxure, dépassait la cour même. Clermont, vail-
lant abbé de Saint-Germain-des-Prés, qui avait
deux mille bénéfices à donner (et à Tendre) ,
vivait avec les filles, enlevait des danseuses, te-
nait bon gré mal gré par force ou peur la
Ca marge.
La France agonisante pria ces fiers seigneurs
de payer quelque peu. Machautt voulut d'abord
que l'impôt du Vingtième , commun à tous ,
Douze. bvGoogle
— 279 — (liis-naii
s'élendît au Clergé (1749). Puis il lui demanda
une Dédaratitm de ses biens (1750).
L'obsUide était que, nulle réforme ne se
faisant dans les dépenses, plusieurs (d'Argen-
son , par exemple) croyaient qu'on ne ferait
qu'augmenter le gâchis. L'obstacle était la dé-
fiance qu'opposaient les pays d'Etats, leur atta-
che à leurs privilèges. L'obstacle était surtout
la désespérée résistance du grand privilégié ,
du plus gras, le Clergé.
Si celui-ci eût été prévoyant , par quelque
sacrifice, il se fût honoré, soutenu sur la pente
où il glissait. Il préféra l'abîme. Il mit son
adresse à périr. Il sut, par deux moyens, en-
traîner le Roi avec lui. Moyens grossiers, qui
réussirent :
d" Dès qu'on parle d'argent, le Clei^é, calme
depuis dû ans , redevient fanatique. Il alarme
le Boi , se bat avec le Parlement , reprend la
guerre aux Jansénistes, aux Protestants, bref,
fait craindre une Fronde.
2° 11 obsède le Roi directement par la fa-
mille, employant sans scrupule VuUima ratio,
la seule force efficace auprès d'un homme si
vicieux, l'énei'vanle influence, l'aveugle dévoue^
ment de Mesdames qui s'y immolèrent.
Mesdames Henriette , Adélaïde , vrais jouets
de l'intrigue, de la fatalité, avaient le cœur
Douze, bv Google
{1748-1751] — 280 —
très-haut, n'avaient ni adresse, ni ruse. Leur
sœur l'Infanfe fort justement disait que c'é-
taient « deux enfants. » Celle-ci était tout
autre, formée par la Famèse, si dépravée. C'est
depuis son voyage en France (4748-1749) cpie
lé Roi vécut cyniquement à l'italienne, ne mé-
nagea plus rien.
L'Infante, presque chassée d'Espagne, et pas
encore en Italie, existait comme en l'air. Elle
venait mendiante, affamée, sans chemise, de-
mandant de l'aident, beaucoup d'argent, une
grosse pension, puis des grandeurs, un trône, et
le premier vacant, Naples ? Espagne? Pologne? la
Corse au moins. Elle était prêle à tout. Ayant
vu la faiblesse du Roi pour Henriette , elle la
préférée comptait avoir bien plus. Elle disait
venir pour quinze jours. Elle resta un an, se-
rait restée toujours, si elle eût pu, eût oublié
sans peine son ennuyeux Infant qu'elle n'avait
presque jamais vu.
Elle était partie si petite que le Roi, qui lui
écrivait sans, cesse, ne ta connaissait pas. II
alla au devant, et eut l'agréable surprise de la
trouver fort belle, grande, fraîche, parée d'une
gentille petite fille. Elle avait un grand air, et
ses sœurs à côté semblaient de maussades bour-
Elle avait fort bien deviné que la Pompa-
D,a,l,zc.bvG00gIe
— 281 — CnM-1151)
dour, en haine de Mesdames, lui ferait bon ac-
cueil, ne lui nuirait pas près du Roi. Elle eut
en elTet tout d'abord (chose morlifîunle pour
Henriette) la chose que celle-ci demandait, que
le Roi hésitait de lui donner, l'appartement de
l'escalier secret qui permettait de le voir à toute
heure. Faveur inestimable pour l'Infante qui
avait tant à dire, tant à demander.
Ce qui fut bien plus dur pour Henriette et
pour la famille, c'est que la Pompadour fit
chasser Maurepas (avril 1749). Maurepas, leur
homme, leur ministre. La reine .et ses filles en
pleurèrent. Le prétexte de la maîtresse fut cer-
taine chanson sur ses infirmités de femme,
« sur les fleurs (les fleurs blanches) qui nais-
saient sous ses pas. » Plus, une accusation ri-
dicule de poison, renouvelée de la Tournelle.
Ce que celle-ci n'avait pu, si belle, au momeut
Je plus tendre, la Pompadour fanée le fit, mais
par l'appui sans doute de l'escalier secret à
qui on né refusait rien.
l.'Infante paraissait s'établir tout à fait. Le
Roi, que cela plût ou déplût à la reine, lui
faisait rendre mêmes honneurs. Elle siégeait
r^ale de sa mère, près de ses sœurs humiliées.
Elle usait, abusait, demandait toujours davan-
tage. Elle eut la forte pension. Il eût fallu
de plus que le lendemain de la guerre, on y
Douze, bv Google
{1 48 1751) — 282 —
rentrât pour la faire reine. Reine? c'est peu.
Son idée fixe était de conquérir l'Empire, de
faire sa fii!e impératrice. Funeste idée ! Elle en
viendra à bout, et pour celte sottise le sang
coulera par lorrenls. Mais il y faut le temps. Sa
folle impatience fatiguait, excédait le Roi. Son
départ fut pour lui et pour tous un soulage-
ment (oct. 1749).
Elle fut très-funeste à ses sœurs. Le Roi ,
fait au laisser aller du Midi , se Lâcha , et ,
pour le resaisir, Mesdames durent descendre
beaucoup. C'était Fontainebleau, et le monient
des chasses qui finissaient le soir par de
longs soupers de chasseurs oii l'on buvait la
nuit. Il fallut que Mesdames subissent et la
fatigue de ces courses, et l'orçie, où, jeunes de-
moiselles, elles étaient tellement déplacées. On
s'y contenait peu; car, depuis cette année, on
trouva que la Pompadour même gênait : on ne
l'emmena plus.
M. de Luynes, si timide, n'ose omettre pour-
tant ce qui crevait les yeux. A ces retours de
chasse, le Roi n'eut plus personne que Mes-
dames, toutes seules, aux petits cabinets {Luynes,
22déc.l749, 12nov. 1750).
Quels étaioit ces repas? D'Ai^enson nous
l'apprend (III, 550) ; il parle d'une cuisine nour
veUe, ailleurs du goût des salaisons, acres, irri-
Doiizccb, Google
— 283 — {1748-1751)
lanles, qu'elles prirent, des vins dangereux d'Es-
pagne qu'elles buvaient. Indigne amusement de
voir ces pauvres daines enivrées ])ar obéissance.
Adélaïde, si jeune, ayant six ans de moins, était
vaincue sans doute par le vin, le sommeil. La
malade Henriette , elle-même bientôt frappée et
aveuglée, endurait celle veille et ces excès forcés
qui la menèrent vite à la mort.
Une chose surprend, c'est que le Dnuphin, si
pieux, et qui avait tout pouvoir sur ses sœurs,
n'ait pas essayé quelque chose pour les sauver,
n'ait pas obtenu d'elles que, par excuse de santé
ou autrement, elles éludassent cette honteuse
tyrannie. Le Roi ignorait tout à fait ce qu'il était
ou faisait dans l'ivresse. (Voy. Hausset, l'aven-
ture du privé et de la d'Estrades à Choisy).
Le matin, aucun souvenir.
Versailles tâchait de ne pas voir. Mais le Roi,
comme le Régent, eut besoin de montrer les
choses. Parfois, ayant soupe sans elles, il lui
passait l'idée de les voir, et il les voulait, mais
telles qu'elles étaient, sans paniers {Luynes, x,
173, 23 déc), dans le déshabillé de cette heure
avant^.
Les paniers étaient tellement dans l'habitude,
qu'une femme sans cela semblait nue. A Choisy,
il était permis de s'en passer, d'aller en robe
flottante (de là plus d'un scandale^ Mais à Ver-
Diailizc^bv Google
(nis-nsi) — 284 —
sailles, lieu dft cérémonie, c'élait bizarre, cho-
quant. Elles obéissaient, et traversaient ainsi ap-
partements et corridors, non sans pâtir sans doute,
et faire pâtir aussi d'excellents serviteurs qui
voyaient et baissaient les yeux.
La Pompadour, un vrai premier ministre, et
parlant responsable, sentait la royauté s'avilir,
s'abîmer. Elle n'entreprit pas, comme la Nesle, de
défendre au Roi l'oi^ie du soir. Elle priait qu'au
moins la chose ne fût pas soUtaire, dans le secret
des cabinets. Elle voulaj t que te Roi soupât en bas,
et dans une belle salle, moins fermée, qu'on faisait
exprès (Luynes, ibid.). Le Dauphin aurait dû, ce
semble, y aider fprl, obtenir par ses sœurs que
l'on se rangeât à cela. Sa cabale montra une étrange
immoralité, et on peut dire aussi une grande du-
reté pour la malade, cet instrument qu'on immo-
lait. On voulut l'employer à mort et jusqu'au bout.
Elle était bien commode pour le parti dévot. Tant
muette fût-elle, on la disait parler. On cachait le
Dauphin. On montrait Henriette, comme la per-
sonne dirigeante de la famille, et te dtefdu con-
seil {Arg.,Z,Z\i).
Tout cela était peu connu hors de Versailles.
Pari^ savait en général que le Roi menait une vie
déplo^le. Le public arriéré en restait au temps
éloigné, à ces vilains jeux d'écoliers, qui jadis par
deux fois ont fait chasser les caniarades. On disait :
Douze. bvGoogle
— 285 — (I7i&.n5i)
« C'est un Henri lll. » D'autres aussi, par un pres-
sentiment, trop précoce, mais non erroné, sup-
posait que déjà il avait commencé ces vols ou ces
achats d'enfants qui n'eurent lieu que plus tard
(1754-1764). On était d'autant plus disposé à Je
croire que des princes, seigneurs ou fermiers-gé-
néraux, enlevaient, séquestraient réellement des
enfants, des filles, des dames même captives (ex.
Charolais, Clermont, Melun, etc.). Une fille, à
Noël {Barbier, iv, 407), s'échappa, effarée ; elle
avait dix-sept ans, et on l'avait tenue dès l'enfance
à l'état sauvage. Que souffraient ces victimes? On
le sut par de Sade (1754). Horrible histoire, cer-
taine. Dans les razzias qu'on faisait d'enfants pour
le Mississipî, l'imagination populaire s'exalta et
reprit les vieilles histoires du moyen âge, de lèpres
et de bains de sang. Les enleveurs étaient des
exempts déguisés. Ce mystère feisait dire ; « C'est
lui, c'est cet Hérode, épuisé de débauche, qui est
devenu ladre et qui veut se refaire par le sang
innocent. »
11 n'y a jamais eu dans les plus sombres jours
de la Révolution, xm jour où le cœur du peuple
ail été si atteint. Dès novembre 1749, on avait vu
des filles enlevées par ia police, filles publiques
d'abord, puis pauvres servantes sans place ou
jeunes ouvrières, et enfin de petits enfants. On dit
queles archers, pour chaque tête, avaient 15 écus.
Douze, bv Google
(iTM-nsi) — 286 —
Ce métier progressa. Un archer qui avait volé un
petit écolier, trouva plus lucratif, pour 50 écus, de
le rendre aux parents (février 1750, Barbie, iv,
437). D'autres furent volés par des femmes,
vendus à des gens riches (448). De ta, de fu-
rieuses batteries. Au quartier Saint-Antoine, un
enfant enlevé crie, on sort des boutiques, on pour-
suit les exempts. Les gens du port leur cassent
bras et jambes. Dès lors tous tes matins , la
foule est dans les rues.
Au 22 mai, quatre batailles. Rue de Clâ'y, un
commissaire a sa maison dévastée, saccagée. A la
Croix-Rouge, un cscher crie qu'on lui prend son
enfant. Les laquais qui portaient l'épée, dégalneot.
Avec le peuple, ils forcent la maison d'un rôtis-
seur chez qui un archer s'est sauvé. Deux hommes
y furent tués dans les caves, tout brisé. Rien de
pris. On rapporta au rôtisseur son argenterie le
lendemain. Autre combat aux Quatre-Nations etau
Palais. Et là le peuple tend les chaînes, veut faire
des barricades, brûler le commissaire dans sa mai-
son. Il lue plusieurs archers.
Mais le combat terrible a lieu (23 mai) à Saint-
Roch. Là, on tire sur le peuple, et on est forcé
pourtant de lui livrer un archer qu'il a pris eu
flagrant délit d'enlèvement. La foule tr^ne le
corps à l'hôtel de Renier , lieutenant de police,
4)uis s'arrête, se laisse amuser, f^ cavalerie
:.bv Google
— 287 — (ms-llMJ
vient, chaîne, balaye la rue Sainl-Honoré.
Le peuple aie cœur gros. L'orage s'amoncelle.
Quoiqu'en mai, il faisait un vent sec, froid,
du Nord. Chose Irès-grave en révolution. Sur
le bruit que Berrier est allé à Versailles, la
foule va au Cours l'y attendre. Plusieurs, moins
patients, se mettent à dire : « A Versailles ! » —
D'autres : a Brûlons Versailles! » Cela cliauffait
très-fort.
La peur était grande à la cour. D'abord, on
n'en avait rien dit. Puis, on avait dit : « Ce n'est
rien. » Et là-dessus la Pompadour était venue
voir sa fille à Paris, dîner chez un ami. Tout pâle,
il lui dit : « Mais, madame ! ne dînez pas ici. Vous
allez être mise en pièces. » Elle fuit, elle vole,
rentre jaune à Versailles. Tous sont pénétrés de
terreur.
Le 23 mai, ce fut bien pis. Ayant toute ta Mai-
son dti Boi, une armée, on tremblait. On mit
des gardes au pont de Sèvres et au défilé de
Heudon.
On eût dit que déjà la Bastille était prise, ou
que les afEamés dn 6 octobre étaient en marche.
Vei'sailles est confondu. Les femmes se sus-
pendent au Roi, l'enlacent. Il ne faut pas qu'il
fasse le voyage de Compi^ne. Qu'il reste avec
ses gardes, bien entouré de sa Maison armée.
Elles obtiennent que l'on n'ira pas. Puis on change
:.bv Google
(1748-1751) — 288 —
d'avis. On prend le parti pitoyable d'y aller
furthemenl. Le soir, il couche à la Muette, puis
avant le jonr, rasant Paris sans y entrer, il fait
son échappée qui a l'air d'une fuite. Il disait ai-
grement : « Qu'ai-je besoin de voir un peuple
qui m'appelle Hérode? » A Paris, on disait :
ft Est-ce mépris? C'est peur. » Donc, tout s'en-
venima, et ce fut un divorce. Madame Adélaïde,
« haute comme les monts, » blessée dans son
orgueil, son amour pour son père, fut ulcérée
à mort. Et elle ne pardonna jamais.
Ce nocturne passage du Roi le long des murs,
on en assura la mémoire par un large chemin.
Beau monument du règne. C'est le chemin de
la Révolte.
On put juger de l'état violent où se trouvait le
peuple par le mépris qu'il lit des affiches du
Parlement, les injures qu'il lui adressa. Dans
son irritation la foule s'enprejii.d à tout le monde,
poursuit comme mouchard , cdmme enleveur, le
premier passant [Barb., 429). Rien pourtant ne
calma autant que la justice du Parlement sur
quelques misérables, un archer qui vendait, re-
vendait des enfants. La foule s'amusa de voir
fouetter de rue en rue des enleveuses infâmes.
Elle eut plaisir à voir étrangler et brûler deux
petits Henri III, je veux dire deux garçons qui
trop naïvement avaient singé Versailles et les
^cb, Google
— 289 — (1748-1751)
jeunes seigneurs si mollement punis (en i724).
Dure leçon pour les mœurs de cour (6 juillet).
Mais en même temps le Parlement, pour relever
l'autorité, consoler la police, fît pendre trois pau-
vres diables qui , légitimement , justement ,
avaient résisté.
On eut beau faire. L'autorité était blessée, à
n'en point relever. Elle-même s'aviiit, se con-
tredit, se démentit. D'une part, Berrier vint dé-
clarer au Parlement qu'il n'y avait eu nul en-
lèvement. D'autre pari, les archers craignant
l'enquêle et la potence, vinrent montrer les or-
dres de Berrier pour qu'on fît les enlèvements,
ordres royaux qui venaient de Yersailles , de
d'Argenson cadel, ministre de Paris (20 juillet
1750, Barb., lY, 455).
Cette agitation violente donnait une grande
force aux résistances du clergé, décidé à ne payer
rien. Dans sa grande Assemblée qui se tenait
ici, il trônait, pérorait à l'aise, voyant Paris
contrôle Roi, et d'autre part les États provin-
ciaux qui ne voulaient pas plus sacrifier leui"s
privilèges à l'uniformité d'impôt. L'Assemblée
ecclésiastique se posait fièrement le chef des ré-
sistances, le parti de la liberté. Audace révollante
en tout sens. Dans' le Clergé, ainsi qu'en ces
États, le haut rang écrasait le bas. Fausses et
dérisoires républiques au profit des privilégiés 1
Douze, bv Google
(1748-1751 — 290 —
Si terrible était le Clei^é d'opposition répu-
blicaine, si emporté ce corps où les sots de-
venaient des fous, que la cour en tremblait.
Plusieurs osaient narler des Élats généraux (im-
prudents idiots!) — D'autres ne parlaient pas,
mais pensaient au Dauphin , au vrai roi du
Clergé. Ils avaient hâte, se disaient « Louis XV
n'a que quarante ans. » Le Roi savait leurs
vœux, se souvenait de Jacques Clément, disait
parfois tout haut : « J'aurai mon Ravaillac. »
La crainte alla au point qu'ordre fut donné à
, Versailles de ne laisser entrer aucun abbé {Ar-
gensm, JIT, 362).
Le Dauphin était en disgrâce. Si^spect en ce
moment, le lourdaud avait fait de plus une
étrange lourdise", d'écrire à Maurepas, l'exilé,
le futile oracle de l'intrigue, oiî la famille et
le Clergé voyaient l'homme du futur règne. On
pinça l'envoyé, valet de chambre du Dauphin.
Le Roi le fît fourrer aux cachots de Saumur, ne
dit rien à son fîls, mats le suspecta d'autant
plus.
Jamais le Roi n'avait été si triste. Entouré
de tant de dangers, il recula, réduisit ses de-
mandes. Il fit dirç an Glei^é « qiCU n'eaige-
rait pas U. vingtième, qu'il se contenterait de
ta Déclaration des biens. » Il déclara dissoute
l'iffrayante assemblée , renvop chez eux ces
- D,a,l,zc.bvG00gIe
— 291 — (1748 1751)
Brutus au plus tôl dans leurs diocèses (15 sept.).
Ainsi il retombait pour jamais dans i'im-
passe dont Macfaault voulait le tirer. Il se fer-
mait les mines d'or, les milliards du Cle^é.
Les afliaires étaient tristes, l'intérieur encore
plus, Henriette toujours plus languissante. Un
mortel ennui te saisit. Il avait beau aller,
voler d'un lieu à l'autre, la tristesse l'y attendait
{Arg.]. En vain la Pompadour voulut l'amuser
de Bellevue, petit palais de poche, improvisé.
On y joua la farce des Pots de chambre (ou
petites voitures) de Paris. Mais le Roi ne rit
guère. Bellevue avait le défaut d'être trop bien
placé, au point de mire des Parisiens qui d'Au-
teuil le voyaient illuminé, te maudissaient. Ils
en faisaient mille contes, exî^érés et faux, \tav
exemple, qu'on y avait mis pour un million de
fleurs de porcelaine. Tout cela ennuyeux. Elle
aurait bien voulu le tirer de ce noir nuage ^ar
quelque jolie petite femme. Elle fit à Verrières
de galants pavillons pour une ménagerie en ce
genre. C'était trop tôt encore. Il était sombre-
ment engagé dans la tragédie, un drame obscur
qui n'éclata que vers la fin de février.
En octobre 1750, Henriette succombait à la
situation. Les meneui's le sentaient. Il leur fal-
lait un autre appui. Quoique le Roi eût reculé,
le Glei^é renvoyé ;i'en voyait pas moins s'écou-
Diailizc^bv Google
(iï48.nM) — 292 —
1er le délai de six mois qu'on lui donnait
pour déclarer ses biens. Le Dauphin ëlail en
di^râce, et cela au moment où devenant ma-
jeur il serait entré au Conseil. S'il n'y entrait,
s'il n'était là pour contenir, intimider Machault,
celui-ci (armé du besoin) pouvait bien passer
outre , faire lui-même et par des laïques cette
terrible enquête que redoutait tant le Clergé.
On allait découvrir le mystère, ouvrir l'Arche,
pleine d'or , étaler celte grande pauvreté du
Clergé qui montait à quatre milliards.
Le temps pressait. On n'avait pas deux mois
jusqu'au 28 octobre, jour décisif où l'on verrait
si le Dauphin entrerait au Conseil, ou si le Roi
le tiendrait à la porte (et l'excluant excluerait le
Clergé).
Comme en septembre 1742 , un miracle se
fit en octobre 1750. Le Dauphin, le Clei^é ob-
tinrent ce qu'ils voulaient. Mais bien plus, le
Roi, le Conseil, l'autorité publique, tout alla
dans un sens nouveau. Tout fut retourné comme
un gant.
Explique qui pourra. Dans une révolution si
brusque, je ne sens plus la main douce, faible,
malade, la molle influence d'Henriette. Je sens
déjà une jeune main, violente, et qui veut
casser tout. Je sens celle qui emportera d'un
tourbillon l'année suivante (1751), et qui en
Douze, bv Google
— 295 ~ inw 1751)
février va avoir son avènement. C'est le règne
d'Adélaïde.
Enfant, elle avait rêvé d'être une Judith, 11
en fallait une pour le Dauphin, pour le Clergé,
pour tous les honnêtes gens. Elle dut s'avancer
et sauver ie peuple de Dieu.
Elle avait dix-sept ans, Henriette vingt-quatre.
Elle ne l'avait jamais quittée, et révérait son
droit d'aînée. Mais Henriette gisait inutile,
servait trop peu la cause. On la dédommagea,
on tâcha de la consoler, en lui donnant enfîn
sa Maison princière et royale. Elle fut enterrée
dans l'honneur.
Même "procédé pour MachauU, avant de s'en
débarrasser. Par-dessus les Finances , il eut la
belle place, lucrative, de Garde des sceaux,
porte d'or, porte de sortie, par laquelle il
quitterait bientôt les Finances.
- Cela se fit très-vite , au moment de Fontai-
nebleau , moment trouble des grandes parties ,
des chasses et des retours de chasse où le Roi
était moins lucide. On arriva le 7. Le Roi mollit
le 12 , permit au Dauphin de venir. Le rece-
vant pourtant il lui inflige encore une petite mi-
sère, une épreuve, demande ce qu'il pense de
Maurepas. Le gros baissant la tête : « Je ne m'en
souviens plus. » Le Roi , content de ce men-
songe , le croyant aplati, le 28, l'admit au
Douze, bv Google
(1748-1751) _ 294 —
Conseil, et d'abord aux Dépêches. El pour l'ini-
tier , il lui donna Hachault , sa bête noire.
Hais cela ne hit rien. Cette masse de chair,
même muette, pèse énormément. Car il est l'a-
venir. Et il n'a que faire de parler. Les ministres
agiront de manière à lui plaire. 11 est là le 28 oc-
tobre, et déjà en novembre, Saint-Florentin re-
prend la persécuUon du Midi (Voy. Sismondi,
P^frat, etc.). Les troupes revenues de la guerre
vont faire la guerre aux Proleslants. Le sévère
intendant qui pendait les pasteurs , ne suffit
plus. 11 faut des courtisans, des zélés, qui trou-
blent le peuple. Celui que l'on envoyé fait sa
cour par une ordonnance qui veut qu'on re-
baptise, qui provoque follement une inquisition
des curés.
Ceux de Paris, de même brusquement réveillés,
faisaient la chasse aux jansénistes, épiaient les
mourants, ne se contentaient plus d'un billet de
confession. On leur faisait subir un interr(^a-
toire. Pour réponse ils agonisaient. On fit mou-
rir ainsi un véritable saint, Coffm, le bon Rec-
teur qui obtint du Régent que l'instruction fût
gratuite, Coffîn, l'auteur des hymnes qu'a adoptés
l'Église. Chose odieuse qui criait au ciel. Des ras-
semblements se formaient. Le peuple s'indignait,
voulait intervenir. Le Parlement, dans ce cas évi-
dent oit la paix pubhque est troublée, appelle les
Douze. bvGoogle
— 295 — {iiis-mi]
curés refusants. L'un, ne daignant répondre, il le
met aux arrêts. Le Roi blàrne le curé sans doute?
non pas, le Parlement. Le Roi goûte l'affront qu'on
a fait à ses juges, enhardit la persécution.
Esl-ce la peine de dire que la fameuse Dédara-
tion des biens d'Église qu'il exigeait va àvau-l'eau.
Changement ridicule. Elle ne se fera pas pour ie
Roi , mais seulement du Clergé au dergé, tout à
fait en famille, et par ses agents seuls, estimant
les biens à leur guise (déc. 1750).
Que le clergé doit rire ! Il l'a échappé heile. Le
voilà qui n'a plus besoin de se défendre. Il va de-
venir conquérant.
Et conquérant sans peine. Le Roi qui le chas-
sait en septembre, se trouve, en mai, si bien son
homme, que lui-même il lui livre le droit des
magistrats.
Un droit énorme, immense. Quel? la Charité de
Parisi
Paris, c'est un royaume, de maux, d'infirmités,
de vices. Par le doux mot chrétien de Charité,
on entendait non-seulement la bienfaisance et les
hospices, mais la pénitence, la correction, Saint-
Lazare et le nerf de bœuf (Voy. Blache), les filles,
même filles de théâtre, disciplinées à la Salpé-
trière, les enfants, apprentis ou pages, qu'on
moralisait par le fouet, c'était un triste monde,
obscur, Yanima vilis infinie. Sept mille à la Sal-
:.bvGoogIi
f —
(174 1751) — 296 —
;jélrièrel Le gouffre d'arbitraire élaït depuis cent
ans stJumis du moins à l'œil du magistrat, à
une certaine surveillance de la Justice. Cet œil
était gênant. On le crève un malin, si j'ose ainsi
parler. Et le Roi remet tout aux prêtres.
Autre chose. Minime, mais sensible à Paris.
Les dons des fêles (aux naissances des princes)
ne passent plus par les mains paiistennes des
magistrats municipaux. On marie six cents fdles.
Les dois sont données aux curés, qui les distri-
bueront à mesure par parcelles, selon qu'ils sont
contents du mari, de la femme. Belle réjouissance
qui devient un pouvoir de chicane et d'inqui-
sition I
Le Roi marchait si bien, vite et roide, aux
voies du clergé, que c'eût été dommage de le
distraire. Le Dauphin devient admirable. 11
s'assouplit. 11 se fait tout petit. On dirait qu'il
retient son souffle. On en est très-content. Il
est tellement discipliné qu'au besoin il se prête
à couvrir de son caractère, de son austérité
connue, certaines choses. Le Roi, allant aux
parties solitaires de la Muette, Choisy, Com-
piègne, montant avec sesOlIes en voiture à Ver-
sailles, pour imposer aux langues, fait monter le
Dauphin. Mais là, au bout d'un jour le Dauphin
sent discrètement qu'il peut gêner et revient seul.
{Luynes, 1750, 4 janvier, 1" juin).
Douze. bvGoogle
— 297 — (1748-1351)
La comédie de la cabale était d'effacer le Dau-
phin. Ce soDt Mesdames qui conseillent le Roi.
Elias posent en hommes d'Éial. Leur singe, la
petite Louise, une sœur de dix ans, prend la gra-
vité d'un ministre. {Luynes, XI, 6). On fait pour
les aînées des extraits du P. Barre . de sa
nauséabonde Histoire et autres. Henriette y
succombe. Adélaïde en prend ce qui plait à son
père, les généalogies, le cérémonial, l'étiquette.
Elle en est l'oracle. En cela , et en tout, elle
prime. Elle est la favorite. La déclarer, c'était
annoncer l'action dominante et régnante désor-
mais du parti dévot. Ce pas hardi fut fail le
17 févrierl751. Toute la cour était sur la glace,
ou glissait. Etie monta dans le traîneau royal,
où l'aînée jusque-là était toujours avec le Roi.
Elle se fit aînée, siégea près de son père. Hen-
riette eut le second traîneau.
Dans cet état bizarre le Roi pourtant com-
muniait. Plusieurs en étaient étonnés. Mes-
dames communiaient , et elles firent avec la
reine les dévotions du Jubilé (la cinquantième
année du siècle). Grande occasion de péni-
tence. La reine y était absorbée. Elle était sou-
vent seule, enfermée, disait-elle, avec sa favo-
rite, la Mignonne, une tête de mort, qu'on
croyait celle de Ninon de l'Enclos. Ces impres-
sions fimèbres de^'aient troubler fort la malade
:.bv Google — -
(17*8-1751) — 298 —
Henriette, Adélaïde, si Imaginative , peu rassu-
rée dans son triomphe. Le clergé usait , abii'
sait, d'un si violent élat de conscience. II fallait le
payer, et d'une monstrueuse indulgence il voulait
un prix monslrueuï, une cfiose excessive, impru-
dente, où Mesdames risquaient de choquer fort
le Roi. Le clergé exigeait qu'on déclarât son
Droit divin d'exemption. Il élevait son égoïsme
avare à la hauteur d'un dogme : Divine immunité.
Symbole exactement opposé à celui du Boi, à la
foi de Louis XIV et de Louis XV : « Tout appar-
tient au Roi en France. »
Une telle thèse devait brouiller tout. On était à
Compiègne, aux chaleurs de juillet qui bientôt le
2 août éclatèrent en terrible orage. Adélaïde en
avait un bien autre. Elle dit à son père ; « Je
serai carmélite. Je veux entrer au couvent de Com-
piègne. » Était-ce dévotion? ou menace? Posait-
elle un îdtimatum pour obliger le Roi de céder au
Clergé? Il lui dit sèchement : « Pas avant vingt-
cinq ans, ou bien si vous devenez veuve. »
Lutte violente. Le Roi piqué alla à Crécy cliez
la Pompadour, et y eut un peu de goutte. On vit
qu'on avait fait fausse route par cet excès de zèle.
A Fontainebleau, lieu de plaisir, on le reprit, on
sut le regagner. Si bien qu'à Versailles en novem-
bre, l'âme d'Adélaïde (colérique, intrépide) parut
en lui, un démon provocant. I! veut décidément
Douze. bvGoogle
— 299 — (1148-1151
brusquer la grande affaire qui livre Paris au
Clei^. Mais, ce n'est pas assez. En dépouillant le
Parlement, il lui faut l'insulter. Ordre au Prési-
dent d'apporter les Registres, les délibérations
intérieures de la Compagnie.
Cette collection vénérable est triple, comme on
sait. Arrêts, Édits enregistrés, enfin Conseil se-
cret. En la dernière partie est l'âme même du
corps, mille choses délicates et scabreuses qu'on
agitait portes fermées. Les minutes en petits
cahiers restaient, et ne sortaient jamais. Mais cette
fois le président (Maupeou), disant que ta copie
-n'était pas faite encore, prit les originaux, remit
au Roi ces dangereuses notes où tout était , tes
choses et les personnes, les noms, les mots com-
promettants. Le Roi avec dédain regarda, prit,
froissa, mit le tout dans sa poche (pour en faire
faire sans doute un sévère examen). Puis la dé-
fense hautaine de s'occuper de cette affaire.
Grave outrage. Le Parlement ne rend plus la
justice. La lutte, de religieuse, deviendra révolu-
tionnaire. Barbier confond les mots janséniste et
républicain. De plus en plus, on s'en prend au
Roi même. On était indigné de voir en pleine paix
durer les impôts de la guerre, plus de nouveaux
emprunts. Une vaine dépense de bâtiments, de
petites maisons, Choisy et autres lieux, où tout
coûtait trois fois plus qu'à Versailles. Un million .
t,CoogIc —
(1148-1751) — SOO ■—
dépensé pour amener Victoire, la moitié pour l'in-
faule. Dix-huit cent mille fraDos à Bellevue pour
l'appartement du Dauphin I Ëtcela au moment où
l'on réduit les plus justes dépenses, le pain dê$
prisonniers! Une révolte de ces affamés a lieu au
Forl-l'Évêque. On lire tout au travers. Force bles-
sés, deux femmes tuées I
Triste augure qui salue la nnissance du fils du
Dauphin. Barbier trouve lugubre !e tocsin de ré-
jouissance. Versailles, aux fêtes qu'on en fît, se
trouva lugubre lui-même (21 déc). La bise avait
éteint les illuminations [Arg.]. Dans la grande ga-
lerie, huit mille bougies fumeuses éclairaient,
noircissaient les peintures de Lebrun. Mais placées
extrêmement haut, elles éclairaient moins les vi-
vants , cavaient les yeux, creusaient les joues,
'donnaient à tous l'air vieux. Beaucoup d'habits
riches et usés. Plus usé était le dessous. Des trois
femmes Fanantes, nulle qui ne fût malade. La
reine et son intirmité, la Pompadour, fade et
terne, blanchâh^, n'égayaient pas. Mais combien
affligeait la pauvre victime Henriette, pâle, éclip-
sée, déchue, muette, et bien près de sa fin... Le
Roi triste et jauni. Le Dauphin sous la graisse
couvant la maladie (bientôt la petite vérole).
Dans cet affaissement, le nerf évidemment,
l'ardeur, la volonté, c'était Adélaïde avec ses dix-
huit ans, un attrait d'énei^ie. Elle était plutôt
Douze. bvGoogle
~ 501 — (17*8-1761)
rouge que dans la fraîcheur de son âge. Ses poi^
traits soDl irrigues, d'une personne dont on
peut tout attendre, ayant l'esprit court, faux, im-
pétueux et ne mesurant rien. Leurs flatteurs (Saint-
Séverin, un Italien bavard), parlaient fort de po-
tences et d'exécutions.
Comment Adélaïde traitait-elle Henriette, dans
cet enivrement? Elle l'aimait. Mais des mots im-
prudents , insolents, purent lui échapper. Ma-
dame, qui vivait fort à part, et ne lui confiait rien
de ses misères de femme, voulut en grand secret
essayer de se relever, se faii-e belle à tout prix
en supprimant cette petite gourme qui par moment
lui déparait le front. L'Infante pour cela lui avait
laissé un remède fort dangereux, qui la tua (Luy-
nés, XI, 397, février 1752).
Elle fut, aux derniers moments, douce, sans
fie), comme toujours. On n'entendit dans ses dé-
lires que ces mots : « Ma sœur ! ma chère sœur I »
Gomme elle agonisait, on alla au Roi, fort trou-
blé, et on lui fit entendre que Dieu la sauverait
peut-être, s'il voulait faire une bonne œuvre :
supprimer l'Encyclopédie. Il le fil de grand cœur.
Le 15, après la mort, un Arrêt du Conseil léga-
lisa et proclama la chose.
Cette grâce fut sans doute obtenue j)ar l'homme
qui avait en main la pauvre âme, les confessait
tous trois, le bon P. Pérusseau.
:.bv Google
il7tt-iï5i) — 302 —
. Le Boi éUit comme é^ré. Il se laissait con-
duire où on voulait. Mais il n'eut nullement l'rac-
olosion de douleur de septembre 1 741 . Adélaïde et
li furent troublés bien plus qu'affligés. Elle ne
pleura pas, et seule de la famille elle fut exemptée
d'aller au service funèbre. Si la reine fut triste,
ce ne fut pas longtemps. Elle reprît le jeu le
9 mars, un mois après cette mort. Le 12, Adélaïde
étant incommodée, on joue dans ses appartements
(delMynes,\\, 440,455).
:.bv Google
CHAPITRE XVll.
Uadame AiUUJâe. — Les biens ecd&iisliigues sont sauTrà. -
1762-1756.
Les tragiques et bizarres portrails d'Adélaïde
la feraient croire capable de grands crimes (que
certes elle ne fît jamais). Si l'on ne sait son nom,
on dit en la voyant : « A-l-elle fait la Saint-Bar-
ihélemi ? »
Le vrai, c'est que le signe d'une fatalité très-
mauvaise, d'une grande discorde de nature, d'es-
prit, de race, est là. Elle resta sauvage, extrême
et violente et dans la haine et dans Tamour. Mais
derri^ tout cela , certain mystère physique
existait qu'il faut e:^liquer.
Sa mère naquit, grandit dans les alarmes, les
plus terribles aventures. Petite et au berceau,
dans les fuites de Stanislas, on l'emportait, on la
:.bvGoogIf
i 152-1756) — ■30* —
cachait. A cliaque ïnslanl, on se croyait atteint
par la férocité des Russes. Elle fut même un jour
ouhliée par ses femmes égarées qui perdaient
l'esprit. Ébranlements trop forls pour une en-
fant qui jamais n'en revint. Son sang troublé parut
impur dans ses enfants, la plupart très-malsains.
Avant le mariage, elle avait des tendances à
l'épilepsie. Même mariée, la nuit, agitée de
peurs vaines, elle se levait, allait, venait.
M"" Adélaïde semble avoir hérité beaucoup de
celte agitation. Elle eut (dans l'expression, le
geste, la parole), le bizarre el le saccadé de ces
tempéraments. Ni l'âme, ni le corps n'obtinrent
leur harmonie. Elle était courageuse , avait
l'audace de sa race, avec ceBlaines peurs en-
fantinfes (du tonnerre, par exemple). Elle avait
la manie, une vraie furie de la musique, sut
tous les instruments, mais tous dans sa main
discordaient.
La reine aimait son père et en était aimée
extrêmement , rendait sa mère jalouse. Adé-
laïde eut d'elle encore cela , aima éperdumènt
son père, sans mesure ni raison. Ce fut sa
sombre destinée.
A six ans, elle jura qu'elle ne le quitlerail
pas, se jeta à ses pieds, pleura, le fit pleurer.
Seule de toutes les sœurs, elle fin dispensée du
couvent. Elle resta toujours avec lui. Elle l<^eo.
Douze. bvGoogle
— 505 — {175ÎHÎ55)
vécut chez lui pendant quinze ans, dans ses
belles années de jeunesse. Et après, quand il
eut la diu-eté de la renvoyer (1768), elle resta la
même. A sa dernière maladie (horrible et r^u-
gnante), elle vint s'enfermer dans celte dangereuse
chambre ; elle voulait mourir avec lui.
. On vit combien elle l'aimait, à l'âge de douze
ans, dans sa grande maladie de Metz (1744).
La famille ayant eu ordre de s'arrêter à Verdun,
elle eut la fièvre, de douleur, d'impatience. 11
fallut la mener à Metz.
Ce fut un grand malheur pour celte nature
passionnée de rester à Versailles, dans le mauvais
air de la cour, gâtée et écoulée, et toujours ap-
plaudie. Tout ce qui chez sa mère était si con-
tenu, chez elle eut un complet essor. -Enfant, on
ta craignait. Elle s'emportait au moindre mot,
frappait du pied. (Voy. Campan, pour l'histoire
du menuet bleu.)
Elle n'avait que onze ans, lorsque la guerre lut
déclarée à l'Angleterre. Elle prit quelques louis et
partit. On la rattrape, on lui demande : « Où allez-
vous. Madame? » — « Je vais me mettre à la tête
de l'armée. J'amènerai l'Anglais aux pieds de
papa Roi. — Mais comment? » Elle savait l'his-
toire de Judith. Elle dit : e Je ferai venir les lords
pour coucher avec moi, dout ils seront fort ho-
norés, et je les tuerai tous l'un après l'autre. —
:.bv Google
(1752-1153) — 506 —
Ah! Madame, en dnel plutôt?... — Papa roi dé-
end les duels, et le dnet est un péché. {Ricfy.,
Tiu, 77, 78).»
- Si iière, elle méprisait tout. Nul, hors le Roi,
ne fut homme pour elle. Elle avait quatorze
ans, quand ime de ses dames eut l'indignité de
lui prêl^ nn livre, obscène, de honteuses gravu-
res. Mais on ne voit pas qu'elle ait eu d« petites
Ëûbtessés vulgaû^s. Sa passim idnée et l'oi^eil
la gardaient. Oii la prenait par 'là. Ces femmes
corrompues ne faisaient que. parler du Roi, Sa
beauté était le grand teste, mente en son âge
mûr oiî la chose était ridicule. On le voit par
les madrigaux que fait pour loi la Pompadour.
Dans les grandes scènes populaires où il fut
nommé Bien-Aimé, dans rivrèsse de Fontenoy,
la tête polonaise de l'enfant dut se prendre en-
core.
Nul doute qu'on ne lui ait inculqué de bonne
heure ce qu'Henriette d'Angl^rre (Voy. Cosnac)
disait (et ce que tant de princes ont pratiqué dans
la famille) : «qu'ils aTaient leur morale à eus.
libre de tout et de la nature même. Pourtant.
dans une foi si lai^e, nn point lui semblait
réservé, le droit supérieur de -l'aînée. Elle fut-
jalouse, on l'a TU, mais pour son aînée Henriette.
La reine étant infirme, incapable des diasses et
des soupers du Roi, elle croyait qu'Henriette de-
D,a,l,zc.bvG00gIe
— 507 — . (1755.1753
vaity figurer. Au d^aut d'Heniiette, elle-même.
Une crise approchait où des mesures hardies ,
violentes, deviendraient nécessaires. La cabale
dévole connaissait bien le Roi, ne pouvait s'y fier.
Elle ne pouvait plus prendre, comme Kleury, la
clef de son appartement. Une autre idée leur
vint, celle de lui donner un gardien, de nuit,
de jour, de loger près de lui , chet'i lui, cetle
énergique Adélaïde.
L'appartement royal est fort sertie. Elle n'y eût
pu loger que seule, sans ses dames et son monde,
aux derniers cabinets du Roi. Ghose contre toute
convenance, mais qui, si on l-iisait, la faisait maî-
tresse absolue. La Pompadionr était terrifiée. Un
mois avant la mort d'Henriette (janvier 1752), elle
fît une démarche bien sii^lière, de s'adresser à
la cabale même, de rappeler le parti jésuite à
la pudeur, et de lui faire sentir qu'il se démas-
quait trop. Elle osa -demander comment te confe^
seur pouvait laisser le Roi communier dans cet
état. « J'assurai que si le P. Pérusseau n'enchaî-
nait le Roi par les sacrements (en les liai refusant)
il se livrerait à une façon de vivre dont tout le
monde serait fâché ^ »
' AL de Saint-Priett, Jésuites, chsp. H. — Notez que ce mot n'a
^'ua MDS. Q ne «'agit pas de inaitraMea : on proposa une Choiseul ;
mail cela avorla. Et il a'agit encore moine dei petites filles, de la
Hurpb; qni ne comioence goère* qu'en 1753, encore moins du
:.bv Google
(1752-1753) — 308 —
On fit la sourde oreille. Mais à la mort d'Hen-
riette, en février, la Pompadour habilement sut
couper court. Elle pria, demanda à genoux que
Madame, si nécessaire à la consolation du Roi, prît
au re>de-<ihaussée une pai'tje de l'appartement
qui possédait l'escalier dérobé, — en attendant
qu'on lui fil au premier (Arg. , IV, 448) un
appartement digne d'elle. Cela gagnait du temps.
Il eût fallu trois mois. La Pompadour eut soin
que l'on y mit deux ans.
Machault, en cadence avec elle, contre Madame
et contre la cabale, montrait combien d'un jour à
l'autre on allait forcément avoir recours au Parle-
ment. La guerre venait, les grands besoins d'ar-
gent. Depuis un an, deux ans, on se battait déjà
en Amérique entre colons, Aidais, Français. Les
premiers étendaient outrageusement leur Acadie
dans notre Canada. Cela alla au point que (le 11
mai 1752), on dut autoriser les nôtres à repousser
la force par la force. Ou eût pourtant voulu la
paix. Elle était difîicile dans la tentation que
donnaient aox Anglais leurs cent vaisseaux, leurs
cent frètes. En 1748, laFranceétait réduite...
à un vaisseau I
Ajoutez l'intérieur, des troubles pour les blés,
Parc-«ix-ccrfg dont Barbier p«rie en 1753 , mus dont la maiGOD
n'est AàKiée qu'eu 1755. Voj. l'tete de naU, Le Roy, Rues de fer-
laiUes, p. 459.
Douze. bvGoogle
— 309 — [1752-1753]
un souci personnel du Roi qui sans doute le ren-
dait modéré. Il exhortait les prêtres à se con-
former aux Canons qui n'exigent nulle part cette
inquisition tracassière. II blâmait, sans plus de
succès le Parlement pour les saisies, amendes,
prises de corps, lancées contre les prêtres. II
imposait silence. En vain. Le Parlement allait
toujours, offrait sa démission. Aix et Rouen sui-
vaient, et Toulouse même allait devant, en sai-
sissant son archevêque.
A Paris, où le Parlement est traîné par les
jansénistes, on attaque à la fois, l'Archevêque,
l'Encyclopédie. De Prades, un encyclopédiste qui
dans une thèse de Sorbonne, humanisait trop
Jésus-Christ, est décrété et s'enfuit à Berlin. Les
prêtres refusants sont frappés d'arrêts graves.
Irait-OQ jusqu'à l'arcbevêque qui provoquait et
défiait. On n'en était pas loin. Le 6 mai, scène
pathétique : la famille royale, tremblant pour le
martyr, vient se jeler aux pieds du Roi.
L'embarras est pour lui que les emprunts
nouveaux, que les impôts de guerre exigeront
l'enregistrement parlementaire. Donc, il ménage
encore le Parlement. Le 51 juillet , pour lui
plaire, il fait rechercher chez tous les imprimeurs
une presse clandestine {qu'on sait être à l'ar-
chevêché). Un pas de plus, le seuil sacré était
franchi, et l'on allait trouver dans ce lieu vé-
:.bv Google -^
(1762 1753) — 310 —
iiérable la maclûne aux pamplilets, aux libelles
ecclésiastiques. La cabale employa près du
Roi un moyeD .puissant, l'indignation d'Adélaïde.
Avec une décision brusque, surprenante à son
âge (dix-neuf ans), elle quitta le l<^is de fa-
veur, l'escalier si commode, et s'éloigna du
Roi. Comme Achille irrité, elle se retira sons
sa lente, je veux dire dans l'appartement loin-
tain, toujours vacant, de la duchesse du Maine.
(lAiynes.)
Cette férojcilé dura un mois ou deux. Le Roi
vint à composition. Fontainebleau, lieu fatal,
fait toujours ces, miracles. Cette fois, sans re-
tour. Le Roi, dès ce moment, put feindre, varier
d'apparence, traîner, flatter le Parlemait. De
cœur, d'intuition, il fut pour le Clergé. On ne
fit rien à temps. On ne prépara rien. La guerre
nons trouva désarmés.
A ce brillant Fontainebleau (le plus brillant
qui fut jamais), le Rqï ne parlait guère. Elle
parlait à sa place, et très-haut. Elle ordoriiiait
en rane, disant du Roi et d'elle : « Nous, » —
réglant, le présent, l'avenir : a Nous ferons ceci
ou cela. » (Argemon.)
Elle avait du mordant, autant que la Pompa-
dour en avait peu. Elle aimait la musique, comme
son frère le Dauphin. Mais, comme lui, elle était
baroque. Elle apprit tous les instruments avec
D,a,l,zc.bvG00gIe
— su ^ (1-152-1153)
une ardeur furibonde. Son père sou\'enl par jeu
lui mettait dans les bras un violon [ïjuynes ,
XI, 168). Son excès d'ardeur, dér^lée, élait
trop dissonante. Elle ne put arriver, à rien.;
La majesté surtout lui manquait et )a gràct;.
Hautaine, , s'il en fut, c'était pourtant toujoires,
â vingt ans, un page de quinze, un mutin petit
page. Elle avait beaucoup moins le cbarme d'unie
femme quç d'un ardent petit garçon, âpre, colère.
La colère rend vulgaire; elle avait des mois
lestes, qui n'allaient guère à son sexe, à .son
rang. Ses risées de la Pompadour étaient sour
vent très-ltSE^es. Elle rappelait : « Maman pn-
tain. » Les petites Mesdames le répétaient. El le
Roi l'entendait., Cela faisait penser à tous que
c'était finijd' elle, qu'elle serait chassée de la icour.
(Arg., sept. 1752.)
Que ferait-on pour elle, pftnrlui.dpnner les In-
valides? Elle eût voulu être .duchesse, nç l'ob-
tint pas; jmais s<çule!iaçnt prit st^n. .tabouret chçz
la reine, qui la souffrait chrétiennement.
Le signe le plus fort qu'<n çi'ut voir de sa
.chute, c'est que s^s parrûps^ ses paifons,.Je?
Paris crurent prudent de lui to\irner le dos
(ils lui revinrent plus tard), Paris Daverney,,Jte
. guerrier de la famille, voyant venir la guerre,
apporta ses oifres et ses plans à l'eanpmi de la
idour, à d'Argenson cadet. Paris Mont-
Diailizc^bv Google
(1752-1153) — 512 —
martel apporta sa bourse, offrit sa caisse à l'ar-
ebevêque de Paris, en cas qu'il fut saisi et frappé
dans son temporel.
L'Autriche, parfaitement au courant de la si-
tuation, au moment décisif du triomphe d'Adé-
laïde (sept. 1752, Fontainebleau), crut que nous
rerenions aux alliances catholiques. Pour nous
brouiller à fond avec l'Angleterre et la Prusse,
elle envoya Kannilz, le magnifique ambassadeur,
attentif à se faire Français.
Un mois après Kaunitz, arrÎTa notre Infante
de Parme, tout aussi Autrichienne, possédée
du grand rêve de faire sa G\\e impératrice. Elle
fut Irès-habile, enveloppa Adélaïde. Elle pleura
dans ses bras {Luynes, XI, 161), ne voulut lo-
ger qu'avec elle et chez elle (où était la vraie
royauté).
Tel est Fontainebleau dans ce mémorable mo-
ment. La représentation du deoin du village,
le succès de Rousseau, applaudi de la cour, en
est la forte date. Un philosophe avait contre les
philosophes levé le drapeau rétrograde (le Dis-
cours ctmtre les sciences), frappé sur son parti.
En cette même année 1752, Frédéric fait brûler
un livre de Voltaire ! Quelle joie pour les dévols I
Montesquieu et Buffon plient devant la Sor-
bonne. Diderot, enfermé à Vincennes (1749), ne
commence l'Encyclopédie qu'en prenant pour
Douze. bvGoogle
— 515 — (1753-1163)
patron un ministre jésuite (1751), ne la sauve
du coup de mars 1752 qu'en acceptant des cen-
seurs prêtres. II la continuera à travers les sai-
sies, les défections {celle de d'Alembert, et les
mortels coups de Rousseau 1757).
L'opposition a bien peu d'unité. I^e Parle-
ment n'eâl pas moins divisé que le parti philo-
sophique. Avec son vieux fonds janséniste et sa
jeune minorité politique, révolutionnaire, il mar-
che de travers, il boite ridiculement. Tout en
attaquant l'archevêque, il attaque l'Eucyclopé-
die; il s'afliaiblit ainsi, et lue sa popularité.
Les jésuites et leurs hommes, les meneurs
du Dauphin (la Yauguyon) , leur machine Ar-
geuson cadet, croyaient pouvoir oser. Leur or-
gane indiscret, violent, madame Adélaïde, put
dire : « Nous voulons... Nous ferons. » Elle lança
le Roi , bride abattue , dans te plan du paru :
a Exaspérer le Parlement, amener une crise où
ce corps se ferait broyer. Chasser Machaull,
sauver les biens d'alise. »
Un coup sec fut frappé (déc. 1752). Paris
était ému, indigné contre l'archevêque qui re-
fusait les sacrements à une pauvre vieille reli-
gieuse. Que fait-on? On enlève du grabat la
mourante; on la livre aux haines du parti
opposé. Paris est furieux. Le Parlement saisit
l'archevêque dans son temporel, veut l'arrêter,
:.bvGoogIc —
(1752-1753) ~ 514 —
ne peul; car il est pair , et les pairs ne veu-
lent siéger. On remonte plus haut. On examine
le droit royal d'arrestation, les Lettres de ca-
diet? Discussion violente qui ne finira plus qu'à
la prise dd la Bastille.
Attaque au Roî. Un conseiller obscur, plus
hardi, attaque l'homme même, la question brû-
lante des blés et des spéculateur^ en blé. La
majorité janséniste veut Farrèter. En vain. Il
montre qu'à côté des greniers d'abondance l^aus,
oifîciels, on cache des magasins secrets, quatr^
vingts repaires d'affameurs. {Barbifir, V, 314.)
Le Roi aigri refuse d'écouter de lelles re-
montrances. Le Parlement refuse de siéger, de
juger (7 avril, 1755).
Ce corps se sentait nécessaire. La guerre ver
nait. Pas un moment à perdre pour les nouveaux
impôts, lieux, intérêts immenses étaient en jeu :
En Amérique, la longue voie des fleuves qui
vont du Canada à la Louisiane. Aux Indes, un
vaste empire que Dupleix nous fondait, et dont
le grand Mogol eût été tributaire. Mais il fallait
araier;donc, avoir de l'argent ; donc, ménager
le Parlement. Cela fut agité la nuit du 8-9 mai.
Qui trancha? On ne sajl. Mais le Roi immola
deux mondes. -
Quand le Dauphin l'apprK, il embrassa son
père. (Ârg., IV, 136.)
Douze. bvGoogle
— 315 — (1751-1153}
Le 9 mai, à . quatre heures, on enlève tout le
Parlement.
Ed juin, on dit Madame enceinte. (Àrg., ÏSy
Ces choses ne se prouvent janiais. Ce qui est
plus certain, c'est la mine àa. Parlement.
Ce n'esl pas t'exil débonnaire du Régent qui leur
envoyait de l'argent pour faire bonne chère. C'est
une cruelle dispersion. Quatre dans tes cachots.
Tous jetés dans je ne sais combien de villes. Un
exil combiné, non contre le corps seul, mais
pour appauvrir, ruiner, affamer les individus.
Le Parlement fut vraiment admirable. La
Grand^Chambre que seule on avait épai^née, eut
honte et se fit exiler. De là rigueur nouvelle.
Tous sont cruellement exilés de l'exil. Il faut
ea plein hiver (avec leurs familles ruinées, tel
faisant deux cents lieues!) qu'ils aillent s'interner
à Soissons. Quel résultat? Aucun. Le pouvoir
est vaincu. Une Chambre royale qu'il substitue au
Parlement reste oisive, honnie, ridicule. Per-
sonne ne veut y plaider. .
* Hème dans les journnui que l'on écrit pour soi, on pense ï la
cage de ter où l'auteur d'un distique sur madame de Mainteaon finit
les jours, celte cage où Desrorges vient (ont récemment d'SIre mis.
D'Argenstin prudemment ajoute : < Les inédieants le disent. > Mais
dit aam : t Le matin, elle a mal au œur. ■ On accuse, dii-il, le car-
dinal Seubise. D'autres en nomment tin autre encore moins k nom-
mer, i {Arg., lY, i«.)
:.bv Google
(l15!-nB5) _ 316 —
Et cependant la crise arrive. Le mob de
Londres Imrle la Cguerre. La Compagnie an-
glaise de l'Ohio, sur les fleuves intérieurs de
l'Amérique que nous croyons à nous, établit son
commerce et ses postes armés. L'assassinat d'un
Français, Jumonville, envoyé en parlementaire,
va commencer bientôt la grande lutte des deux
nations.
:.bv Google
CHAPITRE XK.
Suite d'Adélaïde. — Fourberie dn Eoi. — Déception du Parlenienl.
1753-1755.
La fatale embrassade du Dauphin avait eu
son fruit. Le Roi se voyait en décembre 1755
comme perdu, ne sachant plus que faire, au
fond d'un cul-de-sac, sans moyen d'en sortir.
Gomment rappeler le Parlement? comment te
calmer, l'apaiser? Mais comment s'en passer,
frapper l'impôt nouveau sans enregistrement?
Paris était terrible cet hiver. La fermeture de
tous les tribunaux, le chômage du monde énorme
du Palais, avocats, procureurs, greffiers, no-
taires «t gens d'affaires, écrivains de toute
sorte, affamait une classe nombreuse» et indi-
rectement toutes les classes qui s'y rattachaient.
Grande était ta fermentation, et bien j>lus gé-
:.bv Google
117&&-175S) — 318 —
nérale qu'en 1750, quand on avait crié : « Al-
lons brûler Versailles. » Ce monde de par-
leurs traînait dans les cafés, ne se gênait pas,
pérorait. La police, devant une telle tempête,
avait peur.
C'est à ce moment que Rousseau, sur le
sujet donné par l'Académie de Dijon, écrivait
le Discours sur l'inégalité, oîi niant le progrès,
pour idéal il pose la barbarie, l'état sauvage.
Sinistre paradoxe, directement hostile aux amis
de Rousseau, aux Encyclopédistes, et aux Éco-
nomistes, à tous ceux qui voulaient éclairer et
améliorer.
Cette situation alarmante rendait force à Ma-
chaull et à la Pompadour, au prince de Conti,
aux modérés. Elle condamnait les fanatiques.,
le Dauphin et Madame, leur ministre Ât^nsno
cadet. Le Roi le sentait bien. Il lança aii Con-
seil un mot qui put faire croire qu'il changeait
de parti, un mot prudent, craintif, pour ménager
les prolestants (Peyrat, I, 419). Le cœur du
Dauphin dut saigner.
Une chose inquiétait non moins direct^i^t,
une chose fiirtive, qui pouvait chaîner tout.
Aux combles de Versailles le Roi eachait et
nourrissait, comme un animal favori, non ébat
ni chien, mais une fille. Joli tour de la Pom-
padour , au moment où Madame l'outra et la
:.bv Google
— 519 — (4193-1755)
poussa à bout. La chose avait été menée adroi-
tement, et d'abord chez U Reine. La Reine s'a-
musait à faire peindre chez elle Boucher pour
une Sainte famille. Boucher qui méprisait son art,
allait droit au succès par les plus bas moyens,
les effets sensuels. Il menait avec lui deux
petits anges gras, qui lui fournissaient les chairs
roses, lourdes, de ses tableaux. C'étaient les
deux Miïrphy, potelées Irlandaises, dont l'une
publiquement posait à l'Académie de peinture.
Leurs plus secrets appas sont étalés partout,
avec des postures hasardées, dans ses fades
et faibles tableaux. Aucune gentillesse. Sols bé-
bés, sans regard; moins berçèfes que moutons,
d'imperceptible bouche qui ne semble guère que
bêler. En cela même on calculait très-bien. Le
Roi, las de l'esprit, n'aurait jamais pris une
dame. II lui fallait des sottes, des muettes, de
petits bestiaux. Celle qui posait chez la Reine
lui alla fort; il la vit et revit, loi^na, sans que
la Reine y voulût prendre garde, remettant tout
à Dieu, et peut-être pensant (pour le salut du
Roi) que c'était un moindre péché.
Autre mystère. Le Roi plusieurs fois par
semaine, en ses plus secrets cabinets, rece-
vait le prince de Conti. Que disait-il? On ne
le savait trop. Esprit libre et hardi, inquiet,
ambitieux, visant au trône de Pologne, il était
Douze, bv Google
(«53-1Ï65) — 520 —
anti-Autrichien, anti-^xoD, voulant remplacer le
Saxon, le père de la Dauphine, donc étant en-
nemi personnel du Dauphin. On le croyait athée,
parce qu'il aurait voulu donner sas. Protestants
l'existence civile, le droit de naître et de mourir.
Gela ne plaisait guère au Roi. Pas davantage les
deux choses que lui prêchait aussi Conti, l'al-
liance avec Frédéric, l'accord avec le Parlement.
Au fond, il agit peu. Mais il amusait fort le Roi
par certaine police secrète qui lui livrait les
anecdotes, les scandales des cours étrangères.
Conti avait pour lui la nécessité évidente.
On ne pouvait rester désarmé devant l'Angle-
terre, si horriblement forte (cent vaisseaux, cent
frégates!) Il fallait de Pargenl, donc ramener
le Parlement, le flatter, le leurrer. Comment?
en chassant les ministres du coup d'État, re-
venant à Machault, et prenant au clergé plutôt
que d'écraser le peuple. Cela était logique, hu-
main et naturel. La cabale dévote ne put barrer
ce .coup que par un autre coup, impie, contre
nature.
Elle sauta le saut périlleux. Dans ce cabinet
même où le Roi avait ses secrets, au fond de
son appartement, elle mit un témoin, un gar-
dien, qui en répondit.
Aux fêtes de Noël , avant le :nouvel an,
M"" Adélaïde décida qu'elle occuperait le petit
Douze. bvGoogle
— 321 — (1753-1155)
logis chez le Roi qu'on préparait depuis deux
ans. Elle s*y établit le 27 décembre 1753. (De
ÏMifties.)
S'il s'était peu pressé, ce semble, de l'y mettre,
c'est qu'en réalité il sentait qu'il aurait un maître
et qu'il ne serait plus chez lui, au seul lieu sûr
qu'il eût. Là étaient les mystères d'État et ceux
de la famille. Là la fameuse garde-robe où jadis
il s'enferma, pleura {1720 et 1726). Dernière,
unique Kberlé, dans la servitude des rois, refuge
d'enfance et de faiblesse. Aujourd'hui il perdait
cela. H se trouvait en face d'une ardente per-
sonne, armée de ses vingt ans, de volonté ter-
rible , qui le ferait vouloir , se ferait obéir.
Il savait bien en être (plus qu'aimé) adoré. Mais
avec tout cela il sentait le Dauphin derrière.
Elle, naïve et courageuse, n'en faisait pas mys-
tère. Tous les jours, vers le soir, elle allait
chez son frère {ÏJitynes, XI, 5), recevait le mot
d'ordre.
Le Roi le voyait bien. Il voyait d'autre
part combien elle se sacrifiait en prenant, pour
vivre avec lui, ce logis maussade', ennuyeux,
' Si on ne va pas 1 Versailles, on peut Aonsuiler les plans de
Blondel et les eicellenU catalogues de H. Soulié, l'homme ï coup sur
du inonda qui connaît le mîeui ca palais, en toaa ses âges, en sa vie
lustorique, anecdotique, etc. Je n'aurais jamais pu bien comprendre
les localités sans les lumineuses explications de M. Soulié. Il serait
bien k désirer qu'il publiât l'inestimable collection qu'il a préparée
ITt. 31
DolizccbvGoOglc
(1Î53-1755) _ 322 —
qui lui faisait perdre tous les agréments de
son rang. Ix^is inconvenant et indigne d'une
aînée de France, qui ne permettait nullement
l'éclat et les honneurs qu'avait eus Henriette.
Ni lever, ni coucher, aucune ' exhibition royale.
Madame, si hautaine, n'avait pourtant nul or-
gueil d'étalage. Elle avait une passion, et en
vivait. Elle ne sortait point, et n'eût voulu voir
que le Roi. Elle ne mangeait point le jour, pour
ainsi dire, se réservant pour un fort souper de
minuit, selon les goûts du Roi, en viandes épi-
céas et vins forts. Il se sentait si bien désiré
et voulu qu'il n'eût osé passer un seul jour
sans la voir. Toutes ses froides fantaisies pour
des enfants sans âme, ne l'éloignèreitt jamais
entièrement, au contraire le ramenaient là. L'hu-
meur altière, colère, n'y faisait rien. Même
aux temps oii il loge à part, où il ne soupe plus
chez elle , i! y déjeune tout au moins, il y ap-
porte son café {Gampan.)
des plans de Versailles depuis le seizième siècle. -> Bloadel , eit
1755, étant en présence des dmses et des personnes, est ettrftneniMiI
prndeot : l'il fait eemblant de croire que ce sont deux appartencnls.
Visiblement, il n'y en a qu'uD. KuUe séparation. 2* Blondel ne
nous dit pas ce qu'était la pièce ]. C'était le cabinet de Hadame {Sou-
lié), qui donne immédiatement dans le carnet secret du Roi. — Elle
aiait extérieurement à cette chambre trois pièces où ee tenaient se*
gens et où elle recevait aui repos sm smurs qui demeBraiait ailleurs.
Tout ce monde profane entrait par une petite porte et un escalier de
derrière, sans passer cbes le Roi, sans voir le saint des saints, I»
réduit des deui cabinets.
:.bv Google
— 325 — (1753-1755)
Quelques rapports qu'ils eussent avant ce ^
décembre 1755, ce n'était rien auprès. Leur
vie fut une, depuis lors, et tout à fait mêlée
par la force des choses et par le local même.
Dans ce Versailles, immense, l'appartement royal
est Tort peu étendu. 11 fut dès lors, on peut dire,
occupé dans la partie intime et solitaire. Du
côté de Madame et du côté du Roi, des pièces
intermédiaires tenaient les gens éloignés, à dis-
tance. Rien entre eux qui les séparât, nul valet,
nul œil curieux. Elle pouvait lui venir à toute
heure, selon les besoins du parti.
D'autre part, lui aussi, en trois pas il était
chez elle. Les lieux subsistent, et on le voit.
Tout droit, de la chambre à coucher (par le
'salon de la pendule et deux pièces), il arri-
vait à elle, au petit cabinet et à la chambre, à
la petite garde-robe , aux bains étouffés , bas ,
à l'oratoire obscur. Tout cela aussi seul que
si l'on eût été à mille lieues de Versailles et
dans l'île de Robinson. Les tête-â-tête de huit
heures que jadis avait eus Bachelier près du Roi,
elle put les avoir en ce petit désert, tout fait pour
son âme sauvage. La solitude a sa puissance, son
démon. Il eut beau avoir mille échappées; ce
démon toujours le reprit.
Puissance tyrannique, surtout aux deux pre-
mières années. Le Roi forcé par le besoin de
Douze, bv Google
(1753-1755) — 324 —
ramener le Parlement, de flaller, de menlîr, n'en
est pas moins de cœur si fort pour le Clergé
qu'on obtiendra de lui la plus haute impru-
dence : MaehauU perd les Finances {4 août
1754) et passe à la Marine. Les Finances sont
données à un ami de d'Ârgenson cadet, c'est-à-
dire au Clergé, qui dès lors ne craindra plus
rien pour ses biens.
Contradiction hardie. Hais le Parlement est
crédule. Le Roi l'amuse avec des mots. Il le
charme en lui enjoignant de faire observer le
silence qu'il impose au Clergé , d'empêcher
qu'on ne persécute les mourants, qu'on ne
leur refuse les sacrements, la sépulture.
Les prélats qui ont le secret, font mine de
se plaindre, mais filent le temps tout douce-'
ment. L'archevêque est têtu, seul ne compose
pas. Il rompt le silence ordonné, fait refuser
les sacrements. Le Parlement, très-fort, armé
des paroles du Roi , agit sérieusement. II veut
arrêter l'archevêque.
Grande frayeur à l'archevêché. {Barb., 84.) Le
deuil et la désolation sont encore plus grandes à
Versailles. La bonne reine en pleure tout le jour.
La peur qu'on avait pour le Roi en 1 750, on l'a
pour l'archevêque. « Le peuple de Paris n'y
va pas de main morte. » On croyait voir déjà
le martyr mis en pièces.
Douze, bv Google
— 525 ~ (1753-1755)
Mais d'autre part, comment oser se démas-
quer, prendre le parti du prélat, tant que le
Parlement n'enregistre pas les impôts? La fa-
mille royale fit l'effort de bien jouer son petit
rôle quand l'archevêque vint à Versailles. Tous,
et le Dauphin même, M"" Adélaïde, appuyèrent
d'une mine sévère la leçon que le Roi lui fil.
Cela calma et trompa le public.
Cependant une Esther avait fléchi Âssuérus.
Il couvre l'archevêque, le sauve par le plus
doux exil, l'envoyant chez lui à Conflans, aux
portes de Paris. Le procès est escamoté, le
Parlement trompé. Le Roi lui écrit : « J'ai
puni. » (5 déc. 1754.)
Le peuple fut leurré par la scène publique et
solennelle des sacrements. portés, contre l'ordre
de l'archevêque, .à la place Maubert chez une
janséniste mourante. C'était une pauvre lingère,
fille d'un chaudronnier. Mais le bon cœur du
peuple était pour elle. Grande fut l'afÛuence de
ce peuple trompé qui vit dans cette humble
personne triompher la Loi même, la liberté de
conscience.
Cela se fit le 5 décembre 1754. Le 6, le
Parlement enregistra une création de renies,
qui valait au Roi cent millions.
Le prélat cepraidant fort commodément, de
Conflans, soufflait le feu, animait ses curés.
:.bv Google
(«55-1155) — 526 —
Le Roi donna au Parlement la joie de le savoir
(dus loin, très-loin, à six lieues (à Lagnyl).
"La 'majorité janséniste du Parlement, ces an-
tiques perruques qui ne rêvaient rien que la
Bullè, furent ivres de cette victoire. Le mo-
ment leur parut venu d'exterràiner le monstre,
de couper la tète de l'iiydre. Ils tirèrent du
fourreau la grande épée: arrêt qui déclare la
BuUe ABUSIVE.
La Bulle est morte. On tr^igne de joie. Le
Boi s'en plaint tout doucement, car « la Bulle
est loi du royaume. » Il accorde et désire qu'on
n'en parle jamais. Mais nul reproche au Par-
lement. Loin de là, il l'accueille « avec une
bonté singulière. »
L'archevêque en riait. Il disait aux cur^ : « Ras-
surezr-vous, j'ai parole dii Roi. » {Sarh., VI,
147.) L'Assemblée dii Glei^é, qui se tenait alors
et qui semblait gémir « de la persécution, »
riait aussi sous cape. Le Boi, envers ses
«hefe, avait engagement de laisser là tous les
plans ' de Hachault. Les évêques, en cinq ans,
étaient arrivés à leur but. La force était jouée.
Ils se relâchèrent aisément de leur petite guerre
des sacrements qui n'avait été qu'un moyen.
On commençait à deviner {Ba/fh,, 84) que
le Roi s'était joué du Parlement. Mais qu'eût
fait celui-ci? Pouvait-il s'arrêter, n'enr^strer
Douze. bvGoogle
— 527 — i*ws-ns5)
aucun impôt, qilbnd la guerre élait engagée^
dans celle année terrible, où, sans déctaraticn, les
Anglais nous enlèvent trois cents vaisseaux mar-
dtaodsl Les. taxes de la guerre, continuées jus-
qu'en décembre 1755, expiraient. La pairie res-
tait sans défense. Le Parlement enregistra pure-
ment y muplement, la continuatien des taxes
pour six ans. On ImI Jtùen étt^né de sa facilité.
Ses partisans* en masse, le quittèrent, luj tour-
nèrent le dos. Il aurait agi pour la France, et
lui-même il s'était perdu (8 sept«nbre 1755).
Gependa'nt l'ennemi, pour le peuple ulcéré,
•c'était bien inoins l'Anglais que le Roi et la
cour. lia haine était montée à un point incroya-
ble. Elle apparut av^gle dansi une affaire si-
nistre. Une dafne LesccHubat, fort jolie, avait
fait tu^ son mari pajc sou amant. Elle était
<»nd3mnée et eût été 6xécu(éie,.si elle n'avait été
enceinte. Le bruit codrut que H'"' Adélaïde était
enceinte aussi (Voy. pius kw), s'intéressait à elle
«t voulait la sauver. Elle avait recueilli ei éle-
vait une enfant de la Lescombat- Celle-ci par
deux fois se dit grosse pour gagner du temps ,
et se faire oublier. Le public se souvint, s'in-
digna, supposa qu'on voulait tromper la justice.
Une fois la potence fut placée, puis déplacée.
La cour flottait sans doute. Mais la fureur du
peuple remontait vers Adélaïde. Le Roi s'en
b,GoogIc —
(1753 1755) — 528 —
alarma, voulut l'exécution. Un monde énorme
s'y porta, à la Grève et aux quais, aux tours
même de Notre-Dame. Quand on la vit enfin
monter à !a potence, on applaudit cruellement
(5 juillet 1755),
De cette grossesse (fausse ou vraie) d'Adé-
laïde, est venue la légende de la naissance mys-
térieuse de M. de Narbonne (août 1755), dont
on a tant parlé ^ Ce brillant fat en tirait grand
parti auprès des femmes et dans le monde.
L'histoire paraissait vraisemblable à ceux qui
remarquaient la faiblesse , les ménagements
qu'on montra pour nue dame d'Adâaïde, médi-
sante, méchante, impudente, la d'Estrades.
Elle exerçait une sorte de terreur chez Ma-
dame, réglant tout, disposant de tout. Madame
n'avait plus rien à elle, manquait de tout,
n'avait bas ni souliers. (Arg., IV, 231.)
La Pompadour brûlait de se condlier la fa-
mille. Elle eût voulu donner ses biens et sa fille,
la petite d'Étiolés, à un parent des de Luynes,
les amis de la reine. L'enfant mourut. La Pompa-
■ Tradition très-fbrte ï Terssilles. H. de Viiler;, bibliothécaire du
château, m'a raconté qu'il la Irouia la même chez les dames qui se
retirèrent dans cette TÏlle au retour de l'émigration. Ces dames, telles
que M" de Balbi , étaient du parti de Hesdames et du comte de Pro*
Tence, non du parti de Harie-Antoinette. SUcs aimaient et respectaient
Uesdames, mais n'en contaient pas moins la chose, comme toute natu-
relle et ordinaire dans les famillea royales.
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— 52» — (1785-llM)
dour trouva une autre voie de plaire en rendant à
Madanie un signalé service. Elle lui demanda si
celte d'Estrades ne la gênait pas. ha princesse
n'osait répondre, hésitait ; pressée, elle hasarda de
dire ; « Qu'elle l'ennuyait assez. » (Arg. IV, 228v
1 aoûl.) Avec ce mot, la Pompadour exige du
Roi qu'il la renvoie. Mais avec quelle timidité
il le fait! Il donne à la gueuse une grosse
pension I Nul exil. Elle va demeurer à Chaîl-
lot. Là, elle a une cour. D'Ai^enson le mi-
nistre, qui était son amanl, le jour même
de la disgrâce, reste quatre heures chez elle,
la Voit de plus en plus. Us sont si redoutes
que pour leur clore la bouche, le Roi comble
et accable Argenson de places el d'honnenrs.
Le vieux Noailles, très-vieux, écrit alors au
Roi: J'ai vu 1709, l'année de mort et de fa-
mine, de guerre universelle où tout nous acca-
bla. Nous n'étions pas aussi bas qu'aujourd'hui.
(Mémoires de NoaiUes.)
Mais le Roi est très-gai. Quitte de sa longue
comédie, il peut donner carrière à sa haine
pour le Parlement. Le lendemain du jour où
l'enregistrement parlementaire lui assure les
fonds pour six ans, tout masque est jeté bas. Il
déclare que son Grand Conseil, sa justicede cour,
est le tribunal supérieur, où l'on peut appeler
du Parlement, dès loi's subordonné. Ce Grand
:.bv Google ___
(IÎ55-17B6) _ 550 —
Conseil, ici à Paris, s'établit au Louvre. Encore
UB au, et les Parlementaires seront décimés,
ruinés.
D les sentait par terre et abandonnés du pu-
blic. Il pouvait leur donner du pied. Dans sa
gaieté étrange, il renouvela une scène de l'en-
Ëtnce de Louis XIV. Le Parlement dressait de
grandes remontrances, et demandait le jour où
il pourrait les présenter (Ï9 oct. 1755). Il s'a-
gissait pour lui de tout son avenir. Le Boi fit
comme 'Anne d'Autriche quand ce grand corps,
en robes rouges, vint à elle, et qu'aux portes
on l'arrêta, disant : « Sa Majesté prend méde-
cine. » — Louis XV leur dit en riant : « J'ai
pris certaines eaux, je suis assez embarrassé.
Vous aurez mes ordres plus tard. » {Barb.,
VI, 209.)
:.bv Google
CHAPITRE XX.
Guerre de Sept uis. 1756.
Le roi ne riait guère. Il rit le 10 octobre. Il rit
Ïel7 décembre.
Ses petites af^ires allaient bien. 11 espérait
bientôt briser le Parlement. Il Toyait aboutir son
affaire de famille, son Infante enfin reine (l'Au-
triche offrait les Pays-Bas). Son commerce de blés
n'allait pas mal. Enfin, le 25 novembre, on lui
créa le Parc aux cerfs.
Du grand désastre qui eut lieu le l", qui
écrasa Lisbonne, abima tant de villes en Espagne,
en Afrique, fit trembler jusqu'au Groenland, on
ne sentit rien à Versailles. On s'en soucia peu.
L'attention était tout entière au débat intérieur,
à l'intrigue autricbienne. La Pompadourqui s'é-
:.bv Google
(1766) — 33S —
tail vue en août au plus bas, en septembre (par
la grâce de Harie-Thérèse) fut mervoilleusement
relevée; au plus haut eu janvier. Jusque-là elle
n'était qu'une favorite (Duditë), qui par moment
dominait les ministres. Depuis elle est reine de
France.
Comment Vienne peut-elle réussir à ce point?
En corrompant le Roi et la famille par le vain
leurre des Pays-Bas , en gagnant pied à pied
Versailles par la persévérante intrigue de la ca-
bale Lorraine. Pour entraîner la France, Vienne
se fît française, flatta et imita Paris.
Celle œuvre difficile fut celle d'un grand
homme de ruse, Kaunilz, un Slave sous le masque
allemand. Nous l'avons vu yeair ici (septembre
1752), avecnolre Infante de Parme. Il observa de
près pendant deux ans, et revenu ensuite près
de Marie-Thérèse procéda à ce que tout autre
aurait cru impossible : faire de son Autrichienne,
épaisse, orgueilleuse et colère, l'aimable amie
de Louis XV, la convertir à l'esprit de Versailles,
lui faire accepter les idées, les modes et les arts
de la France, capter les gens de lettres, faire
jouer au dévot Schœnbrunn les pièces de Voltaire
par ses GUes les archiduchesses.
Kaunitz, avait vu, très-bien TU. la France, la
royauté nouvelle : l'opinion. Deux choses lui
avaient apparu : la caducité de Versailles et l'avé-
:.bv Google
— 335 - (1156)
Dément de Paris. Paris alors éclate pour le monde
et rayonne. La vie de cour obscure, furlive, est
en parfait contrasie avec les salons lumineux sur
lesquels l'Europe a les yeux. Dans ta honteuse
éclipse de l'autorité souveraine, on admire d'au-
tant plus la souveraineté de l'esprit.
On imita nos vices,je le sais, autant que nos arts.
Pétersbourç, Vienne, prirent d'ici un vernis et le
plus extérieur. On nous dépassa dans la forme,
en n'atteignant guère le dedans. Kaunitz, notre
ingénieux singe, pédanlesque souvent dans son
imitation, obtint pourtant ce qu'il voulait. 11 mit
Harie-Thérèse dans la voie des idées, des ré-
formes , des lois , qui la rapprochaient de la
France, de plus la firent maîtresse de l'Autriche
elle-même.
Sa haine de la Pmsse et sa rage pour la Silésie,
sa soif d'argent pour la guerre imminente, rendi-
rent la dévote docileàson ministre voltairien. Elle
devint révolutionnaire dans la question des biens
d'Église. Ces biens quasi héréditaires dans les
grandes familles, elle voulait au moins les grever,
les sucer.
Elle observait et convoitait nn beau repas, le
bien des deux millecouvents de l'Autriche. Elle fit
un barrage et coupa le canal par où l'argent allait
à Rome. Fort ignorante, elle savait du moins s'ai-
der de gens capables. Trois étrangers, un méde-
:.bv Google —
(1756) — 354 —
cin hollandais, un législe souabe, un juif, firent
la révolution. {Alfred Michids.) Elle brisa les ty-
rannies d'Église, n'en voulant d'autre que la
sienne.
Contraste singulier. La dévoteautrichienne lou-
chait aux biens d'Église, et notre Louis XY, dans
ses scandales impies de famille, était timoré au
seul point qui touchait le salut de la France.
Son imbécillité faisait l'amusement des. Aillais.
Chaque année, hardiment, ils frappaiwt ce râ
Dagobert, puis s'excusaient, riaient. Il se plai-
gnait, criait tout doucement, se laissait pousser,
reculait.
Pour toute explication, l'Anglais' alloue la rai-'
son sii^lière que sa main gauche (le roi) ne sait
pas ce que fait sa droite (le ministère). Georges,
en bon Allemand, travaille dans l'Empire pour la
maison d'Autriche, pendant que ses ministres
traitent avec la Prusse contre les Autrichiens.
De tout temps Louis XV avait été bon Autri-
chien, pour les intérêts de l'Infante. Mais la
guerre l'effrayait. Voyons ce que disait ce sei"pent
de Kaunitz pour l'y précipiter. J'y joindrai les ré-
ponses trop aisées qu'on ^t dû lui faire.
« Vous manquez de marine, disait-il. Ëh bien,
votre armée réunie aux armées de l'Autriche, me-
naçant le Hanovre, contiendra le roi d'Angleterre
(OiM, le roi, rtiais mm l'Angleterre).
^cb, Google
— Ki5 — (ilM)
« Vous punissez l'oi^eil, les risées de la
Prusse. » ((kd, et dès hrs t'Avtrù^ seule aura
V Allemagne. )
EnGn voici la pomme que montrait le serpent :
« Vous vouliez pour l'Infante nous enlever Milan.
Eh! bien, vous aurez davantage, un royaume!
les Pays-Bas. »
La Pompadour, l'Infante, étroitement unies,
prêchaient Louis XV en ce sens. Bemis que la pre-
mière avait pour confident, qu'elle envoya en Ita-
lie, donna pour amant à l'Infante , était Tinter-
médiaire, le pivot de toute l'intrigue. Le frivole
personnage, abbé galant, chansonnier agréable,
les deux femmes crédules, avalaient cet appât
ridicule de l'Autriche, ce leurre des Pays-Bas,
qu'elle offrait pour le retirer.
Dans ses coquetteries avec l'impératrice, la
Pompadour rencontrait un obstacle, non à Ver-
sailles, mais à Vienne. Le mari de l'impératrice,
tenu hors des affaires, n'en trouvait pas moins dé-
plorable que sa pieuse Harié-Th^èse, vénérable
déjà et mère de seize enfants, la glorieuse Marie-
Thérèse passée à l'état de légende, fît amitié avec
une telle femme, la fille d'un pendu, la Poisson.
La Pompadour tenta de remonter par la dévotion.
On fut bien étonné de la voir tout à coup en sep-
tembi'e parler de la grâce efficace, de son désir de
s'amender. Elle se ressouvint de son mari, lui
t,CoogIc
(17581 — 536 —
demanda s'il -voulait la reprendre. EUe fit des
avances aux jésuites, au confesseur du Roi, le
P. Sacy. Grand embarras pour celui-ci qui, en la
recevant, se fût fait du Dauphin un mortel en-
nemi. En attendant, pour mieux afficher sa con-
version, elle se fît faire une tribune au grand cou-
vent de pénitence des dévots à la mode, aux
Capucins de la place Vendôme.
Gela faisait hausser les épaules à Versailles, non
à Vienne. Elle parut assez lavée pour que l'impé-
ratrice l'acceptât comme intermédiaire. C'est elle
qui reçut les propositions de l'Autriche (22 sep-
tembre 1755). Pour cette conférence on prit un
Heu fort digne. Sous Bellevue était un de ces
pavillons d'aparté , de sans gêne qu'aimait le
Roi. Il l'appelait Taudis et la Pompadour Bo-
biole. Trois personnes siégèrent en cet auguste
lieu, pour l'Autriche Starenbei^, pour la France
la Pompadour, pour l'Infante son mant Remis.
(Hamset, 62.) L'Autrichien à l'Infante ocrait
les Pays-Bas, se faisait fort de faire le père de
la Dauphine roi héréditaire de Pologne. Enfin
on montrait davantage , tout l'empire autri-
chien , le trône impérial, le petit Joseph II
épousant Isabelle, la fîlle de l'Infante. La gentille
Espagnole menant ces Allemands soumettrait aux
■Rourbons la moitié de l'Europe. Quel rêve éblouis-
sant pour Louis XV I Par sa fille, par sa petite
Douze. bvGoogle
— 5S7 — illM)
fille, pai- le père de ^abru, de l'Escaut jusqu'à
la Vislule, il sera protecleur des rois I
Quelque léger que fût Bernis, entraîné par ses
deux patronnes, il garda un peu de bon sens. Sous
ces offres énormes du menteur autrichien, il vit
un piège, un trou, un abîme, comme un puits
de sang. La peur le prit. Trancher tout à huis
clos, à l'insu du Dauphin, par cette Pompadour
et lui chétif (Bemis), c'eût été monstrueux. 11
obtint que la chose fût connue des ministres, exa-
minée. Là, comme on pouvait croire, grande
discussion. Hachault fort sensément voulait que
Ton s'en tînt à la guerre maritime. C'était assez,
et ti'op, sans se précipiter dans une guerre eu-
ropéenne pour être agréable à l'Autriche.
Bernis n'osait pas être de l'avis de Itfachauh.
Lui qui avait tout fait pour nous amener là , il
n'osait avouer qu'il avait agi comme un sot.
Mais il aurait voulu que le pas en arrière, que
le recul eût lieu par la Pompadour même.
Il lui montrait le saut qu'elle allait faire.
Elle, usée, maladive, elle allait de sa faible
main prendre ce gouvernail énorme de l'Eu-
rope, dure barre de fer sanglante!... En quel
moment, grand Dieu! avec une nalion irritée,
qui déjà parlait haut. L'embarras, le danger,
malgré elle, la ferout tyran. Déjà elle a été for-
cée de s'assurer de la Bastille. Sinistre augure!
^cbvGooglc
(«M) _ 538 —
Bientôt, il lui Faudra peupler les cachots, les
prisons d'État. Elle, née douce, s^a entraînée à
trembler, à sévir, à devenir cruelle I
Elle n'était pas brave, nesoitait que trop tout
cela. Elle serait restée à traîner, hésiter. Mais à la
peur on opposa la peur. On lui fil croire que le
Roi allait avoir une maîtresse, une grande damç.
Cela la mil hors d'elle. Elle était prise à la glu du
pouvoir, en avait tant besoin! Elle disait : « Plu-
tôt je mè tuerai 1 » On a vu sa bassesse ina"oyable
devant la famille, ses tentatives honteuses près du
Roi (pour servir n'importe cbmment). Il n'y eut
jamais âme plus plate. Que devibt-elle donc, dans
cette anxiété, lorsque lé ciel s^ùnVrït, et que d'en
haut Marie-Thérèse la souleva par Une lettre (dé-
cisive vraiment pour le Roi), l'appelant : « Chère
amie, cousine. » C'était trop, la voilà pâmée, qui
ne se connaît plus.
Marie-Thérèse était déshonorée. Elle crut s'ex-
cuser en disant : « J'écris bien à Farinellï. »
(le célèbre ténor.) Mais le chanteur, fort estimé,
qui gouvernait la cour d'Espagne, n'était nulle-
ment ce que celte Poisson est près de Louis XV,
entremelleuse et racoleuse, pourvoyeuse de pe-
tites filles. Kœnitz avait obtenu la lettre, de
sa grosse maîtresse, à l'insu du pauvre em-
pereur. Ce mari dont l'énorme dame malgré
l'âge eut toujours chaque année un enfant,
:.bv Google
— 559 — («sa)
quelque réduit qu'il fût au métier de mari, éloi-
gné des affaires , eut . cependant horreur de la
boue où elle roulait. Quand il connut la lettre, il
fotpris d'un.aceès de rire convulsif et strident.
Il Irisa plusieurs chaises. Il la voyait sifflée,
huée partout, piloriée dans Londres. Elle y fut
promenée (en effigie) par la Cité, exhibant sous
la verge.un moœtruéux: derrière, tandis qu'à côté
louis Xy, ma^re singe, ou grenouille, pré-
sentait diapeau bas au roi Geoi^es un petit
{tlftCat. :
... Tout -ce que nos ministres obtinrent, c'est
qu'on ne romprait pas avec la Prusse, qu'on lui
enverrait ambassade. Esçai tardif et ridicule. Pour
gage d'alliance, mi lui offrait une ile.... Tabago,
aux Antilles. Frédéric en rit fort, dit qu'il ne
voulait pas de la royauté de Sancho à Fîle de
Baïataria. Il avait pris parti et signa contre
nous son traité avec l'Ai^leterre (16 janvier
1750).
Louis XV eu fut indigné. Il voulait avec Vienne
l'alliance offmsive ! Bemis pria, obtint qu'elle ne
serait que défensive, qu'on envarait seulement
^4,000 hommes. Vaipe prudence I on ne s'arrête
pas ainsi en telle al£iire. Celle-ci, immense et
monstrueuse, était un laminoir terrible, oi^, le
doigt seulement étant mis, tout passait.... le
corps n'en sortait qu'aplati.
Douze, bv Google
;n58) _ 340 —
Que! fut l'effet dans te public? Mon pauvre d'Ar-
genson aîné n'est plus dans les coulisses. II n'ap-
prend le traité qu'avec Uiul le monde (mai 1756).
On voit par lui (frère d'un ministre !) combien la
France était dans l'ignorance de son sort. Vive-
ment, naïvement, dans ces notes si brèves qu'il
écrit pour lui seul, on voit l'amère surprise, l'ef-
froi qu'on eut de tout cela. On voit aussi t'indigne
imprévoyance des gens d'eu haut, leur aflreuse
glissade en plein abîme , et leur air e^ré , leur
fausse audace de peureux qui Iremblotent en fre-
donnant. La nausée en vient à la bouche, la bile
et le vomissement.
Le bonhomme, le simple, la Bàe, Ai^enson, a
des mots crus et forts • a Cela pourrait aller à la
Révolution. » Le redoutable nom apparaît pour la
première fois.
o J'ai soupe avec les ministres... vieux libertins
malades, usés et épuisés d'esprit. » C'est d'Ài^en-
son cadet, Puisieux, etc. Mais tous ces gens-là
sont trop forts. La Pompadour, au moment de la
crise, va leur substituer des sots, des subalternes,
de plais petits commis.
Elle règne. A l'instant, subit enfoncement.
Tout baisse. C'est l'avénement désolant de la
platitude. On voit avec effroi ce qu'elle était.
Voltaire dit : la grisette. C'est trop. La vaillante
grisette de Paris, que nos voyageure ont trouvée
Douze. bvGoogle
— 34i — (1758)
si souvent dans les avenlures périlleuses, et jus-
qu'aux trônes d'Orient, est une bien autre créa-
ture. Celle-ci, avec l'éducation forcée qui l'avait
dressée comme un singe, ne passa jamais le ni-
veau d'une femme de chambre agréable, qui a
quelques petits talents, peut servir de doublure
aux théâtres de société. Servile, impertinente, des
deux côtés elle eut ce fond de domesticité. Chan-
teuse poitrinaire, et fade eni/fetenue, tout d'abord
fanée, molle, elle ne put qu'énerver, détendre,
détremper, gâter tout, rendre tout malpropre et
malsain.
C'est quand on vient de faire la déclaration de
guerre, alors seulement, dis -je, on s'aperçoit
qu'on n'a ni ministres ni généraux. « Plus
d'hommes en France I » Ce mot que Louis XV a
dit à la mort de Flenry (1743), est encore vrai
qttinze ans après. Versailles n'est plus peuplé que
d'ombres. Plus de favoris même ; les anciens ca-
marades , les seigneurs qui faisaient au moins
décoration, ont reculé dans le néant. Les maré-
chaux sont morts, moins deux, le vieux Bcllisle,
hors d'âge, et le fat Richelieu, un jeune homme de
cinquante-cinq ans (fort de deux anecdotes, son
faux exploit de Fonlenoy, el la cheminée fausse de
M'' laPopelinière). Les ministres! où sont-ils? Le
goutteux Argenson, et Hachault fort en baisse,
dureront peu. Nos finances m extremis sont aux
Douze, bv Google
(1758) — S*2 —
mains d'an pauvre incapaUe, Ne voyant riea
qu'impasses ; abîmes et précipices, il cuisulte
tout le monde. II est docile, et pràt à touti On toi
donne des petits avis, des cecettes mîsâ^ables. Les
Paris lui font jlaire uu petit changement dans la
Ferme (eai supprimant les sous-fermiers) . D'autres
lui font pressurer les commis, dire à l'einployér
« Donne ou meurs. » Puis, il fait des loterie.
Puis rêve des utopies qui-donnerai^it Targenl dans
cinquante ans. il écoute Goumay, goûte la liberté
du commerce (c'est bien de cda qu'il s^agitl). Il
pense aux protestants ; c'est lard ; les réfugiés
riches ne reviendront pas de Hollande. — Il se
souvient de Law... S'il faisait un pafiier?... — ïl
ne fait rien du tout. Pleine giiérre ! et Pépée dans
les reins! 11 veut emprunta, et la banque, de
tout pays ferme ses "éolîres. Aleffs le misérable
s'en prend au peuplé de Paris et lui ôte le pain de
la bouche , frappe un octroi cruel... — Stm cœur
saigne, il se trouble, son cerveau dans Yéiau
n'en peut plus.... son liront craque.... 11 fôt de-
■çenu fou (2 mars 1756);
a Sire, dit la Pompàdoiir, si Vous rappeliez
Chauvelin ? » Insigne Ëiussetë. L'el^)emi de l'Au-
triche rappelé pour servir l'Autriche! ESle savait
fort bien que c'était l'impossible.
Elle n'eût jamais mis RichcHeu aux années si
Ghoiseul (par conséquent Vienne) ne le lui avait
:.bv Google
-T- 345 — (11M)
conseillé, OD peut dire (adonné. Il l^i fut imposé
aussi par Duverney, que Richelieu flattait.
Il fut arrangé qtie, pendaot que TAugieterre
craignait une descente, Richelieu irait à Mimr^ie
et prendrait aux Anglais Hahon. Il fallait frapper
vite et fort. On ne pouvait que les flottes anglaises
ne vinssent bientôt nous écraser par le nombre.
Mahon était très-fort, et la Pompadour espérait
que Richelieu brillerait peu. On l'envoya sans le
génie, si nécessaire pour abréger le siège. Peut-
être lui-même il pensa que, s'il avait l'infaillible
.Yallière, le grand ingénieur, l'honneur serait à
celui-ci. Bref, une fois arrivé là, même débarrassé
du souci de la flotte anglaise que la Galissonnière
dispersa (le 20 mai), il fut arrêté court, forcé de
demander Vallière. Eu attendant, fort triste, il
essaya pourtant si l'absurde serait possible, si
nos lestes Français, vrais chats dans leur furie,
ne pourraient grimper là. Ou le tenta à l'étourdie,
avec des échelles trop courtes. Perte énorme 1
n'importe. Nos furieux,, exhaussés sur leurs
morts, et se hissant l'un Fautre, arrivent aux
remparts, et sont maîtres sur quelquespoints. Les
assiégés s'effrayent, se livrent à Richelieu, lui-
même stupéfait et plus heureux que sage.
L'effet fut grand en France. On vit le roi vain-
queur, même sur mer, la flotte anglaise en fuite.
Gela tuait la résistance. L'impôt, légal ou illégal,
Douze, bv Google
(11H) — 544 —
fut lrès-«xactement payé. Le Roi put à son aise
fouler aux pieds le Parlement.
L'insolence monta au comble après Mahon.
Dans un lit de justice, devant le Parlement, on
enregistre, avec les impôts refusés, l'a^ravation
désespéranle qu'on les payera encore dix ans
après la paix. Autrement dit toujmrs (24 août
1756). Dans une tribune faite exprès, on voyait
derrière une gaze M"* Adélaïde (avec la reine et le
dauphin), à qui le Roi avait voulu faire voir son
triomphe sur le Parlement.
Il est étrange à dire, mais vrai, que le seul dé-
fenseur de la liberté en ce monde était alors le
roi de Prusse. Il défendait au moins et les droits
de l'Empire, et le protestantisme, la liherlé de
conscience. 11 avait jeté loin de lui ses misérables
petitesses d'homme de lettres, fait réparation à
Voltaire à sa façon, en musicien (il fil Mérope
en opéra), et il lui envoya sa sœur qui le caressa,
le combla. Dans le péril immense qu'il voyait
tout autour, cet homme singulier montra la joie
des forts, une bonne humeur héroïque. Le jour
même oij Versailles était bouffi de sa victoire ri-
dicule sur le Parlement, Frédéric est en Saxe, il
y joue avec cent mille hommes une amusante
pièce, où sur le dos d'Auguste , le père de la
Dauphine, il donne aux nôtres même une volée
de coups de bâton.
DiailizccbyGoOgle
— 345 — [I7M)
Une ligue générale des femmes existait contre
lui. Avec Marie-Thérèse, Élizabelh, la Pompa-
(lour, était unie élroilement la femme du Saxon
Auguste, la mère de la Dauphine. Celte furie,
laide autant que haineuse, était une Autrichienne,
haïssait Frédéric à mort, et lui cherchait partout
des ennemis. Il le savait. Il avait acheté d'un
commis saxon le traité dans lequel la Saxe,
l'Autriche, la Russie, se partageraient la Prusse
(H^zb&'g, Dovet'). Il le prévint. En Saxe, le
peuple était pour lui, et comme protestant, et par
reconnaissance, pour les blés qu'il avait donnés
dans la famine. Le 29 août, il demanda à Auguste
seulement le passage. Refusé, il passe et prend
Dresde (en dépôt, disait-il). Il bat les Autrichiens
qui arrivent au secours. Il pourrait prendre Au-
guste, ne daigne. Il le nourrit. Chaque jour un
chariot va au camp de Pirna pour la table du
Roi. L'armée saxonne, obligée de se rendre, entre
dans l'armée prussienne. Au misérable Auguste
qui n'a plus que deux hommes, Frédéric galam-
ment renvoie les étendards, lui écrit en ami ses
vœux pour son heureux voyage. « Mais rendez-
« moi mes gardes, dit Auguste. — « Je ne veux
« pas avoir bientôt à les reprendre. » — « Du
moins un passeport. » Frédéric le lui donne, et
lui offre des chevaux de poste.
La reine était restée dans Dresde, comblée
Douze, bv Google
(n«) — 346 —
d'yards par Frédéric et enrageant. Elle craignait
surtout qu'il n'y prît les pièces honteuses qui
constataient leur perfidie. Elle lutta, s'assit sur
le coffre oii elles étaient. II fallut bien la faire
lever de force, . prendre dessous l'ordure dij^o-
matique que Frédéric fit connaître partout. Elle
crera de colère impuissante. Cependant Frédéric
de son mieux tondait les Saxons, du reste ajEfikfole à
tous, exact au prêche, bon protestant, tenant.conr
et donnant des fêtes.. Le plus original, c!est quç,
dans cet hiver où tout le monde s'armait contre
lui, il régalait Dresde de concerts, y figurait lui-
même, nouvel Orphée, apprivoisant la Saxe,. non
pas avec la lyre, maisl^ flûte, sur laquelle il avait
un joli talent.
Notre Daupbine, une Allemangle grasse, fé-
conde, vraie femme de la maison de Saxe, toute en
chair, en nature, en seqsïhilité, eut un déborde-
ment effroyable de larmes, quïud elle sut l'ayenr
ture de sa mère, assise sur ce coffre, le défen-
dant en vain, touchée de l'ennemi. Outrage
incroyable, inoui, aux Majestés royales! Tous les
rois de ^Europe devaient prendre, parti, combien
plus la maison de France, insultée en l'aïeule de
ce gros nourrisson (qui régnera, c'est Louis XVI),
Le Hoi y fat sensible et se sentit blessé. Après
le succès de Minorque, en plein triomphe, rece-
voir un tel coup I Notre guerre avec rAngleterre
Douze. bvGoogle
— 547 — {t7M>
fiit ea quelque sorte oubliée. On ne songea plus
qu'à la Prusse. Ce n'est plus 24,000 hommes
qu'on donnera contre elle, mais 45,000, cent
mille! On décida deux choses dans celte ivresse
de colère, la guerre continentale, et le renver-
sement d& l'obstacle intérieur qui Ifentravait, le
Parlement.
Victoire définitive et de l'Autriche et du clergé I
L'intrigue que l'Autriche pousse depuis 1748
aboutit et triomphe, elle entraîne la France et
s'en sert. La trame par laquelle le clergé a sauvé
ses biens, par un succès plus grand, le rend in-
dépendant de la censure laïque, de la justice de
l'Ëtat. Girard ne sera plus devant un Parlement
interrogé pour la Gadière. '
Le 13 décembre 1757, par un temps beau et
froid, tendu,^ un grand appareil militaire occupe
Paris silencieux. Pour ta première fois, le Parle-
ment lui-même ne dresse pas le Lit de justice.
11 refuse de coopérer an meurtre de la Loi. Ce
sont les ouvriers du tyran qui ont envahi le
Palais et tout préparé.
Le tyran, c'est le mot nouveau qu'on échange
à Toix basse.
Depuis six mois et plus, on avait suspendu
sur les Parl^nentaires l'épée de Damoclès, l'an-
nonce d'une grande suppression de charges, qui
Temboursées presque pour rien mettraient la plu-
Diailizc^bv Google
;17M _ 548 —
part à ranmône. TeiTorisme très-lâche qui spé-
culait sur les donlenrs de la famille, la faiblesse
du père, la mère désespérée en voyant ruin^
ses enfants.
Deux chambres des enquêtes sont effective-
œent supprimées et plus de soixante conseillers.
Le Parlement est mutilé en la partie active, ar-
dente aux remontrances politiques, aux accu-
sations du clergé. Celui-ci n'ayant plus d'enquête
à craindre, peut se tranquilliser.
Maintenant, au Parlement eunuque et énervé
que va-t-on ordonner?
1° SOUMISSION AU Pape. — Un bref conciliant est
arrivé de Rome qui limite les refus de sacrements,
mais en maintient le droit. Toute, affaire de ce
genre ira aux seuls juges d'Église. Le Boi, quoi-
qu'il désire le silence, déclare que les évêques
peuvent dire ce qu'ils veulent, « s'ils le disent
avec charité » {Is. Lois, xxii, 269.)
2° SOUMISSION AU Roi. — Le Parlement, désor-
mais simple scrihc, enregistre aussitôt que le
Roi a écouté ses remontrances. Remontrances
illusoires. Le faux Parlement de Versailles, le
Grand Conseil, a sa part de ce droit, joue aussi
cette comédie.
Les jeunes conseillers ne volent plus, s'ils
n'ont jugé dix ans. Les vieux conseillers de
Grand'Chambre usés, timides, les têtes tremblo-
DolizccbvGoOglc
— 549 — (iicse)
tantes, peuvent seuls décider s'il y aura assem-
blée générale. C'est là le coup mortel. Un corps
non assemblé, dispersé, existera-t-il ?
Morta Ui bestia. — Le Parlement ne remue
plus. Le clergé peut danser autour. Plus d'EiP-
quêtes, plus de surveillance sur ses mœurs, plus
d'accusation. Mais si, par impossible, un cas se
présentait oii l'on dût faire semblant d'examiner
et de juger, on doit se rassurer, on fera juger ces
vieillards de la Grand'Chambre, intéressés à
plaire, pour monter dans les sièges mieux rem-
bourrés de présidents.
Cette Grand'Gbambre monti'a tout de suite
combien elle était digne de la coniiance de la
cour, combien elle avait peu à cœur l'honneur
du Parlement. Elle alla pleurer à Vei*sailles, s'a-
platir, lécher la poussière au nom de ce grand
corps qui ne l'en chargeait pas, demander par-
don, crier : « Grâce I »
Cela enfonce le poignard. «Le peuple est en
rage muette. » {Arg. 315.)
Que la justice outragée, égot^ée, demandât
grâce encore, c'était l'horreur, c'était le crime.
La risée s'y joignait. L'agréable sourire qu'avait
montré le Roi, revenant de l'exécution, suivant
lentement, comme au sacre, l'épaisse haie de
ses régiments, ce fut comme un cruel défi.
:.bv Google
CHAPITRE XXL
Damieiu. Janvier-Har» 1757.
Janvier 1757 s'ouvrit par un grand froid et qui
alla croissant. Les nouveaux droits d'entrée firent
les denrées très-chères. On vendait ses meubles
pour vivre (Procès de Damiens.) Des veuves af-
famées vendaient leurs filles au Parc-aux-cerfs.
{Hausset, 109.)
Tout l'biver on levait des troupes, et l'on allait
fournir cent mille honunes à Marie-Thérèse. Après
avoir menti deux ans pour le Clergé, le Roi ment
un an pour l'Autriche. 11 promet vingt mille hom-
mes, il en donne cent mille.
Et cela malgré les ministres. Les deux minis-
tres opposés ici se rapprochèrent. Machault avait
toujours été contre l'Autriche, et d'Argenson fui
:.bv Google
— 351 — {1757
contre aussi {Barb., VI, 472), quand il vit qu'on
donnait, non un petit secours , mais une armée
énorme et d'énormes subsides, le sang, l'argent,
et tont, la France ! >
C'est aujourd'hui plus clair que le soleil. Alors,
sans démêler ta conspiration de famille, sans sa-
voir que le Roi nous ' vend ' pour l'oi^ueif de
ses filles, on entrevoit fort bien que ni l'un ni
l'autre ministre n'est accxisable. Le traître, c'est
le Roi. -
C'est à lui désormais que remonte la haine, et
sa t^ dès lors est en jeu.
Pès 1750, il le prévit, dit : « Je serai tué. »
Autant qu'il put, il évita Paris, fit le diemin de la
BéuoUe.
C'est alors qu'en ses lettres fort sombres,
l'homme aux mille projets, Duvemey, fait en-
tendre qu'on ne peut plus s'appuyer que sur la
noblesse, une noblesse élevée exprès, qu'il faut
créer VÊcde mUUaire, la pépinière des défen-
seurs du Roi. Il y faut de vrais nobles qui prou-
vent au moins quatre quartiers. Adélaïde, trem-
blant toujours pour la vie de sou père, prit
cela fort à cœur. On en vint jusqu'à l'ordon-
nanœ gothique de 1760 : « qu'on n'appro-
chera plus du Roi sans prouver qu'on est noble
depuis 1400. »
Tant on a peur du peuple ! Le Roi aimait si peu
:.bv Google
(!Î57) — 552 —
à le voir, à Je reoconlrer, qu'il évitait même Fou-
tainebleau ; il fît faire un chemin exprès pour ne
plus traverser celte petite ville de cour.
En fermant le Palais, il avait lâché tout un
monde d'oisifs et de parleurs, de gens ulcérés,
ruinés. Plus de procès privés. Mais aux Pas-Per-
dus, aux cafés, aux coins de rues, sur chaque
borne^ commence le grand procès du Roi.
Deux légendes terribles, mêlées de faux, de
vrai, entraient dans ce procès, menaient droit
à 93:
1° Le Pacte de famine. Le Roi certainement
n'eut point l'idée, le plan arrêté d'affamer îe peu-
ple, de Tirriter, de l'armer contre lui. Mais il était
marchand, il avait intérêt (avec Bourret et autres)
dans le trafic des blés, et, comme tout marchand,
aimait à vendre cher.
2° Le Pare-aux-cerfs. Plus les vivres sont
chers, mieux le Roi vend son blé, disait-on, plus
il a des filles à bon marché. On supposait que cet
homme (fort usé, surtout par la table) avait besoin
d'un immense sérail, de grands troupeaux de fil-
les. Pas moins de dix-huit cents, dit ridiculement
Soulavie.
Voici la vérité : Le Roi ayant Madame aux fa-
meux cabinets (déc. 1755), n'étant plus tout à
fait chez lui, fut obligé de mettre sa ménagerie fé-
minine (les modëes et la perruquière, etc.) aux
Douze. bvGoogle
— S5S — {HM)
combles de Touilles. Ces grisclles efrrontées et
folâtres faisaient plus de bruit que des rats. La
Pompadour, arec une décence, une pudeur vrai-
meul dignes d'elle, imagina une chose Irès-noble,
un couvenl de jeunes veuves, veuves d'officiers
morts pour le Roi I (Àryenson) qui serviraient à
ses plaisirs. Et elle eût lait cette infamie, si son '
neveu Lugeac et le valet Lebel, qui auraient trop
perdu, n'eussent préféré et préparé une petite
maison, bien peUle, secrète, honteuse, qu'on
acheta dans le quartier nommé le Parc-aux-cerf?
(25 novembre 1756).
Mais le Roi aimait peu les rues désertes,
surtout aux nuits d*hiver. En février 1756, du
Parc- aux -cerfs on lui mena dans sa propre
chambre à coucher une petite vierge de quinze
ans. Amenée brusquement sans qu'on eût pris
la peine de la corrompre et de Tendoctriner, la
pauvre enfant eut peur, horreur, se défendit.
Le Roi avait quarante-sept ans. Ses excès de
vin, de mangeaille, lui avaient fait un teint de
plomb. La bouche crapuleuse dénonçait plus
que le vice , le goût du vil , l'ai^ot des petites
canailles, qu'il aimait à parler. 11 le portait chez
ses Gtles, si fières, leur donnant en cette langue
des sobriquets étranges (Loque, ou petit chiffon,
Coche, etc.) On peut juger par là des égari's
qu'il avait pour des enfants vendues.
:.bv Google
(Ï751) — 55* —
If n'était pas cmel^ mais mortellement sec,
haulain, impertinent. Et il eût cassé ses jouets.
C'était un personnage funèbre au Tond, il parlait
Tolonliers d'enterrement, et si on Ini disait :
« Un tel a nne jambe cassée, » il se mettait à
rire. Sa Ëtce était d'un croque-mort. Dans ses
portraits d'alors, Tceil gris, terne, vitreux, fait
peur. C'est d'un animal à sang froid. Hécbant?
Non, mais impitoyable. C'est le néant, le vide,
un vide insatiable, et par là très-sauvage. Devant .
ce monsieur blême, l'enfant eut peur, se sentit
une proie. 11 n'eut nulle bonté, nulle douceur,
s'acharna en chasseur à ce pauvre gibier hu-
main. Gela dura longtemps, et tant, qu'il en-
rhuma (Arg. février 1756, IV, 266). Tout fut
entendu et public. La cour tâcha de rire; Paris
fiit indigné. El les mères cachaient leurs en-
fants.
Beaucoup, en Europe et en France, disaient :
« On le tuera. »
Dans la cour du Palais, quand il revînt, les
poissardes disaient (et redirent): « Il y aura une
saignée. »
Et d'autres : « Il faut une saignée en France. »
D'autres allaient plus loin, disaient : « il faut
une révolution , comme celle qui se fît il y a
cent-cjnquante ans. »
« Seulement plus radicale, avec la totale exlinc-
:.bv Google
— 555 — (1157)
tion de la maison de Bourbon. » (Procès de Da-
miens, p. 82, 83, 84, 98, 106, HO, 115,
176).
Cela se dit jusque dans les couvents. Les
jansénistes (depuis l'inceste des quatre Nesle,
celui des deux Murphy, surtout depuis le 27 dé-
cembre) croyaient voir sur Versailles tomber le
feu dû ciel. Dans la ctmimunauté janséniste de
Saint-Joseph, l'avant-TeiUe des Rois 1757, une
enfant de douze ans, sans doute répétant ce
^'on disait entre religieuses, dit aussi : « 11
sera tué. »
Par qui ? Celait la question.
Quand le Roi s'entendit avec les hauts chefs
du Clergé pour amusra* le Parlement, le bas-
clergé qui n'était pas dans le secret, s'irrita
fort , cria. On eut peur à Vei^ailles de voir un
Jacques Clément; on ne laissait entrer aucun
abbé.
Mais qui finalement fut vainqueur? le Clergé.
Qui garda ses biens? le Clei^é. Qui fut ruiné?
le Parlement. Là étaient les désespérés, les meur-
triers probables, les parlementaires ou leurs
gens. Ce fut un de leurs gens qui frappa
Louis XV.
L'hislofre des domestiques est une grande
alTaire en ce siècle.
Entre les classes, la plus dangereuse, à coup
Douze, bv Google
(1ÏS7) — 556 —
sûr , c'était celle-là. On n'avait oublié rien
pour les ravaler et les intimider. En vain. On
ne put pas arrêter leur essor. On disait plai-
samment des laquais : « C'est un corps de
noblesse préparé pour suppléer l'autre. » De
Grozat, laquais-roi de la Louisiane , le siècle,
par Jean-Jacques, va droit à Figaro.
Ils ont vu et appris. Ils ont vu au Système
monter, descendre les fortunes. Ils se sont vus
eux-mêmes, du comptoir, du ruisseau de la rue
Quincampoix, sauter d'un bond aux Fermes géné-
rales. Des hasards de bassesse souvent les éle-
vaient. L'un naquit d'uu soufflet, l'aube d'un
coup de pied. Ce coup bien appliqué vous lance im
petit domestique de Golbert le prélat au grand
Colbert, qui le fera commis, caissier, traitant, fer-
mier, millionnaire.
Nul milieu dans leur sort : ou comblés, ou
brisés, favoris ou souffre-douleurs (on en voit
quelque chose dans Rousseau et la Delaunay).
Leur sort, au diï-huitième siècle, s'est aggravé
sous un l'apport. On ne 1^ veut plus maiiés
(voir Melon). Ce siècle, si sociable, devient pour
eux l'élat sauvage. D'ennui, d'oisiveté, plusieurs
deviendront fous. Dans le petit trou noir où
couche la femme de chambre {SteuU), d'oiî elle
entend et voit l'excès des libertés, on peut croire
que la servitude fut bien sentie, que fut rêvé,
DolizccbvGoOglc
— 557 — («5T1
couvé bien souvent le Discours sur l'inégalité,
les mots que Pascal et Rousseau lancent contre
la propriété. Cela se traduisait par le vol domes-
tique, leur maladie commune.
Guerre à l'autorité, c'est toute la pensée des
laquais. Portant l'épée comme les gentils-
hommes, ils ont leurs rixes, se battent en atten-
dant aux portes des théâtres. Rien de plus
mobile que ce peuple. Sous la Régence, ils se
plaignent de ce qu'on les exclut de la milice.
Sous Fleury, ils se plaignent de ce que l'on veut
qu'ils en soient (1742), et ils parviennent à se
faire exempter. On se moque de leur épée; et
d'autant plus, ils aiment à dégainer. En 1750,
aux razzias d'enfants, ils tirèrent l'épée pour le
peuple. On put prévoir qu'un jour ils tireraient
aussi le poignard.
Celui qui le tira, Damiens, élait d'Ârras. Cette
frontière Wallone et Picarde n'est point !du tout
flamande. Au contraire. Les Wallons sont plus
midi que le midi. Ils donnaient à l'Espagne ses plus
impétueux soldats. Ils donnèrent à la France de
chaleureux artistes (les Watteau, les Valmore,
les Foy, les Camille DesmouHns). Us oat donné,
par contre, des lêles souvent étroites et dures,
fortes, âprement systématiques, les Calvin et les
Robespierre. L'Artois spécialement est marqué
dans ce sens. Outre un grand mélange espagnol.
Douze, bv Google
{tnt) _ 358 ~
]es séminaires d'Irlande y ont laissé leur trace,
la grande inacl)ine r^tdde, terrible au temps
d'Elisabeth. C'est la garde avancée des jésuites
contre l'Angleterre. Là fut a^isé le poignard des
amis de Marie Stuart, là plus d'un siècle travail'
lèrest les écoles de l'assassinat.
A câté des jésuites, chez ce peuple dévot, ne
manquaient pas les jansénistes. Le frère aîné de
Damiens, pauvre ouvrier en laine, honnête,
homme de bien^ était un fervent janséniste^
n'ayant pour meubles que des livres, livres de
piété. Damiens lui-même fut longtonps très-dé-
vot, entendant tous les jpurs la .messe. (Je tire
tout ce qui suit mot à mot du Procès).
Sa figure aisément l'eût fait prendre pour un
espagnol. Il avait la peau assez brune (p. 350),
les cheveux noirs, frisés (250), et volontiers cou-
pés sur le devant en vergettes très-rases (350).
Son visage allongé, marqué de petite vérole, le
dessous de la lèvre inférieure très-creusé, un
nez d'aigle et des yeux profonds, faisaient une
figure disdnguée, belle {Àrgmson), tr^^que. II
était grand (cinq pieds cinq pouces), mais pa-
raissait très-grand, étant mince et fort élancé. II
portait la tête un peu basse. Il n'était pas campé
bien solidement sur ses jambes. Avec des yeux
hardis, il était pourtant vacillant.
Sa famille de bons fermiers d'auprès d'Arras
Douze. bvGoogle
— 359 — (1151)
élait fort eo débine. Son père, de cbûte en chute,
devint, de fermier, ménage, puis misà>able mois-
sonneur, et enfin ^rtier de pnson. II avait dix
enfants qui mounirent presque tous. Le seoond,
Damiens, petit diaUe indomptaUe (et qu'oa.
nommait ainsi) jusqu'à seize ans travaillait à
la ferme, cruelleisiient battu de son père, qui,
dans ses récidives, ^lait jusqu'à le pendre par
les pieds, la tête en ^s. Un oncle , cabaretier à
Béthune, eut pitié de l'enfant, le prit, voulut le
faire étudier. A sdze aps , c'était tard. U apprit
à lire, à écrire, mais peu et mal. S'il devint cul-
tivé, ce fut par l'erpérience seule, la conversation,
les voyages. Qu'en faire?: On eût voulu le làire
p^ruquier, serrurier. On essaya aussi de lui
faire apprendre la cuisine dans une grasse ab-
baye, Saint-Vast. Un matin, il s'engage, et quoi-
que racheté par son bon oncle, il reste domes-
tique d'un offîcier avec qui il voyage quatre ans
dans la guerre d'Allemi^ne (124). Il y put voir
l'horreur du retour meurtrier de Prague.
Né en 1715, à la fin de la guerre, eu 1737,
il avait vingt-deux ans. U resta! domestique, chan-
geant souvent de maître et n'étant biai nulle
part. H<mnête cependant et désintà^ssé^ à ce
point qu'il partait souvent sans demander ses
gages (32).
Les témoignages de ses maîtres (M. de Ma-
DolizccbvGoOglc
(1 BTj — 360 —
ndor, W^ de ]a Bourdonnaie, la maréchale de
Montmorency, elc.) sonl excellents. II n'avait
aucun vice ordinaire des laquais; seulement il
buvait; quoiqu'il bât sans eicès, alors il élail
disputeur. (Déposition de M. de Mandw).
Il avait quelque temps servi chez les Jésuites,
au collée Louis-k -Grand, où un de ses oncles
était mattre d'hôtel. Il y resta quatre ans. Les Jé-
suites voulaient « le mettre à l'eau » (lui refusaient
le vin). Il sortit. Cependant, comme bon sujet, ils
le reprirent, le mirent diez un élève qui avait
chambre àpart. Il ne put y rester, s'étant brouillé
avec le précepteur.
Il resta estimé, protégé des Jésuites qui parfois
le placèrent. Cependant il avait fait preuve d'une
grande liberté d'esprit, s' exprimant sans ménage-
gement « sur leurs doctrine relâchées, qui sen-
taient le libertinage » (p. 445, n" 305). Il affirma
toujonrs qu'il ne servit chez eux que malgré Un,
par nécessité de gagner son pain ( p. 242 ,
n' 266).
Son austérité naturelle et ses traditions jansé-
nistes le portaient beaucoup plus du côté des Par-
lementaires, n en servit plusieurs, surtout M. Bèze
de Lys, pendant trois ans. Gelui-ct est un de& hé-
ros de la petite, intrépide minorité, politique plus
que janséniste, et déjà révolutionnaire, qui frappa
au cœur la royauté par la dispute des Lettres de
D,a,l,zc.bvG00gIe
— 561 — («ft-rf
cachet^ la question (première et capitale) de la li-
berté personnelle. Dans l'enlèvement général du
Parlement (en mai 1753), H. Bèze eut cette dis-
tinction d'être des quatre que l'on n'exila pas,
mais qu'on mit aux plus rudes prisons d'État.
Nulle n'était plus dure et plus sombre que
Pierre-en-Cise près Lyon oiî on le conduisit
(Barb. V, 585). Damiens était le seul domes-
tique de M. Bèze. Il vil de près cet acte, cette
désolation des familles, les femmes en pleurs
tâchant de suivre leurs maris dans ce coûteux
exil, et à Paris le monde du Palais ruiné. Il de-
vint ardemment et violemment parlementaire.
Il échappait souvent de chez ses maîtres pour aller
au Palais le soir, la nuit, attendre aux jours de
crise la tin des délibérations (528). 11 errait dans
les groupes où on lisait tout haut la Gazette de
France (147).
Les deux partis étaient très-irrités. Damiens
entendit avec horreur, comme il servait à table
chez un sorboniste jésuiste, les convives dire
qu'ils voudraient être les bourreaux des Parlemen-
taires, et tremper les mains dans leur sang (136).
Deux jansénistes d'autre part parlaient de tuer
l'archevêque (Bar&ter). Damiens voulait qu'on le
ji^eât. Avec l'ordre du Parlement, il se faisait
fort, disait-il, d'aller arrêter le prélat. On aurait
trouvé deux cents hommes bien aisément pour
Douze, bv Google
(I15T1 _ 562 —
le men^ à la conciergerie. (143, n" ^7, 388).
Quelque efibrt que l'oa fit pour croire le Roi
trompé, on savait bien la hahie qu'il avait pour
)^ robe. La cour savait Ini plaire quand, à Ver-
sailles^ les croisées se peuplaient de visages mo-
queurs à l'arrivée du Parlement, au débarqué
«c des singes » en robes rouges. Damions était
avec son nu^tre H. Bèze, au jour où, 1ë Parle-
ment arrivant, le Roi sortit, dit qu*il allait dîner
à la Muette, se fit attendre tout le jour. Il vit
les magistrats seuls, affamés, errer au château
et au parc. Un courtisan humain eut honte de
cette indignité. Il fit excuse pour son compte,
fit chercher, apporter quelques vivres trouvés par
bonheur.
On eût dit qu'un hasard terrible menait Da-
mions partout où l'on pouvait amasser la colère.
Resté seul sur le pavé, quand son . maître fut
arrêté, il trouva place justement dans la mai-
son,et la plus digne, et la plus maltraitée , cdle
de l'ex^ouvemeur de l'Inde, La. Bourdonnaie.
Douloureuse Iliade! trop longue pour la conter
ici. Qu'il suifise de dire que ce grand homme,
puni de ses victoires, disgracié, prisonnier de
guerre, dès qu'il apprit à Londres qu'on avait
l'infamie de faire son procès à Paris, obtint de
revenir, de venir voir si on lui couperait la tête.
On fit pis. On le tint trois ans à la Bastille, et on
Douze. bvGoogle
— 565 — (I15Î)
le lâcha mort, mouraot du moins, miné et de
santé et de fortune. Il mourut de chagrin et du
déshonneur de la France (10 bov. 1753).
lia mort de celte grande et illustre victime criait
contre le ciel, et Damien^ parut le sentir. Pen-
dant la maladie , il se montra zélé. Il s'échap-
pait à peine pour aller à dieux pas s'informer
des nouvelles « à la terrasse du Lulcembourg. »
Sa préoccupation des affaires politiques était visi-^
blement extrême. II ne resta pas'chez la veuve,
qui eût voulu le retenir (185-1^4). Que devint-il?
Ce qu'on en sait alors, c'est qu'il écrivit à quel-
qu'un une lettre contre le despotisme (Barb.,
VI, 481).
Pendant deux ans, je perds sa trace. Quelques
mots seulement font croire qu'il s'affranchit,
qu'il vécut des petits métiers de Paris. Quelqu'un
dit l'avoir vu colporter des manchettes, vendre au
Pont Neuf des pierres àd^raisser. Il était là au
gcand passage, à portée de savoir les nouvelles,
près du Palais, au centre de l'agitation parisienne.
L'idée de tous ^it qu'on devrait avertir le
Roi. Mais comment? Le pauvre janséniste Carré.
de Mon^erou s'était bien mal Uvuvé de l'avoir
essayé. Pour un livre offert à genoux, mis dans
un cachot pour toujours ! On avait dit alors :
« Si le roi n'est touché d'un livre, Dieu le
ioudtem autrement. »
Douze, bv Google
(«57) - 5M —
Personne cependant n'eût touIu le toucher à
mort, pour avoir à la place un autre pire, dange-
reux personnage, frès-propre à faire un fou.
On eût voulu non que le roi mourût, mais fût
ou malade ou blessé, qu'il se souvînt de Dieu, de
ses devoirs , qu'il se dit , comme à Metz : J'ai
péché, j'ai mal gouverné I » Mais qu'il le dit sé-
rieusement. Qui le ferait rentrer en lui? Qui se
constituerait le bras de Dieu pour le Irapper?
lui donnerait le coup dont le corps saignerait
et dont guérirait l'âme? Damiens se dit en lui :
« C'est moi. »
n se le dit trois fois ; à l'enlèvement du Parle-
ment, en mai 1755, — en mai 1756, au traité
autrichien, — en décembre de la même année,
lorsque, le Parlement décidément brisé, on crut
la tyrannie établie pour toujours.
Hais, on l'a vu, il y eut un entr'acte. Pendant
vingt mois et plus (1754-1755), le roi amusa le
public. Damiens se calma, ajourna. Cette détente
eut l'effet ordinaire. Après la grande exaltation,
la nature se relâche, souvent tombe assez bas.
Jusque-là, il était (au témoignage de ses maî-
tres), un rare laquais, exempt de tous les vices
de sa clasfie. Dès vingt ans, il s'était rangé et
marié, épousant en secret une femme beaucoup
plus l^ée et il en avait une fille. Elle était cuisi-
nière , et tous deux se faisant passer pour non
Douze. bvGoogle
— 565 — {IT87)
maiiés , il la voyait forl peu ; beaucoup plus une
femme de chambre ayec qui il avait servi. II por-
tait cependant parfois de l'aident à sa fernine pour
l'aider à nourrir l'enfant.
Dans la misère croissante (sept. 1755), son
commerce en plein vent dut manquer tout à fait.
Il se refit laquais. On le plaça dans l'hôtel équi-
voque d'une belle dame à la mode. Il avait élé
jusque-là, pour pai^er en slyle parisien, homme
de la rive gaudie, des vieux quartiers rangés.
Cette fois, transplanté à la rive droite, aux bou-
levards, à la me Grange-Batelière, il vit un nou-
veau monde. La dame, avec un nom très-aristo-
cratique, était une petite femme de commis. On ne
voyait pas le mari qui, prudenunent, se tenait à
Versailles, dans sa vie d'humble plumitif. Mais
on voyait son chef, le brillant joufllu Marigny,
frère de la Pompadour, qui avait enlevé la belle
au quatrième jour de mariage, et venait sans
façon rire, souper, coucher là.
Maison joyeuse , quand tout était si triste.
Étemel mardi gras. Celait juste ce qu'il fallait
pour assombrir encore cet esprit sombre, lui ra-
mener l'idée fatale. Il fit tache dans celle maison.
Il y devint la bète noire. Il se tenait à part, ne
parlant guère que seul, et marmotant tout bas,
s'en allant au plus loin coucher dans un grenier.
Laissa-t-il échapper quelque signe imprudent de
Douze, bv Google
(IKT) — 566 —
mépris pour cette maison, pour l'entreteneur Ha-
rigny? Ou ne sait. Hais il est certain qu'on le per-
sécuta, qu'on le poussa à bout, qu'on 6t ce qu'il
fatlait pour que, de maniaque, il fât fou tout à fait.
La dame était menée par une femme de chambre
.coSffense, une Henriette qui se mêlait de deviner
et de prédire. Elle lui dit : « Tu seras pendu. On
le voit hieaa aux lignes de ta main. » La dame
écervelée se mit de la partie, Tonlut aussi re-
.garder dans sa main, et elle y vit qu'il serait
rompu vif. Un autre jour, du haut d'un escalier,
jetant un panier ptein de bûches, elle dit;
A Ramasse 1 ramasse!... C'est signe que lu sera
brûlé. »
Sa faible tête fut firappée. 11 dit dans le Pro-
cès : « On me jeUt un sort. » Il jugea qu'il aurait
un horrible martyre. Mais ce qui lui fiit plus
cruel, c'est que, quittant cette maison, il en-
tendit la haineuse Haariette, lui dire : « \as!...
tu feras un vol I »
Le coup porta comme en pleine poitrine. Il était
sali, c'était fait ; sa destinée perdue. Ce fatal mot
disait :« Tu ne seras point un martyr. ..Tu mour-
ras dans la honte, et, tout en t'immolant, tu res-
teras déshonoré I » Le trait entra, et il n'eut pas
la force de le lui rejeter, de rire. Il la crut, il fut
furieux, il sentit bien qu'il volerait... Il aurait
voulu la tuer ! Il dit : « Je la tuerai !» Il ne lui fît
:.bv Google
— 567 — imi)
rien cependant. Seulement en partant, il jeta des
piejTes dans les vitres.
' Où en était Paris. La trahison d'Autriche, le
\\(A de février, c'est ce qui sans doute occupait:
Damiens n'y tenait pas. Sa main avait soif du
couteau. D eut l'idée de fiiir loin de Paris et
d'aller à Arras. Et d'ailleurs, dût-il faire le coup,
il fallait avant tout qu'il r^ât ses affaires de fa-
mille, ramassât poiu- sa fille ce qu'on lui redevait
là-bas sur certaine succession. Comment faire
le voyage. Il servait un M. Michel, n^ciant de
Pétersboui^, de passage à Paris. Cet étranger,
sans coffre-fort, avait son or dans un porte-
feuille , simplement fermé de rubans. Nulle
serrure à forcer. L'or était disponible. Quoi
de plus aisé que d'en prendre pour le voyage, sauf
à le remplacer avec l'argent d' Arras î Tel fut le
conseil du démon qui le travaillait au dedans. 11
dit, répète et jure avec persévérance qu'il prit seu-
lement cent trente louis (p. 104, n"162; p. 556,
n' 2). 11 y avait encore douze mille francs en or
auxquels Damiens ne loucha pas.
C'étaitle vol d'un maniaque. Il n'eût su à quoi
dépenser. On ne voit pas qu'il ait joui ni profité en
rien, sauf un habit et cent écns de laine qu'il
acheta afm que son frère l'ouvrier travaillât à
son compte. Mais ce frère, très-honnête, fut
pénétré d'horreur quand une lettre d'un jeune
:.bvGoogIf
(lïSï) _ 568 —
frère qu'ils avaient à Paris lui fit savoir que cet
argent était volé. Damiens fut foudroyé. Il es-
saya par trois fois du suicide : il se saigna ,
laissa couler son sang; il prit de l'arsenic; il
alla à la mer, avec l'idée de s'y jeter. Hais son
frère le gardait, ses parents le forçaient de vivre.
Ils voulaient que plutôt il fît restitution. Pour
qu'il en eût le temps, ils proposaient que lui-
même se mit dans une maison de force. Il pleu-
rait, s'y laissait mener comme un mouton. Mal-
heureusement celte maison qui était un couvent
ne voulut pas le recevoir.
Alors, craignant toujours qu'il ne fût arrêté,
ils le menèrent vers la frontière. Au moment d'y
passer, la maréchaussée lui barre le passage, et il
était happé, s'il n'avait donné cent écus.
Son état était effroyable. Il se faisait saigner de
mois en mois poiu" calmer son agitation. Hais les
nouvelles de Paiis la ravivaient. LeConsummatum
est, la fin des fins semblait arrivé, et par le
Parlement brisé, et par les cent mille hommes
qu'on livrait à l'Auiriche, et par le mariage autri-
chien (Barbier) Damiens retourna à Paris.
Il y mit quatre jours. Il arriva le soir du 51 dé-
cembre. Son jeune frère, domestique d'un conseil-
ler, le reçut durement. Sa femme qui était chez
un négociant du quartier Saint-Mariin, lui fît meil-
leur accueil, lui fît du feu, le coucha avec elle.
^cb, Google
— 569 — (1157
Elle était allée se jeter aux pieds du sieur Michel
avec sa fille, et demander grâce pour lui. Celte
fille, grande et jolie, mais boiteuse, était placée
rue Saint Jacques chez un enlumineur, client et
agent des jésuites. Elle y coloriait des découpures
d'estampes (sotte mode d'alors pour détruire sou-
vent des chefs-d'œuvre). Avertie, elle vint (l" jan-
vier); elle lui demanda s'il lui apportait des étren-
nes, puis n'en recevant pas, l'accabla de repro-
ches. Il pleura, et reçut encore même semonce
d'une ancienne amie, qui s'attendrit pourtant en
le voyant abîmé de douleur. Elle se tira du cou
une médaille de la Viei^e , la lui passa, en l'as-
surant qu'avec cela il n'avait rien à craindre. Sa
femme eût voulu le garder, mais elle n'était que
cuisinière, et la femme de chambre lui avait repro-
ché de l'avoir fait coucher à l'insu de ses maîtres.
It avait dit aux siens : « J'irai parler au Roi. »
Puis pour les rassurer : « Je m'en retourne en
Flandre. » Il i>art le 5 janvier au soir. Ils le con-
duisent à mi-chemin, à la Cité. Là adieu éternel.
Il continue et soupe rue de la Comédie dans une
auberge; mais à dix heures, on ferme et on le fait
sortir. Il errait dans les rues, le froid était très-vif.
Au coin de la rue de Condé une grosse et joyeuse
fille l'appelle, le fait monter chez elle. Il y attend
l'heure de partir, muet, immobile et lugubre.
Enfin honteux de faire veiller pour rien la pauvre
in. 24
Douze, bv Google
(«57) — 570 —
créature, il part a^ant une heure, va aux voitures
publiques, prend à lui seul un de ces méchants
cabriolets qui menaient à Versailles. Il y arrive à
trois heures du matin.
II paya très-bien le cocher et pour le ré-
chauffer de ce voyage dans une si froide nuit,
il lui fit boire deux fois du ratafia, causa : « Je
vais aux îles... dans telle lie... bien loin. Mais
j'y serai pourtant dans vingt-quatre heures. »
A l'auberge, il apprit que le Roi était à Trianon
pour quelques jours. « Maudit Versailles I dit-il.
On n'y trouve jamais ce qu'on veut. » H avait l'air
fort égaré, et dit à son hôtesse : « Je me sens bien
incommodé, madame. Ne pourrait-on me procurer
un chirui^ien qui me saignât ? » Elle rit : « En
effet, joli temps pour se faire saigner. » Au fait, il
gelait à pierre fendre.
Il se promenait dans le parc, sinistrement dé-
sert, sans rencontrer autre personne qu'un pauvre
diable d'inventeur qui avait trouvé une machine,
voulait la montrer au comte de Noailles et pour
cela guettait, comme Damiens, le retour du Roi.
Il sut (sans doute par cet homme) que, Madame
étant enrhumée, le Roi viendraitla voir (5 janvier) .
Il l'attendit à la tombée du jour sous la voûte qui
mène aujourd'hui au Musée. Damiens paraissait
de sang-froid, causait avec les gardes, les postil-
lons de la voiture qui était attelée, ce qui lui per-
D,a,l,zc.bvG00gIe
— 571 — [1767)
mettait de rester et de s'approcher. Il dit, voyant
un garde qui cherchait son manchon, croyant
l'avoir perdu : « Il cherche ici ce qu'il n'a pas
laissé. » (265) Il n'avait pris aucune précaution et
ne comptait point fuir. Il était fort recounaissable,
surtout par une culotte rouge. Tout le monde avait
le chapeau bas, lui seul le chapeau sur la tète.
Le Roi descend appuyé sur le bras du grand-
écuyer Béringhen (64). Il avance vers la voi-
ture, se sent poussé, et dit « d'un ton doux, or-
dinaire (76) : « On m'a poussé le dos. C'est cet
ivrogne là qui m'a donné un coup de poing. »
Damiensne bougeait pas. Personne n*avait vu
■qu'il donnait un coup de canif; il le ferma, le
remit dans sa poche. Son chapeau seul frappait.
Un garde : « Qui est cet homme qui ne se dé-
couvre pas devant le Roi? « Il lui jeté son cha-
peau par terre (51, 76).
Cependant, avant de monter, le Roi dit :
« Est-ce qu'une épingle m'aurait piqué? » (151).
11 mit la main sous ses habits, la relira moite
«t sanglante. Puis, montrant Damiens qui ne bou-
■geait, il dit : « C'est ce Monsieur. {Hausset).Qa' on
l'arrête, qu'on ne le tue pas. » Puis il remonta
l'escalier au lieu de se mettre en voiture.
Un garde avait saisi Damiens, puis deux ou
trois, et Richelieu, qui le secouèrent, le jetèrent
contre un pilier , puis sur un banc, le lièrent,
Douze. bvGoOgIf
;n5T) — 372 ~
le Iraînèrenl à la salle des gardes. On lui arracha
ses habits, et on le mit tout nu.
Ayen (Noailles), capitaine des gardes, était là.
Damiens lui dit avec grande assurance : « Oui,
c'est moi ! Je l'ai fait pour Dieu et pour le
peuple » (65).
« C'est pour la religion. » — Qu'entendez-
vous par là? — J'entends que le peuple périt.
West-il pas vraij monsieur, que la France pé-
rit? » (45).
On insiste. On demande : « Quel principe de
religion '? Mon principe, ce fut !a misère qui est
auï trois quarts du royaume » (146).
On lui trouva un petit livre (Prières et instruc-
tions chrétiennes) que son frère le janséniste lui
avait donné. Mais il avait refusé à Arras un con-
fesseur janséniste (234), et il méprisait les jé-
suites (145, 242), n'était d'aucun des deux partis
religieux. Barbier a très-bien dit : « 11 est parle-
mentaire plutôt que janséniste.
Il avait un couteau-canif, des petits ciseaux
et vingt-cinq louis. Un garde les voyant, dit :
« Misérable, tu as reçu cela pour faire le coup? »
— M Je répondrai devant mes juges. » (52-53).
Se voyant houspillé, il écarta les mains avec
un mot adroit : « Qu'on songe à M. le Dauphin ! »
< a la pitié qui estait au rojaume de France, > G'esl h fameuse ré-
ponse de celle qu'on ne teut pas nommer ici.
Diaiiizcc S, Google
— 375— (1157)
— « Eh ! bien, si lu conserves quelques bons son-
timenlSj dis les complices, le Roi le fera gvâce.
— Non, il ne le peut pas, et il ne le doit pas.
Je veux mourir dans les tourments, dans les
douleurs, comme Jésus» (72).
Il soutenait qu'il aurait pu bien aisément tuer
le Roi, mais qu'il ne l'avait pas voulu. Cela était
tiès-é vident. 11 avait sur un même manche deux
laraes, un couteau, un canif, et il ne s'était
servi que du canif. Il eût pu redoubler le coup,
et il ne le fit pas. 11 ne frappa nullement pour
aller jusqu'à la poitrine. H érafla le dos en re-
montant sur une longueur de quelques ponces
(75-76). Déchirure si légère et si superficielle
que les médecins dirent : « Si ce n'était un roi,
il pourrait dès demain aller à ses affaires. » Mes-
dames étaient eu larmes, mais la reine, trfô-froi-,
dément: « Allons, sire, dit-elle, calmez-vous. »
La peur du Roi était que le canif ne lut em-
poisonné. On envoya deux fois le demander à
Damiens, qui répondit : « Non, sur mon âme! »
, Il disait avoir grand chagrin de ce qu'il avait
fait, que, si le Roi eût pendu quatre évoques, cela
ne lût pas arrivé. Du reste, il assurait n'avoir au-
cun complice. « Il accentua même étrangement
son affirmation: «Je l'exécutai seul, parce que
seul Je l'avais conçu. »
Cela irrita fort. Les deux parlis voulaient qu'il
■ ■ Douze, bv Google
(1151) — 374 —
accusât leur adversaire. Ayen (Noailles), c'est te
paili jésuite, comptait qu'il parlerait contre les
janséaistes. It dit, montrant le feu: « Chauffons
cet homme-là I » — Machault, le garde des sceaux,
qui survint, supposait que c'était un coup des jé-
suites pour faire régner leur prince, le Dauphin.
Tout Paris le croyait, voyait dans Damiens un se-
cond Ravaillac, à ce point que le collège Louis-Ie-
Grand fut insulté et menacé. Les parents y cou-
rurent, en retirèrent deux cents enfants (Barb.
VI, 434) Machanlt, dur, entêté, voulait à toute
force que l'assassin se dit jésuite. 11 lit un acte
étrange. Il prit le patient, il fît rougir des pinces
par des gardes (à qui il promit de l'argent) et il
lui fît brûler le gras des jambes. Cette atroce dou-
leur n'en tira que des hurlements et ce mot :
« C'est toi qui es un misérable I... Si tu avais
soutenu ta Compagnie (le Parlement] , cela ne
fut pas arrivé 1 » (189-190).
Machault était si furieux qu'il cria : « Dexa fa-
gots! » Et il allait le brûler vif. Cependant vax
homme pris dans Versailles devait être jugé par la
Prévôté de l'Hôtel. C'est ce que dit le Prévôt qui
survint etqui sauva le patient (151-132). Le Pré-
vôt était le beau-père d'un des maîtres de Da-
miens.
iln'en put cependant tirer grand'chose, le nom
d'aucun complice, seulement des prophéties. 11
Douze, bv Google
— 575 — («H)
avait l'air de voir le 21 janvier: « M. le Dauphin
périra et bien d'autres... De grands événements
arriveront I » Seulement il croyait que tout vien-
drait bientôt (61). « El qui fera cela ? — Je le di-
rai si j'ai ma grâce. » (61-62).
Ainsi il mollissait. La nature agissait et la dou-
leur aussi. Car on lui avait mis des menotes de fer
horriblement serrées (180-181). La nuit, qui rend
tout plus terrible, l'accabla. Un certain Belot, un
exempt doucereux, lui témoigna de l'intérêt, lui
fit tout espérer, s'il parlait franchement. Il écrivit
pour lui une lettre de repentir (68-69), feignit de
la porter au Roi; puis, lui dit: « Le Roi est
content. Mais il faut davantage. Quel conseiller con-
rumsez-vous? (77, 78, 165). Damiens lui dicta
quelques noms. Et alors on lui fit cette étrange
question qui lui montra le piège : ce Etces messieurs
qui vous payaient, où tenaient-ils leurs assem-
blées?» (78). ïl fut saisi d'horreur, jura qu'ils
n'étaient pas complices (79, 150, 372), qu'ils
étaient incapables d'un tel complot. Dans la con-
frontation, il accabla Belot qui ne sut plus que ■
dire (288).
Cependant, le Roi, sur son lit, noyé des pleurs
de Madame et de la Dauphine, amolli, détrempé,
donnait répétition de la scène de Metz. 11 se crut
mort, cria : « Un prêtre 1 un prêtre! » On trouva
aux Communs un chapelain de domestiques ; il
:.bv Google
1157} _ 57C —
le prit tout de même, se confessa ^esUsstmo.
Mais son jésuite qu'on cherchait bride abattue ar-
rivait de Paris. Et il se confessa encore. Le bon
Père, lui aussi, fait sa scène de Meiz. Il n'absout
pas gratis. Le Roi renveiTa la maîtresse. Accordé
sans diffîculté.
En ce moment, il était tellement sous la main
du Clergé, sous l'influence aussi de ses pleu-
reuses, Madame et la Dauphine, qu'il oublia ses -
défiances , envoya chercher le Dauphin , le
nomma lieutenant général du royaume, lui dit :
« Gouvernez mieux que moi. »
Grand changement qui ne pouvait venir qu'in
eoctrenm. Le Roi, plus que jamais, était éloi-
gné du Dauphin. Dans les épines quMI trouvait
au confessionnal, il sentait le Dauphin, la peur
que les Jésuites avaient du futur Roi. A cause du
Dauphin, il avait déserté ses cabinets secrets où
Madame voyait tout ce qu'il écrivait, et il allait
écrire tout seul à Trianon. C'est la cause réelle
qui l'éloignait d'Adélaïde, le séparait de celle qui
l'aimait tant, mais le surveillait trop. Ici, croyant
mourir, il se remit si bien au frère et à la
sœur, que d'Argenson, leur homme, reçut de
sa main même la clef de Trianon pour en rap-
porter ses papiers {Arg. IV, 330).
II se croyait toujours en danger, et Madame,
exagérée en tout et d'imagination terrible, aug-
:.bv Google
— 377 — (1757)
mentait la peur par la peur. Sur un mot vague
de Damièns , on craignait ses complices. Au
fond de son chapeau on avait lu numéro i.
Les autres? où étaient-ils? Autour du Roi peut-
être? Dans la foule suspecte de tant de valets,
d'employés? Et dans ce noir Paris , gouffre
ignoré, profond, combien de gens perdus peu-
vent, avec Damiens, avoir aiguisé le couteau I
Ce Paris qui criait en 1750 : « Allons brûler
Versailles! » n'est-il pas du complot? Et son
âme homicide ne s'est-elle assez révélée {contre
Madame même) au gibet de la I-esoombat?
Cette terreur dura du 5 au 9. Le Roi, tout
ce temps, près de lui, se croyant en péri!, gar-
dait l'aumônier de quartier qui l'absolvait de
minute en minute {Besmml), le tenait prêt à par-
tir pour le ciel. Le 9, une scène touchante et
bouffonne changea les pensées. Les Étals de Bre-
tagne, jusque-là en révolte, apprenant l'accident,
eurent un coup à la tête, un mouvement de folie
généreuse (comme on n'en volt qu'entre Rennes
et Quimperjj pleurèrent le Roi, crièrent qu'ils
accepteraient tout ; « Prenez nos biens! nos
vies. »> Lem" sensibiUté grotesque imagine d'en-
voyer au blessé un don d'amour... une robe de
chambre. La Reine en fut aux larmes, et Ma-
dame, jalouse de n'en avoir pas eu l'idée.
Elle dit avec passion : « Oh ! je voudrais
Douze, bv Google
(17S71 — 378 —
êlre Bretonne! » {RichsUm, VIII , 559).
L'effet fut déplorable. Le Roi se crut tou-
jours le Bien-Aimé. Rassuré , attendri par les
larmes de ces imbéciles , voyant là la bonne
vieille France, il ne crut devoir faire nulle
concession au public, à la justice^ à la raison.
Jusque-là il avait quelque velléité de se fier au
Parlement {Arg., IV, 525). Mais cela lui passa.
Le Dauphin avait présidé le 6 le Conseil des mi-
nistres. Modeste et réservé, discret pour tout le
reste, il avait opiné nettement sur un point (le
point grave en effet) : Faire le procès par une
commissùm dont le travail serait couvert, sano-
tionné par quelques magistrats valets qui seuls
restaient de la Grand' Chambre. C'était étouffer
le procès, l'étrangler doucement entre deuz murs,
entre deux portes.
Les vrais Parlementaires s'étaient offerts pour-
tant. Leur chef, l'illustre Chauvelin avait dit :
« Il faut que l'on sache qui est coupable et qui
est innocent. Il ne faut pas qu'on fasse comme
pour RavaiUac. La Grand'Cbambre s'y déshonora,
ne laissant du procès qu'obscurité, nuag^. Il y
faut la lumière et tout le Parlement. »
Le 9, le Roi décide (avec le Dauphin, les Jé-
suites) que le procès sera fait dans ud coin, cro-
qué entre Maupeou , Hifolé et deux comparses ,
signé de cette ombre de Chambre. Puis, pour
:.bv Google
— 379 — (ns7)
donner le chaîne, on en lira extrait aux pairs et
princes , qui seront appelés pour honorer la
chose, un semblant de publicité.
Qui voulait-on couvrir avec tant de précau-
tion? Pour qui avait-on tant de crainte? Le bon
sens du public posa la question ordinaire du ju-
risconsulte : a Cuiprodest? Qui peut y avoir in-
térêt? »
On se répondait : « Les Jésuite?, selon la vrai-
semblance. Samiens, de son canif, eût fait un
roi jésuite. Il avait fait du moins un quasi roi,
lieutenant du royaume ( le titre de Henri de
Guise). »
« Les jansénistes auraient été bien fous de tuer
Louis XV pour faire arriver le Dauphin, celui
qu'ils redoutaient le plus et leur capital en-
nemi. »
L'altitude des Parlementaires, certes, disait
qu'ils n'étaient pas coupables. Tout en s'of-
frant au Roi pour juger Damiens, ils ne vou-
laient rentrer que par la porte d'honneur, en
maintenant tous les droits de leur corps, les li-
bertés publiques. Là ils furent intrépides, il faut
l'avouer. C'était un moment de trouble, de ter-
reur, de réaction. Le Dauphin, un jésuite, était
lieutenantdu royaume. Ârgenson, un jésuite, outre
la Guerre, avait Paris et la Police, Ai^enson avait
fait un pas grave, de faire tenir le Cotisa des
Douze, bv Google
(HM) 380 —
ministres dans l'appartement du Dauphin, de
transférer là le pouvoii-. Que fût-il advenu si
Maupeou et Mole, regardant le soleil levant, pour
brusquer la fortune, eussent fourré les Parle-
mentaires dans le Procès de Damiens? Notez que
Damiens avait été leur domestique. Au milieu
des tortures , pour être ménagé , il pouvait dé-
poser contre eux. Superbe occasion de transfé-
rer le crime du domestique aux maîtres, de les
faire assassins, de régaler le Gesù de leur sangl
Une chose aida fort à sauTer les Parlemen-
taires, c'est que !a cabale autrichienne crut de-
voir travailler pour eux. Par la Dauphine el la
maison de Saxe, l'Autriche avait gagné un peu
le Dauphin, Argeuson, mais les trouvait fort
tièdes. Ils refusaient les cent mille hommes.
Pour les avoir, Marie-Thérèse devait renverser
Argenson, abaisser le Dauphin, faire remonter
la Pompadour et le parti du Parlement.
LaPompadour, ainsi ancrée, ne risquait guère.
Avertie par Machault assez durement de son ren-
voi, au lieu de faire ses malles, elle donnait de
grands dîners (Arg., IV, 350). Le Roi ne sortait
pas encore, n'y allait pas. Mais par Bemis, son
homme, elle lui avait fait trouver bon qu'on
lâtât les gens des Enquêtes, qu'on vît si Jus-
tement entre ces grands crieurs la corruption
ne mordait pas. 11 voulait vivre. L'affaire de
Douze. bvGoogle
— 581 — (17M)
Damiens où l'on ne voyait goutte, l'incpiiélait et
de plusieurs façons. Par Bernis ou par d'autres,
il lui revint qu'on n'accusait que les Jésuites, te
parti du Dauphin. Un jour il oublia qu'il était
blessé, s'habilla, alla se promener... chez M"™ de
Pompadour (15 janvier).
Cette infortunée, toute en larmes, fut difficile
à consoler. Elle voulait, exigeait pour cela que le
Roi chassât Ârgenson. Grande était la difficulté.
Le Roi se souvenait de la tragique scène qu'il
avait eue de sa famille pour le renvoi de Mau-
repas. 11 est vrai qu'il était frappé de l'empres-
sement de d'Argenson pour le Dauphin. 11 s'en
voulait un peu lui-même d'avoir, étant si peu
blessé, donné le pouvoir, et à qui? Moins à ce
gros enfant qu'aux Jésuites de robe courte, Muy
le fanatique , et l'intrigant La Vauguyon. Les
Pères eux-mêmes ne lui plaisaient pas trop avec
leur fausse austérité. Gens trop connus pour
leur peu de scrupule. Dans sa correspondance
étroite avec l'Espagne, qui ne cessa jamais, il
savait à merveille l'audace inouïe des Jésuites
(1753), lorsque leur Pari^ai fit la guerre à deux
rois.
Gela trancha. Mais en immolant Argenson, il
compensa la chose par une autre fort agréable
à la famille : l'exil de seize conseillers, la des-
titution de Machault, du fameux ennemi du
:.bv Google -^
(1767) _ 58S —
Clergé, contre qui depuis huit années on em-
ployait Adélaïde. Cela la calmait à coup sûr; la
tempête était désannée.
Pendant que cette affaire se brasse (du 15 au
31 janvier), on transporte Damiens à Paris. La
nuit du 18, à deux heures du matin, par la
barrière de Sèvres, c'est comme un tourbillon,
un tremblement de terre. Force carrosses, force
cavalerie qui va le pistolet au poing, comme
en ville prise. Paris apparemment est du parti
de Damiens et voudrait le sauver? Malheur aux
curieuses en bonnet de coton 1 Gare aux fenê-
tres! Fermez, ou l'on fait feul {Barbier, YI,
345.)
C'est un mystère d'État. Silence. La Gai&^te
de Frame n'ose en dire que trois mots. Et le
Mercure n'en parle que pour dire qu'il n'en peut
parler. La magistrature le défend.
Les magistrats bien décidés à plaire hésitent
encore. A q ui plaire? Qui est la cour en ce mo^
ment? Le gouvernement existe-t-il? Ai^enson et
Machault sont à cent lieues de croire qu'ils vont
tomber en même temps. Choiseul, l'agent zélé de
Vienne, qui venait d'arriver pour seconder la
Pompadour, se donna le plaisir d'aller voir Ar-
genson, et de lui dire sa chute. Il n'en voulut
rien croire. « Bah I dit-il, le Roi m'aime. » Il se
croyait le favori. Choiseul sort. Une lettre du
:.bv Google
— 383 — (1351)
Roi, sèche et dure, lui dit de partir. La lettre au
contraire pour Machault était affectueuse; il par-
tait honoré, remercié, avec pension.
Ainsi la Pompadour , faisant la part du feu,
sacrifiant Machault, fut rétablie, et plus haut que
jamais. Avec son Autrichien Ghoiseul et son ami
Demis, pendant tout février, elle fit un travail
très-agréable au Roi, un maquignonage secret
pour ga^er les Enquêtes, cakner le Parlement
et désarmer les fanatiques. Le Roi désirait vivre,
et Vienne désirait tourner tout vers la guerre. La
Pompadour voulait se venger, s'affermir en brisant
le Dauphin, les Jésuites. Elle Élisait entendre se-
crètement aux Parlementaires qu'elle était avec
eux, intéressée comme eux à la suppression des
Jésuites. Damiens réellement leur avait porté un
grand coup; les deux cents enfants retirés le 6
janvier de leur collège n'y rentrèrent pas ; l'herbe
poussa dans les cours de Louis-le-Grand (J. (Jui-
cherat). Leur guerre américaine à l'Espagne et
au Portugal rappela leur passé régicide et
leur élève Jean Châl«l. Kaunitz était contre
eux, donc Ghoiseul et Bonis. Sur ce terrain
commun, on put négocier avec les jansénistes
en février, en août {Rick., VIII, 365-399).
Le d*' février, l'exil de d'Argenson marquant
bien la situation, et montrant le Dauphih et les
Jésuites en baisse, on sut onnment on ferait
Douze, bv Google
(.1761) —"384 —
procès. On n'employa pas Ûamiens à écraser
les jansénistes avec qui on négociait. On ne
compromit point les conseillers ch:ez qui Da-
miens avait servi. Leur présence , en effet ,
leurs pardes fîères et imprudentes auraient pu
gâter tout. Maupeou el ses consorts craignaient
l'éclat, le bruit. Le peuple leur était si hostile,
que le 29, tenant une audience publique, ils
n'osaient plus sortir; ils s'esquivèrent par cer-
taine porte de derrière.
XiCur plan pour Damiens, dont ils ne sortirent
pas, quoiqu'il fât démenti en tout, fut de sup-
poser qu'il était l'instrument gs^é d'un parti.
Quel parli? anglais? jans&iiste? jésuite? on ne
l'éclaircit point.
On tenait fort à faire de Damieus un vaurien
et un. libertin. On fit comparaîtoe les siens, père,
frères, femme, HUe, pour le chai^r et parler
-contre lui. On les terrifia, les faisant accusés,
et non simples témoins. Épouvantés, ils dirent
te pis qu'ils purent, au fond très-peu de chose.
Sa vieille femme surtout lui reprocha d'être
souvent six mois sans revenir coucher.
Ses maîtres ne l'accusèrent, que de manies,
mais pluaioirs déclarèrent qu'ils tenaient fort
à lui. Et lui aussi il fut souvent attaché à ses
maîtres. Quand il revit H. de Maridor, il s'at-
tendiit beaucoup et s'essuya les yeux. On voit
^c'b, Google
— 585 — [1.757)
par la déposition remarquable de ce témoin ,
le biea, le mal. 11 servait bien. H avait de l'esprit,
et de la piétés mais n'avait pas passé impuné-
ment par les Jésuites : il dissimulait par mo-
ment, el se mêlait de trop de choses (194).
Ce qui surprend, c'est que la petite dame ■
entretenue qui lui fut si fatale « et lui jeta un
sort, » ne lui reprocha rien dans sa déposi-
tion , sauf d'avoir montré répugnance à faire
certaines commissions, autrement dit de n'avoir
pas aimé le métier de mercure galant. Il avait
l'air sinistre , parlait seul et se regardait dans
les glaces. Du reste, point méchant, ni adonné
au vin, dit-elle (182).
Ainsi les maîtres, pas plus que les parents,
ne le chargèrent. De lui et de lui seul, on
pouvait tirer quelque chose. Précieuse occasion
pour les juges de montrer tout leur zèle, leur
amour pour le Roi. Maupeou en sentait le be-
soin, passant pour homme double qui jouait
à la fois et la cour el le parlement.
Damiens est resté pour la physiologie un
exemple célèbre de ce qu'on endure sans mourir,
un singulier et curieux patient. Chacun y prouva
son amour par l'excès de la cruauté. On avait
commencé (je l'ai dit) par griller ses jambes.
On lui mit des menottes de fer si dures,
qu'ayant la fièvre et le délire, il n'eût rien dit
xci. 35
D,a,l,zc.bvG00gIf
()m) — 386 —
du tout. On desserra ua peu. Alors, se frottant
les poignets, mordant son drap, il langa un
regard enragé el désespéré (181). A Paris, en-
fermé dans la tour régicide (de Montgfaamoy
et Ravaillac) , il y fut sanglé jour et nuit étrw-
tement sur un lit de fer. Ses gardes, tout au-
tour, étaient là attentifs, écrivaient ses mots ou
ses a:i3 : a On me fait parler , disaiUl , quand
j'ai le transport au cerveau. » Cependant, à
côté, dans cette horrible tour, on mangeait,
bavait et riait. Il y avait un «Hiisinier du Roi,
et table pour quinze personnes.
Aux interrogatoires, il mentit d'abord quelque
peu dans l'idée de faire croire qu'il n'avait au-
cune famille , craignant pour sa fille et sa
femme. A cela fwès , il parut franc et vrai , et
non sans présence d'esprit. Le maladroit Mau-
peou lui disant : « Vous étiez dans de bonnes
maisons où vous ne sentiez guère cette misère
du peuple. » Il répliqua : « Qui n^est bon que
pour soi, n'est bon pour rien. »
Sauf la nuit où l'homme de police le surprit et
leât mollir, il n*esp^a et ne demanda rien. Hais^
avec ce courage, il n'injuria point, ne rét^mina
point sur la Sodôme de Versailles, les «liants
enlevés, vendus, etc. 11 gardait te respect. Vei-
fronté président, sûr qu'il ne dirait rien, osa le
mettre là-dessus, pour bien isolOT cette affaire du
D,a,l,zc.bvG00gIe
— 587 — tf.im':
mouTement de 1750. Damiens ai effet ne dit
ri^ ii-^^)j àa moins s'il laut en ofoire le Procès
imprimé.
« Point de complices ni de complot. » Sur
■cela il fut immnaHe^ Grand chagrin pour la cour.
la famille restait inquiète. La Pompadour est
•donné tout pour qu'il compromit les Jésuites.
niais pas on mot. Les juges humiliés « pour le
faire chanter, » demandèrent, ûrent venir d'Âvi-
gnoD unesavante machine papale, admirablement
calculée pour donner d'horrihles douleurs. Seu-
lement elle étail si parfaite qu'elle eût trop
^régé. Les méàedim d'ici , pour oette vie pré-
cieuse, aimèrent mi^ix qu'on s'en tînt aux coins,
-qui, s^^raut [SU à peu, faisant craquer les os,
domtaicrat un spasme atroœ, mais mesuré à vo-
lonté, d; ï^ravé on répété. On lui poussa jusqu'à
huit coins, et on ne s'arrêta qu'au point où les
hommes de l'art dirent qu'il pouvait mourir. Ce-
pendant, dans l'horriWe épreuve, pas plus que
dans ses souffrances de deus mois, il ne céda
à la nature , n' éclata nul adoucissement en
se supposant des complices. Il n'articula rien
qu'un propos léger d'un Gauthier, le jeu de mots
bannal du temps : « Le point, c'est de tmcho'
le Boi. »
TcKit fini, arran^ à huis-clos par les quatre,
on joua, au moyen des quarante coquins qui si
Douze, bv Google
(1757) — 588 —
mutaient le Parlement {la carcasse de la Grand'-
Chambre, dit Ai'genson), une scène de séance
solennelle , où siégeaient les pairs et lés
princes.
Devanl cette auguste assemblée , on apporta
Damiens et on le fixa par des sangles à des an-
neaux de fer scellés dans le parquet. Il ne fut
point déconcerté. Au contraire, sorti des tortures,
et léger de sa mort prochaine, i! parut assez gai.
Il nomma plusieurs pairs : « Voici MM. d'Uzez,
de Boufflers, que j'ai servis à' table. » A M. de
Noailles : « Monsieur, n'avez-vous pas froid avec
des bas blancs ? Approchez de la cheminée. » A
M. de Biron qui lui demandait ses complices :
« Vous, peut-être, » dit-il en riant. Cette gaieté
alla un peu loin pour les quatre : « M. Pasquier,
il faut le dire, parle bien, parle comme un ange.
Il devrait être chancelier. » (Rich., IX, 29).
On lui fit quelques questions; mais Maupeou
craignait tant qu'il ne répondît mal, qu'il par-
tait à sa place, lui laissait dire à peine un mot.
On assomma les princes d'un rapport qui dura
vingt-six heures à lire et ne leur apprit rien. Or-
léans et Conti furent indignés. Conti, alors dis-
gracié et qui le 13 décembre avait opiné hardi-
ment, eût été volontiers le chef des résistances.
11 demanda où était le journal tenu par les gar-
des. Il demanda pourquoi on ne faisait pas
Douze, bv Google
— 589 — (1757)
comparaîlre « ceux avec qui Damiens avait eu
des rapports. » Cela voulait. dire les Jésuites.
Le pt'ocureur du Roi, au nom du Roi, de-
manda et obtint arrêt, — l'arrêt de Ravaillac,
l'arrêt le plus cruel du plus complet supplice
qui fut jamais (brûlé et tenaillé, rompu, tiré et
démembré, enfin brûlé encore et mis en cen-
dres). L'imagination défaillante ne put rien au-
delà. Les juges, en leur amour ardent poqr le
meilleur des rois, cherchèrent en vain, ne trou-
vèrent mieux.
Le Roi souffrirait-il celte abomination ? « On
a dit qu'il eut quelque idée d'enfermer Da-
miens chez les fous » {Hausset^ 165). Il aurait
fait un acte sage. Emporter l'infamie d'au-
toriser cela, pom-quoi? pour assurer sa vie?
c'était prendre sur soi, sur son nom, sur son
âme , un horrible fardeau , et pour tous les
mondes à venir.
Damiens, et son petit canif (qui n'entra pas,
glissa , Richelieu le dit au Procès) , Damiens
avait rendu au Roi un vrai service. H l'avait re-
levé. Avant , huit Parlements lui refusaient
l'impôt. Ses financiers ne trouvaient plus d'ar-
gent. Chauvelin avait dit : « C'est le dernier
soupir de la monarchie expirante »(Âi*^ônson).
Mais après l'écorchure, quel changement! Les
femmes pleurent. Le Parlement , bon gré mal
DolizccbvGoOglc
(1157) _ 390 —
gré, se calme, ayant peur qu'oa ne dise : a lis
sont ponr Damiens. »
Le Boi d'aittears était qu^que peu engagé.
Il aTait dit au moment : « Je pardonne. » C'est
qu'il croyait mourir , paraître devant Dieu.
Guéri, il écouta tons ceux qui le prîaiait de se
garder par )a terreur.
Donc , cette chose horrible eut lieu le 28
mars. J'aime mieux que le greffier racmle. Il
snivit l'homme , et il vit tout , tant qu'il en
resta un morceau :
« Descendu dans la chapelle de la Concierge-
rie , l'accusé n'a rien déclaré. Là , les pri^s
chantées, ei la bénédiction du Saint-Sacrement
donnée, l'arrêt lu dans la cour, et le cri fait
par }e bourreau, il a été mené en tombereau à
la porté de Notre-I^ime. Je lui ai dit, « qu'ayant
porté ses mains sanguinaires sur l'Oint du
Seigneur et le meilleur des Rois, ses supj^ccs
suffiraient à peine ponr venger la Justice hu-
maine; que la Justice divine lui en réservait de
plus grands, s'il ne révélait ses complices. —
Réponse. Ni complot , ni complices. Mais j'ai
insulté M. l'archevêque. Je lui en demande
pardon. »
Les commissaires (Maupeou, Mole, Pasquier,
Severt) étaient à l'Hôtel de Ville pour l'écouter.
Il ne dit rien de plus (quoique la tentation fût
Doiizccb, Google
— 591 — (1Î57)
grande de relarder de si excessives douleurs).
Sur l'échalaad, on lui brûla d'abord la main
qui tenait le couteau. Je lui demandai ses com-
plices. Il ne dit rien, fut alors tenaillé aux l^as,
cuisses et maoïellcs; et dessus ou jetait buile,
poix, cire, soufre et plomb fondus. Il criait :
« Mon Dieu, de la force I Seigneur, ayez pitié I
Dieu I donnez-moi la patience. »
Il était fort. Et quatre forts chevaux ne pu-
rent l'écarteler. On en ajouta deux, avec peu
de succès. Le bourreau, excédé, peut-être ayant
pitié (de quoi il fut puni), monta et demanda
aux ««nniissaires « ta permission de donner un
coup de tranchoir aux jointures, » ce qui ixA re-
fusé d'abord « pour le faire souffrir davan-
ta^. » (Barbier, YI, 507.) Cela aurait trop
abrégé. Nombre d'wiateurs distingnés, de gran-
des dames, qui avaient loué cher les croisées
de la Grève , n'auraient pas eu pour leur ar-
gent. Les commissaires auraient paru peu zé-
lés pour le Roi. Cependant à la longue, pour en
finir avant la nuit qui venait, on permit de tran-
cher. Les deux cuisses partirent les premières,
puis une épaule. Il expira à six heures un
quart, le jour finissant (28 mars 1757).
n n'a pas blasphémé, dit Barbier, ni nommé
personne. Mais pour la religion, les confesseurs
n'en sont pas trop contents. {BarUef, VI, 508.)
(1757) — 592 —
Pour le confesser et l'absoudre, on exigeait
qu'il en devînt indigne, qu'il nommât des com-
plices (qu'il n'avait jamais eus). Il s'en passa.
Et il resta visible, par son procès, qu'il n'était
ni de l'un, ni de l'autre parti Ibéologique, qu'il
avait cru agir « pour Dieu et pour le peuple
{65}.. . Ayant été touché de voir à Paris, à Arras,
le peuple vendre tout ce qu'il a pour vivre »
(105, n»* 156-157).
Les quatre commissaires furent payés après
le supplice, reçurent des pensions du Roi (Bar-
bier). L'affaire fut excellente pour Meaupeou ,
dont le fils deviendra plus tard chancelier.
Rien de mieux mérité. Ils rendirent le ser-
vice de laisser le procès dans l'obscurité désirée.
Ils permirent au greffier de le publier, écourté,
avec un précis inexact, faux, de la vie de Da-
miens, que tous les historiens ont religieusement
copié.
Les nombreux témoignages qu'on n'a pu sup-
primer, et qui se lisent en ce volume du gref-
fier , quoique mutilé , m'ont permis de refaire
cette vie selon la vérité. J'aurais voulu pouvoir
consulter les originaux, bien plus complets sans
doute. Quand je commençai ces éludes aux
Archives, il y a trente ans, mon collègue M. Ter-
race qui avait en main les r^istres du Parlement
au Palais de justice (où ils étaient alors) , me
Douze. bvGoogle
— 595 — {«571
mena au coin d'un grenier, me dit : « Voici
tout ce qui reste du Procès , » et il souleva
une horrible guenille , un lambeau rouge de
la chemise du patient qu'on avait conservée.
Pour les registres, rien. Les feuilles, à cette
place, étaient brutalement arrachées.
:.bv Google
CHAPITRE XXII.
Frëdénc. — Rosbach. 17&7.
Écartons le regard au plus loin, et voyons
l'Europe.
A ce moment (1" avril 1757), elle offre un
grand spectacle, rare, imposant, terrible. Tous
les rois sont d'accord. De tous les points leurs
armées sont en marche. La terre tremble, ébran-
lée sous les pas de sept cent mille hommes.
Tous contre xm seul. Tous contre Frédéric.
La chasse s'ouvre, et c'est la SaintrHubert.
Il sera bien habile, entre tous ces chasseurs,
s'il peut esquiver, échapper (Voltaire).
En même temps, juste en ce mois d'avril, la
guerre est déclarée à la libre pensée. Des ordon-
nances atroces ouvrent la chasse aussi contre les
:.bv Google
— 595 — (mt)
philoso^es, la librairie, l'imprimefie. A l'écri-
Tain la GrèTe, au libraire les galères à perpé-
tuité. Pour les moiuâres d^its, pàialités sau-
▼ages.
Cela éclaire le temps, fait CMUprendre la crise.
La croisade se fait et contre Frédâic, et contre
l'Encyclopédie. Mort aux penseurs, tl m{»t au
roi de la pensée I
Gloire peu commune* Frédéric, mis au bas du
monde, voit {soscrire avec lui la grande année
des gens de lettres , « cette association frater-
nelle, désintéressée, que Ton ne reverra jamais. »
L'Encyclopédie est brisée, démembrée. D'Alem-
hett laisse là Kderot. La meute de la réadion
hurle de joie, ftémn, les Jésuites et Trévoux
mêlent un concert sauvage au tambour de Marie*
Thérèse.
il est biea temps qu'on fasse réparation à
Frédéric, nié ou dénigré, amoindri cent années.
Le complot Autrichien et la Presse gagée de
Choisi ont épuisé sur lui la calomnie.
Voltaire, pour nn toat passager et fort exagéré,
l'a cruellement persécuté, dans ses écrits pos-
thumes, poursuivi par ^là la mort.
Napoléon, en protestant de son admiration pour
ce grand capitaine, n'oublie rien pour le ravaler.
1^ jugeant ses opérations par ses règles géné-
rales de géométrie militaire, il se garde de rap-
:.bv Google _
(i757) — 396 —
peler les circonstances très-spéciales, où fut le
roi de Prusse. Il affirme hardiment, entr'au-
Ires choses, que l'Autriche qui préparait la guerre
depuis douze ans fut prise à l'imprévu. Il vou-
drait faire accroire qu'elle était inférieure en
moyens militaires, oubliant ce grand fonds si riche
qu'elle a, dans ses peuples soldats, ses Hongrois,
ses Croates, les régiments frontières, la ma-
chine créée par Eugène. Surprenante ignorance,
ou volontaire aveuglement? Il fallait d'abord
reconnaître la chose énorme et capitale, c'est
que l'Autriche, la France et la Russie, dans
leurs cent millions d'hommes, avaient un grand
fonds naturel, qu'au contraire Frédéric (si pe-
tit! quatre millions d'hommes) n'opérait qu'avec
une force absolument artificielle , une épée
forgée de vingt pièces, l'armée soi-disant prus-
sienne, mais créée de toute nation. Œuvre d'art
qu'on ne vit jamais et que n'ont plus offert les
armées de la Prusse.
Celte armée, ce monstre admirable, eut l'u-
nité passive dans une discipUne terrible, mais
l'unité active, la puissance et l'élan dans la
grande àme qui l'inventa, la fit, la coinmandâ,
et marchait devant elle, lui donnait l'étincelle
dans l'éclair bleu de swi regard.
Fut-il le conducteur heureux d'une armée na-
tionale, homogène, inspirée et brûlante (comme
DiailizccbyGoOgle
— 397 — ("51)
fut noire armée d'Italie), d'une armée lancée des
hauteurs de la Révolution, qui roule à la victoire
par une irrésistible pente? Point du tout.
Il fut moins encore un Wallenstein , chef
puissant de l'universel hrigandage, le tyran re-
douté près duquel tous cherchaient la liberté du
crime.
L'armée de Frédéric n'eut ni l'un, ai l'autre
principe. Dans sa discipline excessive, elle fut
soutenue par l'idée, confuse, mais très-haute, de
son grand Esprit :
L'Esprit guerrier, vainqueur, et si grand de
lui-même que vaincu il ne baissait pas ;
L'Esprit défenseur et sauveur (quelque fran-
çais qu'il fut), sauveur de la patrie Allemande,
contre la barbarie Russo-Tartare , Hongro-
Croate, etc.
PluSj ce qui est plus haut , le vrai Roi des
Esprits, celui vers qui les penseurs libres, de
tous les côtés de l'Europe, se tournent et regar-
dent, d'une part d'Alembert, Diderot, et d'autre
part Euler, plus tard Kant et Lessing, Herder,
Gœthe, la jeune Allemagne. Revenant à sa lan-
gue, elle eut pourtant sa source, son nerf en
l'héroïsme de la Guerre de Sept ans. Si Kant,
aux rocs dé la Raltique, forgea l'horame de fer
de la force immuable, c'est que, dans l'action,
sous le poids de l'Europe , ; un homme avait
Douze, bv Google
(1751) — 398 —
montré le granit et le fer de l'inniicible volmté.
Chose bizarre, il était né plidiôt pour les arts
de la paix et ne semblait pas avoir le tempéra-
ment militaire. Le fonds de Frédéric, comme on
l'a très-bien dit, c^était l'homme de lettres. ^>eo-
tacle sm^renant de vmr ce petit ÏKHnme, reflet
et presque gras, si mou jusqu'à trente ans, mar'-
cher devant ses troupes aux profondes boues de
Westphalie', dans les ndges des monts de B(^
bème, dans ces batailles affreuses de décaobre
et janvier, ne connaissant hiver ni été, ni repos.
En paix , tout anssi grand. On n'a jamais
connu de roi qni se soit sonveau à ce point des
devoirs du Roi, « le premier serviteur de TËlat
(ce sont ses paroles). » D voulait l'impossible.
Dans scm zèle inquiet, il serait devenu volontiers
le seul juge. On Ta vu, des années entàèros,
suivre une enquête sur xm minime procès de
paysan , avec une pas»OD , un acharnement de
justice, à vrai dire, sans «temple. Il recevait ks
réclamants, il les faisait chercher et les encounn
geait. Uoquenr pour d'autres, avec les pauvres
gens, il était s^enx, les consolait, leur
expliquait la dure fatalité d'un gouvernement
en péril (entre Russie, France et Autriche),
pressé dans un étau âitre les trois géants.
Par lui, le paysan affranchi du servage, eut um
liberté relative, ti>ès^rande, si on la compare au
Douze. bvGoogle
— 599 — («511
sort abject de ceux de Mecklembourg, de Polo-
gne et Russie, ^ul inapte qu'indirect. La libre
électi(Hi des pasteurs , du mallre d'école (s'ils
repoussent celui que le consistoire a choisi^.
Enfin, l'appel au Roi. Moyen grossier, barbare,
qui pourtant effrayait, contenait les fraction-
naires. Ce qui est sûr, c'est que les étrangers ve-
naient en foule à Frédéric : tels pour l'armée,
comme les lords Keilb et Haréchal; tels pour
l'industrie, la culture. Tant de colons qui
affluaient, parlent assez haut pour lui. Les ré-
fugiés de tous les cultes Tenaient au grand asile.
Près de nos protestants, chassés par les Jésniles,
aiTiTèrenl les Jésuites , quand leur ordre fut
supprimé.
Je hais les fades et £ausses légendes du des-
potisme bienfaisant, des bons tyrans, etc. Mais,
ici, on doit avouer que, sans le nerf tendu d'un
gouvernement concentré, sans une discipline
terrible, la Prusse n'eût jamais subsisté. Bien
plus, sans l'énergie de ce grand défenseur, les
événements les plus sinistres étaient à craindre
pour l'Europe. On vit (1744), lorsque Marie-
Thâfèsc crut envahir la France, l'atrocilé bar-
bare des bandes qui firent reÊfroi de l'Alsace et
de la Lorraine , les mutilations turques , les
brûlés et les éventrées.
D'autre part, quand les Russes virent PEu-
D,a,l,zc.bvG00gIf
(ns7| _ 400, —
rope épuisée (1748}, ils eurent l'idée d'avan-
cer à l'Ouest, d'entrer en Allemagne. Frédéric
ajourna ce danger tantôt en payant leurs mi-
nistres, tantôt en montrant qu'il pourrait faire
appel à la France et à l'Angleterre (Dover, II,
179). Moins prudents les Anglais, dans la peur
d'une descente (1755), eurent l'idée déplorable
d'acbcter cinquante-cinq mille Russes, et de les
lancer sur la France. Frédéric se mil entre, jura
qu'ils ne passeraient pas.
On ne voit pas assez son danger permanent,
dans cette ombre mortelle , sous ce froid géant
famélique, dont la gueule dentue bâille toujours
vers le riche Occident. Bêle épouvantable de proie, .
entourée par surcroît des vermines affamées, la
racaille Cosaquo-Tartare, déménageurs terribles
(en Hongrie ils prenaient jusqu'aux glaces cas-
sées, 1849; en Polt^ne ils prenaient jusqu'aux
jouets d'enfants, jusqu'aux poupées brisées).
Quand Frédéric arrache à la Russie un morceau
de Pologne, c'est qu'elle l'a déjà dans les dents.
Revenons à l'année 1757.
Il est très-faux de dire que d'abord Frédéric
n'eut affaire qu'à l'Autriche. En avril, cent cinq
mille Français entraient chez lui par leTiord et
le Centre. En avril, les Suédois, entraînés par
ia France, franchissaient la Baltique. En avril,
la Diète Allemande , menacée par la France,
:.bv Google
— 40i — [1757)
poussée , forcée , armait contre la Prusse. Eu
avril, la grande armée russe s'ébranlait, et ses
masses hideuses de Cosaques et de Tartares. Elle
allait lentement. Mais la cruelle approche d'un
tel fléau foiçait Frédéric de tenir une armée au
Nord et d'affaiblir d'autant celle qui agissait
au Midi.
L'Autriche, n'était point désarmée. Elle avait
concentré de grandes forces sous Charles de
Lorraine et Brown. Une autre armée , sous
Daun, se formait à côté, augmentée chaque jour
d'inépuisables flots de la barbarie du Danube.
Un malin , du milieu de son calme apparent,
Frédéric fond sur la Bohême. El le voilà vers
Prague , aligné devant les barbares. Depuis dix
ans, la Prusse n'avait pas fait la guerre (6 mai
1757). Son armée, en partie novice et mêlée de
tout peuple, serait-elle au jour du combat celle
qui frappa de si grands coups? On pouvait en
douter. L'Autrichien se croyait couvert par des
marais où l'on enfonçait à mi-jambe. Il fut bien
étonné de voir la sombre ligne noire de soixante
mille hommes qui résolument traversait ce sol
mouvant, venait à lui, — plus étonné de voir que
celle ligne immense, sur une demi-lieue de lon-
gueur, et par un tel terrain, ne flottait pas, qu'elle
avançait d'ensemble, aussi droite qu'une barre
d'acier. Nulle musique pour régler le pas. Au vain
:.bv Google
(H5T1 ~ 402 —
tintamarre turc des Autrichiens, nul bruit, nulle
voix ne répondait. La masse noire allait, comme
un spectre muet, ne répondant pas même aux ca-
nons, à la fusillade. Le Roi défend qu'on tire, veut
toucher l'ennemi et frapper de la baïonnette.
Le curieux était de voir cette armée toute'
neuve devant l'arlillerie, la cruelle canonnade
emportant des lignes entières, — de voir aussi en
danse la fille vierge de Frédéric, son œuvre, sa
cavalerie, induslrieusement préparée, une Hon-
grie du Nord contre la Hongrie de l'Autriche.
Cette merveille ici paraissait pour la première
fois.
Grande épreuve. Tous les généraux marchaient
devant. L'honneur du premier coup fut à Fou-
quet, l'un des Français de Frédéric. D'autres
généraux tombent. On allait lentement sous ces
bouches de fer qui crachaient un enfer de mort
et de fumée. Un des pères de l'armée, le vieux
Schwérin, jeune à soixante-douze ans, ne souffifit
pas cela. Pour enseigner les jeunes, il empoigne
un drapeau, marche droit à ces chiens, les fait
cracher contre l'Autriche.
il fut tué, mourut dans son drapeau. Mais
l'effet en fut tel que l'infanterie, dès lors maî-
tresse, ayant d'un coin de fer fendu en deux parts
l'ennemi, il ne put jamais réunir ses deux moi-
tiés. L'une s'enfuit à gauche, alla joindre l'armée
:.bv Google
— 403 — [17J7)
de Daun, qui était à huit lieues. L'autre, énorme
(48,000 hommes), se mit derrière les murs de
Prague. *
Napoléon, dans le repos de Sainte-Hélène, me
semble ici bien dur pour un homme en situation
si terrible. Il le trouve imprudent, précipité, un
téméraire qui de ses calculs élimine le lieu, le
temps, toutes les règles. — Mais quoi?f7 -rCy avait
plus de temps!
Il faut juger ces choses par la crise révolution-
naire. Frédéric était juste au point des premiers
généraux de la Révolution. L'extraordinaire, l'ab-
surde, l'impossible, entra dans ses moyens, par-
lois lui réussit.
Voici le fonds , le vrai : comme les Russes
vont lentement, lui donnent quelques mois,
comme des trois colosses , Russie , France et
Autriche, il n'en a que deux sur les bras, il
doit ou périr sans remède, ou pour un an dé^
armer deux empires. Eh! bien, il le fait à la
lettre :
Vainqueur, vaincu, en trois batailles horrible-
ment sanglantes, il fil une saignée à l'Autriche,
telle qu'elle ne remua de longtemps.
Par l'affaire de Rosbach, d'immortel ridicule,
il porta à la France un si grand coup moral,
qu'elle se méprisa , fit des vœux contre soi ,
n'admira plus que son vainqueur.
Douze, bv Google
(1757) — 404 —
Napoléon, certes, est bien dJlficile. Quoi de plus
grand se fit jamais?
« Oui, mais contre les règles. » Assi^er celle
grosse Prague, une garnison de cinquante mille
hommes I Quoi de plus insensé I
Plus insensé encore d'aller attaquer l'autre
armée, celle de Daun. « Il aurait dû d'abord en-
tourer Prague de double ligne de circonvallalion
et contrevallation. » Un travail de trois mois!...
Mais, pendant ce temps-là les Russes entreront,
les Français iront jusqu'à Berlin rencontrer les
Suédois f
Et ce Daun, à dis lieues de Prague, qui re-
çoit d'heure en heure des torrents de barbares,
si on ne t'élouffe aujourd'hui, demain ce sera
une mer , un déluge d'armes et de soldais.
Frédéric y court. Il le voit perché haut, retran-
ché. N'importe. Daun a soixante mille hommes,
Frédéric trente mille. N'importe. La force révo-
lutionnaire c'est le mépris de l'ennemi. Daun
résiste, crible Frédéric. « Celui-ci a tort? » Point
du tout. Daun en reste si faible, qu'il ne peut
bouger de sept mois. Sept mois ! Gagner cela,
mais c'est plus que d'avoir vaincu.
Ces batailles étaient des massacres immenses.
A la première, celle de Pr^e, vingt-huit mille
hommes restent sur le carreau; à celle de
Kollin, la seconde, vingt mille. Rien n'était
Douze. bvGoogle
— 405 — (1757)
préparé pour de tels événements, nuls secours
d'hôpitaux. Dans nu tel abandon, les blessés sont
des morts.
Horrible guerre de femmes I Avec quelle pas-
sion étourdie et sauvage les trois dames l'avaient
préparée I Avec quelle furie de colère, d'acharne-
ment, elles l'exécutèrent, dans leur mortelle envie
de tuer !e grand homme du temps I
Les malheurs se suivent et s'enchaînent. Tous
à la nie accablent Frédéric : malheurs publics ,
malheurs privés. Il perd sa mère, le soutien adoré
de sa jeunesse en ses cruelles épreuves. Il perd
son frère, en quelque sorte; ce frère, héritier du
royaume, eût mieux aimé traiter ; il fallut l'éloi-
gner. Au revers de Kollin succéda la nouvelle que,
pendant que la Suède a saisi la Poméranie, la
masse Russe (et sa nuée Tartare) entre par l'Est
et mange tout. Cependant les Français occupaient
tout rOuest, vainqueurs à bon marché, ne ren-
contrant personne.
Son unique alliée, c'était la petite armée de
Hanovre, misérable et peu aguerrie sous Cum-
berland, le fils de Geoi^es. Cumherland, battu à
Haslembeck , et sûr de l'être encore , recule et
recule toujours, poussé par Richelieu. Il arrive
à la mer. Va-t-il sauter dedans ? Ou bien le déses-
poir lui fera-t-il livrer bataille? Richelieu, qui,
je crois, a de sa propre armée la triste opinion
DolizccbvGoOglc
(17571 —Mo-
qué CumberlaDd a de la sienne, accorde à ses
trente-buit mille hommes la convention de KI0&-
ler-Seven : ils restent armés, maïs seront neu-
tres. Les Français gardent le Hanovre, point es-
sentiel à Richelieu , qui ne voulait rien que
piller, et qui put à son aise manger tout le pays.
Ainsi, le 8 septembre, Frédéric a perdu son
seul allié. Quoiqu'il détende encore la Silésie,
on fait de lui si peu de compte que les cavaliers
de l'Autriche s'en vont jusqu'à Berlin insolem-
ment la rançonner.
Voilà le point où Vienne voulait voir Frédé»-
rie. Là tendait tout l'effort des douze années. Ce
n'était pas en vain que la pieuse Marie-Thérèse
employait aux prières quatre ou cinq heures
par jours : elle était exaucée. Le mécréant sen-
tait le bras de Dieu. Dans ses fatigues extrê-
mes, ses mî^rcbes, ses combats acharnés, il y
avait à parier qu'il périrait. Mais cela n'allait
pas à la haine de Marie-Thérèse ; elle eût voulu
le voir prisonnier et traîné dans Vienne , se
déclarant vaincu, criant contre le ciel, disant
comme Julien l'Apostat : « Tu as vaincu, Ga-
liléen! »
Œuvre pie! Et elle est travaillée par des
Vollairiens. De Vienne, Kaunilz dirige tout. Son
actif instrument, plein d'esprit, plein d'audace,
Choiseul, jusqu'en août, suit ici le grand plan
:.bvGoogIf
— 407 — (1157)
autrichien : « La paix en France, et la guerre
en Europe. » Le Parlement se calme, les
exilés reviennent , la justice reproid son cours.
D'autant plus vivement le Roi pourra pousser
ïa guerre, accabler Frédéric.
Depuis août , Ghoiseul est à Vienne. De là ,
bien mieux que de Paris, il stimule nos géné-
raux, Richelieu et Soubise. Il a le zèle ardent
d'un homme qui monte au ministère, qui brûle
d'être ici le lieutenant de Marie-Thérèse. Dans
ses lettres {Riehdiet^, il ne cache pas le motif
qui le presse. Il est pauvre; il vit par sa femme
(délicate et fragile) ; s'il la perd, « il sera dans
la plus affreuse indigence. » Le pauvre est
capable de tout.
A ses dâïuts , il s'était posé en méchant
par les perfidies galantes, les femmes compro-
mises, les mots mordants. Il était craint des
sots. Il se disait alors le chevalier de Mau-
repas, autrement dit un Maurepas plus jeune,
qui reproduirait l'autre, son esprit, ses ma-
lices. Il passa son modèle.' Par lui surtout
l'Autriche sut pervertir l'opinion. On ne
croyait pouvoir éreinter Frédéric qu'en éga-
rant Paris, en corrompant la Presse. Tous les
écrivains faméliques savaient qu'on n'aurait rien
que par la cabale autrichienne. Ils prêtèrent
leur plume à Ghoiseul . Il eut un atelier de
Douze, bv Google
(1Î57) — 408 —
satires, de châDsons sur un même thème in-
variable , l'avilissement de Frédéric. Sur tous
les tons, sur tous les airs, on chanla, on dit
et redit qu'il vivait à la turque. Il n'appuyait
que trop ces bruits par un cynisme étrange,
.l'ostentation des vices dont il était bien peu
capable. Il n'était qu'un cerveau. S'il eût vécu
ainsi, certes, il n'eût pas gardé cette énerçie
prodigieuse , cette capacité étonnante de travail
jusqu'au dernier âge. Il n'est pas si facile d'être
tout à la fois un Henri 111 et un héros. On a
vu ce que Louis XV devint par ses vices d'en-
fance, son énervation féminine, sa honteuse ti-
midité. Une chanson terrible, vraie Marseillaise
du mépris , l'accuse précisément des hontes
qu'on reprochait à Frédéric. Elle éclaire mieux
que la Hausset, l'histoire du privé de Choisy
(1755).
Regardons les deux rois à ce moment (1757).
Que fait Louis XV? et que fait Frédéric?
Louis XV, après Vamiens, fut quelque temps
captif, n'osait sortir, aller au Parc-aux-cerfs. 11
avait toujoui^ chez lui Madame, mais uu
peu négligée , qui se désennuyait avec le petit
Louis XVI et le charmant petit Narbonne. La
Pompadour imagina, pour mettre le roi plus à
l'aise , de lui faire au plus près et contre la
chapelle, un Parc-aus-cerfs réduit, resserré.
Douze. bvGoogle
— 409 — (1717)
ignoré. Dans deux chambres sur la triste cour,
d'où l'on entendait le plain-chant, on lui logea
des filles (exemple la jeune épicière que vendit
sa mère alfamée, Hausset). On leur disait que
c'était un seigneur. Une dit ; « C'est le Roi ! »
Et on l'enrerma chez les folles. Ces belles in-
discrètes étaient fort incommodes, surtout par
l'embarras des couches , que délestait le Roi.
De plus en plus, il se fit donner des enfants,
pauvres jouets stériles , dont il se faisait ma-
gister, dans ce petit logis étouffé et fétide. Vie
sale autant que sombre d'un misérable pri-
sonnier.
Frédéric a du moins, il faut en convenir, un
intérieur plus aéré. Quel intérieur? quel cabi-
net? immense. Ce n'est pas moins que la plaine
du Nord, le grand champ de bataille de trois
cents lieues de long. 11 fait face aux deux bouts
par une rapidité terrible qui semble le vol des
esprits. Le soir, sous !a tente légère, qui fris-
sonne à la bise , il tire encrier , plume , tout
comme à Potsdam il écrit. Il fait des vers, souvent
mauvais, qui témoignent du moins d'un bien
rare équilibre d'âme. \rai siècle de l'esprit : ce
qui l'inquiète, c'est Voltaire. C'est à lui qu'il
envoie sa pensée (la dernière peut-être). Et le
danger l'inspire. Plusieurs de ces vers sont très-
beaux :
Douze, bv Google
. . , Pour mrà, menacé du naurrage.
Je dois. Taisant tète à l'orage.
Penser, vivre ei mourir en roi.
Voltaire lui avait jusque-là gardé rancune,
entouré qu'il était des caresses de k Pompa-
dour, de Kaunitz, de Choiseul. Il fat touché
pourtant, lui conseilla de vivre, et il écrivit à
la sœur de Frédéric qu'on pouvait s'arranger,
a que, si l'on voulait tout réméré, à la bonté
du roi de France » (21 août 1757), Richelieu
pourrait bien agir et se porter arbitre. C'était
le pire conseil à coup sûj: qu'on pouvait don-
ner. Frédéric, tout surpris qu'il fût de l'inno-
cence' de Voltaire, fit semblant de le croire, et
écrivit à Richelieu, le flatta, l'endormit. Riche-
lieu écouta , répondit , méoie se lit on chifîre
secret pour bien s'entendre avec le Roi. Devant
un pareil homme, il avait plus d'envie de né-
gocier que de se battre.
Frédéric l'amusait, préparait un gruid coup.
Il jugeait froidement qu'il lui restait des chan-
ces et de grandes ressources morales,
L'Allemagne lui faisait la plus absurde guerre^
à lui son défenseur, le défenseur des princes
que rAutriche poussait contre lui. Il les rappelait
au bon sens , leur demandait pourquoi Us se
hâtaient tant d'être esclaves , de faire les Alle-
mands serfs du roi de Hongrie. Contre qui mar-
D,a,l,zc.bvG00gIe
— 4ii — (17571
chaient-iU? contre celui qu'ils imilaient, adjni-
raient, révéraient, leur maître. L!Autriche même
tâchait d'organiser de» troupes à la prussienne.
Le petit Joseph II, enfant,, le fuLurczar Pierre IH,
ne juraient que par Frédéric. Nos meilleurs ofiûr
ciers (Saint-Gennai n et Luckner) étaient de par-
faits Prussiens. Leurs yœoï étaient pour lui ,
ceux de la plupart des Français. D'Angenson
n'ose dire qu'il lui souhaite de battre les nôtres,
mais U parle des Russes. « Ah! dit-il, si le Roi
pouvait accabler ces C(>quiDS l »
Quel eût été le detùl ,de tous les. penseurs en ce
monde, si l'on eût perdu Fsédérjcl, Berlin n' était-
il pas l'asile de la libre pensée, tle h plus pré-
cieuse des libertés, la liberté religieuse. Frédéric
le sentait. Il se sentait. gardien et d^s droits de
l'Empire et des droits de la fiijpsciBqçe, néces-
saire à la fois à la patrie, au monde, je ne trouve
pas ridicule (quoiqu'tqi ^it dit) qu'eu sa pensée
suprême, il invoque ,]'oaibre de Gatoo. .- .
Jamais personne ne brava tant la mort. 11 le
fallait. Ses soldats, si ;dociles en h^laille, étaient
exigeants, r^ardaient s'il était avec eux au dan-
ger. Le soir d'une bataille, le voyant à. leurs feijx,
ils disent dans leur Hberté rude : « Eh ! Sire I oii
étiez-vous ? On ne vous a pas vu... » Il ne
répondit rien. Mais ils virent son habit troué
de balles et il en tomba une. Les voilà bien
:.bv Google
{1757) — 412 —
honléux. « Sire, nous mourrons pour vous. »
Sa gaîté héroïque était inaltérable. Dans cette
année terrible, un peu avant Rosbach, on lui
amène un de ses Français, un grenadier qui dé-
sertait. « Pourquoi nous quittes-(u? — Sire, vos
affaires vont mal. — C'est vrai... Eh 1 bien,
écoule : encore une bataillel si cela ne va mieux,
nous déserterons tous les deux. » [ThiébavU.)
L'élonnement de Marie-Thérèse, c'était noire
lenteur. Par Choiseul, qui était à Vienne, elle
demandait à chaque instant pourquoi on ne se
hâtait pas de donner le coup de grâce. — Elle
employa, le 3 septembre, la ressource suprême
qui lui avait déjà servi, un voyage de l'Infante
près de son père. L'Infante se mourait de deux
passions , celle du grand mariage autrichien ,
et celle d'aller aux Pays-Bas , de quitter son
désert de Parme pour ces grandes villes riches,
peuplées, de Bruxelles et d'Anvers. Bernis ,
son ex-amant, qu'elle avait eu en Italie, était
devenu si prudent qu'il respectait, approuvait les
excuses de Richelieu et de Soubise , tous deux
fort peu pressés de voir le lion au gîte. Dans
son désespoir même , celui-ci était redoutable.
Par sa petite armée du Nord (vingt mille contré
soixante mille) il avait étrillé les Russes à Jœger-
noff; tout en se proclamant vainqueurs, ils en
eurent assez, s'en allèrent. Plus récemment, sur
D,a,l,zc.bvG00gIe
— 415 — (1751)
Soubise même, il eut un avantage léger, mais qui
fit rire. Soubise a huit mille grenadiers,, fuit
devant cpiinze cents Prussiens , perd sqn camp
et tous ses bagages.
La guerre était menée réellement par la Pom-
padour. Entre le vieux Bellisie et le vieux Duver^
ney, elle aurait pu avoir de bons conseils, mais
ne les suivait pas. N'étant que par l'Autricbe,
ne suivant que Marie-Thérèse, elle attendait le
mot de Vienne. Ce mot était d'agir secondaire-
ment par Richelieu, mais de laire les grands
coups par les vingt-cînq mille hommes que com-
mandait Soubise, uni à l'armée de TEmpire,
trente-cinq mille Allemands , qu'un Allemand
menait , le prince Hildburghausen , un valet
de Marie-Thérèse. Les Français étant moins nom-
breux, la gloire serait toute allemande, toute à
Marie-Thérèse ; elle aurait été quitte de ta recon-
naissance, quitte de ses promesses, eût refusé les
Pays-Bas.
Qu'était ce favori Soubise? Rien en lui, mais
tout par sa sœur, Marsan (Soubise), gouver-
nante des enfants de France, qui avait eu ce
poste de conSance par la grâce de Marie-Thé-
rèse. Ces Soubise, depuis la belle rousse de
Louis XrV, étaient toujours des favoris. Trois
cardinaux Soubise sont les grands aumôniers;
le premier ( fils du roi? ) , c'est ce cardinal
Douze, bv Google
(1757) — 414 —
femme, célèbre fxr sa belle peau et son zèle
moliniste; le second, joli homme épuisé, qui
meurt jeune, passait, dit Argenson, pour amant
de sa sœur. Son frère, le général, brave homme
et médiocre, plaisait à Louis XV par l'analogie
de leurs mœurs. Sa scéur (Marsan) le fit t^-
lemrait adopter de l'Autriche et de la Pomp»-
dour, qu'on voulait lui donner ce que ne pat
avoir Turenne : on voulait le faire connétable !
Soubiee, de Vietane et de Versailles, rece-
vait des lettres pressantes qui revenaient à
dire : « Allons , sois un héros. » Le destin
l'accabla. TJn autre, Richelieu, eût été battu tout
de même. La décadence pitoyable de l'armée
(comme de toute chose) arrivait au dernier degré.
Nos Français sont terribles aux premières guerre
de Louis XV, à Guastalta, au combat de Plélo
(1731). A Fontenoy, l'infanterie mollit, percée
par la colonne anglaise (1745). Ici tout est dis-
sout (1757). Personne ne se soucie de guerre.
« Nos paysans en ont horreur , » dit Quesnay
(art. Fermiers, dans l'Encyclopédie).
L'âme est morte? Non pas. Avant Mahon,
quand on dit qu'on n'embarquerait que les gens
de bonne volonté, ils voulurent tous en être. Mais
dans cette misérable guerre d'Allem^ne , se
traînant , embourbés dans la boue , le vol ,
et le pillî^e, et les jambons de Westphalie, ils se
D,a,l,zc.bvG00gIe
_ 415 — (i7S7)
moquaient d'eux-mêmes, méprisaient cette guerre
qu'on faisait pour trois femmes , et (sans nul
doute usant déjà du mot rude de 92) « Pour
ces cochons de Kaiserlics. »
L'année française, chaque matin, à dix heures,
offrait un grand spectacle. Devant les tentes, en
ligne, on coiffait loua les officiers. Les coiffeurs,
l'épée an côté, les tenaient sous le fer, frisaient,
poudraient à blanc. Cérémonie essentielle. Com-
ment se montrer décoiffé? Défrisé, on n'était plus
homme. Nul besoin du service, nul danger n'au-
rait ajourné.
Cela prenait du temps, bien plus que sous
Louis XIV. Car la Taste perruque du dix-septième
siècle était frisée la nuit, toute préparée pour le
matin. L'artiste, au dix-huitième, tous tenait par
la t^ une heure et plus. Aussi, les perruquiers
avaient pris un grand vol. Ils devinrent innom-
Ivables. En 89, à Paris, ils étaient vingt ou trente
mille.
Ces officiers coquets, quoique assez vifs au feu,
de mœurs, d'habitudes, étaient femmes. Aux sa*
Ions, ils brodaient, découpaient des estampes, etc.
Plusieurs étaient très-jeunes. Tel colonel avait
quinze ans. Â l'assaut de Mahon, on en vit un de
douze, iqui ne savait marcher; ses petits pieds
se froissuent aux décombres; un grenadier le
prit, loi servit de nourrice.
Douze, bv Google
i!757) _ 416 —
Ces faibles créatures ne manquaient guère, par
vanité, d'entretenir des femmes. Leurs actrice^,
chanteuses ou danseuses, les suivaient vaillam-
ment dans leurs caresses, avec leur train, coiffeurs
et cuisiniers. L'ofûcier, sa toilette faite, laissait te
camp, allait au camp des femmes rire et causer.
Le maréchal de Saxe n'eu fit-il pas autant? est-ce
qu' il n'avait pas sa Favarl pour chanter avant la
bataille? Mais ces dames n'auraient pas marché,
si elles n'eussent trouvé à la guerre tout ce qu'on
avait à Paris, leurs marchandes de modes, leurs
soieries, essences et parfums, parasols et fard,
mouches à mettre au coin de l'oeil.
L'esprit d'égalité gagnait. Les subalternes, d'a-
près les officiers, voulaient avoir des filles, les
soldats même aussi. On dit que douze mille
chariolslrainaient à l'arrière garde. Vaste camp
pacifique, qui avait l'aspect d'un bazar.
Pour être juste, il faut, à celte comiptioo
étourdie, en opposer une grossière, celle de l'Au-
triche. Qui croirait que parmi les fournisseurs de
Frédéric, ses marchands de foin el de farine, oh
comptait l'Empereur loi-même? Oisif, avare, il
jouait au trafic; il nourrissait l'armée qui battait
celles de sa femme. Vienne était remph d'espions
de Prusse. Les grandfô dames, dans leur vie gour-
mande, molle et voluptueuse, avaient toutes quel-
que favorite, quelque petite femme de chambre.
:.bv Google
— 417 — {17M)
lui disaient tout. Le b'ijou ennuyé se consolait par
unamantetlui livrait ces confidences. Il les trans-
mettait à Berlin. On put savoir ainsi que le général
de l'Empire recevait de l'argent de Vienne, qu'il
entraînait Soubise, el le presserait de se battre à
la première occasion.
Le 7 novembre 1757, Frédéric, n'ayant que
20j000 hommes, des hauteurs de Rosbach, con-
templait l'arma de Soubise et du prince Hildboui^-
hausen, augmentée d'un renfort qu'avait envoyé
Hichelieu. Soubise hésitait à combattre, disait à
son collègue l'attitude réelle du Prussien, caché
par ses tentes, et qui derrière s'était rais en ba-
taille.
Ace moment critique, vient un bïUetde Vienne
pour Soubise, billet de Choiseul. Il lui conseille,
le presse de se battre (Duclos, 646). ConseiUm-
périeuxl Soubise y sent l'impératrice, l'ordre
absolu. Que faire? S'il ne combat, c'est fait de sa
fortune.
a Je le tiens, disait le sot prince allemand,
je vais l'envelopper. » Opération très-simple. D
fallait pousser notre armée à droite, cerner leur
aile gauche , leur couper la retraite ; et pour cela
d'abord faire un long défilé, passer devant le
Prussien , sous son artillerie.
On n'est pas à moitié que ses tentes ont tombé.
Il apparaît. . . Sa cavalerie se démasque et
:.bv Google
(tIBI) — 418 —
s'élance. La nôtre lulle iin peu. Hais l'infante-
rie ne soutient rien; on travaillait à la mettre
en bataille; dansées mouvements commencés,
trois volées de boulets la troublent, elle fuît
à toutes jambes. Soubise amène ses réserves ;
trop tard; on les culbute aussi.
L'affaire ne fut que ridicule. Feu de blessés,
très-peu de moris , maïs d'innombrables prison-
niers. La suite aurait été terrible si la nuit, ve-
une de bonne heure, n'eût charitablement cou-
vert le camp des femmes , ce grand troupeau de
faibles créatures , de dames qui s'évanouis-
saient, de filles éperdues, qui criaient. Les
marchands lâchèrent tout, n'eurent le temps
d'emballer. Les cuisiniers laissèrent leurs bat-
teries. Loin devant, vrais zéphirs, volaient les
perruquiers, jetant l'épée qui leur baUait les
jambes. Ce tourbillon eût été loin, si l'Instrutt, un
méchant torrent, n'eût tout arrêté court. Un seul
pont! Un long défilé.... Deux jours, trois jours
on fuit de dltlérents côtés. A jeun. On n'a rien em-
porté. Si par bonheur on trouve , à peine on veut
dîner, qu'un cri part: « Voici l'ennemi. »
Le camp abandonné fut pour la sombre armée
du roi de Prusse un surprenant spectacle. Ces
moines du drapeau, dans leur vie dure, n'a-
vaient aucune a>nnnissance d'un tel monde de
bagatelles, de frivolités parisiennes; que faire
Douze. bvGoogle
- 4iâ — {ii^f
d'un le! bulin? Par l'ordre exprès du Roi, les
blessés furent soigneusement recueillis et soi-
gnes. Lui-même il fit manger les officiers avec
lui , à sa table, leur en fit les honneurs, s'excu-
sant de n' avoir pas mieux. « Mais, messieurs,
je ne vous attendais pas sitôt, en si grand nom-
bre. » Il dit encore : « Je ne m'accoutume pas à
regarder des Français comme ennemis. » Et en
effet, entre nos officiers , tous enthousiastes de
lui , il avait l'air du Roi de France
Un cri d'admiration piartit de l'Angleterre et de
la France même. Vingt chansons célébrèrent
Soubise.
Cependant Vienne avait repris la SJlésie, l'oc-
cupait avec cent mille hommes. Frédéric y court.'
Il en a trente mille, mais si sûrs qu'au moment
il dit: « Si quelqu'un flotte, hésite, je lui donne
congé ; il peut se retirer, sans blâme et sans re-
proche. » Pas un ne s'en alla.
Le sot. démon d'oi^ueil qui possédait Marie-
Thérèse, avait gagné les siens; ils déliraient
d'avoir repris la Silésie. Us raillaient Frédéric.
La terrible boucherie de Lissa les fit sérieux. Ds
payèrent de leur sang. C'était la septième bataille
de Frédéric en cette ïœnée ( 4 déc. 1 757 ) , et son
chef-d'œuvre militaire. Napoléon lui-même en
parle avec admiration.
Dès ce jour-là, son sort était changé. Il pouvait
D,a,l,zc.bvG00gIe
(1157) — 420 —
désormitis largement réparer ses perles. Pilt, de-
puis juin , gouvernait rAnglelcrre. Frédéric reçut
à ]a fois de l'agent, une armée. L'armée hano-
vrienne, après Bosbach, déchire sa convention, et
elle est mise aux mains des généraux de Frédéric.
Quinze millions par an lui sont donnés de Lon^
dres. 11 peut nourrir, payer les nombreux dé-
serteurs qui de tous côtés lui arrivent , veulent
servir le grand Roi de Prusse.
Véritablement grand*. Les Autrichiens eux-
mêmes, regrettant de lui Ëiire la guare, dans
le Prussira, ressentirent rAllemand. L'admira-
tion d'un homme rouvrit la source vive de la
fraternité. Le culte du héros leur refît la Germa-
nia.
Dans les nobles et simples récits que Frédéric
nous donne de cette guerre unique, il n'a daigné
rien faire pour en relever la grandeur. Loin d'en
marquer l'effet, les résultats moraux, immenses,
qu'on entrevoit ici, il s'en tient au technique, dit
seulement pourquoi et comment il lit cette ma-'
nœuvre, livra, gagna celte bataille, très-attentif
surtout à bien marquer ses fautes , pour ne pas
tromper l'avenir. Nulle excuse pour ses défaites.
Une véracité héroïque. Les succès plutôt amoin-
* Il n'a qu'une lacbe, sa participation au partage de la Pologne,
préparé depuis cent années. Vo;. plus haut Tbom et les Jésuites, w-
tqurt réel« de ç«tte ruine. Je l'ext^iquerai mieui an tome mirant.
:.bv Google
— 421 — {175 )
aris. Sur le nombre des morts, des prisonniers,
si les narrations diffèrent, c'est dans celle de
Frédéric que le nombre est le plus petit.
On sent en lui une cbose Irès-belle, c'est que
ses faits de guerre il les a vus d'en haut.
Derrière le capitaine et au-dessus est le Fré-
déric roi , dont l'autre Frédéric n'est que le gé-
néral.
S'il n'eût été ni roi, ni général, il resterait en-
core un des premiers hommes du siècle. En par-
courant la colossale édition de ses œuvres (trente
volumes in-4''), on reconnaît avec tous les criti-
ques, les Villeroain et les Sainte-Beuve, ce que
le libre esprit des Diderot et des d'Alemberl disait
sans flatterie : C'est un grand écrivain, excellent
prosateur, net, simple, mâle, d'étonnant sérieux,
qui, même en face de Voltaire, dans ses très-
belles lettres, se soutient avec dignité.
Quelques formes bizarres , imprudemment
cyniques,dont on abusa contre lui, n'empêcheront
pas de déclarer :
Qu'il fut le caractère le plus complet du dix-
huitième siècle, ayant seul réuni à la force
l'idée.
:.bv Google
CHAPITRE DERNIER.
Credo du dixJiuJtième nède. 1730-1757.
Le grand coup de Rosbach frappait , noa-
seulement la Pompadour, mais le Dauphin el
la Dauphine. Celle-ci avait cru venger sa mère,
le Dauphin venger Dieu. C'est par là que l'Au-
triche les avait pris , par là que l'amie de
l'Autriche, gouvernante des enlants de France,
madame de Marsan , née Soubise , avait poussé
son fi-ère. Le Dauphin , fort peu Autrichien ,
le fut dans cette année 1757. Il eut le charitable
espoir qu'on avait, en se mettant dix contre un,
d'exterminer l'impie.
Voltaire la même année, ainsi que Frédéric,
avait sa victoire, son Rosbach. C'est l'Essai sur
les nweurs. Livre immense, livre décisif, qu'on
;.bv Google
— 425 — (na(M757)
allendait depuis quatre ans. Frédéric, quand Vol-
taire le quitta (1755), laissa publier la copie
incomplète qu'il avait dans les mains. Elle fut à
l'instant réimprimée partout. L'ouvi'age ne pa-
rut complet, dans sa grandeur, qu'en mars 1757. ,
Tiré du premier coupa un nombre inouï (7,000),
il inonda l'Europe, la remplit de lumière. Viaisce
gui est bien plus, ce livre, plein de vie et d'initia-
tive, en donne à tout le monde. Il commence une
enquête immense sm* l'histoire qui ne s'arrête
plus. Le siècle marche dès lors dans un chemin
nouveau, toute la grande armée historique, les
Mably, les Raynal, les Hume, Gibbon et Robert-
son, Jean de MûUer, etc. D'une part les critiques,
et de l'autre les narrateurs, la philosophie de
l'histoire, les Turgot et les Condorcet.
La France est loin de se sentir vaincue. Tout
au contraire, elle envahit l'Europe. Le cycle va-
rié de ses grands écrivains, très-harmoniques
entre eux, répond aux besoins variés, aux senti-
ments des nations. Montesquieu gagne l'Angle-
terre, à ce point qu'il y fait Blakstone. BulTon,
dans sa solennité, inaugure en Europe les éludes
de la nature, Diderot la critique inspirée et àes
arts et de toute chose.
Ce qui pi'ouve le mieux la souveraineté de la
Fi-ance, c'est l'avidité, le respect, j'allais dire la
religion, avec laquelle l'Europe l'accueillait dans
Douze, bv Google
(17ïO-n51) — 424 —
son œuvre mêlée, énorme et indigeste, de l'En-
cyclopédie. Rien ne donne aujourd'hui l'idée d'une
telle chose. Tant de milliers de souscripteurs,
pour un livre si lourd, si cher.
Chaque volume est reçu comme un événement,
salué avec enthousiasme. Bonne nouvelle ! l'année
deRosbach, le septième volume a paru. L'Europe
en est charmée. Outre les articles éclatants de Vol-
taire, Diderot, beaucoup d'aulfes saisissent, com-
mandent l'attention. De l'arllcleGenèue qu'a donné
d'Alembert, une révolution va sortir, le grand
schisme encyclopédique.
C'est un sot préjugé, malheureusement fort ré-
pandu, qu'avant celle réaction le siècle avait
flotté, divagué" de côlé et d'autre. Erreur. Il a mar-
ché très-droit.
Qu'on me laisse un moment remonter et mar-
quer depuis 1720 quelle avait été cette voie.
1. L'action. — Montesquieu. Voltaire.
Le point de départ est l'aiTêt de Montesquieu
(dans la 117* des Lettres Persanes) sur le catho-
licisme c( qui ne peut durer cinq cents ans. »
H n'eut jamais d'éclipsé plus forte que sous la
Régence. On ne le combattit pas ; on l'oublia.
Douze. bvGoogle
— 425 — (1121) 1757)
Le jugement de Dieu, qu'il allestail toujours,
avait deux fois prononcé contre lui. Vaincu deux
fois, avec Philippe II, avec Louis XIV, il paraissait
fini. Il rélait bien plus en lui-même, ayant dans
VVnigmitus condamné l'Évangile, et les propres
mots de Jésus.
Montesquieu ne s'amuse pas à faire la petite
guerre, noter tel scandale, tel abus. Il va à la vraie
question : Si le calholicisme meurt, est-ce un effet
de ses abusqui l'écarlentde l'Évangile? ou l'effet
naturel, nécessaire, du principe chrétien? —
Quel est-il, ce principe, et quelle est sa portée?
Regardant l'avenir, dédaignant le présent et
méprisant ce monde, condamnant toute occu-
pation mondaine, maudissant la nature, il est
essentiellement stérile et dépopulateur (let-
tre i 14) . — Il est le père des moine», mais il en
est le fds, issu du monachisme oriental, si fort en
Egypte, en Syrie, avant Jésus, plus fort dans la
mort de l'Empire, ce grand tombeau des nations.
Au monde défaillant qui n'agissait plus guère ,
qui n'espérait plus rien, il interdit l'espoir,
défendit l'action.
Le premier mot qui part, en 1734, le premier
cri, c'est : « l'action. »
Voltaire, dans ses Lettres Anglaises el la lettre
Douze, bv Google
(1130-1767) — 426 —
contre Pascal, dit la grande parole, le moderue
Symbole : <iLe biUde l'homme est V action. »
Nousavonsvn Yoltaîreà ce Irès-beau moment,,
qu'on pourrait dire son moment stoïcien, quand,
pauvre, ruiné, au retour d'Angleterre, il étaitcaché
près Paris.
Aux jérémiades amères de Pascal, sur les maux
de l'homme, il répond noblement : « L'homme
est heureux... Je suis heureux. »
Comment heureux? Par faction.
. Vacti&n, btU souverain de l'homme; avec ce
mot il n'était plus besoin d'épigrammes, ni de
petits combats. Cela renvoyait au néant les dog-
mes de l'inaction, de la contemplation stérile.
Le but, entendez-vous ? ce n'est pas le plaisir,
ce n'est pas l'intérêt (à vous I Helvétius, Holbach I
 vous, lesrinodernes écoles de la matière et du
plaisir).
Voltaire se croit sensualisteet dispple de Locke.
]1 ne Test point au fond. Il se sépare très-bien de
lui et de tous ceux qui croyenlla morale variable,
qui ne i-econnaissent pas une règle identique d'ac-
tion.
Il se moque de Locke qui, sur la foi de voya-
geurs suspects, a la crédulité d'admettre que les
Mingréliens s'amusentà enten-er vifs leursenfants.
« Mettons cela, dit-il, avec le perroquet qui liutau
P. Maurice ces beaux discours eq langue brési-
Doiizc^bv Google
— 427 — {tMft-lïsij
tienne, que Locke a la simplicîlé de redire. »
Et il n'est pas moins ferme conti-e le fatalisme.
Contre Wolf, contre Frédéric, il proclame la U-
berté de l'action.
« La liberté danst'hommeestla santé deVâme. »
Plus on a la santé morale, plus on croit à la liberté.
Le fataliste est un malade.
C'est un état artificiel, contre lequel protestent
la rnnsdence et la lihevté iniérimre.
Tout cela, beau en soi, l'est encore plus dans la
situation. Il soutient cette thèse contre un homme
qui va r^ner, le jeune prince de Prusse (175-7-
1758). Il tremble de le voir persister dans ce fata-
lisme qui endurcit le cœur. « Au mmi de l'hvr
manité, daignez penser que l'homme est libre. »
La morale héroïque se prouve par les actes et les
œuvres, la liberté par l'énergie.
Fi'édéric, qui en fit un si terrible usage dans la
guerre de Sept ans, fut converti par la victoire.
Déjà vieux, il avoue (1771, 16 septembre) que
nos actes sont libres, et que Voltaire avait raison.
Mais il n'est pas moins beau de te sentir par les
revers, par l'excès des malheurs. Le jeune et pro-
fond Vauvenai^ues, martyr de la cruelle retraite de
Prague (174i), fut le témoin du nouveau dogme
par sa vie et par ses écrits.
Douze. bvGoogle
(1730-M51) — 428 —
Voltaire les recevant (1744), lui écrit : « Beau
génie, j'ai lu, j'ai admiré cette hauteur d'une
grande âme... Si vous étiez né plus tôt, mes ou-
vrages en vaudraient mieux. Mais, au moins, sur
ma fin, vous m'affermissez. . . »
 50 ans, le jeune homme avait déjà passé par
deux âges. Un de concentralion sloïque, dans l'é-
nivrement d'énergie où le jeta la lecture de PIu-
tarque. Il se dépeint lui-même dans une lettre,
comme il était alors : stoïcien à Mer, désirant un
malheur pour s'assurer de sa force intérieure. Plus
réfléchi, il eut le second âge, celui delà force
expansive qui dit : A tout prix l'action. Là il est
justement l'opposé de Pascal et du christianisme,
de la morale d'abstention. Il accepte hardiment
toutes les conditions de la vie, les passions
comme aiguillons puissants de notre force active.
D'autres aussi, non moins antichrétiens, ad-
mettent la passion, mais l'emploient au bonheur.
Vauvenai^es l'emploie, comme degré pour s'é-
lever, un escalier qui monte à la grandeur , aux
nobles résultats qui serviront le genre humain.
Cette forte pensée ayant rempli son âme, et deve-
nant lui-même, il donnait à sa personne modeste et
réservée une autorité singulière. Le plus fougueux
des hommes, Mirabeau (père de l'orateur), en écri-
vant à Vauvenai-gues (du même âge, Usonl22ans),
lui parle en fils plutôt qu'en frère. Il l'appelle :
Douze. bvGoogle
— 429 — (1780-1757)
« Mon ma!lre. » Ce qui surprend bien plus, c'est
que dans ce monde fulile de jeunes officiers dis-
sipés et rieurs, nul n'ait ri de la vie recueillie, des
mœurs graves et puresde ce singulier camarade.
Devant son austérité douce, ils nesenlaient que
du re^ct.
Écoulons-le : « Blâmer l'activité, c'est blâmer
la nature. Le présent nous échappe, nos pensées
sont mortelles. Nous ne saurions les retenir. Si
notre âme n'était secourue par cette activité infati-
gable qui répare les écoulements de notre esprit,
nous ne durerions qu'un instant. Il faut marcher,
suivre le mouvement universel. Nous ne pouvons
retenir le présent que par une action qui sort du
présent... L'activité qui détruit le présent, le rap-
pelle et le reproduit. » (11, 94, éd. 1757.)
Et ailleurs ce mot si fécond : « Agir n'est
autre chose que produire. Qui condamne l'ac-
tivité , condamne la fécondité. Chaque action
est un tumvel être qui commence ce qui n'était
pas. »
Son destin fut cruel. 11 ne put pas agir. II
languit à l'armée. Il languit en Provence. Sa
famille pauvre et très-serrée lui refuse toute
expansion. Il a des ailes et il ne peut voler.
Forte épreuve. Eh bien , il se dit : « C'est
sur nous que nous devons travailler. Et la
grandeur se trouve en ce travail. L'âme est
^cb, Google
grande, par ses pensées et par ses sentimenls.
Le reste est étrange. Lorsqu'il lui est refusé
d'étendre au dehors son action , elle s'exerce en
elle-même d'une manière inconnue aux esprits
faibles et légers. Semblables à des somnambules
qui parlent et marchent en dormant , ces der-
niers ne connaissent point cette suite impétueuse
et féconde de pensées qui forment un si \if sen-
timent dans le cœur des hommes profonds. »
Ce mot qui , dans le calme, fait sentir le com-
bat, montre aussi fièrement qu'en cette grande mo-
rale, tout est compris, que l'âme souTeraine sait
et lancer et retenir le chai-, créer à raclion refou-
lée le champ illimité de l'activité intérieure, —
qu'elle peut dire au monde : « Je suis un monde
aussi. »
Que de coups l'accablèrent I La fimeste re-
traite de Prague lui avait coûté son ami, un
jeune élève aimé , créé de sa pensée. Il quitta le
service, rechercha un emploi. Par Voltaire il l'ob-
tint. Mais le voilà gisant. Une cruelle petite
vérole le dévaste, le défigure. Ses jambes, ge-
lées à la retraite, s'ouvrent, ont des plaies.
Et avec cela, poitrinaire, presque aveugle I La
pauvreté cruelle pèse encore par-d^sus ces
maux!
Voltaire ici est admirable de braté, de cha-
leur de cœur. I! va, vient, coiut, à Paris, à
:.bv Google
— 431 — {1790-17571
Tersailles. Il intéresse les puissants à la publica-
tion nouvelle (1746). Il remue les ministres et
la reine elle-même. Â ce moment où il entrait en
cour, s'agitait tellement, il a du temps pour le
malade.
Aucun plus grand spectacle que celui de ce
lit et de cette mansarde derrière l'École de mé-
decine. Plusieurs en profilaient; le jeune, l'ai-
mable Marmontel , Chauvelin , l'âpre chef des
batailles parlementaires, Tenaient voir volontiers
ce stoïcien si doux. « Jel'ai vu, dit Voltaire, le
plus accablé des hommes , et le plus tranquille. »
Quel était-il dans son for intérieur? Fils du
passé, sorti d'une famille catholique (avec une
mère très-dévote, une. sœur carmélite, etc.),
d'autre part ami de Voltaire, ayant adopté son
principe {antichrétien) de l'action^ du bon em-
ploi des passions , étaît-il combattu , avait-il
des agitations? Souffrait-il d'être double ainsi?
Bien ne l'indique. Ayant peu à donner encore,
il crut devoir garder dans son petit volume des
exercices de jeune homme , qu'il eût mieux valu
supprimer et qui loferaient croire chrétien, donc
opposé à sa propre doctrine. Un morceau vigou-
reux écrit de main de maître, et certes dans son
âge de force [Vlmitatùm des pensées de Pascal)^
dément entièrement cette idée. Il est d'un par^
(ait Vollairien.
:.bv Google
(1740-1151) — 432 —
Rien de plus vi-aisemblable que ce qu'on a
raconlé de sa mort. Vollaire alors n' était pas à
Paris, mais il y fut présent par son aUer ego,
l'excellait d'Argental, le même qui avait assisté
Mlle Lecouvreur. Un jésuite arriva , n'en tira
rien. Vaunevargues dit après son départ les vers
dé Bajazet:
.... Cet esclave est venu.
Il a montré son orJre, et n'a rien (d)teDU.
Mort à trente-deus ans, moins deux mois,
en 1747.
On a dit, non sans vraisemblance, que Vauvenar-
gues qui souvent atteste contre le raisonnement
l'autorité du sentiment, de ta nature, du cœur,
est déjà un Rousseau anticipé. Oui, mais, très-
grande différence, il est bien moin? sensible que
Rousseau pour ses propres maux. Sur le grabat de
Job, idaus ces infirmités déplorables, cette destmc-
tion, il gémit, il est vrai, se plaint... des maux
d'autrui.
Ce sombre Paris, ruiné par une interaiinable
guerre, ce quartier noir, pauvre et humide, lui
révélait un misérable monde qu'il n'avait pas vu
au Midi.
. Dans un passage ému, touchante vision de ma-
lade, il regarde passer le grand torrent, le monde
t,ÇoogIf
— 455 — (iï3«-nS7)
et la foule aflairée. Hais de côté et d'autre, aux
chemins de traverse, il voit de pauvres solitaires
souffrants, muets, étouffant leur douleur. C'est à
eux qu'il voudrait aller, eux qu'il voudrait calmer
et consoler. Il hésite, craiut de les blesser; il les
laisse passer à regret.
Ailleurs, un aveu adorable : c'est que, tant mal-
heureux qu'il soit, l'homme n'en sent que mieux
toutes les misères des autres hommes... «Comme
si c'était sa faute qu'il y eût des hommes plus mal-
heureux encore. Sa générosité s'accuse de tous les
maux du genre humain. »
Cette vive sensibilité éclate à chaque instant
chez son maître Voliaire, le rieur plein de larmes.
Elle alla trop loin même dans son Désastre de ÏAs-
bonne, l'égara, lui fit croire au désordre de la na-
ture, lui en cacha l'ordre profond.
Mais elle est admirable dans l'Essai sur les
moeurs. Sous forme légère et critique, elle anime
partout ce beau livre. Partout on est heureux d'y
retrouver le sens humain.
Bien mieux que Montesquieu', il pose : que, si
* Si je ne çsrle pas ici de l'Esprit des lois, c'esl qu'il n'a pris au-
torité que tard, dans la seconde moitié du siècle, avec nos Anglomanes,
nos Constituants, etc. A. son appsrition, il eut un grand succès de cufIo-
site (âS éditions en 18 mois, lTlS-1749). Mais bientât on l'oublie un
peu (1150). Les raszias d'enfants, la fureur de Paris et le cheniin de
la révolte, mettent ï cent lieues de ce livre si froid des temps endormii
ni. SS
bv Google
(11W.1757) _ iS* —
la coutume diffère selon les lieux et les climats,
tout ce qui tient au fonds de la nature est le même
et ne -varie pas. L'homme a toujours vécu en so-
ciété, et cette société dure sur deux bases : justiôe
a pitié.
Plus vieux, il a mieux dit encore, étendant 6e
principe de notre petit globe à ceux qu'on voit au
ciel, et à tous les mondes possibles. Partout même
morale, tout cotnme même géométrie. Je cite ce
qui suit de mémoire, je crois, assez exactement :
« Si , dans la Voie lactée, un être jVensant voit un
autre être qui souffre, et ne le secourt pas, il a
péché contre la Voie lactée. Si, dans la plus loin-
taine étoile^ dans Sirius, un enfant, nourri par son
père, ne le nourrit pas à son tour, il est coupable
envers tous les globes. »
de Fleury. — Hontesquiea meurt tant seul [1T5S), i ce ptûnt qu'il n'j
eut qu'un homme pour smvre son convoi. C'éhit le bon Diderot. — Le
pauvre Montesquieu avait été dupé sur l'Angleterre, mystifié par les
Walpole. lU lui firmit admirer la machine, qui ast peu de chose. C'est
la île qui est tout, ia vie, c'e&tYHabeas corpus et le jury, la sûreté de
l'bomme et de la maison bien fermée. La maison ? qu''est-cc ? Le ma-
riage. Une femme sûre, qui ne tient qu'au mari (beaucoup phisqu'am
enfants). C'est ce qui a fait tout le reste, la force du dedans, la graoduir
du dehors. Il Ta au bout du monde ; elle suit. Dès lorj tout est pos-
^le et la colonie durera. — On n'imite pas la liberté, on ne l'importe
pas, il faut la prendre en soi. A chacun de la faire par l'énergie du
sacrifice ; non le sacrifice d'un jour, mais celui de loua les ours, le
fort travail suivi, les mœurs laborieuses.
:.bv Google
2. L'action universeUe. — Didei-ot.
. L'ouvrier naît au dix-huitième siècle, et la ma-
diine au dix-neuvième. Notable différence. Les
œuvres industrielles, Tameublemenl surtout, les
arts de décoration intérieure, portent alors l'em-
preinte vive de la main de l'homme, souvent
exquise et délicate, parfois quelque peu indé-
cise, avec certains légers défauts qui ne sont
' pas sans grâce, indiquant que la vie a passé là,
l'émotion, et que l'oeuvre en palpite encore.
Les formes convenues du siècle de Louis XIV
s'étaient imposées à l'Europe, mais pour les cho-
ses qu'on peut dire extérieures : architecture, jar-
dins, costumes officiels. Des arts nouveaux se
créent sous la Régence, qui atteignent bien plus
k dedans. Ils pénèlrent, se glissent, semblent
des confidents d'amour et d'amitié. Ils ne mé-
prisent rien, donnent aux menus détails d'inté-
rieur, à cent choses d'utilité (fort grossières sous
Louis le Grand) un charme singulier. Toute la
vie en est ennoblie. Au plus caché boudoir des
princesses étrangères, l'ameublement intime, le
négligé d'amour, la vie mystérieuse, tout est
création de la France. Ce génie d'industrie, qui
sentet prévoit tout, sert les raffinements solitaires
Douze. bvGoOgIf
(1720-1757) — 436 —
et la coquetterie sociale, les goûts de l'intérieur
et r»imable vie de salon.
En ouvrant les recueils des hommes sortis de la
Régence, Oppenord, Meissonier, de Cotte, etc., on
voit qu'ils entrevirent, tentèrent une grande
chose : féconder l'art par la nature, marier avec
charme les formes si diverses de la végétation et
de la vie marine, les feuilles, oiseaux, coquilles ;
exploiter mille espèces de fleurs, de coraux (au-
tres fleurs); sortir de la pauvreté sèche des trois
ou quatre types maussades oij s'est tenu le Moyen
âge. Ils en firent des essais, allèrent (on peut le
dire) au bord de la Nature. Ils y seraient entrés
avec bien plus d'audace si l'Histoire naturelle,
maîtrisée par Buffon, n'eût été immobile dans ses
descriptions solennelles, si déjà elle eût eu le gé-
nie des transformations qui doit un jour changer
les arts. Lamarck, Geoffroy, Darwin, s'ils étaient
nés déjà, auraient ouvert un champ immense au
génie de nos Oppenord.
L'art était jusque-là chose d'église, se répétant
toujours, ou ridiculement houfli, aux apothéoses
royales, aux plafonds de Versailles. Mais tout à
coup voilà qu'il est partout. Il devient social. Il
crée une société, li n'est plus une école ou une
académie; il est un peuple. Un grand peuple sans
nom a poussé sous la terre, de fine main, par qui
le métier devient art. Il est même juste de dire
Douze, bv Google
— 437 — (1720-1757 J
que le sculpteur, le peintre, ne sont pas alors
en progrès. C'est bien plus en ces arts appelés
des métiers, que le siècle fleurit de grâce et d'in-
vention.
Notez qu'ici l'ouvrier seul est tout. Il conçoil,
exécute. Ce n'est ni Vanloo, ni Boucher qui lui
enseignent ces merveilles. Dans son cinquième
étage, il est un créateur. Sans secours, sans ma-
chine et presque sans outil, il est forcé d'avoir
du génie dans les doigts. Que d'eiîorts, de pen-
sées, de combinaisons solitaires, avant que le
chef-d'œuvre aille au bout de l'Europe faire ad-
mirer les arts français !
Mais cet ermite du travail, par moment, voit
monter à lui un Esprit, qui aime et sent tout, qui
pénètre ses habiletés, ses procédés, qui lui trouve
une langue pour cent choses innommées, lui
explique son art à lui-même. C'est le panto-
pbile Diderot.
Voltaire l'appelle Panto-phile, amant de toute
la nature, ou plutôt amoureux de tout.
Il n'est pas moins Pavrurge, l'universel fai-
seur. C'est un fils d'ouvrier (comme Rousseau,
Beaumarchais et tant d'autres). Lai^res, sa ville,
fabrique de bons couteaux et de mauvais tableaux ,
l'inspire aux métiers et aux arts.
De son troisième nom qui lui va mieux en-
core, c'est le \Tai Prométhée. X\ fit plus que des
DolizccbvGoOglc
(17!0 ns7) — 438 —
œuvres. Il ût surloùl des liommes. II souffla
sur la France, souHIa sur l'Allemagne. Celle-ci
l'adopta plus que la France encore, par la voix
solennelle de Goethe. "
Grand spectacle de voir le siècle autour de luiS
Tous venaient à la file puiser au puits de feu. Ils
* Cherchons le cceur du dii -huitième siècle. H esl doulile : Vol-
taire, Diderot. — Vi^ire garda, trèa-nelte Vunilé de la vie dirine.
Diderot sa mulliplicilé. Tous deux sealirent fortement Dieu. — Tous
doux furent Irès-uuU par l'idée identique qu'ib eurent de la Jurtice.
Contre Locke Voltaire, et Diderot contre Udiétiui seutieiinait la Jus-
tice absolue. ~- Les hauts génies de cette époque, dont si complaisam-
ment on a eiagéré les dissentiments eitérieurs, furent d'accord bien
plus qu'on ne dit. On n'a pas asseï rappelé tant d'expressions fnter>
relies, de mois d'admiration, de mutuelle tendresse, qui leur ont
échappé. — Vojez d'abord avec quelle joie toute appaiilioa nouvelle du
génie était refue. Lorsque Voltaire, au eomUe de sa gloire, flatté de
tant de rois, regoit les essais d'un jeune homme inconnu, YauTenargues,
quel attendrissement paternel ! quels efforts pour le produire, le &ire
accepter de tous ! Chose toucbaote ! il descend de sa gloire, lui dît :
< J'aurais valu mieux, si je vous avais connu. • Ce mot, c'est le destin,
c'est le prii de la rie. Qu'il souffre et meure, qu'importe? Il est dans
l'immorl alité. — Quand l'Esprit des lois apparaît dans son snccès im-
mense, Vollaire est ravi, il tressaille. Il en entreprend la défense et
lance aux détracteurs un de ses beaux pamphlets. Plus lard il critiqua.
Hais que sont ses critiques auprès de l'éloge excessif: • Le g^ire bu-
main avait perdu ses tilrcs. Moutcsquieu les s relrouvés. * ^ Dans la
lettre où Aiderai défend contre Fakonet Vidée de l' immortalité, il j a
un mot, tendre, inquiet, eut Voltaire qu'il TDjait vieillir ; t Quoi ! fsut-U
qn'un tel homme meure'.' ■ — Diderot, ï son tour, trouva en ses pairs
la sympathie profonde, l'aveu de son immensité : > L'oiseau de si grande
aile 1 > Vollaire l'appelle ainsi. Et Rousseau : t Génie transcuidant! je
n'en vois pas deux en ce siècle! * — Grands cceursl Ils me rappel-
lent le fanatisme de Ruhens pour Vinci, et raccent si fort de HUton
dans ce sonnet touchant où il dit : f Mon Sbakspeare ! r — Cela ne
nous ressemble guère... Hélas ! pauvres sauvages du dix-neuvième siède
qui marchons » sombres un ï un !
:.bv Google
— 359 — (1120-1157)
y venaient d'ai^ile, ils en sortaient de flamme. Et,
chose merveilleuse, c'était la libre flamme de la
natmre propre à, chacun. Il fit jusqu'à ses enne-
mis, les grandit, les arma de ce qu'ils tournèrent
contre lui.
11 faut le voir à l'œuvre, et travaillant pour
tous. Aux timides chercheurs, il donnait l'étiu-
celle, et souvent la première idée. Mais l'idée
grandiose les efî'rayait?lls avaient peu d'haleine?
Il leur donnait le souffle, l'âme chaude et la vie
par torrents. Comment réalisa-? S'il les voyait en
peine, de sibylle et prophète, il était tout à coup,
pour les tirer de là, ouvrier, maçon, foi^eron ; il
ne s'arrêtait pas que l'œuvre ne surgît, brusque-
ment ébauchée, devant son auteur stupéfait ^
Les plus divers esprits sortirent de Diderot ;
d'un de ses essais, Condillac ; d'un mot, Rousseau
dans ses premiers débuts. Grimm le suça vingt
ans. De son labeur immense et de sa richesse in-
croyable coula le fleuve trouble, plein de pierres,
de graviers, qu'on appelle du nom de Raynal.
■ Do jeune homme lui apporte une satjre contre lui. Il s'excuse :
( Je n'ù point de pain. J'ai pensé que tous me donneriei qudques -
écns. — îfis, monsieur, quel triste métier !... Haig tous pouvez tirer
de ceci un meilleur parti. H. le duc d'Orléans, retiré i Sainte-GeneTièTe,
me hit Tbinmeur de me faair. Dédiez-lui ce lirre, et qu'on le relie k ses
«rrnea. Vois en aurez i^elque secours. — Monsieur, l'épitre m'emba»
rane. — Asse^-vous lï, je Tais tous la bire. ■ Le prince donna
Tin^-dnq louis.
:.bv Google
Un lorrenl révolulionnaire. On peut dire da-
vantage. La Bévolulion même , son aine , son
génie, fut en lui. Si de IVoiisseau vint Robes-
pierre, « de Diderot jaillit Danton. » {Aug.
Comte.)
« Ce qui me reste, c'est ce que j'ai donné. »>
Ce mot que le Romain généreux dit en expirant,
Diderot aussi pouvait le dire. Nul monument
achevé n'en reste, mais cet esprit commun, la
grande vie qu'il a mise en ce monde, et qui
fiotle orageuse en ses livres incomplets. Source
immense et sans fonds. On y puisa cent ans.
L'infini reste encore.
Dans l'année même (1746) où Vauvenai^ues
publia ses Essais, ses vues sur Vaction, Diderot
publia ses Pensées, où il dit un mot admirable.
Il demande que Dieu ait sa libre action, qu'il
sorte de la captivité des temples et des dermes, et
qu'il se mêle à tout, remette en tout la vie
divine :
« Élai^issez Dieu I »
Combien à ce moment on l'avait étouffé ! com-
bien indignement on l'avait remplacé, ce Dieu de
vie, par la Mort même ! Comme on s'en servait
hardiment pour sacrer toute tyrannie, arrêter la
science, la recherche des causes, au nom de la
:.bv Google
— 441 — [1«(I-1M7)
Cause première ! On voulait qu'on s'en tint à ce
mot : « Dieu le veut. »
« Qu'est-ce que la. Nature? Adorez, ignorez!
Comprendre, c'est impie. — Qu'est-ce que l'in-
dustrie ! la témérité de créer et de faire concur-
rence à. Dieu. — Et la médecine ? défiance et dé-
faut de résignation, l'acharnement de vivre. Guérir
est un péché, a
Ainsi à chaque pas, obstacle et inertie, un
monde obscur, épais, coagulé; rien ne se meut.
Pour y ramener le mouvement, la circulation de la
vie, le fluide de la Nature, et ses transformations à
U^vers l'espace et le lanps, il lallait écarter le Dieu
faune d'inertie, — affranchir le Dieu mouvemaU.
Après la longue mort des trente années dernières
du règne de Louis XIV, il y eut un réveil violent
de toutes les énei^les cachées. Dieu s'élargit, on
peut le dire, il s'échappa. La vie parut partout.
Des lettres aux arts, des arts à la Nature, tout
s'anima, tout devint force vive. Il n'y eut plus
personne de mort. Tous les êtres voulurent monter.
Dn plus profond abîme, les madrépores eux-
mêmes» les coraux réclamèrent, dirent qu'ils n'é-
taient pas simples fleurs, mais de vrais animaux.
{P^ssonel.)ies plantes à leur tour, autant que l'a-
nimal, dirent aimer et avoir des sexes (VaUlatU).
Les insectes (par Béaumur) prouvèrent qu'ils
étaient ouvriers, de merveilleux industriels, qui
:.bv Google
(ï7»-n57) — 442 —
se disaient chacun des outils pour son art.
Ainsi la Nalure tout entière, devant llhdustrie
qui naissait, dit qu'elle aussi elle était industrie,
uu créateur laborieux. Notre Maillet, qui vécut en
Egypte, vit, dans la matrice du Nil, surgir Tanimal
(non oisif), mais persévérant ouvrier, qui va se
fabriquant, va montant dans l'échelle de la méta-
morphose, se diversifiant, tendant vers chaque
espèce, selon qu'il développe tel oi^ane ou telle
fonction.
Pure machine au temps de Descartes, l'animal
s'émancipe au dix-huitième siècle, devient animal
vrai, tme force animée et active, qui se crée, et
qiii a sa part du Créateur... Et Dieu lï'en rougit
pas. Animer tous ces simples, ces innocents, poiu*
lui, c'est s'élargir , reprendre sa libre action et
rentrer dans la vie divine dont les prêtres et les
sophistes, ces impies, l'avaient exilé.
Le vertige me vient à regarder la scène prodi-
gieuse de tant d'êtres, hier morts, aujourd'hui si
vivants, créateurs... Cela est beau, grand! Dieu
partout!
Démocratie immense !.. Plus la compressiMi
monarchique du Dieu de fer du Moyen âge fut exar
gérée jusqu'ici, plus aussi elles brûlent, ces forces
délivrées, d'avoir tout leur ressort, de se détendre
enfin, de vivre de la vie républicaine. Diderot, leur
oi^ne, a un respect si tendre des moindres
Douze. bvGoogle
— 445 — {1120-1757)
libertés, des petites activités, qu'il craint de les
gêner par un 'cadre trop fort. Il les relie sans les
serrer, les laisse vigoureusement s'épandre en ses
systèmes. Il ne les contraint pas, s'efface. — Au
système du monde, il agit tout à fait de même.
Le grand Auteur à peine y paraît. II n'est pas nié,
mais écarté, ajourné ou voilé.
Ah ! l'amour contredit l'amour, et il a en lui son
obstacle I
Qui aime à ce point toute chose, — par l'amour
de la vie locale, — perdra le sentiment de l'Onilc
centrale.
En douant chaque être d'une âme et d'un esprit
divin, y mettant Dieu, on a peine à garder l'har-
monie supérieure et la haute Unité d'amour qui
liait toute chose.
Cela est triste ^.. Le monde en devient sombre.
Quel éparpillement de la vie !..
' Il est trbta de toir dcui on trois hommes, et des plus émineotB,
— [deina de la tie divine, — a'ea pas bien Beolir rtloîtù. C'était ma
querelle déjà avec notre regrettable Proudhon, qui m'a suitj de près
dans mon idée de la Justice, de la Révolution, opposé du Christia.
Disine. Son esprit déceatralisatoir hù a voilé l'I/nif^ du grand Tout. —
J'ai dit ma pensée Ë-deEsus dans le livre de la Femme, dans la Bible
de rhumanité. — Ké fort indépendant de la forme chrétienne, n'ayant
jamais communié, quoi qu'en disent d'impudents biographes, j'avais
l'esprit très-libre, et plus de droit de m' expliquer.
Le vrai soleil du monde, l'Amour qui en est l'âme, n'apparait pas
toujours. La ravissante idée de l'Unité centrale par moments se dérobe
pour enhardir la vie locale. C'est un phare à éclipses qui tourne, qui se
cache et ne périt jamab. Rassurez-vous donc ani heures sombres.
:.bv Google
(1720-1155) _ 444 —
Si l"animal s'âève dans l'échelle des êtres,
selon qu'il est cenbtilisé. en montant des moUas-
ques à l'bomme, — hélas ! Yamnud monde, s'il
n'est centralisé dans l'unilé divine, de quelle
chute profonde va-t-il tomber, cher Diderot !
Ses Pensées sont brûlées (1746). — Sa Lettre
sur les aveugles (1749) le fait mettre à \in-
cennes. Regardons^e sur ce donjon.
De là la vue est grande sur la plaine, la Seine
et Paris, sur Notre-Dame et la Bastille. Que
d'homme ont regardé du haut de cette tour,
mesuré la hauteur I Retz, Condé, Barbes, Mira-
beau, mille autres y ont passé. Hais nul oiseau
jamais de si haut vol n'y fut que celui que j'y
vois, nul plus grand, plus hardi, « nul plus sage
et plus fou. »
Lui-même s'est dépeint à merveille. Né à Lan-
gres, lieu haut et de vents étemels, qui d'heure
m heure va du calme à l'orage, il dit : «-Ma tête
est le coq du clocher qui va, vient et tourne tou-
jours. » Un coq, disons-le, d'un œil d'aigle qui
plane et voit au loin, pressent de tous c^tés les
vents de l'avenir.
C'est l'an 1749 (juillet), l'avènement de Mes-
dames, et le triomphe du Clei^é. Le Roi accorde
Cette flamme qui bit U joie du cœur, [>«ttl manquer parmoEnrats, noiu
attrister de md abience. Toujours elle rerient plut rivante, agrandie.
^cbvGooglc
— 445 — (ITSO-lTOl)
atix préIres une razzia des gens de lettres. Sous
le prétexte d'athéisme, on \%e au donjon Di-
derot.
Cent ans plus tôt cela mène au bûcher. Vallée,
Yanini, Théophile furent sans piété brûlés. Que
d'autres, pour des riens, furent enterrés vivants!
J'ai dit la cage de Saint-Michel-en-grève. Je n'ai
pas dit les fosses pleines de rats, où Renneville
eut Je nez mangé.
Diderot fut très-beau en prison. Tenu au secret
le plus diu*, il ne livra jamais le nom de son li-
braire qui eût été droit à Toulon. Il était décidé à
rester là. Et, sans papier ni plume, il charbonnait
un drame de ia mort de Socrate. L'autorité fléchit
et recula.
Dans ce séjour de trois mois à Vincennes, il
mûrit son grand plan d'une association imiver-
selle des gens de lettres, concentrant leurs travaux
dans un Dictionnaire qui contiendrait la science
humaine. Pensée folle? on devait le croire.
L'autorité permettrait-elle une si dangereuse ,
entreprise, toutes les sciences exposées, traduites
selon l'esprit philosophique (autrement dit, contre
l'autorité) ? Aucun protecteur sûr. La Pompadour
et d'Ai^enson cadet voulaient, ne voulaient pas.
Si Diderot n'eût fait qu'un livre, il eût péri. Il
emporta l'obstacle à force de grandeur. Dans sa
vaste entreprise, au peuple des lettrés s'unit le
Douze, bv Google
(nawiMl — 446 —
peuple financier. Des fortunes s'y ei^ï^èi-ent.,
Telle y Ail jetée sans retour. Une seule dame. y
mil cent mille écus.
Plusieurs y mirent leur vie (de Jsnicourt, et tant
d'autres). La générosité de Diderot qni s'y us»
pour rien (y eut son pain à peine), sa générosité
gagna. On vit un surprenant spectacle, cesser
l'^oïsme et l'envie 1 Qui aurait jamais cru que
la nation des gens de lettres (comme l'appelle
d'Alembert), nation de rivaux, d'envieux,, en
viendrait à s'immoler dans un travail poiomun
où chacun brillerait si peu? une Babel par ordre
alphabétique , un monstrueux dictionnaire de
trente volumes in-folio? L'£ncî/çitopéd*e fut bien
plus qu'un livre. Ce fut une faction. A travers
les persécutions, elle alla grossissant. L'Europe
entière s'y mit.
Belle conspiration générale qui devint celle de
tout le monde. Troie entière s'embarqua elle-
même dans te cheval de Troie.
Tout cela était encore dans le cerveau de Dide-
rot. 11 était encore à Vincennes, m^is plus libre
déjà, quand il eut, en août 1749, la visite vrai-
ment mémorable du musicien Bousseau. 11 n'a-
vait pas encore fait le Devin du village, et rien
ne le recommandait. Diderot qui l'aimait, ne mé-
ditait pas moins d'inscrire Rousseau au litre du
:.bv Google
_ 447 — ()790-nW)
grand Dietimmire des sdenees, de lui donner
l'honneur d'être un des fondateurs de l'Encyclo-
pédie (ce qu'il a fait rédlemeut).
Mably, dans cette année, avait donné son liyre
contre la vie moderne, son éloge de Sparte, elo.
Rousseau, protégé de Mably et ami du célèbre
auteur, pouvait-il ignorer ce livre? Il n'en
dit rien , mais parle seulement du sujet pro-
posé par l'Académie de Dijon. « Les sciences
et les arts ont-ils servi le genre humain? »
Cette question, dit-il, lui ouvrit tout un monde.
11 allait à Vincennes quand il ta lut, en fut
ému, gonflé, ne put plus respirer. Il s'assit
sous un arbre, y écrivit une page au crayon pour
la montrer à Diderot.
Les trois récits qu'on a de ce moment (par
Rousseau, Diderot, Marmontel) s'accordent aisé-
ment. Rousseau entrevit bien la grande place
qu'il allait saisir, en attaquant les sciences et le
parti de ses amis. Mais il ne l'eût pas fait sans
l'avis généreux du capital ami, qui pour lui était
tout alors, sans l'autorisation de l'oracle du temps.
Grave question pour Diderot I Au jour oià il
dressait le monument des sciences , allait-il
envoyer Rousseau dans le camp opposé? Ne
risquait-on de voir bientôt un encyclopédiste
ennemi de l'Encyclopédie ? qui sait ? ennemi
de Diderot?
. Douze, bv Google
(IWO-lîST) _ 448 _
Celui-ci fut Irès-grand. Il conseilla contre lui-
même, contre son œuvre el contre son parti. Il
conseilla Rousseau pour Rousseau, selon ses
tendances, son talent et sa destinée, et, quoi
qu'il arrivât, il le lança dans l'avenir.
:.bv Google
TABLE
Piges.
PRiviCB. — SourceE de- celle histoire.' — la conspiration De fe-
mille. — Le Credo du dîx-hnitiËme siècle
GuFiTM nunnra. — Fleury et M. le Duc, 1724 1
Fleary transmet & H. le Duc un pouvoir limité. 5
Fleury créé par les Jésuites. . 5
Il écarte les honnêtes, gçn; du Veorapl ^;al. ,,...... (i
DuTerqey dirige H. le Duc et Madame de Prie 9
Rétwme de Duïernej. Son impopularîlé 15
Cha?. n. — CkuU dt M. le Duc. n2&-1790.
Amour de la France pour le petit roi 19
Ses camarades. ConDiience de Fleur; 31
U. le Duc les chasse 36
n maris le Roi, septembre 1735 38
Chute de M. le Duc, juin 1726 32
Ëiil et mort de Madame de Prie 38
Cb»?. m. — Eîprit guerrier et provocateur du clergé. —
France. Pologne. Espagne. 1726-1727 ii
On aggrave la perséfution protestante. 43
Cruautés des Jésuites, fune^es à li Pologne. - . ■ 45
Leurs folies d'Espagne. Riperda, nouvelle Arma dj 4'J
L'Anglais corrompt la Famèsc cl se joue de Fleurv 57
t,CoogIc
— 450 —
Psges.
Chap. IV. — Chute du tiède. — (mpuissance des jamé-
nisUs el des proteftanls. im-in9 59
Oa dit ï tort que la France se remit gous Fleury 59
Réaction honoUe et libérale du Juuémsme 6S
Persécutiom. Hiracles iansénietefl S5
AtsodatioDS des jansénistes, des friLUCS-maçons 69
Vertus et stérilité des jansénistes, des protestants 73
Cau. V. — Voltaire et M'" Lecouvreur, 1728-1750. . . 76
VolUire revenu d'Angleterre, 173S 77
Lettres Anglaises et contre Pascal : Le but deVhgmme est Caclion. 85
Tragique destinée de mademoiselle Lecouvreur. 8S
Elle est enterrée furtiToment v • . • 93
Chap. VI. — La Marmousets. — U Cadiire. 1750-1751. 97
Le Koi sous le Pape : b Bulle loi du rojaume 98
Le Boi trahit see camarades ; Fleury le tient sous clef. . . . - , ' iOO
Le procè; du P. Girard et de la CatUire trouble la royauté du
clergé, 1751 102
Le Clergé perd l'espoir de devenir son pn^e juge ' H3
Ch»p. Vm. — Ziare et Chartes XH. — La guerre. 1752-
1755 Hi
La chanson de Bonncval, le pacha français ItS
Chauvelin et Belliate pour la guerre (contre Fleury) 118
Essor des arts lyriques, Zaïre. On est amoureux de l'amour. , 120
Infirmité de la reine. On acbite pour le Roi H" de Uaill; ,
1752., , 122
Chauvelin vent rétablir Stanislas, chasser l'Autrichien d'Italie. , 127
Chap. IX. — tfljfiwrre.— Fleury et Walpde. 1753-1755. , 151
Fleurj, mené par Walpole, retarde et entrave. 132
Ou comprometla Pologne, Stanislas, et on les trahit 155
Mort héroïque de riélo jjQ
L'Espagne profite delà guerre, prend les deux SIciles 140
^cb, Google
— 45i —
Pagw.
Maigre la trahison de Flearf, Chinrelin exige la Lonaine. . , 143
L'Angleterre anti^protestaote. Elle assure TEmpire !i l'Autriche. 145
(kip. X. — VoUmre, 1754-175». —URoitie fait point
sespdques, 1759. 147
LetLettrea Anglaises de Voltaire, 1754 149
It se réTugie dbei madame Du GhStelet, en Hollnide, etc. . . . 149
Réaction. Clwte de ÇhaHvelin, 33 Kmer 1737 155
Influence dérote et galante de madame de Toulouse 1^
Contre elle, la MaiUj appelle sa jeune soeur la Nesle, déc. 1738. 160
Le Roidé<&requ'ilnefffB pas EGS piques, arrit 1139- . . • . 1^
Cbat. m. — Guerre d'Autriche. — Grandeur et eauutivphe
de la Nesle.. ; 163
La chimère du (on ilin, du salut par l'amour 163
Uort de l'Empereur, guerre imminente, octobre 1740 170
Apparitiffli de Pridéric. . 170
LaNeeledécideleRai pour FrédériccoDtreHarie'ThêrËse, 1741. . 175
Ambassade de Belliele qui Tait élire le Ba?arDis 175
La Nesle ne peut réussir contre Fleury, l'Autriche. 176
La mort de la Nesle sauTe Harie-Thérèee, s^lembre 1741.. . . 185
Chap. XII. — Compiratim de famille. — La TourneUe. —
Dgsaslre de Prague, 1742. 188
LeDauphin, gras, dérot, chef du parti jésuite 189
La peine et ses filles sont pour' l'Espagne et pour Marie-Thé-
rèse 192
On Teut leur opposer une maîtresse. Concurrence de la Tour-
nelle et de la petite Poisson 195
Fleurj nous trahit pour l'Autriche; retraite de Prague, déc.
Mort de Fleury, janrier 1753 201
Chap. XID. - Frédéric le Grand. — Furie de l'Angleterre.
~ La TourneUe. — UBoimtOade.iHZ-im. ... 30ft
FMdéric et Bonaparte 207
Combien FrédÔTC fat Français ^ ., -gift
^cbvGooglc
— 452 -
Pagei.
firulaljld de r Angleterre, barhurie de Marifi-Thérèie ^t
Faiblesse du roi pour safllk l'IaFante; pacte de Auuiile.. ,' . . .318
Mai» la TourneUeentoye Voltaire à Frédéric 319
Projet de descente en Angleterre 325
Succèf en Flandre; le Hoi malade ïlUU, 11U 335
Hort de la Tournelle, 6 décembre 1744 239
Frédéric, abindonoé de la France, sauvé par un coup de génie.. 257
Cbu. XIV. — La Pmnpadour. — Fontenoy.— Voltaire et
■l'Encyclopédie. 1745-1746 25»
^^ommeut la Pompadour s'imposa au Roi malgré lui 84Ï
BataUle de Fontenoy, n mai 1745 245
Descente deCharles ÉdouordenÉcosse, octobre ....... 249
(ta abandonne ÉdouardetFïédéric ipiitait la paii 355
1^ Pompadonr, accueillie de la reine, non de ses filles , . - - . 254
Elle appuyé Uacbaull pour imposer tes biens du Clergé 257
Voltaire à la cour. l'Encyclopédie 357
Cbap. SV. — Le Roi concis par ta famille. — Hègne de
Madame ffairieto.PaiK de 1748 259
Le plan de d'Argenson pour )a Pologne et l'Italie, pour donner
Milan au Piémont, etc ^*
Velléité do Roi, d&espir de sa fille l'infenlc 361
Décadence de la Pompifdour*; 'influence d'Henriette; il renvoie
Argen8on(féTriMl747) 265
La reiae refroidie pour Henriette ^'0
Vdlaire écrit S^rairamw. .,........,- 270
— étril contre la paix, est disgradé 275
IWiâel748 (18 octobre). 275
Enlèrement du prince Edward "75
Chat. XVI — Sadame Henrieùe. — La bittu d'Église sont dé-
/flWilM. 1748-1751 277
Le" clergé renouvellela guerre du Jansénisme et employé les filles
du Roi pour, défendre ses biens. _ . . 379
Voyage de l!ln&Qte.k Versailles, renwi.de Maurt^as 380
:.bv Google
- 455 —
Le Roi asBO«ie ses filles k ses orgies, octobre 174d 282
Enlèvements d'enfants et révoltes de Paris, nui 1760 SS5
Le Chemin de la Révolte 288
Le Roi abandonne l'idée d'imposer le Clergé 39*
Entrée du Dauphin au Ccoseil (octobre) ^93
Adélaïde succide fa Henriette qui meurt, février 1753 298
Ch*?. XVn. — Madone Adélaïde. — les bient ecclésiailiquet
sont sauvéi. 1752 304
Caractère d'Adébide, violemment psaionné 303
Guerre immiDente, tatte intérieure du Parlement et du Clergé. . 508
Règne d'Adélaïde (septembre 1752), abaisseinent de la Pompa-
donr 310
Discours mnlre les sciences. Devin du village; divisions du parti
Ëncjclopédiqiie !, ^'°
V)olençes,eDlëTeinenls.LeParlement ^ttaqneles Lettres decut^I- 314
Enlêïemeal du Parlement (9inai 1755) 315
CttiP. XVin. — SuiU d^AMafde, — Fourberie du Bai- - Drf-
ceplion du Parlement. nhZ-i^&a 317
t'iuctuationa du Roi. Ad^aïde s'établit chei hii (27 décembre
1753) 321
Le Clergé obtient que Hàcbault sorte des Finances (4 août 1754), 524
L'archevêque sauvé par le Boi des poursuites du Parlement. . . 325
Le Roi flatte le Parlement, fait enregistrer les impits 526
Bruits publics sur Adélaïde (juillet 1755] 327
Le Roi se moque du Parlonent, le subordonne au Grand Con-
seil. . . .' 329
Ceu.ïTI. — Guerre de Sept ara. il^ 331
La Ponipadour très-bas en août 1765, et très-haut eu septembre. 551
Elle gagne le Roi et U Êimille i l'Autriche par l'espoir que l'In-
ûiDte aura les Pays-Ras 333
Fourberie de l'Autriche. Marie-Thérèse se fait Française .... 555
ConfôrencedeRabiole (22 septembre 1755) 556
0nion de la Prusse et de l'Angletoire (18 janvier i756) . ... 339
la PompadouF règne. 'Plus d'hommes en France. I 540
:.bv Google ^
— 454 —
agM.
Hidielieu emporte Nation (mai 50) 343
Hais Frédéric enlbve la Sne au père de )a Uauphine 545
Le roi irrité le jette dans )■ Bnerre, brise le Parlement (décembre
1756) 547
Cup. XS. — Damtou. JinTter-man1757. . 550
L%endes du Pacte de fanûne, du Parc aux Cerfs 552
Le ïJol du 17 février 1756. . . ,555
On croit que le Roi sera tué 354
Origines de Damiens. — Les domestiques ru dit-huiliëme siècle . 356
ta Jésuite, Di Janséniste, mais Parlementaire. Son idée fixe
d'orerft'rle Roi. 365
6n hii jette un sort. Il tôle.' . ■. -. : 565
n retoumeïArrasi.TOudrait se tuer 368
H rerient pour avertir le Roi-, le frappe, 5 Janviar 1 757 . . . . 571
Ses premières reprises S7S
On veut lui bire accuser le ParlemeBt. . .' 575
La Pompadour renroyée reste, fait renvoyer Argenson et Hachanlt,
1" février 1755 581
Elle négocie avec le Parlement, fait espérer l'expulsion des Jésuites. 583
Le procès étouiïé. — Tortures et exécution de Damieni, SS mars. 591
Caa.ta. ~ Frédéric. RosbàckAlh'S 594
Proscription dePrédériceldesphilosophes, derfincyclopédie. . 595
napoléon, Voltaire,cAlous, onttrop ramléFrédéric 398
Sa grandeur dans la paix 598
Son danger entre trois géants et sa défense de l'Europe .... 5M
Sept batailles en on an : victoire de Prague, 6 mai . . . ' . . . 401
Frédéric perd sou unique allié (la petite année de Hanovre). . 405
Les agents de l'Autriche (Cboisenl) di/famenl Frédéric 407
Vie de Louis XV ; petit Parc aux cerfs intérieur 408
Via de Frédéric; ses tersïVolUire 409
Q se sent nécessaire an monde ; sa gaieté hëroïqne 411
Marie-Thérèse le croit accablé, ordonne (par Cboiseul} qu'on
l'acbère k Rosbach.. 419
LefaïoriSoubise,]'annéedesiiUes,ooifIeursetcui3iDiers. , . . 415
Le déroute de Boibach, 5 novembre 1757 417
^cb, Google
L'admirabon de Frédéric refait la patne allemande
Roi, g:éiiénl,pbîloBi^he, hislorieo
Cuit. un.— Credû dtt XYIIf siècle. in0-il51 ....
La France fait la conquête morale de l'Europe
1. Uaction. Montesquieu et Voltaire
Montesquieu prédit la mort du catAoJtcûme (17^10) 434
— déclare le christianisme improductif et inaetif . .
\o\taxt6 dèdan : Le but de l'homme est l'acliott [il^) ... 425
— tacHon est libre, min fatale
— U régie del'acliim est invariable (115S)
Ses disciples, Frédérie et Vautenargues(1746) 427
Son Essai Bur les mœurs(174l)-1757): Unité morale du monde. 453
U. L'action universelle. ïHitTot 434
Les arta-méliers
Diderot panto-phile, panurge et prométhée 436
émancipe la Nature 438
11 crée l'Encyclopédie 443
Il lance Rousseau 446
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